Données confidentielles : 6 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/01856

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Données confidentielles : 6 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/01856
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AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/01856 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NOT3

S.A.S. [Localité 2] INDUSTRIES

C/

[B]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VILLEFRANCHE SUR SAONE CEDEX

du 22 Février 2021

RG : 20/13

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 06 AVRIL 2023

APPELANTE :

S.A.S. [Localité 2] INDUSTRIES

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat postulant inscrit au barreau de LYON et représentée par Me Bruno DEGUERRY, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON

INTIMÉ :

[F] [B]

né le 21 Février 1976 à [Localité 5] (Allier)

[Adresse 4]

[Localité 3]

représenté par Me François DUMOULIN de la SELARL FRANCOIS DUMOULIN, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 12 Janvier 2023

Présidée par Vincent CASTELLI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Jihan TAHIRI, Greffière placée.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Nathalie PALLE, président

– Thierry GAUTHIER, conseiller

– Vincent CASTELLI, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 06 Avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nathalie PALLE, Président et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [F] [B] (le salarié) a été embauché par la S.A.S. [Localité 2] Industries ( la société) à compter du 1er octobre 2006, initialement en qualité d’agent technique.

À la suite d’une visite médicale de reprise organisée le 1er février 2018, le salarié a été déclaré inapte à son poste et a été reclassé au poste de magasinier à compter du 1er mars 2018. Il a ensuite assuré le remplacement temporaire d’un responsable d’unité de production pendant toute la durée de l’absence de ce dernier à compter du 1er novembre 2018, puis est devenu titulaire du poste de responsable UPA forge, cadre, position I, indice 92, à compter du 1er mars 2019 et pour une durée indéterminée.

Il s’est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé à compter du 21 février 2018.

La convention collective nationale applicable est celle des ingénieurs cadres de la métallurgie.

À la suite de difficultés rencontrées par la société, notamment concernant le processus de fabrication de pièces, le président, M. [V], a informé ses salariés par courriel des décisions qui en découlaient par des notes d’information des 6 août 2019 et 30 août 2019. Des échanges de courriels ont eu lieu entre le salarié et la société le 29 septembre 2019, le salarié contestant certaines observations de la société.

Le salarié a été placé en arrêt maladie à compter du 16 septembre 2019 jusqu’au 25 septembre 2019, puis à compter du lundi 30 septembre jusqu’au 13 octobre 2019 et enfin en congés payés jusqu’au 22 octobre 2019.

Dans un courriel horodaté du 1er octobre 2019 à 23h14, le salarié a écrit à l’un de ses collègues, M. [S] [N], directeur de production : ‘Salut [H], J’espère que tu vas bien, une petite question, en ce moment qui est très difficile à traverser surtout pour moi, j’ai pleins de questions qui trottinent dans ma tête, par exemple pour les JDF comment avez-vous expliqué au client et surtout à M. [K] de chez PSA que vous lui avez envoyé des pièces Astm supérieur à 6 pour assurer leur production ‘ La sécurité doit être primordiale chez eux, comme chez nous. De même avec l’audit prévu en S44 vous comptez reprendre les contrôles UV le temps de l’audit ‘ Étant en arrêt j’ai pris le temps de tout enregistrer sur une clés usb et je me suis fais un dossier personnel de tous les mails (avec toutes les personnes dans les divers échanges, car souvent les personnes concernées disent ne pas être au courant), car j’ai une conscience professionnelle et si jamais un jour il y a un soucis j’aurais une trace s’il faut les transmettre aux divers clients, Cdt.’.

Le jour de la reprise du travail du salarié, le 22 octobre 2019, les parties ont conclu une convention de rupture conventionnelle et le salarié a été dispensé d’activité jusqu’au terme de la procédure.

Le 24 octobre 2019, le salarié a adressé un courriel à la direction aux termes duquel il sollicitait notamment le doublement de l’indemnité prévue dans la convention, à défaut de quoi il indiquait vouloir exercer son droit de rétractation.

Par courriel du 25 octobre 2019, la société a pris acte de cette rétractation. Le 26 octobre 2019, le salarié a établi une lettre de rétractation de sa signature de la rupture conventionnelle, document qu’il a remis en main propre le 28 octobre 2019.

Le 25 octobre 2019, la société a adressé au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception, la notification d’une mise à pied conservatoire et la convocation à un entretien préalable à une mesure de licenciement qui s’est déroulé le 4 novembre 2019, auquel le salarié était présent.

Par lettre du 7 novembre 2019, la société a notifié au salarié son licenciement pour faute grave. Ce courrier était ainsi rédigé : ” Nous faisons suite à l’entretien préalable qui s’est tenu le 4 novembre dernier et auquel vous vous êtes présenté accompagné de M. [R], représentant du personnel.

Au cours de celui-ci, nous vous avons fait part des raisons nous amenant à envisager votre licenciement pour faute grave et que nous reprenons ci-après.

En effet, vous avez adopté une attitude des plus troublantes si ce n’est inquiétante à l’égard de la société dans un contexte que vous savez pourtant très délicat.

Il y a quelques mois, l’un des plus importants clients de notre entreprise, la société AUDI a fait part de son mécontentement relativement à la production d’un certain nombre de pièces à destination de ses propres productions. Des pourparlers se sont alors engagés en vue de ne pas conduire à un arrêt immédiat des relations commerciales avec notre entreprise et les conséquences catastrophiques qui en auraient résulté.

Un ultimatum pour corriger les chaînes de production nous a donc été imposé par notre client avec un contrôle par ses équipes initialement prévu en semaine 44 puis reporté en semaine 45.

Les enjeux de ce contrôle sont fondamentaux puisqu’ils détermineront de la continuité des relations commerciales avec ce client et donc de la pérennité même de la société [Localité 2] INDUSTRIES.

Cette situation et cette échéance sont connues de tous au sein de l’entreprise, et notamment de vous. Or, vos agissements de ces dernières semaines s’inscrivent dans une volonté non pas de participer à l’effort collectif mais de faire du tort à l’entreprise dans un contexte de fragilité ce qui est non seulement contraire à votre obligation de loyauté mais surtout irresponsable dans leurs conséquences.

Ainsi, alors que vous vous trouviez en arrêt de travail pour maladie non professionnelle, vous avez été auteur d’un courriel le 1er octobre 2019 à l’attention de M. [N], qui n’est même pas votre responsable direct, aux termes duquel:

– vous remettez gravement en cause les compétences de salariés sans le moindre fondement,

– vous indiquez avoir ” ‘ pris le temps de tout enregistrer sur une clé USB ‘ ” et ” ‘fait un dossier personnel de tous les mails’ pour avoir une trace ‘,

– vous menacez l’entreprise de ” ‘ transmettre aux divers clients’ ” ” ‘ si jamais un jour il y a un souci’ “.

Par ce courriel, vous affirmez avoir pris des informations à caractère confidentiel à des fins personnelles sans y avoir été autorisé et menacez de les divulguer aux clients de notre entreprise. Ce que vous nous avez de nouveau confirmé lors de l’entretien préalable.

Une telle attitude, de surcroît dans le contexte ci-dessus décrit, est inacceptable et s’apparente très fortement à une volonté de nuire ce qui est particulièrement grave.

A la suite de ce courriel, quand bien même vous vous trouviez en arrêt de travail, nous avons tenté de vous contacter en vain. Vous n’avez jamais daigné nous rappeler, nous laissant dans l’expectative de vos réelles intentions.

Ensuite de votre arrêt, vous avez été en congés payés jusqu’au 22 octobre date de votre retour. Vous nous avez appelé la veille de votre reprise.

Votre reprise s’est faite, sans qu’aucun sujet ne soit évoqué si ce n’est la régularisation, dans l’urgence voulue par vous-même, d’une rupture conventionnelle ce même jour.

Le 24 octobre suivant, tout en considérant vous être précipité, vous avez formulé ” ‘ une contre-proposition’ ” et avez demandé à voir votre indemnité ” ‘ doublée ‘ “.

Le 25 octobre, nous avons considéré que votre courriel valait utilisation de votre droit de rétractation de la rupture conventionnelle.

Nous avons alors, et comme nous y sommes autorisés, engagé une procédure pouvant aller jusqu’au licenciement pour les faits correspondant à l’objet de votre courriel du 1er octobre 2019 que vous ne nous aviez jamais permis d’évoquer depuis leur survenance.

Nous sommes intimement convaincus que vous êtes conscient d’avoir commis des faits très graves et que vous avez tenté, par tout moyen, de faire échec à notre pouvoir disciplinaire comme votre volonté de régulariser une rupture conventionnelle ou votre candidature aux élections professionnelles dont nous avons eu connaissance le 29 octobre alors que le 24 octobre vous étiez encore dans une volonté de départ de l’entreprise.

Lors de l’entretien préalable, lorsque nous vous avons fait la lecture de votre courriel daté du 1er octobre 2019 et demandé quelles étaient vos motivations, vous avez répondu pour ” ‘me couvrir’ “.

Ces explications ne sont pas recevables et, à plusieurs titres :

– vous n’avez jamais été directement mis en cause dans les difficultés actuellement rencontrées par l’entreprise et le dernier courriel de M. [V], daté du 29 septembre 2019, l’illustre parfaitement,

– la menace de dévoiler des informations aux clients de notre entreprise ne servirait pas à vous ” ‘couvrir’ ” mais à nuire ce qui n’est pas assimilable à une volonté de se défendre.

Il est également stupéfiant que lors de l’entretien vous n’avez jamais proposé de remettre les informations collectées sans la moindre autorisation. Vous persistez à vouloir les conserver chez vous, vous exposant, indépendamment de la présente, à des risques d’actions judiciaires dans l’hypothèse de divulgation soit directe soit indirectement des informations confidentielles.

Lors de l’entretien, nous avons eu également la confirmation que vous aviez tenté de nous empêcher d’user de notre pouvoir disciplinaire puisqu’il a été évoqué la régularisation de la rupture conventionnelle et donc le fait que les fautes objet de la présente avaient été déjà évoquées à cette étape alors que tel n’avait pas été le cas puisque vous ne nous en avez jamais laissé la possibilité.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, nous n’avons pas d’autre choix que de vous notifier votre licenciement pour faute grave. [‘] ”

Par requête du 14 janvier 2020, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Villefranche sur Saône afin de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence condamner la société à lui payer une somme à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire injustifiée et des congés payés afférents ainsi que des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et, subsidiairement, des dommages intérêts pour violation du droit à l’emploi.

Par jugement du 22 février 2021, le conseil a :

– requalifié le licenciement pour faute grave du salarié en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamné la société à verser au salarié les sommes suivantes :

– 1 481,13 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire ;

– 148,11 euros bruts à titre de congés payés afférents ;

– 7 282,40 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 728,24 euros bruts à titre de congés payés afférents ;

– 19 444,50 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

– 15 555,60 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Outre intérêts légaux pour les sommes à caractère salarial, à compter du 24 janvier 2020, et pour la sommes à caractère de dommages intérêts, à compter de la notification du présent jugement.

– dit n’y avoir lieu de prononcer l’exécution provisoire de l’intégralité des dispositions du présent jugement ;

– a fixé la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire à la somme de 3 888.90  euros ;

– ordonné le remboursement par la société aux organismes concernés des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié, du jour de son licenciement au jour du présent jugement, ce dans la limite de six mois indemnités, une expédition conforme de la présente décision sera adressée par le greffe du conseil de prud’hommes à Pôle emploi ;

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

– mis les dépens à la charge de la société, comprenant les éventuels frais d’huissier.

La société a relevé appel de ce jugement le 12 mars 2021.

Dans ses conclusions notifiées le 11 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la société demande à la cour de :

– réformer le jugement en ce qu’il a écarté la faute grave et en ce qu’il a alloué au salarié :

– 1 481,13 euros bruts à titre de rappel de salaire de mise à pied ;

– 148,11 euros bruts à titre de congés payés afférents ;

– 7 282,40 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 728,24 euros bruts à titre de congés payés afférents ;

– 19 444,50 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

– 15 555,60 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– dire et juger que le licenciement du salarié repose sur une faute grave ;

En conséquence,

– le débouter de sa demande de dommages intérêts pour licenciement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sa demande d’indemnité de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis, de sa demande de rappel de salaire de mise à pied outre congés payés y afférent ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages intérêt pour violation du droit à l’emploi ;

– condamner le salarié au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– le condamner aux dépens de l’instance.

La société fait valoir que :

– au cours du mois de janvier 2019, elle a remarqué une dérive dans le processus de fabrication des pièces Audi se traduisant par un taux de défaut de pièces très important ; qu’elle a été contrainte de prendre des décisions pour mettre un terme aux difficultés rencontrées et le président de la société informait régulièrement les salariés de ces dernières ; que l’entreprise se trouvait ainsi dans une situation difficile ;

– le courriel du salarié en date du 1er octobre a été adressé à M. [S] [N] qui n’était pas son supérieur hiérarchique et lorsque le salarié était en arrêt de travail pour maladie ; que dans ce courriel il a remis en cause les compétences de ses collègues de travail sans fondement, et il a reconnu avoir enregistré sur une clé USB et fait un dossier personnel de tous les courriels pour avoir une trace et a menacé la société de ‘transmettre aux divers clients [Y] si jamais un jour il y a un souci ‘ ; qu’en se comportant de la sorte, il a reconnu avoir détourné, à son seul profit, des fichiers informatiques contenant des données stratégiques et confidentielles de la société et l’a menacée de les divulguer auprès de ses clients ; que ces faits ont été reconnus et confirmés par le salarié lors de l’entretien préalable à son licenciement ; que la faute est commise par le seul fait du détournement sans que l’utilisation frauduleuse ultérieure ne soit exigée ;

– l’argument soulevé au titre de la maladie est inopérant, le salarié n’a jamais affirmé ni écrit que ses conditions de travail étaient la cause de ses arrêts de travail ; que le C.H.S.C.T. qui avait été prévenu par le salarié de sa situation le 29 septembre 2019 n’a pas considéré que son état de santé nécessitait une action de sa part ;

– sa faute ne peut se justifier par la volonté de se défendre puisque le salarié n’a pas été personnellement et individuellement désigné comme responsable ;

– le salarié a opportunément présenté sa candidature aux élections professionnelles ; que s’il ne revendique pas sa protection c’est parce qu’il ne peut pas en bénéficier puisque la procédure de licenciement a été engagée avant que sa lettre de candidature aux élections professionnelles ne soit parvenue à la société ;

– c’est à la demande du salarié, à son retour de congés le 22 octobre 2019, qu’elle a accepté de rompre le contrat de travail via la signature d’une rupture conventionnelle ; qu’il a ensuite exercé son droit de rétractation permettant à la société de recouvrer son pouvoir disciplinaire et ainsi mettre en ‘uvre une procédure de licenciement ; que le 6 novembre 2019, soit postérieurement à la tenue de l’entretien préalable mais antérieurement à la notification du licenciement, le salarié a sollicité de nouveau la mise en place d’une rupture conventionnelle par SMS ;

– il ne revient pas au juge d’examiner la motivation des parties à conclure une rupture conventionnelle et ce qui avait été négocié dans ce cadre ; qu’une fois la rétractation intervenue, il n’y avait plus lieu de prendre en considération la rupture conventionnelle.

Dans ses conclusions notifiées le 26 juillet 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, le salarié demande à la cour de :

– débouter la société de l’ensemble de ses demandes ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé le licenciement du salarié dénué de cause réelle et sérieuse et condamné la société au paiement des indemnités de rupture, rappels de salaire et dommages intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ainsi qu’à une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– sur le montant des dommages intérêts alloués en raison de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, recevoir le salarié en son appel incident, porter la condamnation de la société à titre dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 44 722 euros, outre intérêts de droit à compter de la décision ;

– condamner en toute hypothèse la société à verser au salarié la somme de 2 000,00 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile en raison des frais exposés en cause d’appel ;

– condamner la société aux dépens.

Le salarié fait valoir que :

– dans le courant de l’année 2019, il s’était aperçu que plusieurs pièces n’étaient pas conformes aux normes de fabrication imposées par les constructeurs ; que cependant des directives ont été données de réinjecter dans la production les pièces non conformes avec l’assentiment de la direction et du président de la société ; que ce dernier était ainsi de mauvaise foi car il était impliqué dans le processus d’irrespect des normes de production mais a ensuite prétendu découvrir ces manquements dans ses notes d’information ; qu’en déniant toute responsabilité de la part de la direction, cela conduisait à mettre en cause la responsabilité des responsables d’unité ; que c’est en raison de ce contexte professionnel que le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 16 septembre 2019 pour un état anxio dépressif ; qu’à la suite de critiques de la part du président durant cet arrêt notamment lors d’un courriel envoyé le week end du 21 et 22 septembre 2019, et à son retour, il a été placé une seconde fois en arrêt de travail ;

– son courriel du 1er octobre a été envoyé tard dans la soirée et durant son second arrêt maladie dans un contexte d’inquiétude et de fragilité psychique ; qu’il a signifié par ce courriel sa volonté de se défendre s’il était injustement accusé d’être responsable du non respect des normes de production et d’user à cette fin de tous les éléments dont il a eu à connaître dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail ;

– la société ne prouve aucun détournement, les faits établis se limitant au fait pour le salarié d’avoir enregistré sur une clef USB des courriels dont il était destinataire ; qu’elle ne prouve pas non plus qu’il a transmis ces courriels aux clients, alors qu’il lui appartient de prouver l’existence de la faute grave qu’elle invoque ;

– la société a été à l’initiative de cette rupture conventionnelle et elle a utilisé tous les moyens en sa possession pour éviter que le salarié ne revienne dans l’entreprise, notamment en lui imposant des congés payés ; qu’elle a proposé d’offrir au salarié, pourtant accusé de faits graves, de recevoir une indemnité de rupture supérieure au minimum légal et d’être placé en dispense d’activité rémunérée jusqu’à la fin de l’année pour percevoir la gratification annuelle; que cette attitude est peu compatible avec les faits qu’elle lui reproche ;

– s’il s’est présenté aux élections professionnelles c’est pour s’engager dans la défense des intérêts collectifs du personnel après avoir pris la décision de rester dans l’entreprise en usant de son droit de rétractation ;

– sur la demande de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, il bénéficiait d’une ancienneté de 13 ans ; qu’à la suite de son licenciement, il s’est retrouvé en situation de non emploi et a perçu mensuellement des allocations chômage d’un montant moyen de 1 975,41 euros ; qu’il n’a pu retrouver un emploi qu’à compter du 15 février 2021 et perçoit désormais une rémunération brute mensuelle de 1 835,01 euros, soit une baisse de plus de 2 000 euros mensuels par rapport au salaire qu’il percevait au sein de la société.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement et la mise à pied disciplinaire

En application de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d’objectivité. Elle doit être exacte. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.

Aux termes de l’article L. 1232-6, alinéa 2, du code du travail, la lettre de licenciement comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n’est pas nécessaire. L’employeur est en droit, en cas de contestation, d’invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs.

Le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l’article L.1235-1 du code du travail.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.

Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de ces poursuites.

La prise en compte d’un fait antérieur à deux mois peut cependant intervenir pour fonder la lettre de licenciement si le comportement du salarié s’est poursuivi dans ce délai.

En l’espèce, il résulte de la lettre de licenciement du 7 novembre 2019 que l’employeur formule un grief unique à l’encontre du salarié, à savoir l’envoi, par celui-ci, du courriel du 1er octobre 2019 à M. [S] [N], directeur de production de l’entreprise.

La société soutient que par ce courriel, dont les termes ont été reproduits supra, le salarié a reconnu avoir détourné des fichiers informatiques contenant des données stratégiques et confidentielles de la société, d’une part, et de l’avoir menacée de les divulguer auprès des clients, d’autre part.

La société, pour prouver la reconnaissance de ces faits par le salarié, se réfère également à l’entretien préalable au licenciement du 4 novembre 2019, au cours duquel le salarié, selon attestation de témoignage de M. [W] [R], représentant du personnel, en date du 27 janvier 2020 (pièce du salarié n°30), a indiqué qu’il s’agissait ” des mails, et uniquement des mails lui demandant de forger des quantités de pièces de mauvaises qualité, pièces qui ont été décelées mauvaises par le service qualité avec des niveaux ASTM 5, 6, 7 et même 8, alors que la norme de qualité au sein de [Localité 2] Industries est un ASTM 4 maximal “.

La cour relève que les seuls éléments que le salarié a reconnu voire revendiqué avoir transférés sur un support externe (clé USB) sont des courriers électroniques qui lui avaient été personnellement adressés par des salariés de l’entreprise.

La société n’allègue pas qu’il soit interdit à ses salariés de conserver ainsi leur propre correspondance professionnelle, pas plus qu’elle n’allègue que les messages reçus par ce salarié auraient dû être effacés.

Dans ces conditions, le détournement de fichiers informatiques allégué par la société n’est pas caractérisé.

En revanche, les termes ” si jamais un jour il y a un souci j’aurais une trace s’il faut les transmettre aux divers clients “, employés par le salarié dans le courrier électronique adressé le 1er octobre 2019 au directeur de production, caractérisent la menace explicite faite par le salarié de divulguer des courriers électroniques internes aux clients de la société.

Lesdits courriers, en ce qu’ils concernaient la fabrication de pièces commandées par les clients de la société, contenaient des informations par nature confidentielles, voire compromettantes, puisque de l’aveu et de l’intention mêmes du salarié, ces documents étaient censés démontrer que la société avait sciemment fourni à ses clients des pièces non conformes à ses engagements commerciaux.

La cour relève en outre, comme le souligne l’employeur, que cette menace intervenait dans un contexte où la société se trouvait en difficulté avec un client important, lequel, précisément, remettait en cause la qualité des pièces produites. Ce client devait à ce titre procéder à un audit du processus de fabrication pendant la semaine 44 de l’année 2019 (soit la semaine du 23 octobre au 3 novembre 2019), destiné à vérifier le respect de son cahier des charges par la société.

Le courriel litigieux du salarié du 1er octobre 2019, qui mentionne explicitement cet ” audit prévu en S44 “, démontre que ce dernier connaissait l’imminence de cet audit et partant, le contexte de difficultés commerciales auquel était confrontée la société.

Le salarié, pour s’en justifier, y oppose son droit à la liberté d’expression au sein de l’entreprise, droit consacré par une jurisprudence bien établie.

Cependant, la cour relève qu’au cas particulier, l’employeur ne fait pas grief au salarié d’avoir critiqué l’organisation de la production ou les directives reçues, critique qui aurait pu relever du droit à la liberté d’expression, mais de l’avoir menacé de divulguer des informations confidentielles à des tiers. Une telle menace n’étant pas admise au titre du droit à la liberté d’expression, ce moyen de défense est inopérant.

Le salarié oppose également le droit de tout salarié d’user des informations et documents dont il a pu connaître dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle lorsque cela est strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense dans le litige l’opposant à son employeur.

Cependant, de première part, aucun litige n’opposait le salarié à la société à la date de l’envoi du courriel litigieux et, de seconde part, le droit consacré par la jurisprudence quant à l’usage des documents en possession du salarié, s’il a vocation à s’appliquer dans un cadre judiciaire, ne s’étend pas à la transmission de ces mêmes documents à des tiers, a fortiori en relation commerciale avec l’employeur. La menace d’une telle transmission demeure donc fautive, de sorte que ce moyen de défense est également inopérant.

Enfin, les éléments de contexte liés au salarié, à savoir l’heure tardive d’envoi du courriel, son état de santé, l’inquiétude ressentie de se voir reprocher les malfaçons constatées, sa rétraction récente d’une procédure de rupture conventionnelle avec l’employeur ou encore sa candidature, postérieure à l’engagement de la procédure disciplinaire, aux élections du comité social et économique de l’entreprise sont sans emport sur l’appréciation du grief ci-avant examiné.

La cour relève à cet égard que le salarié n’allègue pas, depuis l’envoi du courriel litigieux et notamment lors de l’entretien préalable à son licenciement, avoir rétracté sa menace ni manifesté une prise de conscience de sa portée.

Les faits de menace de divulgation d’informations confidentielles reprochés au salarié, matériellement établis et imputables à celui-ci, sont constitutifs d’une violation de l’obligation de loyauté du salarié envers son employeur ; il se trouvent en outre aggravés par le contexte commercial, connu du salarié, dans lequel ils ont été commis.

En raison de la crainte légitime de l’employeur de voir le salarié porter cette menace à exécution, en particulier à l’approche de l’audit prévu ou à l’occasion de celui-ci, la violation ainsi caractérisée revêtait une importance telle qu’elle rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Ainsi, la faute grave du salarié est caractérisée.

En conséquence, les demandes du salarié, relatives à titre confirmatif à son licenciement, à la mise à pied disciplinaire prononcée et aux indemnités et rappels de salaires octroyés, et celle relative, à titre infirmatif, au montant des dommages-intérêts accordés, doivent être rejetées en intégralité.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur le droit à l’emploi

La société sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande au titre de la violation alléguée du droit à l’emploi.

Le salarié ne présente aucune demande de ce chef en cause d’appel.

La cour ne peut dès lors que confirmer le jugement de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le salarié, succombant, sera tenu aux dépens de première instance et d’appel.

En considération de l’équité et de la situation économique des parties, il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ni pour la procédure de première instance ni pour la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il rejeté la demande de M. [F] [B] aux fins de dommages-intérêts sur le fondement de la violation du droit à l’emploi ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

REJETTE les demandes de M. [F] [B] en intégralité ;

CONDAMNE M. [F] [B] aux dépens de première instance et d’appel ;

DIT n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ni pour la procédure de première instance, ni pour la procédure d’appel.

Le greffier, La présidente,

 


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