Dirigeant de fait d’une société audiovisuelle

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Dirigeant de fait d’une société audiovisuelle

La qualité de dirigeant de fait est caractérisée par l’accomplissement, en toute indépendance, d’actes positifs manifestant un pouvoir de gestion et de direction de l’entreprise. La seule conclusion de contrats, même d’un montant important, n’est pas un critère déterminant de la  reconnaissance de la qualité de dirigeant de fait.  

L’affaire Bo Travail ! c/ Camera One Télévision a été clôturée. En dépit des indices ci-après,  la qualité de dirigeant de fait de la société Bo travail ! n’a pas été retenue :

  • délégation en matière bancaire au titre de laquelle l’intéressé « apparaissait l’interlocuteur de la banque, du service comptable de la société BO Travail! et plus généralement des collaborateurs ou des tiers pour tous les payements de la société » ;
  • signature pour le compte de la société Bo travail ! de plusieurs contrats de travail ;
  • signature d’un accord-cadre avec la présentatrice de l’émission Echappées belles, un contrat de pré-achat avec France télévisions, un contrat d’auteur réalisateur, des contrats de pré-achat de droits avec la société Voyages etc ;
  • des échanges avec le commissaire aux comptes de la société, qu’il avait co-signé en qualité de « directeur général » un courrier adressé au bailleur de la société Bo travail !
 
 
R É P U B L I Q U E  F R A N Ç A I S E
 
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 
Audience publique du 15 juin 2022
 
Rejet non spécialement motivé
 
M. MOLLARD, conseiller doyen
 
faisant fonction de président
 
Décision n° 10410 F
 
Pourvoi n° X 20-20.823
 
DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 JUIN 2022
 
1°/ La société Bo Travail !, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
 
2°/ M. [M] [Z], domicilié [Adresse 6],
 
ont formé le pourvoi n° X 20-20.823 contre l’arrêt rendu le 3 juillet 2020 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige les opposant :
 
1°/ à M. [R] [U], domicilié [Adresse 1],
 
2°/ à la société Camera One Télévision, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
 
3°/ à M. [Y] [I], domicilié [Adresse 5],
 
4°/ à la société Abitbol & [D], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de Mme [G] [D], prise en qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la société Camera One Télévision,
 
défendeurs à la cassation.
 
Le dossier a été communiqué au procureur général.
 
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Bo Travail ! et de M. [Z], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [U], des sociétés Camera One Télévision et Abitbol & [D], ès qualités, après débats en l’audience publique du 20 avril 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, Mme Gueguen, premier avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
 
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
 
Désistement partiel
 
1. Il est donné acte à la société Bo Travail ! et à M. [Z] du désistement de leur pourvoi en ce qu’il est dirigé contre M. [I].
 
2. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
 
3. En application de l’article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
 
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
 
REJETTE le pourvoi ;
 
Condamne la société Bo Travail ! et M. [Z] aux dépens ;
 
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bo Travail ! et M. [Z] et les condamne à payer à M. [U], à la société Camera One Télévision et à la société Abitbol & [D], en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la société Camera One Télévision, la somme globale de 3 000 euros ;
 
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille vingt-deux.
 
 
MOYENS ANNEXES à la présente décision
 
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Bo Travail ! et M. [Z].
 
PREMIER MOYEN DE CASSATION
 
La société Bo travail ! et M. [Z] font grief à l’arrêt du 3 juillet 2020 attaqué de les AVOIR déboutés de l’ensemble de leurs demandes, en particulier de leurs demandes de fixation d’une créance au passif de la société Camera One Télévision, de condamnation de M. [U] à payer des dommages et intérêts, et de réintégration des documentaires intitulés les « [Localité 7] » au patrimoine de la société Bo travail ! ;
 
1) ALORS QUE la qualité de dirigeant de fait est caractérisée par l’accomplissement, en toute indépendance, d’actes positifs manifestant un pouvoir de gestion et de direction de l’entreprise ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté qu’outre une délégation en matière bancaire au titre de laquelle « il apparaissait l’interlocuteur de la banque, du service comptable de la société BO Travail! et plus généralement des collaborateurs ou des tiers pour tous les payements de la société », M. [U] avait signé pour le compte de la société Bo travail ! plusieurs contrats de travail, en date des 24 octobre 2008, 18 mai 2009, 24 juin 2009, et 1er juin 2010, un accord-cadre du 20 mai 2009 avec la présentatrice de l’émission Echappées belles, un contrat de pré-achat du 22 juin 2009 avec France télévisions, un contrat d’auteur réalisateur du 19 octobre 2009 avec M. [C], des contrats de pré-achat de droits avec la société Voyages des 15 février et 4 novembre 2011, un contrat du 14 juin 2010 avec la société France télévisions portant sur le magazine Echappées belles, qu’il avait renseigné un avis à tiers détenteur adressé à la société Bo travail !, qu’il avait eu des échanges avec le commissaire aux comptes de la société, qu’il avait co-signé en qualité de « directeur général » un courrier adressé au bailleur de la société Bo travail !, que plusieurs témoins (MM. [E], [K] et [O]) désignaient M. [U] comme le « directeur général » de la société ; qu’il en résultait l’accomplissement par M. [U], en toute indépendance, d’actes positifs de gestion et de direction de la société Bo travail ! ; qu’en excluant néanmoins que M. [U] ait eu la qualité de dirigeant de fait de la société Bo travail !, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil.
 
2) ALORS QUE la société Bo travail ! et M. [Z] produisaient aux débats des certificats médicaux établis les 20 octobre 2013, 5 mars 2014, 20 janvier 2017 et 23 juillet 2019 (cf. productions n°11 à 14), qui indiquaient respectivement « avoir suivi régulièrement M. [Z] [M] de l’année 2006 à l’année 2009 pour un syndrome dépressif sévère (ayant nécessité la prise d’un traitement psychotrope à fortes doses) dans le cadre d’un pathologie bipolaire avérée », que « M. [Z] présente une pathologie dépressive qui a été suivie et traitée. Entre juillet 2009 et la fin de l’année 2012, il a présenté une phase de dépression profonde et prolongée, dont le traitement a été très difficile à équilibrer. Il souffrait de perte d’énergie, de troubles de la mémoire et de la concentration intellectuelle. Il présentait des accès d’angoisse le matin qui avaient des répercussions pendant toute la journée. Il a souffert également tout au long de la mise au point de son traitement des effets secondaires des médicaments, somnolence, vertiges, tremblements. Pendant toute cette période troublée par ses troubles de l’humeur et par les effets secondaires des médicaments, on peut considérer qu’il ne jouissait pas de toute la lucidité nécessaire à la gestion de ses affaires », que « ce patient est toujours suivi et traité médicalement pour dépression bipolaire caractérisée » ; qu’en affirmant que les trois certificats médicaux des 20 octobre 2013, 5 mars 2014 et 23 juillet 2019 n’étaient pas contemporains des faits reprochés et n’établissaient pas l’incapacité de M. [Z] à gérer la société Bo travail !, la cour d’appel a dénaturé ces certificats médicaux, en méconnaissance du principe interdisant au juge de dénaturer l’écrit qui lui est soumis.
 
3) ALORS subsidiairement QUE le juge est tenu de répondre aux conclusions des parties ; qu’en l’espèce, la société Bo travail ! et M. [Z] faisaient valoir dans leurs conclusions d’appel (page 8, puis pages 36 et 37) que la responsabilité de M. [U] était engagée, non seulement en tant que dirigeant de fait, mais aussi en sa qualité d’associé de la société Bo travail ! devant s’abstenir de tout acte de concurrence à l’égard de la société, en application de l’article 13 des statuts de la société Bo travail ! et des principes généraux issus de la jurisprudence ; qu’en omettant de répondre à ce moyen pris de la responsabilité de M. [U] en sa qualité d’associé, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile.
 
4) ALORS très subsidiairement QUE le parasitisme est caractérisé par l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire ; qu’en l’espèce, pour écarter le moyen subsidiaire pris de ce que la société Bo travail ! avait subi un parasitisme des agissements de la société Camera One Télévision et de M. [U], la cour d’appel a relevé que les exposants « se bornent à évoquer un préjudice commercial subi du fait des agissements de la société Camera One » constituant selon elle « une simple allégation imprécise et non circonstanciée » ; quand se prononçant ainsi, sans examiner si les faits déjà invoqués et étayés par la société Bo travail ! sur le fondement de son moyen principal relatif à la concurrence illicite, en particulier le fait pour la société Camera One Télévision et M. [U] d’avoir obtenu auprès de France Télévisions des contrats de production des documentaires « les [Localité 7]« lesquels étaient diffusés dans le cadre du magazine »Echappées belles » produit par la société Bo travail !, c’est-à-dire de se placer dans le sillage du travail accompli par la société Bo travail !, ne permettaient pas de justifier son action sur le fondement du moyen subsidiaire relatif au parasitisme, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382, devenu 1240, du code civil.
 
SECOND MOYEN DE CASSATION
 
La société Bo travail ! fait grief à l’arrêt du 3 juillet 2020 attaqué de l’AVOIR condamnée à payer à la société Camera One Télévision la somme de 15 009,55 € assortie des intérêts au taux légal ;
 
1) ALORS QUE la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait, ayant pour effet d’interrompre la prescription, ne peut résulter que d’actes non équivoques ; que la seule absence de contestation d’une facture par le débiteur ne vaut pas reconnaissance non équivoque de l’existence du droit revendiqué par le créancier ; qu’en l’espèce, en affirmant, pour exclure la prescription, que l’absence de contestation de la facture d’avoir reçue le 18 décembre 2015 établissait le caractère non-équivoque des créances revendiquées par la société Camera One Télévision à l’encontre de la société Bo travail !, la cour d’appel a violé l’article 2240 du code civil.
 
2) ALORS QUE la compensation légale, qui opère de plein droit sans intervention des parties, ne vaut pas reconnaissance non équivoque par le débiteur interruptive de prescription ; qu’en rejetant le moyen pris de la prescription des créances revendiquées par la société Camera One Télévision, aux motifs que « la société BO Travail ! n’ayant pas contesté les factures dès réception du courrier du 18 décembre 2015, la compensation s’est opérée à l’insu des débiteurs », quand l’automaticité de la compensation excluait d’en déduire un acte de reconnaissance non équivoque par le débiteur, la cour d’appel a violé l’article 2240 du code civil, ensemble l’article 1290 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.
 

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