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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2022
(n° / 2022, 20 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04054 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDGQE
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Février 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2018026373
APPELANTE
S.E.L.A.R.L. FIDES, prise en la personne de Maître Bernard CORRE, en qualité de liquidateur de la S.A. FINANCIERE DU FORUM, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 337 599 476,
Immatriculée au registre de commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 451 953 392,
Ayant son siège social [Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocate au barreau de PARIS, toque : K0065,
Assistée de Me Antoine DIESBECQ de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0301,
INTIMÉS
La société JP MORGAN CHASE BANK, NATIONAL ASSOCIATION, anciennement dénommée THE CHASE MANHATTAN BANK, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Ayant son siège social [Adresse 1],
[Adresse 10]
[Localité 4]
ETATS-UNIS
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocate au barreau de PARIS, toque : L0034,
Assistée de Me Dimitri LECAT du LLP FRESHFIELDS BRUCKHAUS DERINGER LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J007,
La société MMA VIE ASSURANCES MUTUELLES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés du MANS sous le numéro 775 652 118,
Ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par, Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,
Assistée de Me Valérie LAFARGE SARKOZY de la SELARL ALTANA, avocate au barreau de PARIS, toque : R021,
S.A. COMPAGNIE FINANCIERE D’OUTRE MER – COFIDOM, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FORT-DE-FRANCE sous le numéro 303 151 252,
C/O Mailboxes Etc
[Adresse 12]
[Localité 9]
Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocate au barreau de PARIS, toque : B0515,
Assistée de Me Antoine BENECH de la SELARL SYGNA PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0540, et de Me Jean-Pierre MIGNARD de la SELARL LYSIAS PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0113,
Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 3]
[Localité 8]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Florence DUBOIS-STEVANT dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François Vaissette, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 28 janvier 2022 et ses observations orales lors de l’audience.
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE:
Le Crédit martiniquais est un établissement de crédit fondé en 1922 détenu par un actionnariat local. Il est la seule banque à ne pas être adossée à un grand réseau national.
En1986, la société est transformée, sans modification de son actionnariat, en holding dénommée Compagnie financière d’outre-mer (‘Cofidom’) et elle a fait apport de son activité bancaire à une nouvelle entité dénommée Crédit martiniquais dont elle détenait alors 99 % du capital social.
En 1987 et 1989, la banque JP Morgan chase bank association (‘JP Morgan’) puis MMA sont entrés au capital du Crédit martiniquais, détenant respectivement à l’issue de ces opérations 12,3 % et 11,6 % du capital social et la participation de Cofidom passant à 76,1 %.
MMA a été administrateur du Crédit martiniquais du 13 mars 1990 jusqu’à sa démission, le 1er décembre 1994, dont le conseil d’administration a pris acte le 12 mai 1995.
JP Morgan a été administrateur du Crédit martiniquais du 9 mars 1987 jusqu’à sa démission le 25 mars 1999 dont le conseil d’administration a pris acte le 11 mai 1999.
Le ratio de solvabilité (fonds propres/engagements pondérés), imposant aux établissements de crédit de maintenir leurs fonds propres à un montant minimal fonction de leurs engagements, est passé de 5 % à 8 % à compter du 31 décembre 1992.
C’est dans ce contexte que le Crédit martiniquais a fait l’objet d’un premier contrôle de la Commission bancaire du 17 mai au 3 octobre 1991, destiné à s’assurer du respect du ratio de solvabilité, à l’issue duquel, si la banque a été informée d’un engagement de poursuites disciplinaires à son encontre pour le non-respect de ce ratio, la procédure a été clôturée le 10 mars 1995 au vu du respect de ce ratio et sans sanction.
En mai 1996 la Commission bancaire a effectué une nouvelle inspection qui a révélé un provisionnement insuffisant des risques et une sous-capitalisation. Le rapport d’inspection a été déposé le 24 octobre 1996. En novembre 1996 une procédure disciplinaire a été engagée contre les dirigeants et la banque a été placée sous administration provisoire le 29 mai 1997.
Le 30 septembre 1999, la Commission bancaire a sollicité l’intervention du Fonds de garantie des dépôts et de résolution, créée par la loi du 25 juin 1999. Cette intervention, préventive, a été acceptée sous conditions de cession des actifs de la banque et de sa mise en extinction. Le 13 juin 2000 la Commission bancaire a prononcé la radiation de la banque, devenue la société Financière du forum, de la liste des établissements de crédit agréés et a nommé l’administrateur provisoire, M. [M], en qualité de liquidateur amiable de la société Financière du forum, auquel ont succédé à cette fonction la société Dbac, en juin 2002, puis la société Antogera, en juin 2003. La liquidation amiable s’est poursuivie pendant douze ans au cours desquels des actifs ont été cédés : cession du fonds de commerce les 30 novembre et 1er décembre 2000, cession de créances.
Se prévalant d’une créance constituée du solde des avances non remboursées et d’ intérêts, d’un montant en dernier lieu de 178.537.054 euros en principal, le Fonds de garantie des dépôts et de résolution a, le 16 mai 2000, engagé une action en responsabilité délictuelle à l’encontre des dirigeants de droit et de fait du Crédit martiniquais pour obtenir le remboursement des sommes versées. La procédure a duré près de vingt ans.
Sur déclaration de cessation des paiements du 12 juin 2015 et par jugement du 24 juin 2015, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l’égard de la société Financière du forum, la SELARL EMJ puis la SELARL Fides, prise en la personne de Me Corre, étant successivement désignées liquidateur judiciaire. Le Fonds de garantie des dépôts et de résolution a déclaré sa créance constituée des avances, une créance de Cofidom, d’un montant de 40.273 euros, a été admise au passif et un organisme de sécurité sociale a déclaré une créance qui n’a pas été admise au passif.
Par arrêt du 1er juillet 2016, la Cour d’appel de Paris, saisie en dernier lieu de l’action initiée par le Fonds de garantie des dépôts et de résolution, a débouté le Fonds de toutes ses demandes. Par arrêt du 9 janvier 2019, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le Fonds à son encontre.
Par acte du 27 avril 2018, la SELARL Fides ès qualités a assigné devant le tribunal de commerce JP Morgan et MMA, en leur qualité de dirigeants de droit, et Cofidom, en qualité de dirigeant de fait, en responsabilité pour insuffisance d’actif.
Les fautes de gestion invoquées sont :
– à l’égard de Cofidom, un sous-provisionnement des créances et l’insuffisance de contrôle interne,
– à l’égard de JP Morgan et de MMA, leur défaillance dans l’exercice de leurs missions d’administrateur, la passivité dont elles ont fait preuve et une défaillance dans le contrôle interne.
Les défendeurs ont soulevé des fins de non-recevoir tirées de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 1er juillet 2016 et de la prescription.
Par jugement du 16 février 2021, le tribunal a :
– débouté MMA et Cofidom de leur demande d’irrecevabilité pour prescription ;
– jugé que l’instance se heurtait à l’autorité de la chose jugée par la décision définitive de la cour d’appel de Paris du 1er juillet 2016, devenu irrévocable par l’arrêt de la Cour de cassation du 9 janvier 2019 ;
– jugé que la SELARL Fides ès qualités était irrecevable à agir ;
– débouté les parties de leurs demandes autres ou contraires ;
– condamné la SELARL Fides ès qualités aux dépens.
Par déclaration du 1er mars 2021, la SELARL Fides ès qualités a fait appel de ce jugement.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 27 mai 2022, la SELARL Fides ès qualités demande à la cour :
– de réformer le jugement entrepris et de débouter les sociétés Cofidom et MMA de leur appel incident ;
– en conséquence, de la déclarer recevable en ses demandes et en son appel, de se déclarer saisie du fond du litige par l’effet dévolutif de l’appel, de condamner solidairement Cofidom et JP Morgan au paiement de la somme de 237.297.128 euros correspondant à l’insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire de la société Financière du forum, de condamner MMA au paiement d’une partie de cette insuffisance d’actif, soit la somme de 100.000 euros, solidairement avec Cofidom et JP Morgan, de rejeter les demandes de JP Morgan, Cofidom et MMA, de les condamner solidairement à lui payer la somme de 200.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 13 mai 2022, JP Morgan demande à la cour :
– à titre principal, de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables l’action initiée par la société Fides ès qualités en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt d’appel du 1er juillet 2016, et de déclarer irrecevable l’action initiée par la société Fides ès qualités en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt d’appel du 1er juillet 2016 ;
– à titre subsidiaire, de débouter la société Fides ès qualités de l’intégralité de ses demandes ;
– en tout état de cause, de condamner Fides à lui payer la somme de 200.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel avec droit de recouvrement direct.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 12 mai 2022, MMA demande à la cour :
– à titre principal, de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables les prétentions formées par la société Fides ès qualités en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt d’appel du 1er juillet 2016, de l’infirmer en qu’il l’a déboutée de son moyen d’irrecevabilité pour cause de prescription des prétentions du liquidateur judiciaire et, statuant à nouveau, de déclaré irrecevables pour cause de prescription les prétentions formées par la société Fides ès qualités ;
– à titre subsidiaire, de déclarer irrecevables les prétentions formées par la société Fides ès qualités aux termes de ses conclusions d’appel et de renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Paris afin qu’il soit débattu et jugé de ces prétentions ;
– à titre infiniment subsidiaire, de débouter la société Fides ès qualités de ses prétentions ;
– en toutes hypothèses, de débouter la société Fides ès qualités de ses plus amples demandes et de la condamner à lui payer la somme de 200.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 16 mai 2022, Cofidom demande à la cour :
– à titre principal, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé l’instance initiée par Fides irrecevable car se heurtant à l’autorité de la chose jugée de la décision rendue par la cour d’appel de Paris le 1er juillet 2016,
– à titre subsidiaire, de la recevoir en son appel incident, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande d’irrecevabilité fondée sur la prescription, de déclarer irrecevables les demandes formées par Fides ès qualités pour cause de prescription en application du délai butoir,
– à titre plus subsidiaire et sur le fond en cas d’évocation, de débouter Fides de l’intégralité de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 75.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Le ministère public a communiqué son avis par RPVA le 28 janvier 2022. Il est d’avis :
– que l’action du liquidateur judiciaire n’est pas prescrite que ce soit au regard de l’article 2232 du code civil, introduit par la loi du 17 juin 2008 et prévoyant un délai butoir de la prescription extinctive, ou de l’article L. 651-2, alinéa 3, du code de commerce,
– que l’action du liquidateur judiciaire ne se heurte pas à l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 1er juillet 2016, faute d’identité de parties, d’objet et de cause,
– que l’insuffisance d’actif est née pendant la période d’administration de JP Morgan et de MMA,
– que Cofidom a exercé, par l’intermédiaire de M. [H] et de ses administrateurs, une gestion de fait du Crédit martiniquais par personne interposée et directement ou indirectement à son profit,
– que l’insuffisance d’actif est établie à hauteur de 237.347.566,17 euros,
– que les fautes de gestion sont caractérisées et qu’elles ont contribué à la création et à l’aggravation de l’insuffisance d’actif,
– que la cour condamne solidairement JP Morgan, MMA et Cofidom à verser au liquidateur judiciaire la somme de 237.347.566,14 euros en limitant la solidarité à la somme de 31 millions d’euros concernant MMA.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée :
Le tribunal a retenu l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 1er juillet 2016 et a, par suite, jugé irrecevable la SELARL Fides ès qualités à agir.
Celle-ci conteste cette fin de non-recevoir et soutient que l’arrêt du 1er juillet 2016 n’a pas autorité de la chose jugée sur son action.
Elle fait valoir que l’action en responsabilité civile engagée par le Fonds de garantie sur le fondement des articles L. 225-251 du code de commerce et 1382 ancien du code civil est distincte de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif fondée sur l’article L. 651-2 du code de commerce, leur objet et leurs conditions de fond et de procédure étant distincts, que les parties ne sont pas identiques, elle-même ne pouvant être qualifiée de partie à l’instance engagée par le Fonds de garantie dès lors qu’elle est intervenue, en cause d’appel, à seule fin de permettre la reprise de l’instance et d’assurer la représentation de la société Financière du forum et non pour formuler des demandes en tant qu’elle défend l’intérêt collectif des créanciers, et n’ayant pu faire valoir ses droits dans la mesure où elle ne pouvait ni soulever l’irrecevabilité de l’action du Fonds de garantie à raison de l’insuffisance d’actif ni former de demandes en comblement de passif devant la juridiction civile qui n’était pas compétente pour en connaître, que les deux actions n’ont pas le même objet, l’action du Fonds de garantie, attitrée, ayant visé le remboursement des seules sommes qu’il avait versées alors que l’action du liquidateur vise à faire supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif aux dirigeants fautifs, qu’enfin l’identité de cause fait également défaut, les deux actions étant d’une nature juridique différente et ne tendant pas aux mêmes fins, la cour d’appel n’ayant tranché dans le dispositif de son arrêt aucune de ses demandes, et le principe de concentration des moyens ne pouvant lui être opposé dès lors qu’il ne pouvait ni reprendre l’action du Fonds de garantie ni demander à la cour d’appel la condamnation de MMA, Cofidom et JP Morgan en responsabilité pour insuffisance d’actif, et sa propre intervention à l’instance n’ayant pas eu pour cause trois fautes de gestion et l’insuffisance d’actif comme l’a retenu le tribunal.
JP Morgan, MMA et Cofidom réfutent l’absence d’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 1er juillet 2016, les conditions d’identité de parties, d’objet et de cause étant selon elles réunies.
Elles soutiennent que les parties sont identiques dans les deux instances dès lors que la SELARL Fidès est intervenue volontairement à l’instance introduite par le Fonds de garantie en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Financière du forum, qu’elle a pu faire valoir ses droits, en faisant siennes les écritures de la société Financière du forum, représentée par la société Antogera, en s’en rapportant à la sagesse de la cour sur les mérites des demandes du Fonds de garantie, en renonçant à son propre droit d’action en s’abstenant de soulever l’irrecevabilité de l’action du Fonds de garantie alors qu’elle aurait dû le faire pour ensuite agir en insuffisance d’actif et ce, en vertu du principe de non-cumul des responsabilités. Elles observent que la selarl Fides est partie aux deux instances en sa même qualité de liquidateur judiciaire et que la dualité des missions du liquidateur judiciaire est inopérante quant à sa qualité de partie du point de vue de l’autorité de la chose jugée, le mandataire de justice disposant de toutes les prérogatives d’une partie à l’instance. JP Morgan ajoute que le critère de l’identité de parties est remplie tant au regard du Fonds de garantie, dont les intérêts sont représentés par le liquidateur judiciaire, de la société Financière du forum, représentée par le liquidateur judiciaire, que de la SELARL Fides, intervenant volontaire dans l’instance introduite par le Fonds de garantie.
Les intimées soutiennent également que la condition de l’identité d’objet des deux actions est remplie dès lors qu’elles sont de même nature juridique et ont la même finalité qui est la réparation d’un même préjudice subi par les créanciers sociaux et ce, quand bien même elles s’appuieraient sur une faute distincte ou des responsabilités de nature différente et qui répondraient à des conditions d’engagement différentes, qu’elles ne peuvent ainsi se cumuler, que la créance du Fonds de garantie couvre l’intégralité de l’insuffisance d’actif et que la demande de condamnation est constituée des avances du Fonds de garantie non remboursées et d’un montant, hors intérêts, identique à celui réclamé par le Fonds de garantie, que la demande formée à l’encontre de MMA, limitée en son montant, n’infirme pas l’identité d’objet.
