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26 février 2020
Cour de cassation
Pourvoi n°
18-23.679
SOC.
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 février 2020
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 234 F-D
Pourvoi n° K 18-23.679
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2020
1°/ M. T… S…, domicilié […] ,
2°/ l’union départementale des syndicats CGT du Jura, dont le siège est […] ,
ont formé le pourvoi n° K 18-23.679 contre l’arrêt rendu le 18 mai 2018 par la cour d’appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige les opposant à la société Fromageries […], société par actions simplifiée, dont le siège est […] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. S… et de l’union départementale des syndicats CGT du Jura, de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Fromageries […], après débats en l’audience publique du 22 janvier 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Besançon, 18 mai 2018), que M. S… a été engagé le 8 janvier 1979 par la société Fromageries […] (la société) en qualité de saleur caviste, coefficient 145 ; qu’à la suite d’un accident du travail survenu le 28 juin 1994, il a été reclassé au sein de l’entreprise dans le poste de laveur de planches, tout en conservant son coefficient de rémunération ; que, soutenant être victime de faits de harcèlement moral et de discrimination de la part de son employeur en raison de son activité syndicale, le salarié a saisi, le 27 mars 2015, la juridiction prud’homale ; que l’union départementale des syndicats CGT du Jura (l’union syndicale) est intervenue à l’instance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié et l’union syndicale font grief à l’arrêt de débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale et, en conséquence, de débouter, d’une part, le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, d’autre part, l’union départementale de sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1°/ qu’il appartient au juge d’examiner l’ensemble des faits présentés par le salarié comme laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale ; qu’en l’espèce, M. S… soutenait qu’en dépit de son inaptitude au port de charges lourdes et aux efforts répétitifs de soulèvement, constatée par avis du médecin du travail du 23 mars 1995, l’employeur l’avait affecté à un poste de « laveur de planches », lequel impliquait la manipulation de planches mouillées de 15 à 20 kilogrammes ; qu’il faisait valoir, par ailleurs, qu’il était d’usage dans l’entreprise d’offrir aux salariés ayant trente ans d’ancienneté et à leur conjoint un voyage pour la destination de leur choix, assorti d’une semaine supplémentaire de congés payés, et que l’employeur ne lui avait proposé de bénéficier de cet avantage que le 19 avril 2013, soit au cours de sa trente-cinquième année dans l’entreprise et, surtout, après la saisine de la juridiction prud’homale ; qu’en s’abstenant de rechercher si ces éléments laissaient présumer la discrimination syndicale invoquée, la cour d’appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;
2°/ qu’en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par M. S… au soutien de sa demande au titre de la discrimination syndicale, quand il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis laissaient supposer l’existence d’une discrimination, et dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à toute discrimination, la cour d’appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;
3°/ que lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu’en déboutant M. S… de sa demande au titre de la discrimination syndicale, quand elle constatait que le salarié avait saisi l’inspection du travail, par lettre du 20 octobre 2001, en raison de son absence de convocation aux réunions des délégués du personnel, qu’en 2004 l’employeur avait modifié unilatéralement la date des congés d’été de l’intéressé, qu’à la suite d’un contrôle de l’inspection du travail, l’employeur avait été invité à adopter la solution technique de son choix pour que les conditions de travail du « local des planches » soient conformes aux dispositions légales, dans la mesure où ce local (où travaillait M. S…) n’était pas chauffé, y compris l’hiver, mais également que celui-ci avait été privé de la prime d’intéressement en raison de ses absences pour maladie, qu’il avait été écarté de la formation aux automates organisée en 2011, motif pris qu’elle était destinée aux seuls saleurs-cavistes, et de celle à un poste de préparateur de commandes, en raison de son inaptitude au port répété de charges et que, depuis son embauche à l’indice 145 de la convention collective en 1979, il n’avait connu aucune évolution de carrière, ni bénéficié du moindre entretien d’évaluation, ce dont il résultait que le salarié établissait des éléments laissant, pris dans leur ensemble, supposer l’existence d’une discrimination syndicale, la cour d’appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;
4°/ que le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même n’est pas applicable à la preuve des faits juridiques ; qu’après avoir constaté que « M. S… appuie également ses dires sur des documents qualifiés « de comptes-rendus » », la cour d’appel a retenu que « ceux-ci ne peuvent avoir aucune valeur probante dès lors qu’ils ont été confectionnés par le seul salarié », étant précisé que « dans un courrier du 27 octobre 2011 l’inspection du travail s’est interrogée sur « le flou » entretenu par ces documents, considérant qu’il s’agissait en réalité de tracts » ; qu’en statuant ainsi, quand la preuve d’éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination pouvait être rapportée par la production d’écrits émanant de M. S…, la cour d’appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;
5°/ subsidiairement, que M. S… soutenait notamment que la discrimination syndicale était caractérisée par l’absence de convocation aux réunions des délégués du personnel, fait dont il avait saisi l’inspection du travail par courrier du 20 ctobre 2001 ; que, pour écarter ce grief, la cour d’appel a retenu que « la SAS Fromageries […] verse (
) à son dossier des comptes-rendus de réunions des délégués du personnel des années 2010 et 2011 » et qu’« il est avéré que M. S… y a participé régulièrement » ; qu’en s’abstenant de constater que le salarié avait été convoqué à chacune des réunions des délégués du personnel depuis l’année 2001, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;
6°/ subsidiairement, que si l’employeur peut tenir compte des absences pour le paiement d’une prime, c’est à la condition que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé que l’engagement unilatéral de l’employeur prévoit, d’une part, la répartition de l’intéressement en fonction de la présence des salariés dans l’entreprise au cours de l’année de référence, laquelle aboutit à un abattement de 25 % du montant de la prime pour une absence d’une durée de deux à quatre jours ouvrés, de 50 % pour une absence de cinq à dix jours ouvrés et de 100 % au-delà de dix jours ouvrés, d’autre part, que ne sont pas prises en considération les périodes de formation, de congés payés et les journées d’arrêt de travail pour maladie professionnelle, accident du travail et hospitalisation ; que, pour dire que l’absence de versement à M. T… S… de la prime d’intéressement pour l’année 2011 n’était pas discriminatoire, elle a retenu qu’il avait été en arrêt de travail pour une durée de trente et un jours au cours de l’année ; qu’en statuant ainsi, quand il résultait de ses constatations que toutes les absences n’entraînaient pas les mêmes conséquences sur son attribution, la cour d’appel a violé les articles L.1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;
7°/ subsidiairement, que lorsque le salarié présente des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu’il s’ensuit que les juges du fond ne peuvent admettre une justification fondée sur un motif illicite prévu par l’article L. 1132-1 du code du travail ; qu’en retenant dès lors que le défaut de versement de la prime d’intéressement pour l’année 2011 était justifié par les absences du salarié pour cause de maladie, donc par son état de santé défaillant, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;
8°/ subsidiairement, que, pour dire que le déficit de formation et la stagnation de la carrière de M. S… n’étaient pas discriminatoires, la cour d’appel a retenu que son inaptitude médicale au port répété de charges, d’une part, l’excluait des formations aux postes de conducteur d’automates et de préparateur de commandes, d’autre part, faisait obstacle à son évolution professionnelle vers un de ces emplois, qui requièrent le port de meules de Comté ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a justifié la discrimination syndicale par l’état de santé défaillant du salarié, violant les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;
9°/ subsidiairement, que M. S… rappelait dans ses conclusions d’appel que le médecin du travail l’avait déclaré inapte au port de charges lourdes et aux efforts répétitifs de soulèvement à la suite d’un accident du travail du 28 juin 1994 ; qu’il précisait que, sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Nancy avait, par un arrêt du 23 mars 2005, devenu irrévocable, jugé que l’accident du travail était imputable à la faute inexcusable de l’employeur ; qu’en s’abstenant de rechercher si cette circonstance n’interdisait pas à l’employeur de se prévaloir de l’état de santé dégradé du salarié pour justifier son déficit de formation et la stagnation de sa carrière, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;
10°/ subsidiairement, que lorsque la discrimination est révélée par une disparité de traitement, la comparaison doit porter sur des salariés engagés dans des conditions identiques de diplôme et de qualification et à une date voisine ; que, pour refuser la comparaison faite par M. S… entre sa situation et celles de MM. Y… et B…, la cour d’appel a retenu que, contrairement au salarié qui exerçait les fonctions de laveur de planches, ceux-ci étaient saleur-caviste et préparateur de commandes ; qu’en statuant par des motifs inopérants tirés des fonctions exercées par les salariés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;
Mais attendu qu’appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et sans avoir à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, la cour d’appel, qui a constaté que certains des éléments présentés par le salarié comme laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale n’étaient pas établis et fait ressortir que les autres faits laissant supposer l’existence d’une discrimination à son encontre étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, a légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen :
Attendu que le salarié et l’union syndicale font grief à l’arrêt de débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral et, en conséquence, de débouter l’union départementale des syndicats CGT du Jura de sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen, que lorsque le salarié présente des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination et d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs et étrangers à toute discrimination et à tout harcèlement moral ; que, l’employeur devant ainsi justifier, d’une part, que ses décisions ont été prises indépendamment d’un motif prohibé par l’article L. 1132-1 du code du travail, d’autre part, qu’elles sont exclusives d’atteintes aux droits du salarié, à sa dignité, à sa santé physique ou mentale et à son avenir professionnel, les justifications étrangères à toute discrimination ne sont pas, en soi, étrangères à tout harcèlement moral ; que, pour débouter M. T… S… de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, la cour d’appel a estimé – après avoir relevé que « M. T… S… reprend à l’appui de cette prétention une partie des faits sus-examinés qu’il avait invoqués pour démontrer l’existence de discriminations syndicales (absence d’évolution de carrière et de convocations aux réunions des délégués du personnel) » – que « la cour d’appel n’ayant retenu aucun manquement de la SAS Fromageries […] sur ces points, les faits dont s’agit ne sauraient donc constituer des faits d’harcèlement » ; qu’en statuant ainsi par des motifs impropres à justifier que les décisions de l’employeur – fussent-elles étrangères à toute discrimination – étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;