Données confidentielles : 6 juillet 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/07086

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Données confidentielles : 6 juillet 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/07086
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N° RG 19/07086 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MULZ

Décision du Tribunal de Commerce de VILLEFRANCHE / TARARE du 03 octobre 2019

RG : 2016j00026

SAS ESPACE ALUMINIUM

C/

SARL MENUISERIE SUR MESURE-MSM

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 06 juillet 2023

APPELANTE :

SAS ESPACE ALUMINIUM au capital de 593.788 euros, inscrite au RCS de [Localité 4] sous le n° 412 227 266, agissant poursuites et diligences de son Président en exercice, domicilié ès-qualités audit siège

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON, toque : 1983, postulant et par Me Valérie LEDOUX, avocat au barreau de PARIS, plaidant par Me PASQUESOONE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

SARL MENUISERIES SUR MESURE au capital de 50 000 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Villefranche sous le numéro 483131 009, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Christian BOREL de la SCP Jakubowicz, Mallet-Guy & Associés

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 08 Mars 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 11 Mai 2023

Date de mise à disposition : 06 juillet 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Patricia GONZALEZ, présidente

– Marianne LA-MESTA, conseillère

– Aurore JULLIEN, conseillère

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La Sarl Menuiseries Sur Mesure (ci-après « la société MSM ») a pour activité le commerce de gros de bois et matériaux de construction depuis 2005. Elle exerce notamment en qualité d’agent commercial et de distributeur au profit de différents mandants et fournisseurs. La Sas Espace Aluminium, qui exerce actuellement son activité sous l’enseigne Bieber, a pour objet la fabrication et la commercialisation de menuiseries en aluminium.

Le 5 avril 2007, les sociétés MSM et Espace Aluminium ont conclu un contrat d’agent commercial portant sur les produits « menuiserie extérieure aluminium (rupture et froid) » pour une durée indéterminée sur un territoire géographique composé de 8 départements (01, 38, 69, 71, 74, 58 ainsi que 73 et 42 avec accord préalable de la société Espace Aluminium).

Le contrat prévoyait un préavis de trois mois en cas de cessation du contrat à compter de la troisième année commencée et les suivantes.

Le 31 mai 2010, la société MSM a conclu un second contrat d’agent commercial initialement conclu entre les sociétés Espace Aluminium et Midi Menuiserie et portant sur un territoire géographique composé de 6 départements (38, 73, 69, 42, 03 et 63).

Les relations entre les parties se sont dégradées à partir de 2013.

La société MSM a prétendu avoir constaté que son chiffre d’affaire diminuait et qu’un certain nombre de clients passaient en direct par la société Espace Aluminium et s’en est inquiétée auprès de son cocontractant.

La société Espace Aluminium, par courrier du 3 juillet 2013, a indiqué à MSM avoir constaté une baisse significative de son chiffre d’affaires, un changement de comportement de l’agent commercial démontrant la volonté de ne plus développer ses produits et une absence denvoi d’objectifs.

Le 23 décembre 2014, la société MSM a envoyé une offre de rachat de carte pour la somme de 200.000 euros. La société Espace Aluminium a fait savoir que cette offre était exagérée et a proposé la somme de 80.000 euros.

Par jugement du 2 avril 2015, le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société MSM.

Par courrier recommandé du 22 avril 2015, la société Espace Aluminium a notifié à la société MSM la résiliation du contrat pour faute grave avec effet au 27 avril 2015. Elle a estimé que la société MSM se livrait à des comportements déloyaux à son égard en proposant des produits de la société B’Alu, qu’elle avait été exclue des journées portes ouvertes aux mois de novembre 2013 et 2014 où avaient été conviés tous les clients et que la société MSM avait lancé une activité concurrente à celle de ses clients.

Par courrier recommandé du 29 mai 2015, la société MSM a contesté la résiliation du contrat et les affirmations de la société Espace Aluminium.

Par courrier recommandé du 12 juin 2015, elle a mis en demeure la société Espace Aluminium de lui régler les commissions perçues, une indemnité de préavis et une indemnité légale de rupture équivalente à deux années de commissions.

Par courrier recommandé du 24 juin 2015, la société Espace Aluminium s’est opposée aux demandes de la société MSM.

Par courriers du 9 octobre 2015 et du 26 octobre 2015, la société MSM et la société Espace Aluminium ont maintenu leur position.

Par acte d’huissier du 17 février 2016, la société MSM a assigné la société Espace Aluminium devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare aux motifs notamment que la résiliation du contrat était abusive.

Par jugement du 31 mars 2016, le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a arrêté un plan de redressement par continuation au bénéfice de la société MSM.

Par jugement avant dire du droit du 23 novembre 2017, le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a désigné un expert avec pour mission d’analyser les chiffres d’affaires des sociétés Espace Aluminium, MSM et B’Alu. L’expert a rendu son rapport le 29 octobre 2018.

Par jugement contradictoire du 3 octobre 2019, le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a, rejetant tout autre demande, :

– déclaré la société MSM recevable et bien fondée en ses demandes,

– débouté la société Espace Aluminium de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

– condamné la société Espace Aluminium à verser à la société MSM :

la somme de 29.560,90 euros HT au titre des commissions dues avant la cessation des contrats d’agent commercial intervenue le 27 avril 2015,

la somme de 7.495,50 euros HT au titre des commissions dues sur la période du 28 avril 2015 au 27 octobre 2015,

la somme de 27.874,71 euros HT au titre de l’indemnité de préavis,

la somme de 222.997,68 euros HT à titre d’indemnité de fin de contrat,

la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

les entiers dépens de l’instance, en ce compris les honoraires de l’expert judiciaire,

– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans caution.

***

La société Espace Aluminium a interjeté appel par acte du 15 octobre 2019.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 8 décembre 2020 fondées sur les articles 134-3, 134-4, 134-11 et 134-13 du code de commerce, la société Espace Aluminium demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

– débouter la société MSM de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

– condamner la société MSM à lui régler, au titre de la réparation de son préjudice de perte de marge, la somme de 1.271.690 euros HT,

– condamner la société MSM à lui régler, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 15.000 euros

– ainsi que les entiers dépens, en ce compris les honoraires de l’expert judiciaire,

à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où, par extraordinaire la cour confirmerait le jugement en ce qu’il l’a condamné à verser une indemnité de rupture à la société MSM,

– revoir le montant de cette indemnité pour la fixer à un montant qui ne saurait excéder 6 mois de commissions compte tenu de l’absence de tout préjudice subi par la société MSM, qui a été établie par le rapport d’expertise.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 31 décembre 2020 fondées sur l’article 1134 ancien du code civil et les articles L. 134-1 et suivants et L. 622-24 et suivants du code de commerce, la société MSM demande à la cour de :

– débouter la société Espace Aluminium de son appel comme infondé,

à titre principal,

– confirmer le jugement en l’ensemble de ses dispositions et notamment en ce qu’il :

l’a déclaré recevable et bien fondée en ses demandes,

a condamné la société Espace Aluminium à lui verser les sommes de :

29.560,90 euros HT au titre des commissions dues avant la cessation des contrats d’agent commercial intervenue le 27 avril 2015,

7.495,50 euros HT au titre des commissions dues sur la période du 28 avril 2015 au 27 octobre 2015,

27.874,71 euros HT au titre de l’indemnité de préavis,

222.997,68 euros HT (soit 267.597,21 euros TTC) à titre d’indemnité de fin de contrat,

5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

débouté la société Espace Aluminium de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

Subsidiairement et sur ce dernier point,

– constater que la société Espace Aluminium n’a pas déclaré de créance à son passif et n’a pas davantage présenté de requête en relevé de forclusion devant le juge-commissaire désigné dans le cadre de sa procédure collective dans le délai légal,

– constater que la société Espace Aluminium est tout aussi infondée sur le quantum de sa demande,

– déclarer la société Espace Aluminium irrecevable à solliciter la fixation à son passif d’une quelconque créance pour cause d’inopposabilité à la procédure collective, ou à défaut inopposable au débiteur dans les conditions de l’article L. 622-26 du code de commerce,

– la débouter de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

en tout état de cause,

– condamner la société Espace Aluminium à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris les honoraires de l’expert judiciaire avec droit de recouvrement.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 8 mars 2021, les débats étant fixés au 2 novembre 2022, puis au 11 mai 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il est précisé que le litige n’est pas soumis au nouveau droit des contrats issu de l’ordonnance du 10 février 2016 puisque le contrat litigieux est antérieur au 1er octobre 2016.

Sur la justification de la rupture du contrat d’agent commercial

La société Espace Aluminium se fonde notamment sur le rapport d’expertise pour justifier la rupture du contrat d’agent commercial sans préavis et sans indemnité par le comportement de son mandataire. Elle fait valoir que :

– la société MSM a enregistré une forte baisse de ses commandes entre 2013 et 2015, ce dont elle est exclusivement responsable et ne justifie pas de manière probante,

– elle conteste toute violation de sa part de l’exclusivité consentie à la société MSM,

– la société MSM a fait preuve de carences par insuffisance de prospection auprès des clients et absence de coopération avec son mandant, de façon répétée et grave, causant la baisse des commandes, en manquements à ses obligations contractuelles, ce qui caractérise une faute grave,

– la société MSM et M. [W] ont lancé, via la société AS Fenêtre, une activité concurrente de certains clients, entraînant la rupture des relations commerciales entre eux,

– la société MSM a pris des commandes pour un chiffre d’affaires significatif pour la société B’Alu, concurrente directe de son commettant, portant sur des produits substituables proposés par les deux sociétés concurrentes ; le chiffre d’affaires du mandant a été transféré au concurrent ; la société MSM a agi en méconnaissance du mandat d’intérêt commun par intérêt personnel, la société B’Alu lui accordant un taux de commission supérieur ; en tant que mandant, elle ignorait que la société MSM représentait sa concurrente, ce qu’elle ne l’a jamais autorisée à faire ; ce comportement déloyal est constitutif d’une faute grave,

– la cause de la rupture du contrat est la découverte du comportement déloyal de la société MSM et non l’échec des négociations portant sur le rachat du secteur qui lui avait été attribué.

La société MSM réplique que la rupture des contrats d’agent commercial par la société Espace Aluminium est injustifiée. Elle fait valoir que :

– le chiffre d’affaires qu’elle a réalisé pour le compte de son mandant s’est avéré supérieur à l’objectif qu’il lui avait donné ; la baisse de chiffre d’affaires n’est pas contestée mais ne saurait caractériser seule une faute grave ; elle s’explique par une multitude de facteurs extérieurs dont la perte de compétitivité des produits de la société Espace Aluminium et à la longueur de ses délais de livraisons,

– la société Espace Aluminium a, d’après le rapport d’expertise, violé son exclusivité territoriale,

– en droit un simple manquement contractuel ne saurait caractériser une faute grave du mandataire,

– elle conteste tout manquement concernant la société AS Fenêtre qui lui est étrangère, leur coexistence ne causant aucun grief,

– elle rappelle que la charge de la preuve de la faute de l’agent incombe au mandant ; elle conteste toute faute grave dans la représentation de produits non-concurrents ; la société Espace Aluminium a eu connaissance et accepté pendant des années la représentation par son mandant de produits spécifiques et sur mesure de fournisseurs tiers, à savoir la société LBM Alu jusqu’en 2012, puis la société B’Alu ; lesdits produits de fournisseurs tiers n’étaient pas concurrents des produits de la société Espace Aluminium ; à l’inverse de ce que soutient le rapport d’expertise qui n’avait pas de compétence dans le secteur de la menuiserie, c’est la baisse de chiffre d’affaires des produits de la société Espace Aluminium qui a causé un recours plus important à ces produits de fournisseurs tiers ; par conséquent, aucune faute grave ne peut être retenue au titre d’un comportement déloyal de sa part.

– la rupture du contrat faisait suite à l’échec des négociations de rupture et est intervenue de façon opportuniste suite à son placement en redressement judiciaire.

Sur ce,

L’article L.134-13 du code de commerce dispose que : ‘La réparation prévue à l’article L. 134-12 n’est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial ; […]’.

Il en découle qu’il appartient à la société Espace Aluminium de rapporter la preuve des fautes graves alléguées contre son adversaire pour que la société MSM soit privée des indemnités de l’article L 134-12.

Il est rappelé que la faute grave, qui relève de l’appréciation du juge du fond, doit être appréciée de manière restrictive, s’agissant d’une faute qui justifie la cessation du contrat d’agent commercial en ce qu’elle porte atteinte à la finalité du mandat d’intérêt commun et rend impossible de maintien du lien contractuel.

Il est constaté de manière liminaire, s’agissant du contexte de la rupture du contrat, que les sociétés étaient en pourparlers sur une indemnité de rupture puisque notamment, par courriel du 6 janvier 2015, la société Espace Aluminium proposait une valeur de rachat de 80.000 euros, que cependant, suite à procédure collective engagée à l’encontre de MSM, sa cocontractante a rompu le contrat 20 jours après, d’où une concomitance troublante entre la procédure collective et cette rupture et en contradiction avec la période antérieure alors que la société appelante avait auparavant et dans un temps proche de la procédure collective accepté les pourparlers sur un prix de rachat sans se prévaloir d’une rupture du contrat pour faute grave.

La lettre de rupture qui invoque la faute grave vise expressément :

– la démobilisation de la société MSM et des agissements contraires aux obligations d’agent commercial (refus de transmettre les objectifs, absence aux réunions commerciales, annulation de tournée commerciale sur le secteur, mauvaises relations avec les clients et décisions inappropriées, ton agressif et déplacé vis à vis des équipes),

– résultats catastrophiques des derniers mois, dues à l’inaction pour la promotion des produits, comportements déloyaux très graves, propositions de produits concurrents,

– l’organisation de journées portes ouvertes en novembre 2013 et 2014 où ont été conviés les clients sans y associer Bieber, contrairement aux pratiques passées, d’où l’impossibilité de promouvoir les produits,

– la gêne des clients en raison de l’activité de pose directement concurrente par la création de la société AS Fenêtres dont MSM est la gérante, cause directe de la cessation des commandes,

– la volonté sous-jacente de céder sa carte pour se recentrer sur son activité.

Il convient de se référer à ces fautes alléguées pour apprécier l’existence d’une faute grave.

Le contrat ne fait pas état de l’obligation pour l’agent de transmettre ses objectifs de sorte que l’absence d’une telle transmission ne peut caractériser une faute grave.

Il ne peut ensuite être sérieusement soutenu ensuite que l’absence à une réunion dont le caractère indispensable n’est pas établi puisse caractériser une faute grave. Il en est de même du fait de ne pas avoir fait participer l’appelante à une autre réunion, ce qui n’empêchait pas la promotion de ses produits.

Les reproches suivants : mauvaises relations avec les clients et décisions inappropriées, ton agressif et déplacé vis à vis des équipes, sont vagues et imprécis et ne sont nullement caractérisés par les productions.

Il n’est pas contestable que le chiffre d’affaires de la société appelante a baissé de même que le nombre de clients. Toutefois, cette seule baisse n’implique pas nécessairement le défaut de diligence de l’agent commercial, pouvant être la conséquence d’une multitude de motifs dont une conjoncture économique défavorable sur ce type de produits, une inadaptation des produits au marché, des conditions de vente également inadaptées. L’appelante doit donc démontrer que la baisse est imputable au comportement de l’agent.

Il est notamment démontré que la société appelante avait augmenté le coût de ses produits, ce qui les rend moins compétitifs. Elle ne contestait pas non plus un contexte économique difficile y compris en dehors de la région concernée et elle a procédé en 2016 à une modification de son catalogue. La société Atout Reno indique notamment dans une attestation qu’elle ne voulait plus se fournir auprès de cette société à cause de délais de livraison beaucoup trop longs.

S’agissant de la société B Alu dont les produits seraient concurrents, il n’est pas sérieusement contestable que cette société fournit des produits sur mesure, ce qui n’est pas le cas de la société Espace aluminium qui est spécialisée dans les produits standard et que cette dernière n’est pas en capacité de produire de nombreux éléments. Il résulte des productions que la société appelante a elle-même demandé à son agent la fabrication de tels produits et notamment auprès d’une entreprise avec laquelle l’intimée était en liaison, les relations avec B Alu étant intervenues suite à la procédure collective de cette première société.

Il apparaît donc que la société appelante connaissait l’existence de relations commerciales avec LBM Alu puis B Alu et y faisait elle-même appel pour des produits spécifiques qu’elle n’était pas en mesure de produire, qu’elle ne peut prétendre avoir ignoré l’existence de ces relations commerciales.

Or, la représentation de produits non concurrents n’est pas constitutive d’une faute grave et la société appelante échoue à démontrer par des documents probants la vente de produits similaires en violation du contrat.

S’agissant de la société AS & fenêtres, celle-ci n’a pas de liens capitalistiques avec la société MSM selon l’expert-comptable de cette dernière, ni facture de commissionnement ou de rémunération sur des affaires entre ces sociétés. Le fait que les deux fonds soient voisins ne caractérise pas la déloyauté et la société appelante ne rpocède que par affirmations lorsqu’elle prétend que M. [W] a créé cette société dont l’activité est la pose, par personne interposée. Le courriel en page 31 du gérant d’une menuiserie est inopérant puisqu’il affirme notamment que M. [W] serait le gérant de cette société, ce qui n’est pas le cas.

Cet argument est donc inopérant.

Il découle de ce qui précède que les conditions d’une faute grave ne sont pas réunies et que la résiliation du contrat pour ce motif trouve manifestement son origine dans la procédure collective dont la société MSM venait de faire l’objet.

Sur les demandes en paiement de la société MSM

La société Espace Aluminium fait valoir sur le fondement des articles L134-11 et L134-13 du code de commerce que :

– la faute grave de la société MSM justifie la privation de son indemnité de rupture et de préavis,

– le montant de l’indemnité de rupture due à la société MSM n’a pas à être fondé sur l’usage d’un montant correspondant à 2 ans de commissions mais sur le préjudice réel qui, compte tenu de la durée de la relation commerciale, l’absence de clause de non concurrence post contractuelle, la poursuite par la société MSM de son activité au profit d’autres mandants avant même la fin du contrat et l’absence de perte de clientèle, est inexistant ; l’indemnité de rupture ne saurait donc dépasser 6 mois de commissions,

– elle conteste sur le fondement du rapport d’expertise et des factures de la société MSM devoir payer une somme au titre des commissions pour la période antérieure à la cessation du contrat d’agent commercial ; au contraire, elle a même versé 100.000 euros de commission en trop en appliquant le taux de commission contractuellement prévu sur une assiette surévaluée.

La société MSM réplique que l’intervention sans préavis du contrat d’agent et pour des motifs injustifiés fonde différentes demandes en paiement à son profit et elle fait valoir que :

– concernant le paiement des commissions dues avant la rupture du contrat, elle conteste le taux de commissions retenu par le rapport d’expertise mais accepte l’assiette retenue, de sorte qu’elle demande au titre des commissions qu’elle aurait dû recevoir un complément d’au moins 29.560,90 euros HT ; l’établissement par elle-même des factures est indifférent,

– concernant le paiement des commissions perdues sur ordres indirects pour les opérations commerciales conclues après cessation des contrats d’agent commercial, elle demande, sur le fondement des articles L.134-7 et R.134-3 du code de commerce ainsi que de l’usage dans le secteur, le paiement de 7.495,50 euros HT correspondant aux six mois de commissions sur le chiffre d’affaires réalisé après la rupture dans son secteur par la société Espace Aluminium,

– Concernant l’indemnité de préavis, elle demande, sur le fondement des articles L.134-11 et L.134.12 du code de commerce ainsi que des articles 7 et 9 des contrats litigieux, le paiement d’une indemnité compensatrice de 27.874,71 euros HT correspondant aux commissions moyennes sur trois mois,

– Concernant l’indemnité de fin de contrat qui est de droit, il est d’usage de l’évaluer à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années soit 267.597,21 euros TTC.

Sur ce,

L’article L.134-7 du code de commerce dispose que : ‘Pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d’agence, l’agent commercial a droit à la commission, soit lorsque l’opération est principalement due à son activité au cours du contrat d’agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l’article L. 134-6, l’ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l’agent commercial avant la cessation du contrat d’agence.’

L’article L.134-11 du code de commerce dispose que : ‘Un contrat à durée déterminée qui continue à être exécuté par les deux parties après son terme est réputé transformé en un contrat à durée indéterminée.

Lorsque le contrat d’agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. Les dispositions du présent article sont applicables au contrat à durée déterminée transformé en contrat à durée indéterminée. Dans ce cas, le calcul de la durée du préavis tient compte de la période à durée déterminée qui précède.

La durée du préavis est d’un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l’absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d’un mois civil.

Les parties ne peuvent convenir de délais de préavis plus courts. Si elles conviennent de délais plus longs, le délai de préavis prévu pour le mandant ne doit pas être plus court que celui qui est prévu pour l’agent.

Ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d’une faute grave de l’une des parties ou de la survenance d’un cas de force majeure.’

L’article L.134-12 du code de commerce dispose que : ‘En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L’agent commercial perd le droit à réparation s’il n’a pas notifié au mandant, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits.

Les ayants droit de l’agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l’agent.’

Concernant l’indemnité de rupture, l’usage en la matière est effectivement d’accorder un montant correspondant à deux années de commissions mais le juge n’est pas lié par ce calcul.

La faute grave étant écartée, la société MSM a droit à des indemnités de rupture en application des dispositions susvisées outre les commissions dues et le préavis.

Le contrat d’agent commercial prévoyait le versement d’une commission comprise entre 5,5 et 10,5 % du chiffre d’affaires HT réalisé en fonction de la remise tarif négociée. L’expert a retenu dans son calcul que la société MSM avait bénéficié d’un taux moyen de 5%, tout en relevant une incohérence imputée selon lui à la commission négocie pour les affaires importantes.

Toutefois, il est nécessaire d’appliquer les stipulations contractuelles et de retenir le taux minimal de 5,5 %, un autre taux ne pouvant être retenu au vu de suppositions ou documents non précis et insuffisamment probants sur un taux moindre convenu entre les parties de sorte que le jugement est confirmé sur le montant des commissions se rapportant aux opérations commerciales antérieures à la cessation du contrat.

Pour les commissions postérieures, l’agent a droit au versement des commissions afférentes aux ventes conclues après la ruptures et qui sont la suite de son travail de prospection. Les justificatifs permettant ce calcul ont été versés dans le cadre de l’expertise et le jugement doit être confirmé en ce qu’il a retenu la somme de 7.495,50 euros (taux 5,5 %).

L’indemnité de préavis est de trois mois compte tenu de la durée du contrat. Le montant réclamé correspond aux données recueillies par l’expert et le jugement doit être confirmé de ce chef.

Concernant l’indemnité de rupture, la société MSM se réfère à l’usage en la matière et au calcul de l’expert.

Le rapport de l’expert tendrait à démontrer que la société MSM aurait compensé la perte de commissions avec l’appelante par des contrats avec B Alu. Toutefois cette baisse des commissions avec Espace aluminium et l’existence d’autres relations commerciales n’exclut nullement l’existence d’un préjudice du fait de la rupture du contrat étant rappelé que l’indemnité est de droit.

Par ailleurs, la relation contractuelle a duré pendant plusieurs années, ce dont il doit être tenu compte.

Rien ne justifie en conséquence de ne pas faire application des modalités d’indemnisation usuelles en la matière, sur la base du relevé des commissions établi par l’expert judiciaire.

Le jugement est en conséquence confirmé sur le montant de l’indemnité.

Sur la demande en paiement d’une somme de 1.271.690 euros au titre de la réparation du préjudice de perte de marge de la société Espace Aluminium

La société Espace Aluminium demande réparation du préjudice de perte de marge qu’elle a subi de 2012 à 2015. Elle fait valoir que :

– la résiliation du contrat pour faute grave est postérieure au redressement judiciaire de la société MSM, tout comme le rapport d’expert qui établit les manquements de la société MSM ; la créance de dommages et intérêts ne naîtra qu’au jour de l’arrêt à intervenir ; par conséquent cette demande n’a pas à être fixée au passif et apparaît recevable.

– à titre subsidiaire, quand bien même cette créance aurait dû être déclarée, l’absence de déclaration n’entache pas la demande d’irrecevabilité mais de simple inopposabilité à la procédure collective.

– concernant le quantum du préjudice causé par le détournement de chiffre d’affaires par la société MSM à la société B’Alu, il est calculé en multipliant le chiffre d’affaires réalisé par la société B’Alu via la société MSM par le taux de marge moyen sur coût variable de la société Espace Aluminium, soit un préjudice de perte de marge de 1.271.690 euros,

– en outre, la perte de 800.000 euros de chiffre d’affaires a entraîné le licenciement économique d’un tiers de ses effectifs et la condamnation prononcée en première instance fait peser sur elle un risque de cessation des paiements.

La société MSM réplique que :

– la créance ne naît pas du jugement prononçant les dommages et intérêts ; son fait générateur réside dans l’acte constitutif de la faute contractuelle, soit entre 2012 et la rupture du contrat intervenue le 22 avril 2015 ; elle n’a pas fait l’objet d’une déclaration de créance dans le délai de six mois à compter de la publication le 16 avril 2015 du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ; la créance est donc inopposable au débiteur, de sorte que la demande reconventionnelle de la société Espace Aluminium est irrecevable pour défaut de droit d’agir,

– concernant le fond de la demande, dans l’hypothèse qu’elle conteste de sa faute grave en tant que mandataire, la société Espace Aluminium bénéficierait déjà de l’absence de versement des indemnités de fin de contrat et de préavis ; cette dernière ne peut donc pas être doublement indemnisé,

– concernant le quantum de cette demande reconventionnelle, le préjudice allégué est une perte de chance qui n’est pas démontrée ; le montant requis par la société Espace Aluminium est manifestement excessif ; le calcul proposé ne peut pas être fondé sur une marge brute mais sur une marge sur coûts variables qui n’est pas produite ; la perte de marge ne peut pas être fondée sur le chiffre d’affaires d’une autre société.

Sur ce,

Aux termes de l’article L 622-24 du code de commerce dans sa version applicable au litige, ‘à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d’Etat’.

Le tribunal de commerce n’a pas répondu sur la recevabilité de cette demande.

S’agissant d’une demande pourtant sur des inexécutions contractuelles dont la date est antérieure à l’ouverture de la procédure collective, elle est déclarée irrecevable en l’absence de déclaration de cette créance antérieure dans les délais légaux de sorte qu’il n’y a pas lieu d’en examiner le bien fondé.

Le jugement est infirmé en ce sens.

Sur la résistance abusive

La société Espace Aluminium conteste toute résistance abusive et soutient qu’elle n’a pas fait preuve d’obstruction préalablement au rapport d’expertise, mais qu’elle a simplement refusé de transmettre des informations confidentielles sur ses clients à la société MSM. Les informations relatives aux commissions versées étaient connues de cette dernière. Par la suite, elle a coopéré avec l’expert, lui transmettant tout document requis.

La société MSM réplique que la société Espace Aluminium avait obligation, d’après les dispositions de l’article R.134-3 du code de commerce, de lui communiquer les factures des ventes sur son secteur. Le refus de transmission de ces éléments pendant des mois faisant obstacle au calcul de l’assiette des commissions constitue une résistance abusive qui lui a causé un préjudice de 10.000 euros.

Sur ce,

L’article R.134-3 du code de commerce dispose que : ‘Le mandant remet à l’agent commercial un relevé des commissions dues, au plus tard le dernier jour du mois suivant le trimestre au cours duquel elles sont acquises. Ce relevé mentionne tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé.

L’agent commercial a le droit d’exiger de son mandant qu’il lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.’

Faute de démontrer la preuve concrète d’un préjudice né de la résistance de son adversaire à communiquer des éléments chiffrés, la société MSM ne justifie pas de sa demande de dommages intérêts et le jugement est infirmé en ce sens.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La société Espace Aluminium qui succombe sur ses prétentions en appel supportera les dépens d’appel et versera à son adversaire la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les condamnations de première instance à ce titre sont confirmées y compris la condamnation à paiement des frais d’expertise.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant dans les limites de l’appel,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a rejeté la demande de la Sas Espace Aluminium au titre d’une perte de marge et condamné cette dernière au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la demande de la Sas Espace Aluminium au titre d’une perte de marge est irrecevable.

Déboute la Sarl Menuiseries sur mesure de sa demande de dommages intérêts.

Condamne la société Espace Aluminium à verser à la Sarl Menuiseries sur mesure une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Condamne la Sas Espace Aluminium aux dépens d’appel, ces derniers avec droit de recouvrement.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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