Les intimées soutiennent enfin que la condition d’identité de cause est également remplie. Elles font valoir que la cause est l’ensemble des faits à l’origine de l’action et qu’en l’espèce les demandes du liquidateur judiciaire sont fondées sur les mêmes faits que ceux soumis à la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 1er juillet 2016, à savoir la direction de fait de Cofidom et les trois fautes et l’insuffisance d’actif invoquées par le Fonds de garantie dans son action. Elles ajoutent que la cause étant strictement factuelle, les différences de régime juridique des deux actions sont indifférentes, ce qui est conforme au principe de concentration des moyens, de même qu’est indifférente la circonstance que l’arrêt du 1er juillet 2016 n’a pas tranché des demandes de la SELARL Fides ès qualités alors qu’elle s’est abstenue d’en former, qu’enfin la cause n’est pas différente par l’effet de l’ouverture de la liquidation judiciaire qui ne constitue pas un fait nouveau et n’a pas modifié la situation factuelle du litige demeurée identique. Cofidom ajoute que l’arrêt du 1er juillet 2016 ayant jugé qu’elle n’avait pas la qualité de dirigeant de fait a autorité de la chose jugée sur ce point.
Sur ce,
L’article 1355 du code civil dispose que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement ; il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Aux termes des énonciations de l’arrêt du 1er juillet 2016, le Fonds de garantie a exercé à l’encontre des administrateurs du Crédit martiniquais et de Cofidom, en qualité de dirigeant de fait, une action en responsabilité civile fondée sur l’article 1382 ancien du code civil et l’article L. 225-251 du code de commerce, leur reprochant d’avoir, par leur action ou leur abstention, fautivement participé à l’arrêté des comptes annuels non sincères de l’exercice 1991 jusqu’à l’exercice 1995, de s’être abstenus de débattre sur les comptes annuels et d’avoir manqué à leurs devoirs au titre du contrôle interne, et invoquant comme préjudice le solde non remboursé des avances consenties au Crédit martiniquais. S’agissant des fautes tenant à l’arrêté des comptes annuels, le Fonds de garantie soutenait que les concours étaient accordés à des conditions anormales, que les ‘comptes ordinaires débiteurs’ étaient ‘d’une importance disproportionnée’, que les règles relatives au déclassement en créances douteuses et aux provisions n’avaient pas été respectées, qu’il avait résulté de ces agissements une insuffisance de dotations aux provisions que l’insincérité des comptes annuels n’avait pas permis de révéler.
Dans ses écritures du 30 décembre 2015, produites aux débats, le Fonds de garantie indiquait que chacune des fautes reprochée avait eu pour cause et pour effet de dissimuler la situation patrimoniale réelle de la banque qui avait permis la poursuite de l’exploitation déficitaire créant une considérable insuffisance d’actif et que son intervention préventive avait permis de combler cette insuffisance d’actif constatée au 31 décembre 1999 par des avances versées les 14 janvier et 28 septembre 2000.
La société EMJ, liquidateur judiciaire de la société Financière du forum, est, quant à elle, intervenue volontairement à l’instance le 1er octobre 2015, alors qu’elle avait été désignée le 19 août 2015 liquidateur judiciaire par le tribunal de commerce et le 16 septembre 2015 liquidateur bancaire de la société Financière du forum par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Elle a demandé à la cour de lui donner acte de ce qu’elle entendait faire siennes les écritures précédemment signifiées par la société Financière du forum représentée par la société Antogera, liquidateur bancaire, de ce qu’elle s’en rapportait à la sagesse de la cour sur les mérites des demandes du Fonds de garantie, de constater que la société Financière du forum et ‘son liquidateur’ n’ont formulé aucune demande, de rejeter toute demande de communication de pièces à son encontre. La société Financière du forum représentée par la société Antogera avait précédemment conclu qu’elle ne s’opposait pas à l’action du Fonds de garantie et qu’elle s’en remettait à la sagesse de la cour sur le mérite de ses demandes, étant constaté qu’elle ne formulait elle-même aucune demande.
S’agissant de JP Morgan, MMA et Cofidom, la cour d’appel a, après avoir retenu la prescription de l’action du Fonds de garantie en ce qu’elle reposait sur le manquement au contrôle interne et l’absence de débat sur les comptes annuels des exercices 1991 à 1995, confirmé le jugement du 9 janvier 2002 ayant rejeté l’action du Fonds de garantie.
Dans le présent litige, le liquidateur judiciaire de la société Financière du forum exerce une action en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre de JP Morgan, MMA et Cofidom, en leur qualité d’administrateurs ou de dirigeant de fait du Crédit martiniquais, à raison de fautes de gestion tenant à une insuffisance de provisions des créances, une insuffisance de contrôle interne et la défaillance et la passivité des administrateurs dans leurs missions et le contrôle interne, l’insuffisance d’actif résultant selon lui d’un actif réalisé de 50.438 euros et d’un passif composé de la créance du Fonds de garantie, constituée de ses avances et des intérêts, et d’une créance de compte courant de Cofidom d’un montant de 40.273,25 euros.
Les deux actions en responsabilité ainsi successivement exercées par le Fonds de garantie et la SELARL Fides ès qualités sont de même nature et ont un même objet dès lors qu’elles tendent toutes deux à la réparation du préjudice subi par les créanciers du Crédit martiniquais, devenu Financière du forum, à raison de fautes de gestion imputées à des dirigeants de droit ou de fait. Le Fonds de garantie a en effet réclamé la réparation d’un préjudice qui constitue une fraction de celui subi par la collectivité des créanciers, représentée par le liquidateur judiciaire, et l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif tend à la réparation du préjudice des créanciers incomplètement payés en raison de cette insuffisance d’actif.
La cause, au sens de l’article 1355 du code civil, s’entend des éléments factuels, et non juridiques, qui fondent la demande. Il s’ensuit que les éléments de nature juridique invoqués par la selarl Fidès ès qualités, tels que les règles de prescription et de compétence ou le caractère attitré de l’action du liquidateur judiciaire, sont inopérants pour écarter l’identité de cause. Il en est de même du prononcé, en cours d’instance d’appel, de la liquidation judiciaire de la société Financière du forum, qui n’est pas venue modifier les termes factuels du litige, tous antérieurs au jugement de liquidation judiciaire du 24 juin 2015.
En l’espèce, le Fonds de garantie puis la SELARL Fides ès qualités invoquent, à l’appui de leur demande respective, l’insuffisance d’actif de la banque liquidée, la direction de fait de Cofidom, des fautes de gestion communes imputées aux dirigeants, une insuffisance de provisions, des défaillances dans le contrôle interne et une passivité des administrateurs. Les faits à l’origine de l’engagement de la responsabilité des dirigeants par le Fonds de garantie puis par le liquidateur judiciaire caractérisent ainsi une identité de cause.
La circonstance que les conditions – de fond et de procédure – d’engagement de la responsabilité des dirigeants sont distinctes selon qu’elle est mise en cause par le Fonds de garantie ou le liquidateur judiciaire, est sans emport sur l’identité d’objet et de cause des deux actions et quand bien même les fautes alléguées ne seraient pas strictement identiques ou le préjudice subi par la collectivité des créanciers distinct de celui-ci subi par un seul créancier, l’identité de cause doit être retenue.
En effet, si les deux actions sont indépendantes l’une de l’autre car obéissant à des règles de procédure et de fond distinctes, il reste que le principe de non-cumul s’oppose à ce que l’on considère qu’il y ait une différence d’objet. Il s’oppose également à voir écarter l’identité de cause dès lors que les faits invoqués à l’appui de chacune des deux actions sont soit identiques soit, bien que non allégués par le créancier ou le liquidateur, connus d’eux, ce qui est le cas en l’espèce, la selarl Fidès ès qualités n’arguant pas de faits nouvellement révélés qui n’auraient pas été connus du Fonds de garantie et qui auraient été portés à la connaissance du liquidateur postérieurement à l’arrêt du 1er juillet 2016.
Il est par ailleurs constant que JP Morgan, MMA et Cofidom sont parties dans les deux instances. Aucune des parties ne conteste que le Fonds de garantie est représenté, comme tout autre créancier de la société Financière du forum en liquidation, par le liquidateur judiciaire dans la présente instance de sorte qu’il est également partie aux deux instances. Quant au liquidateur judiciaire, il était également partie à l’instance initiée par le Fonds de garantie peu après sa désignation puisqu’il est intervenu volontairement le 1er octobre 2015 après avoir été nommé le 19 août précédent.
Son intervention était nécessairement en qualité de représentant de l’intérêt de la collectivité des créanciers de la société Financière du forum, laquelle, alors représentée par son liquidateur bancaire, n’avait préalablement formé aucune demande indemnitaire à son profit ni n’avait à défendre à une action dirigée contre elle de sorte que le liquidateur judiciaire n’était pas amené à reprendre une action exercée par la société sous procédure ou à défendre en son nom.
L’identité de parties est ainsi établie.
Comme le soutiennent les intimées, dès lors que la société Financière du forum, débitrice de la créance du Fonds de garantie, avait été placée en liquidation judiciaire pendant l’instance d’appel et que l’insuffisance d’actif était avérée, et que le Fonds de garantie en faisait état dans ses écritures, son action indemnitaire ne pouvait plus prospérer devant la cour d’appel en application du principe de non-cumul des actions en responsabilité de droit commun et en responsabilité pour insuffisance d’actif, le droit d’agir du liquidateur judiciaire étant né pendant l’instance d’appel.
Cependant, selon l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement et a été tranché dans le dispositif ; il faut que la demande soit entre les mêmes parties.
Or le liquidateur judiciaire n’a formé aucune demande au profit de la liquidation dans l’instance initiée par le Fonds de garantie et, compte tenu de l’incompétence des juridictions civiles, n’a pas été en mesure d’exercer l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif devant la cour d’appel saisie de l’action en responsabilité engagée par le Fonds de garantie. Par suite, l’arrêt du 1er juillet 2016 n’a statué sur aucune des demandes que la selarl Fidès ès qualités forme dans la présente instance.
L’abstention procédurale du liquidateur judiciaire – tout comme celle des autres parties, aucune d’entre elles n’ayant soulevé l’impossibilité de poursuivre l’action du Fonds de garantie au vu de la liquidation judiciaire de la société Financière du forum et de l’insuffisance d’actif alléguée – ne permet pas d’opposer à son action initiée ultérieurement devant le tribunal de la procédure collective l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 1er juillet 2016 dès lors qu’il ne pouvait pas agir en responsabilité pour insuffisance d’actif devant une juridiction incompétente pour connaître d’une telle action.
Il s’ensuit que la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 1er juillet 2016 doit être écartée et le jugement infirmé sur ce point.
Sur la prescription :
Cofidom soutient que le délai de prescription prévu par l’article L. 651-2 du code de commerce est soumis au délai butoir de vingt ans prévu par l’article 2232 du code civil en ce que, par dérogation à l’article 2224 du code civil, cet article L. 651-2 reporte le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’ouverture de la liquidation judiciaire, qu’en l’espèce le liquidateur judiciaire a introduit son action plus de vingt ans après l’insuffisance d’actif, fait générateur de cette action qui, à la supposer établie, pourrait être datée de la désignation d’un administrateur provisoire par la Commission bancaire, le 20 mai 1997, et qu’ainsi son action est prescrite. Elle estime que ce délai butoir, introduit par la loi du 17 juin 2008, est d’application immédiate et qu’il s’applique aux faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi.
MMA soutient également que l’action de Fides se heurte au délai butoir de vingt ans prévu à l’article 2232 du code civil. Elle fait valoir que cette disposition est applicable à l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, tout décalage du point de départ de la prescription devant être assimilé à un report au sens de l’article 2231 du code civil et le délai butoir s’appliquant lorsque le créancier n’a pas connaissance de son droit, et qu’elle est d’application immédiate s’agissant d’une loi de procédure et l’instance initiée par Fides n’étant pas en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, que le point de départ du délai butoir est la naissance du droit à réparation et non la naissance du droit d’agir, soit en l’espèce le jour de la naissance de l’insuffisance d’actif et non le jour du jugement autorisant l’action du liquidateur judiciaire, que Fides invoquant une insuffisance d’actif née pendant son mandat social qui a pris fin en décembre 1994, son action intentée après l’expiration du délai butoir de vingt ans est prescrite.
La SELARL Fides ès qualités réplique qu’au regard des dispositions de l’article L. 651-2 du code de commerce, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif se prescrit par trois ans à compter du jugement prononçant la liquidation judiciaire, sans considération de la date de commission des fautes de gestion, de sorte que son action, introduite dans les trois ans du jugement de liquidation judiciaire, n’est pas prescrite.
Elle soutient que le délai butoir invoqué par MMA et Cofidom n’est pas applicable en l’espèce au premier motif qu’il s’applique dans la seule hypothèse d’un report, d’une suspension ou d’une interruption de la prescription, conditions non réunies en l’espèce, au deuxième motif qu’il n’est pas applicable à une situation où le droit est né avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 comme le soutiennent MMA et Cofidom qui invoquent une insuffisance d’actif antérieure au 19 juin 2008, au troisième motif que son application est écartée lorsque le délai de prescription est encore en cours et qu’il fait obstacle au droit d’accès au juge alors que le plaideur est dans l’incapacité d’agir. Elle prétend également que le délai butoir ne court pas au jour où l’insuffisance d’actif se trouverait avérée.
Sur ce,
L’article 2232, alinéa 1, du code civil, issu de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile entrée en vigueur le 19 juin suivant, dispose que le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.
En fixant le délai de prescription de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif à trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire, l’article L. 651-2 du code de commerce n’a pas instauré un report de son point de départ mais a, au contraire, déterminé un point de départ invariable et insusceptible de report. Il s’ensuit que le délai butoir prévu par l’article 2232 du code civil n’est pas applicable, en ce qu’il produit ses effets en cas de report du point de départ du délai de prescription, à l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif.
La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action du liquidateur soulevée par MMA et Cofidom et fondée sur l’application de l’article 2232 du code civil doit donc être écartée.
A ces motifs se substituant à ceux du tribunal, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté MMA et Cofidom de leur demande d’irrecevabilité pour prescription.
Sur l’effet dévolutif de l’appel :
MMA soutient, en premier lieu, que l’appel ne peut porter que sur ce qui a été jugé, en l’espèce les seules fins de non-recevoir soulevées, que le tribunal n’ayant pas statué sur le fond, l’appel ne peut déférer à la cour des chefs du jugement inexistants et, en second lieu, que la cour d’appel ne peut être saisie des demandes du liquidateur judiciaire au titre de l’évocation.
La SELARL Fides ès qualités réplique qu’elle n’a pas limité son appel à certains chefs du jugement de sorte que la dévolution s’est opérée pour le tout, conformément à l’article 562 du code de procédure civile, et que lorsqu’il est interjeté appel d’un jugement ayant accueilli une fin de non-recevoir, l’effet dévolutif s’applique pleinement et le fond du litige est transmis à la cour de plein droit.
Sur ce,
Aux termes de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent et la dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
Dans sa déclaration d’appel, la selarl Fides ès qualités critique expressément chacun des chefs du jugement déféré à la cour à l’exception de la disposition qui a débouté MMA et Cofidom de leur demande d’irrecevabilité pour prescription. MMA et Cofidom ont, quant à elles, former un appel incident de ce dernier chef du jugement. Les appels principal et incidents ont ainsi déféré à la cour l’ensemble des dispositions du jugement.
Ensuite, la cour a précédemment décidé de rejeter les fins de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée et de la prescription et de déclarer l’action de la SELARL Fides ès qualités recevable.
Il s’ensuit que, dès lors que le tribunal avait accueilli une fin de non-recevoir mettant ainsi fin à l’instance, la cour doit statuer sur le fond du litige en vertu de l’effet dévolutif de l’appel et ce, sans qu’il soit porté atteinte au double degré de juridiction.
Sur la qualité de dirigeant de fait de Cofidom :
La SELARL Fides ès qualités soutient que Cofidom était dirigeante de fait du Crédit martiniquais par personnes physiques interposées faisant valoir que Cofidom, actionnaire majoritaire, a placé son propre président, M. [H], et ses administrateurs au sein du conseil d’administration du Crédit martiniquais dans lequel ils étaient majoritaires, lui permettant ainsi d’exercer en fait les pouvoirs de direction de la banque.
Elle expose que les actionnaires de Cofidom occupaient la majorité des postes aux conseils d’administration de Cofidom et du Crédit martiniquais et que les administrateurs de Cofidom détenaient la majorité des voix, présentes et représentées, au conseil d’administration du Crédit martiniquais. Elle fait valoir que les décisions prises par M. [H] et les administrateurs communs aux deux sociétés l’ont été dans l’intérêt de Cofidom, le Crédit martiniquais ayant consenti la plupart de ses concours à Cofidom et ses actionnaires, dont certains à des sociétés en situation nette négative, sans garantie ou sans intérêts, Cofidom ayant eu un compte courant débiteur dans les comptes de sa filiale de 66,3 millions de francs en septembre 1996 et le Crédit martiniquais ayant été exposé à des risques dans des entreprises constituées avec Cofidom et des actionnaires de Cofidom dans le secteur immobilier. Elle soutient qu’il s’agit là d’une intervention positive dans la gestion et la direction de la banque accomplie en toute indépendance, d’une emprise sur la gestion des affaires sociales par la prise de décisions et de mesures sur le plan commercial et financier.
Cofidom se prévaut de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 1er juillet 2016 de la cour d’appel de Paris, qui a écarté sa qualité de dirigeant de fait du Crédit martiniquais que le Fonds de garantie invoquait à son égard. Elle fait en outre observer que certains éléments invoqués par la SELARL Fides ès qualités sont erronés en fait, les dix actionnaires de Cofidom visés par le liquidateur judiciaire n’ayant pas eu le contrôle du Crédit martiniquais et les administrateurs communs n’ayant pas détenu la majorité des voix au sein du conseil d’administration de la banque. Elle soutient que ni sa qualité d’associée majoritaire du Crédit martiniquais ni l’existence d’un dirigeant commun ni la présence d’administrateurs communs ne suffisent à caractériser la direction de fait, que le liquidateur judiciaire ne rapporte pas la preuve d’une entente entre les administrateurs du Crédit martiniquais pour diriger de fait la banque dans leurs intérêts et/ou celui de Cofidom, que les faits allégués par la SELARL Fides ès qualités ne constituent pas des actes positifs de direction et d’administration du Crédit martiniquais et que la direction de fait par interposition de personnes n’est pas démontrée dès lors que la SELARL Fides ès qualités n’établit pas que les personnes visées comme étant des ‘personnes interposées’ ont agi sur ses instructions ni l’existence d’actes positifs de direction en toute indépendance.
Sur ce,
La qualité de dirigeant de fait d’une personne dont la responsabilité pour insuffisance d’actif est recherchée doit être déterminée par le tribunal de la procédure collective de sorte que Cofidom ne peut se prévaloir de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la cour d’appel du 1er juillet 2016 ayant statué sur l’action en responsabilité civile exercée par le Fonds de garantie, autorité de la chose jugée qui a été de surcroît précédemment écartée.
La SELARL Fides ès qualités recherche la responsabilité de Cofidom en tant que personne morale qui, sans être elle-même dirigeante du Crédit martiniquais, a exercé, en fait, par l’intermédiaire de M. [H] et d’administrateurs communs, des pouvoirs de direction sur le Crédit martiniquais. Pour établir une telle qualité de dirigeant de fait, elle doit établir que ces personnes ont été choisies par Cofidom et qu’elles ont agi sous son emprise.
Cofidom et le Crédit martiniquais avaient tous deux pour président du conseil d’administration M. [H] et pour administrateurs MM. [F], [N], [B] et [L]. Le président et ces quatre administrateurs communs à Cofidom et au Crédit martiniquais étaient minoritaires au sein du conseil d’administration de ce dernier, cinq autres administrateurs, dont la directrice générale, siégeant à ce conseil en sus des représentants de MMA et de JP Morgan.
Or, aucune des pièces produites par la SELARL Fides ès qualités n’a trait aux conditions de désignation du président et de ces quatre administrateurs communs au conseil d’administration du Crédit martiniquais ni, a fortiori, n’établit que l’un ou l’autre a été choisi par Cofidom pour y siéger. La SELARL Fides ès qualités ne démontre pas non plus que ces président et administrateurs du Crédit martiniquais ont agi sous l’emprise de Cofidom, aucune des pièces produites ne faisant état des relations entre Cofidom et ces personnes en tant qu’elles prenaient part aux décisions du conseil d’administration du Crédit martiniquais.
A défaut de tout autre élément, le seul constat d’un président et de quatre administrateurs communs à Cofidom et au Crédit martiniquais ne peut démontrer que Cofidom a choisi ces personnes et exercé une emprise sur elles dans l’exercice de leurs prérogatives au sein du conseil d’administration du Crédit martiniquais, étant observé que la SELARL Fides ès qualités n’énonce même pas dans ses écritures les décisions qui auraient été prises par ces membres du conseil d’administration du Crédit martiniquais sous l’emprise de Cofidom.
Par ailleurs, s’agissant des décisions de distribution de crédits, qui ne relèvent pas du conseil d’administration mais de comités de crédit ou, selon les dires de la SELARL Fides ès qualités, du président du Crédit martiniquais ‘doté des pouvoirs les plus larges pour représenter le Crédit martiniquais et réaliser les opérations notamment de crédit avec la clientèle’, le liquidateur judiciaire ne démontre pas non plus l’existence d’instruction de Cofidom aux personnes participant à ces comités ou l’emprise que Cofidom aurait exercée sur elles ou encore l’existence de décisions prises par M. [H] en dehors de ses prérogatives de représentant du Crédit martiniquais et sur instruction ou sous l’emprise de Cofidom. Les rapports de la Commission bancaire, qui ont analysé les conditions d’octroi des concours consentis par le Crédit martiniquais, ne décrivent pas des processus de décision impliquant une immixtion de Cofidom dans ces décisions et le découvert autorisé consenti à Cofidom ne saurait caractériser une telle immixtion ou un acte positif de gestion de la banque.
Quant aux entreprises communes au Crédit martiniquais, à Cofidom et à des actionnaires de Cofidom, actionnaires que le liquidateur judiciaire ne désigne pas dans ses écritures, opérant dans le secteur immobilier, et aux concours qui leur ont été consentis par le Crédit martiniquais, leur seule existence, sans aucun élément décrivant les circonstances de leur constitution et leur fonctionnement, ne peut pas non plus établir une direction de fait exercée par Cofidom par l’intermédiaire de MM. [H], [F], [N], [B] et [L].
Il s’ensuit que la SELARL Fides ès qualités manque à établir une direction de fait du Crédit martiniquais par Cofidom par l’intermédiaire du président et de certains administrateurs de la banque et qu’elle doit, dès lors, être déboutée de toutes ses demandes formées à l’encontre de Cofidom.
Sur l’insuffisance d’actif :
La SELARL Fides ès qualités soutient que l’insuffisance d’actif est certaine à hauteur de 237.297.128 euros, après déduction du passif admis de la créance de Cofidom et de l’actif réalisé, qu’il suffit que l’insuffisance d’actif ait été en germe, et non pas avérée, à la date de leur démission pour que la responsabilité des dirigeants soit retenue, que la situation qui a abouti à la cessation des paiements du Crédit martiniquais et fait apparaître une insuffisance d’actif a été créée et aggravée alors que JP Morgan et MMA étaient administrateurs, leur mandat ayant pris fin respectivement le 12 mai 1995 et le 25 mars 1999. Elle fait valoir que, dès 1991, les fonds propres du Crédit martiniquais étaient insuffisants, en particulier au regard des ratios de solvabilité, non respectés au 31 décembre 1992 et artificiellement atteints grâce à un sous-provisionnement des créances, que l’activité était structurellement déficitaire à compter de 1992 et la situation nette, après retraitement, négative à compter de 1994, que l’absence de tout contrôle interne efficace a entretenu une situation financière dont la précarité a généré une insuffisance d’actif.
MMA réplique que l’insuffisance d’actif doit être certaine et exister au jour de sa démission, ce que ne démontre pas le liquidateur judiciaire. Elle fait valoir que l’insuffisance d’actif est incertaine en son montant, la composition et la valeur de l’actif au jour de la liquidation judiciaire non justifiées et l’actif réalisé en liquidation amiable et en liquidation judiciaire inconnu, et que la SELARL Fides ès qualités ne rapporte pas la preuve d’une insuffisance d’actif au jour de sa démission, qui a produit ses effets dès qu’elle a été portée à la connaissance du Crédit martiniquais, par lettre du 1er décembre 1994.
JP Morgan soutient que la SELARL Fides ès qualités ne rapporte pas la preuve d’une insuffisance d’actif au jour de la désignation d’un administrateur provisoire, le 20 mai 1997, qui l’a dessaisi de ses pouvoirs d’administrateur avant sa démission formelle intervenue le 25 mars 1999, d’une part, et que la SELARL Fides ès qualités est défaillante à déterminer le montant de l’insuffisance d’actif, d’autre part. Elle fait observer qu’elle n’a pas pris part à la gestion extinctive du Crédit martiniquais qui est, selon elle, la cause de l’intervention du Fonds de garantie, elle-même postérieure à sa démission, qu’il est improbable que l’insuffisance d’actif, constituée de la créance du Fonds de garantie, soit née à la cessation de ses fonctions en mai 1997, que l’insuffisance d’actif résulte de la cession du fonds de commerce à un prix dérisoire les 30 novembre et 1er décembre 2000, que les éléments invoqués par le liquidateur judiciaire tels que la cessation des paiements, l’insuffisance de fonds propres et le sous-provisionnement des créances sont distincts d’une insuffisance d’actif, que le ratio de solvabilité étant positif en 1994, les fonds propres étaient alors nécessairement également positifs. Sur le montant de l’insuffisance d’actif, JP Morgan fait valoir que le liquidateur judiciaire l’a modifié par trois fois dans ses écritures, le ministère public avançant un montant différent, et qu’il passe sous silence l’administration provisoire puis la liquidation amiable, qui ont duré de 1997 à 2015, et l’impact des mesures alors prises sur l’insuffisance d’actif.
Sur ce,
Dans ses dernières écritures, la SELARL Fides ès qualités retient un passif de 237.347.566 euros constitué du passif admis retraité de la créance du compte courant d’associée de Cofidom, cette dernière créance étant contestée par Cofidom en ce qu’elle n’a pas été déclarée par elle mais par la société Financière du forum dans sa déclaration de cessation des paiements. Ce passif retenu par le liquidateur judiciaire, ainsi constitué de la seule créance du Fonds de garantie en principal et intérêts, n’est contesté ni en son principe ni en son montant. Il est au demeurant justifié par l’état des créances qui n’a pas fait l’objet de recours après la publication au BODACC de son dépôt au greffe le 15 octobre 2016. La SELARL Fides ès qualités fait par ailleurs état d’un seul actif réalisé de 50.438 euros. Il en résulte une insuffisance d’actif de 237.297.128 euros.
Ni l’omission de l’actif réalisé par la SELARL Fides ès qualités dans de précédentes écritures ni l’erreur commise par le ministère public dans son avis, qui a considéré que l’actif réalisé était nul, ne sont de nature à remettre en cause le montant de l’insuffisance d’actif.
En revanche, l’actif réalisé à hauteur de 50.438 euros n’est justifié par aucune pièce alors que la déclaration de cessation des paiements effectuée par le liquidateur bancaire de la société Financière du forum faisait état d’un actif total de 51.969,45 euros, tout en mentionnant un actif disponible d’un montant, supérieur, de 53.356,51 euros. Aucune explication ni pièce justificative ne sont fournies quant à ces divergences.
Quel que soit le montant de l’actif réalisé pris en compte et en toutes hypothèses, le montant de la créance du Fonds de garantie rend certaine l’insuffisance d’actif de la société Financière du forum à hauteur de 237.000.000 euros. Cette insuffisance d’actif est nécessairement le résultat de la poursuite de l’exploitation de la société Financière du forum puis de la mise en extinction de son activité et des différentes mesures prises jusqu’à l’ouverture de la liquidation judiciaire.
Il reste que si cette insuffisance d’actif est certaine au jour de l’engagement par le liquidateur judiciaire de son action et au jour où la cour statue, elle doit également être avérée, et non pas ‘en germe’ comme le soutient la SELARL Fides ès qualités, au jour où chacun des dirigeants poursuivis a cessé ses fonctions.
L’insuffisance d’actif doit ainsi être certaine à la date de démission de MMA de son mandat d’administrateur, cette date étant celle de sa lettre de démission et non celle du premier conseil d’administration qui en a pris acte, soit le 1er décembre 1994. Quant à JP Morgan, dès lors qu’en raison de la désignation d’un administrateur provisoire, le 20 mai 1997, le conseil d’administration en place n’avait plus de pouvoir décisionnel, il convient de se situer à cette dernière date.
Cette insuffisance d’actif doit être appréciée à l’aune des capitaux propres du Crédit martiniquais.
Aux 31 décembre 1994 et 1995 les capitaux propres étaient positifs et d’un montant, respectivement, de 238.535.524 francs et de 239.951.589 francs. Il s’ensuit qu’aucune insuffisance d’actif n’est caractérisée au jour où MMA a démissionné de son mandat d’administrateur le 1er décembre 1994 et que la SELARL Fides ès qualités doit être déboutée de toutes ses demandes à l’encontre de MMA.
Au 31 décembre 1996, les capitaux propres sont devenus négatifs à – 569.728.148 francs, compte tenu d’une perte comptable de plus de 809 millions de francs et, après désignation de l’administrateur provisoire, ils étaient toujours négatifs au 31 décembre 1997 à – 728.624.597 francs.
Il ressort de ces données qu’à compter de l’exercice clos le 31 décembre 1996, les capitaux propres du Crédit martiniquais n’ont cessé d’être négatifs. L’insuffisance d’actif est ainsi avérée au jour de la désignation d’un administrateur provisoire, considéré comme le terme du mandat social de JP Morgan. Il s’ensuit qu’il y a lieu d’examiner si les fautes de gestion reprochées à JP Morgan sont caractérisées et si elles ont contribué à cette insuffisance d’actif.
Sur les fautes de gestion reprochées à JP Morgan :
La SELARL Fides ès qualités soutient qu’une obligation de vigilance renforcée pesait sur JP Morgan eu égard à l’activité bancaire exploitée par le Crédit martiniquais et à la réglementation spécifique et rigoureuse s’y appliquant, au fait qu’elle était l’un des deux seuls administrateurs extérieurs à Cofidom, et à son expertise lui permettant d’appréhender les éléments portés à sa connaissance. Le liquidateur reproche à JP Morgan, en premier lieu, une passivité fautive dans l’exercice de son mandat et des carences dans sa participation personnelle aux réunions du conseil d’administration et ce, malgré l’importance des points examiné, en deuxième lieu l’absence d’action utile au regard des contrôles, communications et recommandations de la Commission bancaire, et en troisième lieu une défaillance dans le contrôle interne. Elle estime que la simple négligence, dont se prévaut JP Morgan, est exclue compte tenu de la gravité particulière de son défaut de vigilance.
JP Morgan réplique que la SELARL Fides ès qualités ne démontre pas l’existence d’une faute de gestion susceptible d’engager sa responsabilité. Elle soutient que les faits allégués relèvent de la simple négligence, exonératoire de responsabilité, et qu’elle a fait preuve de bonne foi tout au long de son mandat en oeuvrant dans les intérêts du Crédit martiniquais. Elle conteste être tenue à une obligation de vigilance renforcée. Elle fait valoir que le conseil d’administration n’a pas manqué à ses obligations légales, telles que définies par la loi du 24 juillet 1966 s’agissant les pouvoirs du conseil d’administration et par le règlement n° 90-08 du 25 juillet 1990 sur le contrôle interne, qu’elle-même a toujours été attentive aux difficultés du Crédit martiniquais en ayant été présente ou dûment représentée à la quasi totalité des réunions du conseil d’administration où les comptes annuels ont été arrêtés et les comptes prévisionnels présentés, en ayant été présente également en qualité de censeur, en ayant discuté et pris en compte les préconisations de la Commission bancaire, en ayant racheté un portefeuille de créances permettant d’améliorer le ratio de solvabilité, en ayant été attentive au renforcement des fonds propres et aux provisions, en s’étant préoccupée de l’absence de procédures d’audit et d’approbation de crédits satisfaisantes, des activités immobilières de l’agence parisienne.
Sur ce,
Tout administrateur est tenu d’exercer un contrôle sur la gestion de la société avec diligence mais ni l’activité de la société ni les qualités prêtées à un administrateur n’impliquent des obligations particulières à sa charge. Il s’ensuit que JP Morgan n’était pas tenue d’une obligation de vigilance renforcée au sein du conseil d’administration du Crédit martiniquais comme le soutient le liquidateur.
Ensuite, commet une faute individuelle chacun des membres du conseil d’administration ou du directoire d’une société anonyme qui, par son action ou son abstention, participe à la prise d’une décision fautive de cet organe, sauf à démontrer qu’il s’est comporté en administrateur prudent et diligent, notamment en s’opposant à cette décision. Il en résulte que la selarl Fides ès qualités doit démontrer l’existence d’une décision fautive du conseil d’administration du Crédit martiniquais à laquelle JP Morgan a participé, en l’occurrence par son abstention.
L’appréciation de l’action du conseil d’administration et celle de JP Morgan en particulier doivent par ailleurs être appréciée au regard des textes alors en vigueur. En l’espèce, l’article 98 de la loi du 24 juillet 1966, alors applicable à la période considérée, codifié à l’article L. 225-35 du code de commerce par ordonnance du 18 septembre 2000, disposait que ‘le conseil d’administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société ; il les exerce dans la limite de l’objet social et sous réserve de ceux expressément attribués par la loi aux assemblées d’actionnaires.’ Les dispositions, ajoutées par la loi NRE du 15 mai 2001 quant aux contrôles et vérifications opérés par le conseil d’administration, ne peuvent être invoquées à l’encontre de JP Morgan.
La selarl Fides ès qualités reproche en premier lieu à JP Morgan ‘une passivité fautive’ en relevant, dans un tableau, son absence ou sa représentation par un autre administrateur aux 52 réunions du conseil d’administration tenues entre le 9 mars 1987 et le 9 septembre 1998, en renvoyant ensuite à la synthèse des procès-verbaux des conseils d’administration établie par le ministère public pour en déduire le caractère important des informations dont JP Morgan aurait dû prendre connaissance et une insuffisance des décisions prises lors des réunions du conseil d’administration auxquelles il s’est abstenu de participer, sans reprendre l’énoncé de ces informations et décisions, enfin en indiquant précisément le contenu de certaines réunions du conseil d’administration tenues entre le 13 mars 1990 et le 5 août 1994.
Or, le recensement des 52 réunions du conseil d’administration ne caractérise pas une faute de JP Morgan à défaut pour le liquidateur d’énoncer précisément la ou les décisions prises par le conseil d’administration du Crédit martiniquais lors de ces mêmes réunions qu’il considère comme fautives. En outre, JP Morgan a pu valablement se faire représenter par un autre administrateur, et ce quand bien même ce dernier était également administrateur de la société Cofidom ou bénéficiaire de crédits consentis par le Crédit martiniquais, et le recours à un mandat donné à un autre administrateur ne saurait caractériser une carence ou un désintérêt de JP Morgan dans l’exercice de son mandat social. JP Morgan relève également à juste titre avoir siégé à plusieurs reprises au conseil d’administration en qualité de censeur et ce, alors même que son représentant permanent était absent de la réunion ou représenté par le président ou un autre administrateur (réunions des 9 avril 1987, 28 mars 1988, 7 décembre 1989, 13 mars et 3 décembre 1990, 22 mars et 3 décembre 1991, 23 mars et 10 juillet 1992, 22 avril et 14 décembre 1994, 20 décembre 1995), marquant ainsi son intérêt pour le devenir du Crédit martiniquais.
S’agissant des réunions du conseil d’administration plus précisément décrites dans les écritures de la selarl Fides ès qualités, tenues entre le 13 mars 1990 et le 5 août 1994, celle-ci n’explique pas en quoi ont été fautifs, en particulier au regard des pouvoirs alors limités du conseil d’administration, l’arrêté des comptes annuels des exercices 1989 et 1992, les informations portées à la connaissance des administrateurs concernant les difficultés liées à l’insuffisance de fonds propres au regard du ratio de solvabilité, la vaine recherche d’un nouveau partenaire, les lettres de la Commission bancaire des 15 juin et 5 octobre 1992 et les poursuites qu’elle a engagées, les mauvais résultats de l’exercice 1992, l’organisation d’un comité de crédit, la mise en place d’un contrôle interne et la présentation des résultats du premier semestre 1994. Le liquidateur n’explique pas non plus en quoi ont été fautifs la nomination d’un directeur général le 7 décembre 1992, à la demande de la Commission bancaire, la décision prise le 31 décembre 1993 de procéder à une augmentation de fonds propres, à défaut de nouveau partenaire, la nomination des membres du comité de crédit dit restreint et la nomination des membres du comité de contrôle interne, le fait que les membres de ces comités ainsi désignés soient administrateurs du Crédit martiniquais n’étant pas en soi préjudiciable à la banque. Il est d’autant moins établi que l’action du conseil d’administration pendant cette période ait été fautive que la Commission bancaire a clôturé la procédure disciplinaire, engagée à la suite de l’inspection diligentée le 17 mai 1991, le 10 mars 1995 en renonçant à toute sanction au regard du respect du ratio de solvabilité au 31 décembre 2013, alors porté réglementairement à 8 %, et aux 30 juin et 30 novembre 1994, ce dont il se déduit que les mesures avaient été prises pour mettre fin à une insuffisance de fonds propres au regard du ratio de solvabilité sans qu’elles aient été considérées comme insuffisantes ou ‘non pérennes’ comme la selarl Fides ès qualités les qualifie.
S’agissant des quatre réunions postérieures au 5 août 1994 et antérieures au 20 mai 1997, date à laquelle le conseil d’administration en place n’avait plus de pouvoir décisionnel – réunions analysées dans la pièce communiquée par le ministère public à laquelle le liquidateur se borne à renvoyer – il n’est pas davantage établi que l’action du conseil d’administration ait été fautive au regard de ses pouvoirs dès lors que, le 9 septembre 1994, il a décidé des modalités d’une nouvelle émission d’obligations, précédemment autorisée par l’assemblée générale, que le 14 décembre 1994 lui ont été présentés les résultats de l’exercice, en amélioration, et qu’il a reconduit les membres du comité de crédit et du comité de contrôle interne, que ces résultats et décisions n’ont été suivis, comme il vient d’être dit, de la décision de la Commission bancaire de clôturer la procédure disciplinaire sans sanction, que le 12 mai 1995 le conseil d’administration a arrêté les comptes annuels de l’exercice 1994 et que le 21 août 1996 il a été informé des résultats du premier semestre et d’une nouvelle inspection de la Commission bancaire.
Ensuite, la selarl Fides ès qualités reproche à JP Morgan l’absence d’action utile au regard des contrôles, communications et recommandations de la Commission bancaire en invoquant les constats de la Commission bancaire lors de l’inspection de 1991. Mais la décision de la Commission bancaire de clôturer sans sanction la première procédure disciplinaire, au vu du respect par le Crédit martiniquais du ratio de solvabilité aux 31 décembre 1993 et 30 juin et 30 novembre 1994, montre que toute mesure utile avait bien été prise et l’échec du Crédit martiniquais à s’adosser à un autre partenaire financier permettant un renforcement de ses fonds propres ne saurait être imputé à faute à un administrateur. Par ailleurs, les décisions individuelles d’octroi de crédits prises par la banque, critiquées par le liquidateur, ne relevaient pas du contrôle du conseil d’administration. Enfin, s’agissant de l’insuffisance de provisions, il ressort du procès-verbal du conseil d’administration du 10 juillet 1992 que les préconisations de la Commission bancaire ont été suivies d’effet, le taux de provisionnement a ensuite progressé entre 1993 et 1995 et la question du niveau des provisions est régulièrement abordée en conseil d’administration. Les provisions complémentaires enregistrées ultérieurement dans les comptes de l’exercice 1996, élaborés par l’administrateur provisoire et arrêtés fin 1997, ne démontrent pas que celles comptabilisées antérieurement étaient insuffisantes alors que l’environnement économique, en particulier dans le secteur immobilier auquel le Crédit martiniquais était très exposé, s’était fortement dégradé entre-temps et que ces provisions complémentaires ont reposé sur une appréciation des risques à fin 1997.
La lecture des procès-verbaux des réunions du conseil d’administration ne révèle pas un désintérêt des administrateurs pour les affaires de la banque, le respect du ratio de solvabilité, le renforcement de ses fonds propres et la pérennité de son activité puisqu’au contraire il y est question des mesures à prendre et effectivement prises en réponse aux constats et préconisations de la Commission bancaire, telles que les opérations destinées à augmenter les fonds propres et à respecter le ratio de solvabilité, le reclassement des créances douteuses, les provisions complémentaires préconisées par la Commission bancaire et la mise en place d’un dispositif de contrôle interne, toutes mesures qui ont conduit la Commission bancaire à clôturer sans sanction, le 10 mars 1995, la procédure disciplinaire ouverte à l’issue de la première inspection. S’agissant plus particulièrement de JP Morgan, des notes internes des 26 mai et 25 juin 1987, 17 février 1988, 10 mai 1989, 2 avril 1991, 29 janvier 1992 montrent que cet administrateur se tenait informé de la situation du Crédit martiniquais, en avait une connaissance suffisante pour analyser ses faiblesses structurelles, dont celles relatives à la nécessité de renforcer les fonds propres, et participer à la recherche d’un actionnaire de référence, et se préoccupait des procédures internes, notamment en matière de contrôle des risques, ou du développement d’une activité ‘bancaire non traditionnelle’ à [Localité 11], laquelle sera en effet mise en place puis interrompue en 1994 compte tenu des pertes subies. En outre, à la fin de l’exercice 1993 JP Morgan a racheté au Crédit martiniquais des créances pour un montant total de 140.383.722 francs, contribuant ainsi au respect du ratio de solvabilité de la banque au 31 décembre 1993, puis, à la fin de l’année 1995, JP Morgan a participé aux décisions prises relatives notamment à la déconsolidation des créances douteuses.
Au regard de ces éléments, la selarl Fides ès qualités manque à démontrer une quelconque carence ou abstention de JP Morgan dans l’exercice de son mandat social.
Le liquidateur reproche enfin à JP Morgan une défaillance dans le contrôle interne du Crédit martiniquais caractérisant une violation de la réglementation, le conseil d’administration n’ayant pas ou insuffisamment exercé son contrôle en la matière.
Le règlement n° 90-08 du 25 juillet 1990, applicable aux faits de l’espèce, est entré en vigueur le 1er janvier 1991 . Aux termes de son article 3, l’organe délibérant, à savoir le conseil d’administration, procède au moins une fois par an à l’examen de l’activité et des résultats du contrôle interne sur la base des informations qui lui sont transmises à cet effet par l’organe exécutif. Ce règlement ne définit précisément ni l’organisation du système de contrôle interne à mettre en place ni les formes et contenu du rapport d’activité et de résultats soumis à l’examen du conseil d’administration.
La fonction de contrôle interne a été mise en place au sein du Crédit martiniquais en janvier 1993 à la suite de la demande de la Commission bancaire de mise en conformité de la banque avec le règlement n° 90-08 figurant dans sa lettre du 15 juin 1992 et après audit complet de l’organisation de l’établissement par KPMG (conseil d’administration du 10 juillet 1992). Le rapport d’activité de contrôle interne a ensuite été présenté au conseil d’administration les 22 avril 1994, 12 mai 1995 et 2 mai 1996 au titre des exercices 1993, 1994 et 1995.
Si le système de contrôle interne, au sens du règlement n° 90-08, a été mis en place avec retard au regard de l’entrée en vigueur de ce règlement et en réaction à une lettre de la Commission bancaire, le Crédit martiniquais a, contrairement aux dires du liquidateur, réagi aux insuffisances constatées par la Commission bancaire et son conseil d’administration a régulièrement examiné l’activité du contrôle interne sur la base des informations transmises par la direction générale et M. [H], le caractère succinct de cet examen relaté par les procès-verbaux du conseil d’administration ne permettant pas d’en établir son insuffisance, de tels procès-verbaux n’ayant pas vocation à recueillir l’exhaustivité des échanges. Le conseil d’administration s’est ainsi conformé à la mission qui lui était dévolue par le règlement n° 90-08 en matière de contrôle interne.
En outre, si la Commission bancaire a, dans son rapport du 24 octobre 1996, pointé des défaillances dans le système de contrôle interne du Crédit martiniquais, elle a, en premier lieu, souligné la responsabilité de la direction générale et du président du conseil d’administration dans ces carences découlant, non de l’absence de mise en place d’un contrôle interne de qualité (la Commission bancaire a ainsi relevé ‘la pertinence de ses diagnostics qui recoupent sur bien des points ceux de l’Inspection’), mais de son positionnement au sein de la banque – caractérisé par une absence d’autonomie à l’égard de la direction générale et la définition de son périmètre d’action par cette même direction – et du défaut de prise en compte de ses mises en garde résultant lui-même notamment du fait que la direction générale était à l’origine de certains des dysfonctionnements constatés. La Commission bancaire a, en second lieu, estimé inopérants les contrôles externes du conseil d’administration qui, selon elle, n’a pas été à même d’exercer son rôle de surveillance ‘compte tenu de l’intérêt particulier’ des administrateurs, à la fois actionnaires et clients de la banque et ainsi dépourvus de toute l’indépendance souhaitable pour l’exercice d’une supervision au mieux des intérêts du Crédit martiniquais. La Commission bancaire a, sur ce point, remarqué que le conseil d’administration n’était pas officiellement saisi de toutes les opérations dérogeant aux conditions normales de la banque et qui intéressaient les administrateurs ou certains groupes actionnaires.
Il résulte de ces constats qu’au regard de l’article 3 du règlement n°90-08 limitant les pouvoirs du conseil d’administration en matière de contrôle interne, ne peut être imputé à JP Morgan, qui n’était pas l’un de ces administrateurs manifestement touchés par des conflits d’intérêts dans l’exercice de leur mandat social, un quelconque manquement à ses obligations relatives au contrôle interne du Crédit martiniquais.
Quant à l’absence d’avis du comité d’audit préalablement à l’arrêté des comptes annuels par le conseil d’administration, elle ne peut ni revêtir de caractère fautif ni être imputée à faute à JP Morgan, administrateur, alors qu’un tel avis n’est pas obligatoire, que le conseil d’administration délibère au vu des informations alors soumises à son appréciation par l’organe exécutif, que le conseil d’administration du Crédit martiniquais disposait de l’avis du commissaire aux comptes, qu’ultérieurement la régularité d’aucun des comptes annuels de la banque n’a été remise en cause et qu’il a été dit précédemment que les provisions complémentaires enregistrées dans les comptes de l’exercice 1996, au vu d’une appréciation des risques à fin 1997, ne démontraient pas que celles comptabilisées antérieurement avaient été insuffisantes compte tenu de la dégradation de l’environnement économique auquel le Crédit martiniquais avait été très exposé entre-temps.
Il s’ensuit qu’aucun manquement n’est démontré à l’encontre de JP Morgan dans l’exercice de son mandat social et que la SELARL Fides ès qualités doit être déboutée de toutes ses demandes à son égard.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant contradictoirement,
Confirme le jugement en ce qu’il a débouté MMA et Cofidom de leur demande d’irrecevabilité pour prescription ;
L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau par l’effet dévolutif de l’appel et y ajoutant,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée soulevée par MMA, Cofidom et JP Morgan ;
Déboute la SELARL Fides ès qualités de toutes ses demandes formées à l’égard de Cofidom ;
Déboute la SELARL Fides ès qualités de toutes ses demandes formées à l’égard de MMA ;
Déboute la SELARL Fides ès qualités de toutes ses demandes formées à l’égard de JP Morgan ;
Déboute la SELARL Fides ès qualités de ses demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SELARL Fides ès qualités à payer, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 10.000 euros à Cofidom, la somme de 10.000 euros à MMA et la somme de 10.000 euros à JP Morgan ;
Condamne la SELARL Fides ès qualités aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La Présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT