Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
ARRET No
———————–
08 Février 2017
———————–
15/ 00233
———————–
SA AIR CORSICA
C/
Ludovic X…, CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD-contentieux
———————- Décision déférée à la Cour du :
10 juin 2015
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d’AJACCIO
21100182
——————
COUR D’APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : HUIT FEVRIER DEUX MILLE DIX SEPT
APPELANTE :
SA AIR CORSICA prise en la personne de son représentant légal
Aéroport NAPOLEON BONAPARTE-BP 505
20186 AJACCIO CEDEX 2
Représentée par Me CANARELLI, avocat au barreau de BASTIA, substituant Me Pierre Dominique DE LA FOATA, avocat au barreau d’AJACCIO,
INTIMES :
Monsieur Ludovic X…
…
20117 Eccica Suarella
Représenté par Me Cécile LANDAU, substituant Me Cécile PANCRAZI-LANFRANCHI de la SCP LANFRANCHI PANCRAZI, avocat au barreau d’AJACCIO,
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD-contentieux
Boulevard Abbé Recco
Les Padules-BP 910
20702 AJACCIO CEDEX
Représentée par Monsieur Patrice A…, muni d’un pouvoir,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 décembre 2016 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme LORENZINI, Présidente de chambre,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme LORENZINI, Présidente de chambre,
Mme BESSONE, Conseiller
Madame GOILLOT, Vice présidente placée près M. le premier président,
GREFFIER :
Mme COMBET, Greffier lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 08 février 2017
ARRET
Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe.
Signé par Mme LORENZINI, Présidente de chambre et par Mme COMBET, Greffier, présent lors de la mise à disposition de la décision.
***
Faits et procédure :
Ludovic X…, employé par la société Corse Méditerranée devenue AIR CORSICA (la société) en qualité de mécanicien avion a été victime d’une maladie professionnelle déclarée le 29 mai 2009, prise en charge à ce titre par la caisse primaire d’assurance maladie de Corse du Sud le 10 décembre 2009 ; il s’agit de la maladie décrite au tableau no 57 des maladies professionnelles concernant les affections péri-articulaires provoquées par certains gestes et posture, à savoir : » capsulite rétractile de l’épaule droite avec enraidissement « .
Le 18 juillet 2011, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Corse du Sud aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
Par jugement en date du 10 juin 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Corse du Sud a :
– reconnu le caractère inexcusable de la faute commise par la société dans la survenance de la maladie professionnelle no5 de M. X… déclarée le 29 mai 2009,
– ordonné la majoration de la rente qui lui est versée,
– avant dire droit sur le surplus :
* ordonné une expertise médicale,
* dit que la caisse primaire d’assurance maladie de la Corse du Sud avancera les frais de l’expertise fixés à 500 € et qu’elle pourra en demander remboursement auprès de l’employeur en application des dispositions de l’article L. 452. 3 du code de la sécurité sociale,
– condamné la société à payer à M. X… la somme de 2 500 euros au titre de provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices,
– rejeté le surplus des demandes.
L’appel a été formalisé le 21 juillet 2015.
Aux termes des conclusions de son avocat en cause d’appel, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, la société demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
à titre principal,
– constater que la société n’a commis aucune faute inexcusable à l’encontre de M. X…,
– débouter M. X… de l’ensemble de ses demandes,
à titre subsidiaire,
– dire et juger que l’inopposabilité laisse à la charge de la sécurité sociale toutes les conséquences pécuniaires de l’indemnisation de la maladie professionnelle, y compris celles résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur,
– dire et juger que les conséquences indemnitaires qui résulteraient de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ne peuvent incomber qu’à la caisse primaire d’assurance maladie laquelle ne saurait exercer d’action récursoire à l’encontre de l’employeur,
en tout état de cause,
– condamner M. X… au paiement de la somme de 1000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses écritures également développées oralement, M. X… sollicite de la cour de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a constaté la faute inexcusable de l’employeur, désigné un expert judiciaire, condamné la société à lui verser une provision,
– l’infirmer en ce qui concerne le montant alloué et condamné l’employeur à lui verser la somme de 15 000 euros de ce chef,
à titre subsidiaire,
– condamner la caisse primaire d’assurance maladie au règlement des sommes valablement sollicitées à titre provisionnel par M. X… en réparation du préjudice subi comme en majoration de la rente fixée,
– condamner la société et la caisse primaire d’assurance maladie solidairement à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Dans ses écritures développées à la barre, la caisse primaire d’assurance maladie de Corse du Sud, représentée par Monsieur Patrice A…muni d’un pouvoir à cet effet, sollicite de voir :
– constater qu’elle s’en remet à la cour sur la reconnaissance du caractère inexcusable de la faute éventuellement commise par l’employeur et sur le montant qui pourrait être attribué en réparation des préjudices,
– rejeter la demande de condamnation solidaire de l’employeur et de la caisse primaire d’assurance maladie de Corse du Sud à la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le fond :
Sur la faute inexcusable de la société :
En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat, étant précisé que l’obligation de prévention des risques inhérents au poste de travail n’est que l’une des composantes de cette obligation de sécurité de résultat.
Il est constant que M. X… a été placé en arrêt-maladie en raison d’un » enraidissement de l’épaule » dès 2008, la caisse primaire d’assurance maladie ayant reconnu l’origine professionnelle de sa maladie le 10 décembre 2009.
La société ne reconnaît aucune faute inexcusable et soutient que le salarié est défaillant à apporter la preuve qu’elle avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel son personnel était exposé et qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, la reconnaissance d’une maladie professionnelle n’étant pas synonyme de faute inexcusable ; elle ajoute que la fixation d’une incapacité permanente partielle de 15 % établie plus d’un an après la maladie ne permet pas d’établir un lien de causalité entre la maladie et le comportement prétendu de la société ; qu’en vingt ans d’existence, la société n’a jamais eu à déplorer de maladie professionnelle de ce type et que M. X… a toujours été reconnu apte sans restriction lors des visites médicales annuelles ; qu’il a même été nommé formateur en 2010 et chargé de la formation de base du personnel en matière de sécurité, de prévention des risques et d’habilitations ; que le médecin du travail a constaté les moyens mis en oeuvre par la société afin d’éviter les efforts pouvant entraîner des pathologies articulaires ainsi que le fait que celle-ci fournisse des équipements et matériel adaptés.
Pour s’exonérer de toute responsabilité, et soutenant que toutes les mesures de protection nécessaires ont été prises, la société se fonde principalement sur :
– une lettre de la médecine du travail en date du 22 mars 2013 constatant la mise en oeuvre de beaucoup de moyens afin d’éviter les efforts pouvant entraîner des pathologies articulaires, largement postérieure à la survenance de la maladie professionnelle de M. X…,
– une liste non datée du matériel de manutention sans précision sur le site d’implantation de ce matériel,
– la liste des personnels inscrits entre mars 2007 et avril 2010 à la formation » gestes et postures « , sur laquelle M. X… ne figure pas,
– les fiches d’aptitudes de l’intimé, ne mentionnant pas de réserve en 2013, sachant que, depuis 2010, elle indique que celui-ci a été nommé formateur, en sorte que son poste n’est plus le même,
– le registre droit d’alerte des salariés, lequel n’a été ouvert que le 11 septembre 2012,
– le document unique établi dans sa version finale le 8 mars 2012,
– le bilan de l’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail des années 2008 à 2013 dont il résulte que trois maladies professionnelles ont été déclarées en 2008, 1 en 2009 et 2 salariés atteints en 2010, 2 en 2011,
– les comptes rendus des CHSCT 2009 à 2014 dont il résulte que cinq personnes ont été formées » gestes et postures » en 2008, qu’en 2010, le manque de moyens de travail correct est souligné (escabeaux, dock d’accès), question récurrente en 2011, et qu’est envisagée la rédaction d’une analyse des risques professionnels relative à la pénibilité professionnelle, physique et psychologique.
Toutefois, les éléments produits par l’employeur, qui n’établit pas avoir pris les mesures nécessaires pour éviter au salarié le travail » bras hauts et les efforts intenses sur le bras droit « , tel que précisé dans l’avis du médecin du travail en date
du 1er avril 2010, et ce jusqu’au 5 juillet 2010 ne démontrent pas que la société a pris toutes les mesures nécessaires pendant l’ensemble de la période contractuelle (absence de document unique d’évaluation des risques avant mars 2012, de registre de droit d’alerte avant juillet 2011, absence de mise en oeuvre de moyens adaptés et/ ou suffisant malgré les demandes du CHSTC en ce sens) ni ne révèlent l’existence d’une cause étrangère non imputable à l’employeur et ne sont donc pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité ; enfin, en l’état de l’avis du médecin du travail du 10 avril 2010, des alertes du CHSTC depuis de nombreuses années et de l’absence des documents précités, constitutive d’une omission d’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des salariés, la société n’est pas plus fondée à soutenir qu’elle ne pouvait avoir conscience du danger auquel M. X… était exposé.
Il en résulte que l’employeur a manqué aux dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail, en ce qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et en ce qu’il s’est abstenu de mettre en place des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation ainsi que d’une organisation et de moyens adaptés. Le manquement à l’obligation de sécurité de résultat est donc avéré.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu l’existence de la faute inexcusable de l’employeur dans la survenance de la maladie professionnelle de M. X…, ordonné la majoration de la rente et ordonné une expertise médicale, aux frais avancés de la caisse primaire d’assurance maladie.
Sur l’opposabilité des conséquences pécuniaires de l’indemnisation de la maladie professionnelle, y compris celles résultant de la faute inexcusable de l’employeur :
La société fait valoir qu’à la suite de la prise en charge de la maladie de M. X… en maladie professionnelle, le tribunal des affaires de sécurité sociale a déclaré inopposable à la société la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du 29 mai 2009 déclarée par M. X… par jugement en date du 7 novembre 2012, en sorte que la Caisse ne saurait exercer d’action récursoire contre elle et que le jugement ne s’est d’ailleurs pas prononcé sur le sujet.
Il ressort de l’article L452-3-1 du code de la sécurité sociale que » quelles que soient les conditions d’information de
l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3 » ; cet article, issu de la loi no2012-1404 du 17 décembre 2012 est applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduites devant le tribunal des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013.
En conséquence, dans le cas d’espèce, le texte ne s’applique pas car l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur a été introduite devant le tribunal des affaires de sécurité sociale le 18 juillet 2011, soit antérieurement au 1er janvier 2013.
Toutefois, et contrairement à ce qui est invoqué par l’employeur qui se fonde sur une jurisprudence ancienne, la date d’effet de ce texte n’implique pas, de fait, une application inverse du texte pour les actions antérieures au 1er janvier 2013 ; en effet, l’irrégularité de la procédure ayant conduit à la prise en charge, par la caisse, au titre de la législation professionnelle, d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute, qui est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, ne prive pas la caisse du droit de récupérer sur l’employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et indemnités versés par elle ; en conséquence, la société n’est pas fondée à invoquer ce moyen pour laisser à la seule charge de la caisse primaire d’assurance maladie toutes les conséquences de sa faute inexcusable et il sera ainsi ajouté au jugement.
Sur la condamnation de l’employeur au paiement d’une provision au titre du préjudice :
La société soutient que la demande de provision n’est pas justifiée d’autant que les textes applicables (L. 451-1 et 452. 3 du code de la sécurité sociale) ne le permettent pas ; pour sa part, M. X… sollicite l’infirmation du jugement quant au quantum alloué à ce titre et demande la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de provision, en exposant que, depuis 2008, il est fortement handicapé et endure des souffrances physiques, morales ainsi qu’un réel préjudice d’agrément.
En l’état des certificats médicaux produits, le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué la somme de 2500 euros à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices à définir et fixer après expertise médicale.
Aux termes de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale : » indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, la réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur « .
Dès lors, le tribunal des affaires de sécurité sociale ne pouvait condamner l’employeur à payer directement à M. X… une provision à valoir sur ses préjudices et il incombe à la Caisse primaire d’assurance maladie de faire l’avance à la victime de la provision qui lui est allouée, à charge pour elle d’en récupérer le montant auprès de l’employeur, le jugement étant ainsi réformé.
Les demandes en réparation des préjudices devront être examinées par le tribunal des affaires de sécurité sociale après dépôt du rapport d’expertise.
Sur les demandes formées au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile :
L’équité commande de faire droit à la demande présentée par M. X… mais uniquement à l’encontre de la société au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile mais d’en réduire le montant à de plus justes proportions.
Il n’y a pas lieu de statuer sur les dépens, la procédure étant gratuite en matière de sécurité sociale.
PAR CES MOTIFS
L A C O U R,
Statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en date du 10 juin 2015 du tribunal des affaires de sécurité sociale de Corse du Sud sauf en ce qu’il a condamné la SAEM AIR CORSICA à payer à Ludovic X… la somme de 2500 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices,
Et statuant de nouveau du chef réformé et y ajoutant,
DIT que, en l’état de la reconnaissance de la faute inexcusable de la SAEM AIR CORSICA, la société n’est pas fondée à soutenir que la caisse primaire d’assurance maladie de Corse du Sud n’est pas en droit de récupérer sur l’employeur les compléments de rente et indemnités versés par elle à M. X…,
DIT que la Caisse primaire d’assurance maladie de la Corse du Sud versera directement à M. X… la somme de DEUX MILLE CINQ CENTS EUROS à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice,
DIT que cet organisme pourra récupérer auprès de l’employeur le montant de cette provision,
RENVOIE l’affaire au tribunal des affaires de sécurité sociale pour être jugé sur les demandes en réparation de préjudices à l’issue des opérations d’expertise,
CONDAMNE la SAEM AIR CORSICA aux entiers dépens d’appel,
LA DÉBOUTE de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
LA CONDAMNE à payer à M. X… la somme de DEUX MILLE EUROS (2 000 €) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
DIT n’y avoir lieu à statuer sur les dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT