AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la Saf des montres Y…, aujourd’hui dénommée Y… France, société anonyme, dont le siège est … Armée, 75017 Paris,
en cassation d’un arrêt rendu le 30 octobre 1996 par la cour d’appel de Paris (5e chambre, section A), au profit :
1 / du groupement X…, groupement d’intérêt économique, dont le siège est …,
2 / de M. Jean-François X…, commerçant pris en son nom personnel, exerçant au …,
3 / de la société X… Saint-Ferréol, société à responsabilité limitée, dont le siège est …,
4 / de la société X… et fils, société anonyme, dont le siège est …,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l’audience publique du 9 mars 1999, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, MM. Nicot, Leclercq, Poullain, Métivet, Mme Garnier, conseillers, M. Huglo, Mme Mouillard, M. Boinot, Mmes Champalaune, Gueguen, conseillers référendaires, M. Jobard, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Léonnet, conseiller, les observations de la SCP Thomas-Raquin et Benabent, avocat de la société Y… France, de la SCP Richard et Mandelkern, avocat du GIE X…, de M. X…, de la société X… Saint-Ferréol et de la société X… et fils, les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué (Paris 30 octobre 1996) que la société des montres
Y…
(société Y…) distribue en France les montres portant cette marque par l’intermédiaire d’un réseau de distribution sélective ; que le GIE X…, comprenant notamment des membres de la famille X… et des sociétés constituées par eux, a passé commande à la société Y… de montres d’ un montant global de 2 999 600 francs pour l’achalandage de trois magasins de bijouterie et d’horlogerie de luxe situés à Marseille et à Avignon ; que cette commande a été refusée au motif que les trois entreprises destinataires ne faisaient pas partie du réseau de distribution sélective créé par la société Y… et que celle-ci n’ envisageait pas d’étendre son réseau dans le secteur géographique concerné ; que le GIE X…, M. Jean-François X…, et les sociétés X… ont assigné la société Y… devant le tribunal de commerce pour refus de vente, en application de l’ article 36-2 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 alors applicable, et en paiement de dommages et intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Y… fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré injustifié son refus de vente et de l’avoir condamnée au paiement de dommages et intérêts, alors selon le pourvoi, d’une part, que présente un caractère anormal une commande passée auprès d’un fournisseur ayant mis en place un réseau de distribution sélective dès lors que ladite commande n’est pas passée directement et individuellement par des revendeurs mais collectivement par un GIE agissant au nom et pour le compte de plusieurs de ses membres ce qui fait obstacle à des relations directes et personnelles entre le fournisseur et chacun des revendeurs en méconnaissance de la nature d’un réseau de distribution sélective dominé par des relations intuitu personae particulièrement marquées ;
qu’en retenant le contraire la cour d’appel a violé l’article 36.2 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d’autre part, qu’en se fondant sur le nombre de montres vendues à Marseille en 1987, 1988, 1989 et 1990, et à Avignon en 1989, 1990 et 1991 pour retenir que le refus de vente opposé par la société Y… en juillet 1992 était injustifié sans rechercher si, comme le faisait valoir la SAF des Montres Y…, après une stagnation du nombre des ventes en 1991, celles-ci avaient baissé en 1992, la cour d’appel, qui ne s’est pas placée à la date du refus de vente pour apprécier son caractère légitime, a violé l’article 36.2 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, d’une part, qu’un réseau de distribution sélective n’implique pas l’existence de « relations intuitu personae » entre le fournisseur et chacun des revendeurs ; qu’ayant constaté que le GIE X… était seulement intervenu auprès de la société Y… le 1er juillet 1992 pour centraliser trois commandes destinées à trois membres de ce GIE, dont il était précisé que chacun d’eux remplissait les conditions qualitatives lui permettant de distribuer les montres Y…, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que cette commande ne présentait aucun caractère anormal justifiant un refus au sens de l’article 36.2 alors applicable ;
Attendu, d’autre part, que la cour d’appel qui n’était pas tenue de se fonder sur le seul chiffre d’affaires de l’année 1992, n’a fait qu’user de son pouvoir d’appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, en retenant qu’antérieurement à cette date le nombre des montres Y… vendues à Marseille et à Avignon depuis 1987 avait progressé régulièrement ; qu’ ayant en outre constaté que les « ratios » du nombre de distributeurs par habitant dans des villes comparables n’étaient pas appliqués par la société Y… de façon objective et que la limitation imposée par elle dont le principe n’était pas contesté n’était pas pratiquée de manière cohérente, la cour d’appel n’encourt pas les griefs de la seconde branche du moyen ;
Que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Y… fait grief à l’arrêt de lui avoir ordonné sous astreinte de satisfaire une commande passée en cours de procédure le 27 février 1996, alors selon le pourvoi, qu’en ordonnant à la SAF des Montres Y… de satisfaire la commande du 27 février 1996, sans donner aucun motif de nature à justifier qu’à la date à laquelle elle a été passée, ladite commande ne présentait aucun caractère anormal ou encore, qu’à cette date, les accords de distribution de la société Y… ne pouvaient autoriser la SAF des Montres Y… à ne pas y satisfaire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 36-2 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;