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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 19 AVRIL 2023
(n° 83 , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/03149 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDEGF
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2020 – Tribunal de Commerce de BORDEAUX – RG n° 2018F01057
APPELANTES
S.N.C. LA CAVE DE CHARLEMAGNE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de LIBOURNE sous le numéro 398 159 152
[Adresse 1]
[Localité 3]
SCA CHATEAU DE LA RIVIERE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de LIBOURNE sous le numéro 449 588 573
Château de la Rivière
[Localité 3]
Représentées par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque C1050, avocat postulant
Assistées par Me Alexandre SHI, avocat au barreau de PARIS, toque L298, substitué par Me Anne FITOUSSI, avocat au barreau de PARIS, toque E958, avocats plaidants
INTIMEE
S.A.S. VINTEX agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le numéro 492 282 801
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C2477, avocat postulant
Assistée de Me PIETTE Philippe, de la SCP VIDAL-NAQUET AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre,
Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère
Monsieur Julien RICHAUD, Conseiller
Greffière, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Madame Claudia CHRISTOPHE, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La société Vintex est spécialisée dans le négoce de vins. Suite au rachat de ses actions par une société dénommée Finavin en 2006, sa dénomination est devenue Vintex & Les Vignobles [U].
La société Château de la Rivière, créée par la famille [U] en août 2003, a pour activité la production de vins.
La société La Cave de Charlemagne a été créée en octobre 2003 par M. [S] [U] et la famille [U] pour commercialiser les vins du Château de la Rivière.
En 2013 ces deux sociétés ont été cédées à une société chinoise.
Par contrat conclu à compter du 19 décembre 2013, pour une durée indéterminée avec faculté pour chaque partie de le résilier en respectant un préavis d’un an, la société Château de la Rivière et la société La Cave de Charlemagne ont concédé à la société Vintex & Les Vignobles [U] le droit, en qualité de distributeur exclusif, de distribuer la totalité des vins produits ou conditionnés sur la propriété du Château de la Rivière.
Dans le préambule de cette convention, il est mentionné que la société Vintex & Les Vignobles [U] distribue les vins produits par la famille [U] depuis le mois d’octobre 2006.
Un avenant au contrat a été signé le 11 août 2016, constatant et actant une défaillance grave des engagements et obligations du distributeur et limitant son exclusivité à la grande distribution en France, au Canada, au Japon et à la Malaisie.
Le 15 juin 2017, la société Finavin, seule associée de la société Vintex & Les Vignobles [U] a décidé, notamment, de :
– modifier la dénomination de la société Vintex & Les Vignobles [U] pour adopter celle de Vintex,
– nommer M. Asselin en qualité de président de la société en remplacement de Mme [R] [U], présidente démissionnaire.
La société Château de la Rivière, par lettre recommandée du 12 juin 2018 avec avis de réception portant comme objet “résiliation du contrat de distribution exclusive”, a informé la société Vintex qu’elle souhaitait mettre fin au contrat à compter de cette date en demandant la dispense du préavis.
Elle reprochait alors à la société Vintex la baisse de son chiffre d’affaires depuis 2015 et son insuffisance des moyens mis en oeuvre pour développer les ventes.
Dans sa réponse du 26 juin 2018, la société Vintex a contesté la résiliation et ses motifs. Elle a mis en demeure les sociétés La Cave de Charlemagne et Château de la Rivière de maintenir en vigueur toutes les clauses du contrat pendant un an et de ne pas contacter directement ou indirectement sa clientèle.
Les parties ont tenté de se rapprocher. C’est ainsi que par lettre du 17 juillet 2018, la société Château de la Rivière :
– a confirmé à la société Vintex sa volonté de récupérer pour son propre compte l’ensemble du marché de la grande distribution française comme annoncé dans sa lettre du 12 juin 2018 et ce, à compter du 1er août 2018,
– lui a proposé une indemnité forfaitaire de 40.000 € pour se libérer de l’exclusivité consentie sur ce marché,
– en ajoutant que si sa proposition n’était pas acceptée, elle maintiendrait sa décision de dénoncer le contrat “pour faute lourde, au motif du non-respect des engagements contractuels, sans aucune compensation financière.”
N’ayant pas acepté cette proposition, la société Vintex a, le 22 octobre 2018, fait assigner la société Château de la Rivière et la société La Cave de Charlemagne devant le tribunal de commerce de Bordeaux afin d’obtenir leur condamnation à lui payer des dommages-intérêts, d’une part pour rupture brutale des relations commerciales établies, d’autre part pour violation de la clause contractuelle de non concurrence.
Par jugement du 30 octobre 2020, le tribunal a :
– déclaré recevables les demandes de la société Vintex,
– condamné in solidum la société La Cave de Charlemagne et la société Château de la Rivière à payer à la société Vintex la somme de 109.500 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice lié à la rupture brutale des relations commerciales établies,
– débouté la société Vintex de sa demande indemnitaire en réparation de la violation contractuelle de la clause de non concurrence,
– débouté les sociétés La Cave de Charlemagne et Château de la Rivière de toutes leurs demandes,
– condamné les sociétés La Cave de Charlemagne et Château de la Rivière aux dépens et, in solidum, à payer la somme de 3.000 € à la société Vintex sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société La Cave de Charlemagne et la société Château de la Rivière ont relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 16 février 2021.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 27 octobre 2021, les appelantes demandent à la cour, au visa de l’article L 442-6 1° 2° et 5° du code de commerce ainsi que de l’article 1134 du code civil, de :
-les déclarer recevables et bien fondées en leur appel et déclarer la société Vintex mal fondée en ses demandes,
en conséquence :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions, à l’exception du rejet de la demande indemnitaire de la société Vintex en réparation de la violation contractuelle de la clause de non concurrence,
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Vintex de sa demande indemnitaire en réparation de la violation contractuelle de la clause de non concurrence,
– débouter la société Vintex de l’ensemble de ses demandes et de son appel incident,
statuant à nouveau :
– in limine litis, déclarer la société Vintex irrecevable pour défaut du droit d’agir,
– sur le fond, à titre principal :
*juger que la société Vintex a eu un comportement suffisamment grave justifiant la résiliation immédiate sans préavis du contrat de distribution,
*juger qu’aucun délai de préavis n’était requis compte tenu, notamment, des circonstances de l’espèce au moment de la rupture,
*juger qu’elles n’ont pas engagé leur responsabilité civile à l’égard de la société Vintex,
en conséquence, débouter la société Vintex de l’intégralité de leurs demandes,
– à titre subsidiaire :
*juger que le délai de préavis ne peut être supérieur à un an, délai prévu contractuellement, et qu’il doit être fixé en l’espèce à 3 mois au maximum.
*juger que le montant des dommages-intérêts au titre de la brusque rupture sans préavis ne pourra être fixé à un montant supérieur à 8.760 € en faveur de la société Vintex,
en tout état de cause :
– juger que la clause de non concurrence est nulle et de nul effet,
– débouter la société Vintex de l’intégralité de ses demandes,
– condamner la société Vintex aux dépens et à leur payer à chacune la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 27 juillet 2021, la société Vintex demande à la cour de :
confirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit que la rupture des relations commerciales était brutale, soudaine et imprévisible au sens des dispositions de l’article L 442-6 ancien du code de commerce,
– débouté les sociétés La Cave de Charlemagne et Château de la Rivière de toutes leurs demandes,
– condamné les sociétés La Cave de Charlemagne et Château de la Rivière aux dépens et, in solidum, à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la recevoir en son appel incident et infirmer le jugement en ce qu’il :
– a condamné in solidum les sociétés La Cave de Charlemagne et Château de la Rivière à lui verser la somme de 109.500 € uniquement à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice lié à la rupture brutale des relations commerciales établies,
– l’a déboutée elle de sa demande indemnitaire en réparation de la violation contractuelle de la clause de non concurrence, statuant à nouveau, condamner in solidum la société La Cave de Charlemagne et la société Château de la Rivière à lui verser :
– la somme de 289.450 € en réparation du préjudice consécutif à la rupture brutale des relations commerciales établies,
– la somme de 350.000 € pour réparer intégralement le préjudice économique subi du fait des manoeuvres de concurrence déloyale des appelantes, ajoutant au jugement :
– condamner in solidum les sociétés appelantes au paiement de la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– les condamner aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de la selarl Lexavoué Paris-Versailles.
MOTIVATION
Sur la fin de non recevoir pour défaut de droit d’agir soulevée par les sociétés La Cave de Charlemagne et Château de la Rivière.
Se référant aux dispositions de l’article 122 du code de procédure civile, ces deux sociétés soutiennent que la société Vintex est irrecevable à agir :
– d’une part, en raison de l’absence d’identité entre l’actuelle intimée et la personne morale signataire du contrat de distribution exclusive,
– d’autre part, en raison de l’impossibilitépour le contrat de distribution exclusive conclu “intuitu personae” de faire l’objet d’une transmission sans l’accord de l’autre partie.
Sur le premier point, les appelantes exposent que la personne morale demanderesse en première instance est la SAS Vintex, au capital de 600.000 € immatriculée au RCS de Bordeaux sous le n°492 282 801, alors que le contrat du 19 décembre 2013 a été signé par la société Vintex & Les vignobles [U], SAS au capital de 1.761.842 €, immatriculée au RCS de Bordeaux sous le n° 325 728 334 qui a été radiée du RCS le 6 juillet 2018.
Il ressort des extraits Kbis du RCS de Bordeaux versés aux débats :
– que la société Vintex, au capital social de 600.000 € a été immatriculée le 15 juin 2017, par transfert du RCS d’Angoulême, sous le n° 492 282 801
– que selon mention en date du 6 juillet 2018, la société Vintex, immatriculée le 25/11/ 1982 sous le n°325.587 334, cette société a été dissoute suite à la réunion de toutes les actions entre une seule main, selon décision de l’actionnaire unique la société Finavin RCS 492 282 801, en date du 31 mai 2018, de dissolution par transmission universelle du patrimoine.
La société Finavin a ensuite modifié sa dénomination sociale pour prendre celle de Vintex.
Le tribunal précise dans sa décision que la société Vintex a déposé son dossier et ses conclusions dans lesquelles elle se présente sous le n°d’immatriculation 492 282 801; elle conclut de même devant la cour.
Son droit d’agir et la recevabilité de ses demandes dépendent de la réponse donnée au second point.
Sur le second point, les appelantes font valoir :
– que par application de l’article L 236-3 du code de commerce, la transmission universelle du patrimoine d’une société dissoute à la société bénéficiaire lors d’une opération de fusion entraîne irrémédiablement la disparition de la personnalité juridique de la société dissoute,
– que les contrats conclus en considération de la personne ou de certaines des qualités essentielles du contractant de la société absorbée ne peuvent être repris et continué par la société bénéficiaire sans l’accord exprès de cocontractant,
– que pour les contrats de franchise, la cour de cassation a dit que le contrat de franchise, conclu en considération de la personne du franchiseur, ne peut être transmis par fusion-absorption à une société tierce qu’avec l’accord du franchisé,
– que la solution est identique en cas d’apport partiel d’actifs ou de cession du contrat de franchise ou de distribution,
– que la même solution est retenue et justifie la rupture d’un contrat avant l’échéance en cas de cession de la totalité des parts ou actions d’une société ou d’un changement de ses dirigeants,
– que la disparition de l’ “intuitu personae” doit impliquer la caducité du contrat.
Les appelantes exposent en l’espèce :
– que la volonté des parties a été de conclure un contrat dans lequel la considération de la personne de l’actionnaire principal et du dirigeant (la famille [U]) en qualité de distributeur était déterminante,
– que c’est l’identité du cocontractant (la famille [U]) qui a conditionné la conclusion et l’exécution du contrat de distribution exclusive au profit de la société Vintex & Les Vignobles [U],
– qu’en mai 2017, la cession de près de 84 % des actions du distributeur a entraîné une modification du contrôle et un changement de direction, la famille [U] n’étant plus actionnaire principal, ni dirigeante,
– que le 8 juillet 2018, M. Asselin a procédé à la dissolution sans liquidation de la société Vintex avec transmission universelle du patrimoine à la société Finavin.
– que ces deux derniers événements qui ont porté atteint à l”intuitu personae” n’étaient pas autorisés au regard de l’article 9 du contrat sans leur accord préalable et que “l’avenir du contrat de distribution s’en trouve ainsi compromis.
Mais il apparaît que l’article 9 du contrat de distribution exclusive du 19 décembre 2013, intitulé “Transmission du contrat”, est libellé comme suit :
“Le présent contrat est conclu intuitu personae et ne saurait, à titre principal ou accessoire, faire l’objet d’une cession par l’une des parties, sauf accord préalable de l’autre”.
La cour relève que cette clause, qui ne lie que les personnes morales signataires du contrat, ne peut s’appliquer à des personnes physiques, en particulier à des membres de la famille [U].
Par ailleurs la société Vintex fait justement valoir que dès le 22 mai 2017, les appelantes ont été informées du changement de contrôle de la société Vintex au travers des cessions de titres de la société Finavin, qu’elles ont poursuivi la relation contractuelle et n’ont procédé à sa rupture définitive concernant la distribution sur les trois pays restant, à savoir Canada, Japon et Malaisie, que par lettre du 14 janvier 2021 avec un préavis d’un an.
Dès lors, les appelantes, qui ont accepté la poursuite du contrat en toute connaissance de cause pour ensuite notifier sa rupture le 12 juin 2018, ne peuvent valablement prétendre qu’il serait devenu caduc en 2018 à raison d’une atteinte à l’ “intuitu personae” stipulé à l’article 9 du contrat.
En conséquence, les demandes de la société Vintex sont recevables.
Sur la demande de dommages-intérêts de la société Vintex pour rupture brutale de la relation commerciale établie :
Pour s’opposer à cette demande, les appelantes soutiennent en premier lieu qu’elles étaient bien fondées à rompre le contrat sans préavis compte tenu des fautes graves contractuelles commises par la société Vintex. Elles lui reprochent de ne pas avoir respecté les engagements pris lors de la signature du contrat en raison :
– de la baisse structurelle et continue du chiffre d’affaires réalisé et de l’insuffisance des moyens mis en oeuvre pour maintenir les bons résultats de Vintex avant 2013 au profit de Château de la Rivière,
– de la faiblesse de ses forces de vente,
– de sa désastreuse réorganisation interne, Vintex ayant licencié M. [V], “commercial historique” qui depuis 10 ans connaissait parfaitement le secteur de la grande distribution et l’ayant remplacé par une assistante dépourvue de formation et d’expérience sur le terrain,
– du non-respect des prévisionnels de vente, Vintex lui ayant transmis ses prévisionnels pour les exercices 2014, 2015 et 2016 mais plus par la suite et n’ayant pas réalisé ses prévisionnels à partir de 2015.
Elles se référent à leurs lettres des 12 juin et 2 juillet 2018 dans
lesquelles elles ont fait part à la société Vintex des graves difficultés générérées par ses manquements et de la nécessité de réaménager les termes et conditions du contrat.
Ajoutant à leurs griefs, les appelantes reprochent encore à la société Vintex une baisse du chiffre d’affaires à l’export et sur les USA, tout en précisant (point 109 de leurs conclusions) qu’elles n’en ont tiré aucune conséquence et que la rupture a été volontairement circonscrite au seul marché de la grande distribution en France.
Mais la baisse du chiffre d’affaires réalisé par la société Vintex depuis 2012 et jusqu’au 1er semestre 2016 est détaillée dans l’avenant du 11 août 2016. Elle a donc été prise en considération dans cet avenant pour limiter l’exclusivité qui avait été consentie auparavant à la société Vintex par le contrat signé le 19 décembre 2013.
La société Vintex fait justement valoir qu’ en 2017, elle a réalisé un chiffre d’affaires total de 1.135. 214 €, supérieur à celui réalisé en 2016 qui était de 1.022.702 €.
S’il apparaît que la société Vintex n’a pas mis en oeuvre toutes les forces de vente et une organisation commerciale de nature à améliorer ses ventes et à remplir ses prévisionnels, ses manquements ne suffisent pas à caractériser des fautes d’une gravité suffisante pour justifier une rupture sans préavis de la relation commerciale établie.
Pour contester la demande de la société Vintex, les appelantes prétendent en deuxième lieu, qu’il existait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et un état de dépendance pour elles qui les ont contraintes à rompre le contrat sur le champ, que la société Vintex doit être condamnée à réparer le préjudice causé par des dommages-intérêts d’un montant devant se compenser avec l’éventuelle indemnité au titre de la rupture brutale qui pourrait être mise à leur charge.
Invoquant les dispositions de l’article L 442-6 I 2° (ancien) du code de commerce, elles allèguent que l’existence ou l’absence de certaines clauses du contrat créent une dépendance, sinon juridique, au moins économique du producteur et du fournisseur à l’égard de leur distributeur exclusif. Plus précisément elles exposent :
– que la clause d’exclusivité n’a pas été assortie d’une clause d’approvisionnement exclusif, ni d’une obligation d’achat ou de quota,
– qu’il n’existe pas de clause d’objectifs de vente ou de pénétration du marché par le distributeur,
– qu’il existe une clause attributive de propriété de la clientèle au profit du distributeur ainsi qu’une clause de non concurrence à effet post-contractuel, empêchant de facto le producteur er le fournisseur de vendre le fruit de leur production et d’exploiter leur activité, et ce sans contrepartie ni indemnité.
Elles précisent que la clientèle appartenait à l’origine aux sociétés Château de la Rivière et La Cave de Charlemagne, que c’est par un artifice juridique et en considération de la personne de l’actionnaire principal (la famille [U]) que la propriété de la clientèle a été considérée comme appartenant à la société Vintex, que l’actionnariat de la société Vintex a changé à partir de 2017, qu’à compter de cette date l’économie générale du contrat n’existait plus après la cession des actions de la famille [U] au groupe Asselin, que le nouvel actionnaire utilise le fichier et les ressources de la société Vintex pour distribuer les vins produits par ses deux propriétés viticoles.
Mais la dépendance économique invoquée n’est aucunement caractérisée. Le déséquilibre significatif prétendu ne résulte pas des clauses contractuelles qui ont été librement discutées entre les parties, mais serait apparu suite à la cession de ses actions par la famille [U]. En conséquence, il n’est pas démontré que la société Vintex aurait soumis ou tenté de soumettre ses partenaires commerciaux à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La société Vintex demande la somme de 189.450 € en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de la relation commerciale établie. Elle fait valoir :
– que compte tenu de la durée des relations commerciales ayant débuté en octobre 2006, soit 12 ans, et de l’impossibilité de réorganisation tenant à la brutalité de la rupture, le préavis aurait dû être de 18 mois,
– que son chiffre d’affaires réalisé avec la société La Cave de Charlemagne était de 853.400 € en 2107 et sa marge brute moyenne de 14,80 % , soit 126.600,03 € sur 12 mois.
Les appelantes répliquent, sur la durée du préavis :
– que le délai ne pourrait excéder les 12 mois prévus au contrat, sauf à établir des circonstances exceptionnelles,
– que la société Vintex avait toute latitude pour diversifier ses activités, ce qu’elle a fait,
– qu’entre leurs lettres des 12 juin 2018 et 17 juillet 2018, elles ont laissé un délai de 1 mois qui doit être considéré comme raisonnable,
– qu’à tout le moins, le délai de préavis doit être limité à 3 mois.
Elles soutiennent que la société Vintex ne justifie d’aucun préjudice et que, si une indemnisation lui est accordée, elle doit être fixée sur la moyenne annuelle du chiffre d’affaires réalisé sur le marché de la grande distribution au cours des trois derniers exercices, soit 707.780 € HT et une marge nette de 5 %, ce qui aboutit à une indemnité de 35.000 € pour un préavis de 12 mois et de 8.760 € pour un préavis de 3 mois.
Eu égard à la durée des relations, soit 12 ans, mais aussi au fait que la société Vintex, bénéficiaire d’une clause d’exclusivité sans clause d’approvisionnement exclusif pouvait diversifier ses approvisionnements et distribuer d’autres vins que ceux des appelantes, le délai d’un an fixé au contrat était suffisant pour lui permettre de se réorganiser.
Le tribunal, pour fixer l’indemnisation à 109.500 €, a retenu un chiffre d’affaires annuel moyen de 730.000 € HT réalisé par la société Vintex sur les cinq dernières années et un taux de marge brut de 15 %.
La cour constate que la société Vintex, bien qu’ayant relevé appel incident, ne verse aux débats aucun document comptable justifiant de la proportion de son chiffre d’affaires réalisé avec les appelantes par rapport à son chiffre d’affaires global au cours des années 2015, 2016 et 2017, ni de sa marge sur coûts variables.
Sur la base d’un chiffre d’affaires annuel moyen de 707.780 € au cours des trois derniers exercices 2015 à 2017 et en prenant en considération les dépenses nécessairement économisées du fait de la rupture, notamment en matière de salaires du personnel et de commissions d’agents, il convient d’allouer à la société Vintex la somme de 85.000 € en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie.
Sur la demande de dommages-intérêts de la société Vintex pour préjudice économique subi du fait des manoeuvres de concurrence déloyale des appelantes :
Au soutien de sa demande de condamnation des appelantes à lui payer la somme de 350.000 € sur le fondement de l’article 1231-2 du code civil, la société Vintex déclare qu’entre 2016 et 2019 elle a réalisé une marge brute moyenne de 125.120 € et que les appelantes, sans investissement et en obtenant de manière illicite des informations confidentielles, ont profité de ses travaux pour écouler leur production et la priver de proposer d’autres vins sur le marché de la grande distribution en France.
Elle prétend que la clause de non concurrence insérée au contrat a été méconnue et que les appelantes ont obtenu de M. [V], son ancien directeur commercial, l’ensemble des renseignements constituant des données dont elle est propriétaire, leur permettant de contacter les acheteurs de la grande distribution pour leur proposer les vins du Château de la Rivière.
Les appelantes opposent en premier lieu la nullité de la clause de non concurrence aux motifs :
– qu’elle n’est pas limitée dans l’espace, ce qui conduit à une impossibilité de fait pour elles d’exercer toute activité,
– qu’elle n’est pas proportionnée à sa finalité en raison de la nature de la clientèle qui s’étend sur tout le territoire français et qui est constituée de centrales d’achats,
– qu’elle ne comporte aucune contrepartie financière.
La société Vintex ne répond pas à cette contestation sur la validité de la clause.
La clause litigieuse insérée à l’article 7, intitulé Propriété de la clientèle, stipule :
“Il est entendu que la clientèle du Distributeur, qui achète par son intermédiaire les vins du Fournisseur, est et restera la propriété du Distributeur, y compris à la cessation du présent
contrat. Dans cette éventualité, le Fournisseur s’interdit de prospecter ladite clientèle pendant une durée de deux années après la cessation du contrat.
En outre, le Fournisseur s’interdit pendant la même durée d’utiliser les coordonnées de cette clientèle (qui pourront lui être indiquées pour des raisons logistiques et de préparation de commande) pour toute action de prospection commerciale ou de communication sans l’aval explicite et préalable du Distributeur”.
Cette clause, qui n’est pas limitée à un secteur géographique, est disproportionnée par rapport à sa finalité et au regard de l’objet du contrat. Elle aboutit à interdire aux appelantes de vendre le vin produit par le Château de la Rivière et, de fait, d’exercer toute activité de distribution auprès de la clientèle constituée par les centrales d’achat en France.
En conséquence, la société Vintex ne peut s’en prévaloir.
En second lieu, les appelantes soulèvent l’absence de préjudice économique différent de celui lié à la rupture des relations commerciales. Elles soutiennent que les faits de dénigrement invoqués par la société Vintex contre l’un de ses salariés ne peuvent en aucune façon légitimer une quelconque condamnation à leur encontre.
Pour étayer ses prétentions, la société Vintex expose que :
– le 11 juillet 2018, elle a notifié à M. [V] son licenciement pour faute lourde,
– que M. [V] ayant contesté son licenciement, le conseil de prud’hommes de Nantes, par jugement du 31 mars 2021, a dit que son licenciement reposait sur une faute grave et a constaté qu’il avait adressé, soit à lui-même sur son adresse mail personnelle, soit à des tiers dont M. [T], directeur général du Château de la Rivière et à M. [W], responsable commercial de La Cave de Charlemagne, divers documents extraits des fichiers de Vintex.
– que M. [V], qui s’est mis au service de la société La Cave de Charlemagne, a dénigré Vintex auprès de ses clients.
– qu’avant même la résiliation du contrat, les appelantes avaient noué des contacts avec sa clientèle, en particulier la centrale Socamaine, en proposant des offres directement.
Mais la société Vintex n’a pas versé aux débats, ni visé dans son bordereau de communication de pièces, le mail de Socamaine du 17 octobre 2018 qu’elle cite dans ses conclusions au visa de sa pièce n°17. En effet, la pièce communiquée sous le n°17 dénommée “échange de mails” est constituée des courriels échangés le 22 mai 2017.
Les seuls éléments mentionnés dans le jugement du conseil de Prud’hommes, auquel les appelantes ne sont pas parties, ne suffisent pas à démontrer qu’elles se sont rendues coupables de manoeuvres déloyales à l’encontre de la société Vintex.
En conséquence, la société Vintex, est mal fondée en sa demande de dommages-intérêts d’un montant de 350.000 €.
Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
Les sociétés appelantes et la société Vintex, qui succombent chacune sur une partie de leurs prétentions, garderont la charge de leurs dépens d’appel.
Vu les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, aucune indemnité ne leur sera allouée à l’une comme à l’autre en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement, sauf en ce qu’il a condamné in solidum la société Château de la Rivière et la société La Cave de Charlemagne à payer la somme de 109.500 € à la société Vintex en réparation du préjudice lié à la rupture brutale des relations commerciales établies,
Statuant à nouveau sur ce point, condamne in solidum la société Château de la Rivière et la société La Cave de Charlemagne à payer à la société Vintex la somme de 85.000 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Dit que les sociétés Château de la Rivière et La Cave de Charlemagne d’une part, la société Vintex d’autre part, conserveront la charge de leurs dépens d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE