Directeur de production en CDD d’usage : risque maximal
Directeur de production en CDD d’usage : risque maximal
Ce point juridique est utile ?

Dans le cadre de son activité de production, une société emploie nécessairement des salariés occupant les fonctions de directeurs de production. La nature même de l’activité de la société conduit à considérer que cet emploi tenu par un salarié ne peut revêtir un caractère temporaire.

Effets de la requalification en CDI

La requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail. Réciproquement, la requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat.

Selon l’article L. 3123-14 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, le contrat écrit du salarié à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

Absence d’écrit mentionnant la durée du travail

Il en résulte que l’absence d’écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l’emploi est à temps complet et il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d’une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur.

Faute pour l’employeur de justifier de la signature des contrats au plus tard le premier jour d’embauche du mois, et donc de l’accord des parties non seulement sur la durée de travail mais également sur la répartition de cette durée sur les jours du mois, le salarié est bien fondé à invoquer de ces chefs la présomption de temps complet.

L’employeur peut écarter cette présomption s’il rapporte la preuve, pour les périodes travaillées, d’une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue et, d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à disposition de l’employeur (preuve rapportée en l’espèce).

A la disposition non constante de l’employeur

Il résulte des éléments présentés que dans la mesure où la salariée, directrice de production avait la responsabilité de mener à bien la réalisation de documentaires, pour lesquels elle disposait de délais de plusieurs mois, lui permettant, contrairement à l’élaboration d’émissions de flux, d’organiser et de prévoir à l’avance le travail de l’équipe et le sien, qu’elle établissait pour ce faire des plannings, partagés, sur lesquels elle mentionnait le programme de travail de chacun des collaborateurs, la salarié étant en outre chargée d’adresser à l’employeur, en fin de chaque période mensuelle, le récapitulatif des salaires du mois écoulé à payer, document sur la base duquel le service comptable établissait les payes, il en ressort que la durée de travail était bien convenue entre les parties et que la salariée n’était pas à la disposition constante de l’employeur. 

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

21e chambre

ARRET DU 05 AOUT 2021

N° RG 18/02000 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SKQU

AFFAIRE :

U V W X

C/

SAS A PRODUCTION

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Mars 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F 17/01200

LE CINQ AOUT DEUX MILLE VINGT ET UN, après prorogation du UN JUILLET DEUX MILLE VINGT ET UN, les parties en ayant été avisées.

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame U V W X

de nationalité Portugaise

63 rue M Brun

[…]

Représentant : Me Sylvain ROUMIER de la SELEURL CABINET ROUMIER, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2081

APPELANTE

****************

SAS A PRODUCTION

N° SIRET : 480 915 032

[…]

[…]

Représentant : Me Marie-laure ABELLA, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 443

Représentant : Me Jean-marie GUILLOUX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0818

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 04 Mai 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Valérie AMAND, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,

FAITS ET PROCÉDURE

Selon contrats de travail à durée déterminée d’usage, conclus de l’été 2005 au mois de décembre 2008, Mme X a été engagée en qualité de ‘directrice de production’ par la société A,

qui développe une activité de production de films et de programmes audiovisuels.

Au cours de l’année 2009, Mme X a travaillé pour le compte de la société Pyla Production.

La salariée affirmant avoir continué sur cette période à collaborer avec la société A sur des

projets communs dans le cadre d’un(e) co-emploi/mise à disposition.

Mme X a de nouveau été engagée par la société A Production à compter du mois de

mai 2010, toujours suivant contrats à durée déterminée d’usage afin d’exercer les mêmes fonctions de directrice de production.

Le 20 septembre 2017, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt,

aux fins d’entendre prononcer la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée depuis le 1er juillet 2005, la requalification de la durée de travail en temps plein, la condamnation de l’employeur au paiement de rappel de salaire et d’indemnité de requalification et la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société A.

Convoquée le 6 novembre 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 14

novembre 2017, convocation assortie d’une mise à pied conservatoire, Mme X a été

licenciée par lettre en date du 22 novembre 2017 énonçant la rupture du contrat de travail à durée déterminée pour faute grave.

Par jugement du 29 mars 2018, le conseil de prud’hommes a statué dans les termes suivants :

– dit que la collaboration de Mme X avec la société A Production est requalifiée en contrat à durée indéterminée ;

– fixe le montant du salaire mensuel brut de Mme X à la somme de 4 419 euros ;

– juge que le licenciement de Mme X est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– condamne la société A Production à verser à Mme X les sommes suivantes :

‘ 4 500 euros à titre d’indemnité de requalification ;

‘ 13 257 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 325,70 euros au titre des congés payés afférents ;

‘ 11 748 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

‘ 27 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

‘ 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonne à la société A Production de remettre à Mme X le bulletin de paie correspondant aux sommes dues et de régulariser le versement des cotisations sociales ;

– déboute Mme X du surplus de ses demandes ;

– dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire du présent jugement au delà des

dispositions de l’article R 1454-28 du code du travail.

Mme X et la société A Production ont respectivement relevé appel de ce jugement par déclarations électroniques en date des 19 avril et 3 mai 2018.

Par ordonnance en date du 11 avril 2019, le conseiller de la mise en état a joint dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice les instances inscrites au répertoire général sous les n°RG 18/02159 et N° Portalis DBV3-V-B7C-SLLH et 18/2000 et dit qu’elles seront suivies sous le n°18/2000.

Par arrêt du 28 janvier 2021, la présente cour a ordonné le rabat de la clôture et la réouverture des débats, fixé la clôture au 24 mars 2021 et dit que l’affaire sera rappelée à l’audience du mardi 4 mai 2021 à 14 heures, réservant tous chefs de demandes et les dépens.

La clôture, qui devait intervenir initialement le 24 mars 2021, a été successivement reportée au 14 avril, puis au jour de l’audience de plaidoiries, le 4 mai 2021.

‘ Par conclusions n°4 (mentionnées au RPVA n°5), remises au greffe le 29 avril 2021, Mme

X demande à la Cour, de débouter la société A de l’ensemble de ses demandes, fins

et prétentions, de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a, d’une part, dit que la collaboration avec la société A Production est requalifiée en contrat à durée indéterminée, d’autre part, condamné la société A Production à lui payer une indemnité de requalification, une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, une indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sans préjudice des montants octroyés, ordonné à la société A Production de lui remettre un bulletin de paie conforme au jugement et de régulariser les cotisations sociales, débouté la société A Production de ses demandes reconventionnelles et, enfin, condamné la société A Production aux entiers dépens, mais de l’infirmer sur l’ensemble des autres dispositions et de :

— juger que la société A Production ne satisfait pas aux obligations formelles légales de

recours au CDD, n’ayant ni fourni l’ensemble des contrats, ni ne les ayant datés, ni n’ayant justifié d’une précarité objective au sein de chacun des contrats, ni respecté les mentions impératives devant figurer aux contrats à durée déterminée selon la convention collective nationale de la production audiovisuelle et qu’elle occupe un emploi normal et permanent dans l’entreprise ; en conséquence,

— requalifier la collaboration en CDI depuis le 1er jour travaillé soit depuis le 1er juillet 2005 au sein de la société A Production en qualité de « Directrice de Production», à titre principal pour un salaire brut mensuel de 7 586,88 euros, à titre subsidiaire pour un salaire brut mensuel de 6 300 euros ;

— condamner la société A Production à lui payer au titre de l’indemnité de requalification des

CDD illicites en CDI, une somme de 109 251,07 euros (soit 12/10e de mois par année

d’ancienneté) sur le fondement de l’article L. 1245-2 du Code du travail ;

— juger que le contrat de travail est un contrat à temps plein ;

— condamner à titre principal la société A Production à lui payer la somme de 124 027,68

euros au titre de rappels de salaire à temps plein sur 3 ans sur la base du minimum conventionnel des CDD pour 8 h de travail par jour équivalent temps plein, et, à titre subsidiaire, condamner la société A Production à lui payer la somme de 85 840 euros et congés payés à titre de rappels de salaire à temps plein sur 3 ans sur la base du salaire perçu ;

— à titre principal, juger que compte tenu des manquements réitérés de la société A

Production à ses obligations, au contrat de travail, à la convention collective et au code du travail (maintien dans la précarité pendant 12 ans, violation des dispositions pénales relatives aux CDD, harcèlement moral subi) le contrat de travail requalifié depuis le 1er juillet 2005 est rompu aux torts et griefs de l’employeur à la date de l’audience ;

— juger subsidiairement que le licenciement intervenu le 22 novembre 2017 est nul, en ce qu’il a pour cause la saisine par la salariée du Conseil de prud’hommes ;

— A titre infiniment subsidiaire, juger le licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause et en conséquence :

— débouter la société A Production de l’ensemble de ses demandes ;

— condamner la société A Production à payer les sommes suivantes :

• Indemnité de préavis (3 mois) : 7 586,88 euros x 3 mois : 22 760,64 euros,

• Indemnité de congés payés sur préavis (1/10 ème ) : 2 276,06 euros,

• Indemnité conventionnelle de licenciement : 20 231,68 euros (12 ans d’ancienneté),

• dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation du préjudice de la perte injustifiée de son emploi, en application de l’article L.1235-3 du code du travail (16 mois) : 121 390,08 euros,

• 722,26 euros à titre de rappels de salaire pour le mois de novembre 2017, ainsi que 72,26 euros de congés payés afférents,

• Indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, à savoir 45 521,28 euros correspondant à 6 mois de salaire, sur le fondement de l’article L. 8223-1 du code du travail,

• 91 042,56 euros (12 mois) de dommages et intérêts sur le fondement de la déloyauté contractuelle (L.1222-1 du code du travail et 1103 et 1104 du code civil),

— juger qu’elle a subi un grave préjudice de retraite du fait de son statut précaire ;

— condamner la société A Production à lui verser la somme de 37 208,30 euros à titre de préjudice de cotisation retraite et d’indemnisation retraite sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;

— condamner la société A Production à lui délivrer des bulletins de salaire conformes et ce

sous astreinte de 200 euros par document et par jour de retard ;

— condamner la société A Production à régulariser sa situation au titre du préavis auprès des

organismes sociaux (URSSAF, caisse d’assurance vieillesse, caisse de retraite complémentaire) sous astreinte et lui fournir le justificatif de cette régularisation dans le mois qui suit la notification du jugement à intervenir le tout sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par document ;

— dire que la cour se réserve la liquidation des astreintes ;

— condamner la société A Production à lui verser une somme de 6 000 euros au titre de

l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens et aux éventuels frais

d’exécution.

‘ Aux termes de ses dernières conclusions n°5, notifiées le 27 avril 2021, la société A

Production demande à la cour de :

A titre liminaire, confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a écarté des débats pour défaut de force probante la pièce n°34.2 communiquée par Mme X,

à titre principal,

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la salariée du surplus de ses demandes, et notamment dire que Mme X ne démontre pas s’être maintenue à disposition permanente de la société en vue d’effectuer un travail et qu’elle est mal fondée à demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail ;

Mais, infirmer le jugement en ce qu’il a :

fixé le montant du salaire mensuel brut de Mme X à la somme de 4 419 euros,

jugé que le licenciement de Mme X est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

condamné la société à lui verser les sommes de :

• 4 500 euros à titre d’indemnité de requalification ;

• 13 257 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

• 1 325,70 euros au titre des congés payés afférents ;

• 11 748 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

• 27 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

• 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

ordonné à la société de remettre à Mme X le bulletin de paie correspondant aux sommes dues et de régulariser le versement des cotisations sociales, débouté la société de ses demandes reconventionnelles, et condamné la société aux entiers dépens ;

statuant à nouveau :

— constater la mauvaise foi et la déloyauté de Mme X dans l’exécution de son contrat de

travail ;

— dire que la rupture du CDD d’usage pour faute grave est justifiée au regard de la déclaration infidèle de temps de travail formée par Mme X ;

— fixer le montant du salaire mensuel brut de Mme X à la somme de 3 675 euros ;

En conséquence :

— limiter le montant de l’indemnité de requalification à la somme de 3 675 euros ;

— ordonner le remboursement par Mme X de la somme de 2 929,21 euros au titre du trop

perçu du salaire du mois d’octobre 2017,

— débouter Mme X de l’ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour jugerait la rupture du contrat de travail de Mme X abusive, fixer :

— l’ancienneté à la date du 3 mai 2010 et le montant du salaire mensuel brut de Mme X à la

somme de 3 675 euros,

— les dommages et intérêts qui seront alloués à la somme de 22 050 euros, correspondant à six mois de salaire, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail dans sa version antérieure à la réforme du 27 septembre 2017,

— l’indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 5 145 euros,

— l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 7 350 euros,

— l’indemnité de congés payés afférents à la somme de 735 euros,

— débouter Mme X du surplus de ses demandes ;

Si la cour d’appel déboutait Mme X de ses demandes, la condamner à lui verser la somme de

3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures et observations susvisées.

MOTIFS

I – Sur la requalification des contrats de travail à durée déterminée d’usage en contrat de

travail à durée indéterminée :

La société A Production ne conteste pas la décision de requalification de la relation de travail

en contrat de travail à durée indéterminée adoptée par le conseil de prud’hommes, qui a notamment retenu que ‘dans le cadre de son activité de production, la société emploie nécessairement des salariés occupant les fonctions de directeurs de production […] que la nature même de l’activité de la société A Production conduit à considérer que l’emploi tenu par Mme X ne peut revêtir un caractère temporaire’. Le jugement sera en tant que de besoin confirmé de ce chef.

Elle critique en revanche le point de départ de cette requalification retenu par le conseil,

conformément à la réclamation de la salariée, au 1er juillet 2005.

L’employeur fait valoir à ce titre que la relation a été interrompue de décembre 2008 au 3 mai 2010, période au cours de laquelle l’intéressée a travaillé pour une autre société de production, ‘Pyla productions’, en sorte que la requalification ne peut prendre effet qu’à compter du 3 mai 2010.

Mme X sollicite la confirmation de la décision entreprise sur ce point et objecte qu’elle a

travaillé en réalité sur cette période ‘tout aussi bien pour la société Pyla que pour la société

A à la réalisation de projets communs (co-emploi/mise à disposition)’ et qu’elle a ‘constitué

le dossier CNC pour le compte de A’.

Il ressort du relevé de carrières (pièce n° 18), que Mme X verse aux débats, qu’elle a été

rémunérée en 2009 par la société Pyla production et en 2010 par une société O’Bahamas, ainsi que la société A production avec qui il est constant qu’elle a conclu de nouveau des CDD d’usage à compter du 3 mai 2010.

Les éléments communiqués par Mme X, à savoir l’existence d’une co-production des

sociétés Pyla et A sur une série documentaire musicale, le contrat de travail conclu entre les

sociétés Pyla production et A production, présentées comme ‘producteur’ et M. Y, réalisateur de cette série documentaire, quelques mails échangés par Mme X et des

collaborateurs de la société A au cours de la période litigieuse sans qu’aucune instruction ne

ressorte des messages de ces derniers, et l’attestation imprécise de Mme Z affirmant que

Mme X aurait collaboré avec la société Pyla ‘à la demande de la présidente de la société

A’, ne permettent pas de caractériser l’existence d’un co-emploi ni davantage d’une mise à

disposition et d’un quelconque lien de subordination entre Mme X et la société A de

janvier 2009 au début du mois de mai 2010.

La relation de travail initiée en juillet 2005 ayant été ainsi interrompue pendant plus de seize mois, le point de départ de la relation de travail continue requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée sera fixé au 3 mai 2010. Le jugement sera réformé sur ce point.

Selon l’article L. 1245-2 du code du travail, l’indemnité de requalification ne peut être inférieure à un mois de salaire. Pour déterminer le salaire de référence pour le calcul de l’indemnité de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, il y a lieu de se référer au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction prud’homale.

Mme A ayant saisi le conseil de prud’hommes le 20 septembre 2017, il conviendrait de se

baser sur le salaire de juillet 2017, dernier mois travaillé précédant la saisine du conseil, qui était de 4 200 euros.

Compte tenu de ce montant et de la durée de la relation de travail soumise à la souscription de

contrats de travail à durée déterminée d’usage pour occuper un emploi permanent au sein de

l’entreprise, le montant de cette indemnité sera réévalué à la somme de 10 000 euros. Le jugement sera réformé en ce sens.

II – Sur la requalification de la relation de travail à temps partiel en temps complet et la

demande de rappel de salaire subséquente :

Au soutien de sa demande de requalification de la relation de travail en temps complet, Mme

X invoque au visa des dispositions de l’article L. 3123-14 du code du travail, dans sa

rédaction applicable au litige, la présomption tirée, d’une part, de l’absence de signature de certains contrats de travail portant sur les mois de novembre 2015, janvier, mars et mai 2016, et juillet 2017, et, d’autre part, de la pratique consistant à signer les contrats à l’issue des périodes travaillées, ainsi qu’il ressort des propres écrits de la société au titre des mois d’octobre et novembre 2017.

Elle plaide que la société ne rapporte pas la preuve contraire de cette présomption, à savoir que la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle était convenue et qu’elle n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

La société A Production conteste son obligation à ce titre et soutient que l’ensemble des

contrats de travail qu’elle communique, signés le jour de l’embauche par la salariée, sont parfaitement réguliers en ce qu’ils précisent la répartition de la durée du travail en volume en contrepartie de la rémunération allouée.

Il est de droit que la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail. Réciproquement, la requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat.

Selon l’article L. 3123-14 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, le contrat écrit du salarié à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

Il en résulte que l’absence d’écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l’emploi est à temps complet et il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d’une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur.

Contrairement à ce que soutient l’appelante, l’employeur communique l’ensemble des contrats de travail à durée déterminée d’usage conclus mensuellement au cours de la période du rappel de salaire, à savoir de septembre 2014 à août 2017, exception faite, d’une part, des mois de mars et d’ août 2017 au cours desquels la salariée n’a pas travaillé et qui constituent donc des périodes interstitielles, et, d’autre part, des mois de novembre 2015, janvier, mars, mai 2016, juillet 2017.

Au titre de ces cinq mois, faute pour l’employeur de justifier de la signature des contrats au plus tard le premier jour d’embauche du mois, et donc de l’accord des parties non seulement sur la durée de travail mais également sur la répartition de cette durée sur les jours du mois, Mme X est bien fondée à invoquer de ces chefs la présomption de temps complet.

L’employeur peut écarter cette présomption s’il rapporte la preuve, pour les périodes travaillées, d’une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue et, d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à disposition de l’employeur.

La société A Production ne démontre pas par la production d’un courriel en date du 23

janvier 2017, aux termes duquel la salariée indique à un M. B quelle ‘va établir les contrats dès demain’, qu’en sa qualité de directrice de production, elle éditait les contrats de travail de ses collaborateurs et les siens. En revanche, elle établit que c’est Mme X, ainsi qu’elle le

reconnaît expressément dans ses conclusions qui ‘remplissait tous les mois le document récapitulatif mentionnant le temps de travail de ses collaborateurs et le sien’ ; ce document détaille, salarié par salarié, elle y compris, les noms, emplois, salaire journalier, nombre de jours travaillés et salaire mensuel, permettant au service comptable d’établir les payes (pièces 19, 22 et 23 de l’employeur).

Soulignant que la salariée n’a travaillé, sur la période considérée, que sur la réalisation de

documentaires, et non d’émissions dites de flux, ni de fiction, elle fait valoir, qu’il lui appartenait, dans le cadre de ses fonctions, d’organiser et de planifier le travail de ses équipes et le sien. C’est ainsi que l’employeur communique plusieurs messages de la salariée faisant état de plannings qu’elle élaborait, confortant ce fait (pièces n° 34, 35, 36 & 37-1).

Il convient également de relever que selon les propres écritures de la salariée, elle a proposé et

convenu avec l’employeur, à l’automne 2015, une réduction temporaire de son temps de travail pour quelques mois en attendant que de nouvelles productions en cours de prospects deviennent fermes, l’employeur affirmant sur ce point qu’en réalité la salariée avait décidé, unilatéralement, de réduire son activité, pour des raisons personnelles liées à son installation avec sa famille sur la ville de Marseille.

Il résulte de ces éléments que dans la mesure où la salariée avait la responsabilité de mener à bien la réalisation de documentaires, pour lesquels elle disposait de délais de plusieurs mois, lui permettant, contrairement à l’élaboration d’émissions de flux, d’organiser et de prévoir à l’avance le travail de l’équipe et le sien, qu’elle établissait pour ce faire des plannings, partagés, sur lesquels elle mentionnait le programme de travail de chacun des collaborateurs, Mme X étant en outre chargée d’adresser à l’employeur, en fin de chaque période mensuelle, le récapitulatif des salaires du mois écoulé à payer, document sur la base duquel le service comptable établissait les payes, il en ressort que la durée de travail était bien convenue entre les parties et que la salariée n’était pas à la disposition constante de l’employeur, lequel communique au demeurant un message de la salariée, en date du mois d’août 2017, répondant favorablement à la société Capa à la question de savoir si elle serait intéressée pour travailler sur un projet à mener au dernier trimestre 2017.

Les contrats datés et signés par la salariée au plus tard le premier jour d’embauche du mois, sur la période litigieuse, déterminent précisément les jours ou les semaines de travail et le salaire journalier ou hebdomadaire afférent.

Prenant exemple des mois d’octobre et novembre 2017, pour lesquels il est constant que les contrats n’ont pas été signés au plus tard au jour de l’embauche, au titre desquels l’employeur expose pour tenter de justifier cette situation qu’il présente comme exceptionnelle, que la salariée ne s’est pas présentée au siège de l’entreprise et qu’elle a travaillé exclusivement ces mois-ci depuis son domicile marseillais, Mme X affirme ‘que chaque contrat était établi en fin de mois et donc signé à ce moment là’. Aucun élément ne vient étayer la thèse d’un post-datage sur les contrats signés par la salariée portant sur la période de rappel de salaire.

Par ailleurs, et de manière générale, la salariée ne démontre pas qu’elle se tenait en permanence à la disposition de la société A. Les attestations communiquées par la salariée sur l’importance de son activité professionnelle, rédigées par Mme C, Mme D, M. E, Mme F,

Mme G, sont inopérantes en ce qu’elles visent des périodes non concernées par le rappel de

salaire, ou s’avèrent imprécises sur les périodes considérées. Les témoignages communiqués pour la première fois par Mme X en avril 2021, émanant pour certains de personnes étrangères à l’entreprise (M. H), ou ayant côtoyé professionnellement la salariée sur une autre période que celle concernée par la demande de rappel de salaire (Mme I, Mme J) ou sur une

période qui n’est pas déterminée par le témoin (Mme K, Mme L), plusieurs d’entre eux

évoquant des formats (émission de flux, fiction) distincts de celui sur lequel intervenait la salariée, ne sont pas probants.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée à temps partiel en temps plein et de la demande de rappel de salaire subséquente.

III – Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :

Conformément aux dispositions de l’article L. 1231-1 du code du travail, le salarié peut demander la  résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d’inexécution par l’employeur de ses obligations contractuelles. Il lui appartient alors de rapporter la preuve des faits qu’il allègue.

Si les manquements invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail sont établis et d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de ce contrat, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l’employeur et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date

Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant de travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée et dans le cas contraire, il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, Mme X invoque

outre son maintien abusif dans une situation de précarité pendant douze ans, la violation par

l’employeur de dispositions pénales régissant les contrats de travail à durée déterminée et un

harcèlement moral subi du fait de sa mise à l’écart tant par absence de participation aux réunions où elle était habituellement conviée que par le brusque changement de ton à son égard de Mme M, la salariée visant ses pièces n°5 à 12.

Selon les dispositions de l’article L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, dans leurs versions applicables au litige antérieure et postérieure à la réforme de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; en cas de litige, lorsque le salarié établit des faits, ou présente des éléments de fait, constituant, selon lui, un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La salariée évoque le message que lui a adressé Mme M-T le 1er juin 2017, par lequel la

présidente de la société lui annonçait notamment qu’elle était contrainte de reporter la date de leur entretien afin de pouvoir répondre à un rendez-vous fixé par la société France Télévision, que Mme X qualifie de ‘totalement froid, impersonnel et mensonger’. Il sera simplement relevé que l’intéressée, à réception de ce message, lui répondait dans les termes suivants : « Je comprends, ne t’inquiète pas. Je reviens au bureau le 13 juin comme prévu. On se parle à ce moment là ‘ Des bises et bon RDV !!! ».

Par un nouveau message en date du 14 juillet 2017, lequel a fait suite à l’entretien qu’elles ont eu dans l’intervalle, le 11 juillet, Mme X va critiquer les termes du courriel de Mme

M-T du 1er juin en contestant avoir sollicité une réduction de son temps de travail pour

‘changer de vie’ et s’installer sur Marseille avec sa famille, mais indiquer avoir proposé à son

interlocutrice de ‘réaménager l’organisation de la production et de réduire temporairement son

temps de travail’ et ce dans l’intérêt de l’entreprise.

Mme X qui ne conteste pas avoir déménagé à cette époque là, ainsi que le démontre par

ailleurs l’employeur (pièce n°4), n’établit en aucune façon un quelconque changement de ton de la part de la présidente de la société à son égard ni le caractère mensonger de son message.

Ce grief n’est pas objectivé.

Aucun élément probant ne vient corroborer les allégations de Mme X selon lesquelles lors

d’une réunion le 11 juillet 2017, Mme M-T lui a expressément indiqué ‘préférer faire appel à

des personnes extérieures à l’entreprise’, plutôt qu’à elle.

Mme X se plaint par ailleurs d’être « de moins en moins conviée aux réunions d’organisation

de la structuration et de réflexion, y compris les réunions de pré production avec [les] réalisateurs », de ne plus être « consultée et encore moins affectée aux nouveaux projets de production » (nouvelles quotidiennes, émission des pâtissiers et émissions spéciales de la rentrée), « d’être limitée en termes d’activité aux seuls documentaires et d’être ouvertement supplantée par des directeurs de production freelance (précaires réels) ». Elle verse aux débats diverses attestations. Il en ressort que :

— Mme N de O, réalisatrice, évoque une modification de ‘configuration’, observée au

printemps 2015, en ce qu’elle n’avait plus de relation avec Mme X mais uniquement avec le

producteur exécutif,

— Mme C, pour qui la salariée a établi une attestation dans le cadre de son litige prud’homal,

indique avoir constaté en 2015 que ‘ Mme X était mise à l’écart car elle n’était plus dans les

réunions avec la direction’ ce dont sa collègue se serait ‘plainte en disant que cela la rendait

malheureuse’,

— M. E, expose avoir pu constater en travaillant à compter de juillet 2016 dans le même bureau que celui occupé par Mme X, ‘sa mise à l’écart progressive (non participation à des réunions importantes, dénigrement de son travail, non transmission d’informations nécessaires)’,

— Mme P, journaliste réalisatrice expose avoir travaillé à trois reprises avec la société

A Production et avoir relevé la dernière fois, de juin à septembre 2016, un changement par

rapport à ses missions précédentes en ce que ‘Mme X n’était plus présente aux rendez-vous

et qu’elle n’était pas au courant de certaines décisions de la production’, ce témoin ajoutant avoir constaté qu’en juin 2017 elle n’était pas au courant d’un projet d’émission dont lui avait parlé un collaborateur de l’entreprise.

Alors que la société A Production communique plusieurs messages adressés à Mme

X lui annonçant l’organisation de réunions en 2017 (12 et 20 janvier, 23 mai, 21 juin), il ne

résulte pas de l’ensemble de ces éléments que la salariée, qui indique elle-même avoir proposé et convenu avec la société A Production, en 2015, de réduire son activité sur la période

considérée, objective une mise à l’écart.

Faute pour la salariée d’établir des faits réitérés, lesquels, pris dans leur ensemble, laisseraient

présumer l’existence d’un harcèlement moral, le jugement sera confirmé en ce qu’il a écarté ce moyen.

L’appréciation de dispositions pénales, à savoir les articles L. 1248-1, L. 1248-6 et L. 1248-7 du code du travail, sanctionnant le recours abusif aux CDD, ne ressort pas de la compétence du juge prud’homal.

En revanche, il est établi que Mme X a occupé durablement un emploi lié à l’activité

normale et permanente de l’entreprise et que l’employeur n’a pu justifier de la conclusion de plusieurs contrats de travail à durée déterminée.

Alors que l’employeur ne justifie pas ses allégations selon lesquelles cette situation était souhaitée par la salariée et lui profitait, la salariée a été maintenue dans une situation de relative précarité, qu’illustrent les attestations que l’employeur justifie avoir établies pour l’intéressée afin de lui permettre de trouver un logement sur Marseille, non intégralement compensée par la prise en charge complémentaire de Pôle-emploi.

Il est établi qu’ensuite de la saisine par Mme X du conseil de prud’hommes, la société

A Production a proposé à la salariée de conclure un contrat de travail à durée indéterminée à

temps partiel (quatorze jours mensuels) moyennant une rémunération de 50 400 euros annuels, soit 4 200 euros bruts mensuels, laquelle n’est pas inférieure au minima conventionnel, dans l’hypothèse d’un contrat de travail à durée indéterminée comme au cas d’espèce, contrairement à ce que prétend l’appelante, assorti de ‘la conclusion d’un protocole transactionnel aux termes de laquelle la société versera une indemnité’, offre que Mme X a déclinée.

Les manquements avérés de l’employeur ne rendant pas impossible la poursuite de la relation

contractuelle, ainsi que l’historique de la relation contractuelle le démontre, et l’employeur ayant proposé à la salariée de régulariser la situation, il convient de débouter Mme X de sa

demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

IV – Sur la cause du licenciement :

Mme X invoque la nullité de la rupture du contrat de travail comme ayant été prononcée en

représailles à la saisine du conseil de prud’hommes en date du 20 septembre 2017.

L’employeur s’oppose à cette demande et conteste la validité du témoignage du conseiller du salarié.

Convoquée par lettre du 6 novembre 2017 à un entretien préalable fixé au 14 novembre suivant, Mme X s’est vue notifier la rupture du contrat de travail à durée déterminée pour faute grave par lettre du 22 novembre 2017, ainsi libellée :

« Nous avons appris fortuitement le 3 novembre 2017 que tu avais pris l’initiative de solliciter à notre insu les administrateurs de production afin d’obtenir pour le mois d’octobre 2017 une fiche de paie et un règlement contraire à la réalité.

Tu leur as ainsi transmis des instructions de paie et un décompte de jours de travail te concernant gonflé à dessein et avec tellement d’aplomb que ces collaborateurs se sont bien évidemment dit que ça avait été entériné par la direction.

Il ne pouvait en être autrement pour eux car ils ont toujours eu confiance en toi, ils se sont donc exécutés, comme par le passé.

Cette manoeuvre visait à ce qu’ils te déclarent à plein temps ce mois-là, probablement pour apporter une pièce de plus à ton dossier dans la procédure prud’homale en cours. Ces agissements sont d’autant plus fautifs que bien que tu aies en effet décidé de saisir le conseil de prud’hommes en septembre dernier, nous avions fait la part des choses, ayant une grande confiance en toi, nous avions poursuivi la relation de travail en bonne intelligence, et même proposé la conclusion d’un contrat à durée indéterminée comme tu le souhaitais.

Ces actes constituent une manipulation visant à obtenir une pièce nécessaire à la défense de tes  intérêts et accessoirement remettre des fonds à l’insu de ton employeur et c’est inadmissible. En plus tu emportes dans tes agissements d’autres collaborateurs. Tu n’as eu aucun scrupule à les mettre dans une position plus que délicate pour ton intérêt personnel et c’est inexcusable.

Ton attitude ne permet pas de poursuivre sereinement notre collaboration.

Lors de notre entretien du 14 novembre 2017, tu n’as pas fourni d’explication nous amenant à

reconsidérer la décision que nous projetions de prendre, à part nous dire que ton conseil t’avait je te cite « engueulée pour ce que tu avais fait ». C’est bien la moindre des choses en de telles circonstances. Compte tenu de la gravité des faits que nous te reprochons et de leurs conséquences immédiates sur le fonctionnement de l’entreprise, ton maintien à ton poste s’avère impossible et nous te notifions par la présente la rupture de ton contrat de travail à durée déterminée pour faute grave.

Nous te confirmons pour les mêmes raisons, la mise à pied conservatoire dont tu fais l’objet depuis le 6 novembre 2017.

La rupture de ton contrat de travail prend donc effet immédiatement dès réception de cette lettre.

Tu trouveras sous ce pli pour régularisation tes contrats de travail pour les mois d’octobre et de novembre 2017 à nous retourner, ainsi que les bulletins de paie et AEM correspondants.

Tu restes donc à nous devoir la somme de 2 929,21 euros que nous te remercions de nous rembourser au plus vite. »

La société A Production qui concède que Mme X n’avait pas signé le contrat de travail à durée déterminée du mois d’octobre 2017, sans plaider pour autant sa mauvaise foi à ce titre,

qu’elle n’établit pas en toute hypothèse, conteste la durée de travail déclarée par la salariée sur le récapitulatif des salaires transmis au service comptable de l’entreprise.

Toutefois, alors que la durée de travail pour le mois considéré n’avait pas été expressément convenue entre les parties et que la charge de la preuve du paiement du salaire et de la faute grave invoquée au titre de la rupture anticipée du CDD incombent à l’employeur, il appartient à un triple titre à ce dernier d’établir que la durée déclarée par la salariée n’était pas conforme à la réalité.

Alors que Mme X invoque un surcroît de travail lié à l’inexpérience de la réalisatrice

affectée à son projet et produit divers courriels adressés au cours du mois considéré, de nature à étayer la thèse d’une activité quasi journalière pour le compte de la société, cette dernière ne fournit pas d’élément probant permettant d’objectiver la surévaluation par l’intéressée du travail concrètement accompli par elle. L’attestation de M. Q, faisant état du déménagement que la salariée avait notamment prévu en début de mois d’octobre, qui aurait rendu la salariée indisponible, est inopérante.

Certes, le planning du mois d’octobre ne prévoyait que 11 jours de travail. Pour autant, ce seul

élément prévisionnel, ne suffit pas à démontrer le caractère infidèle du récapitulatif des salaires établi par Mme X relativement aux heures déclarées par elle, le doute profitant de surcroît à la salariée.

Faute pour l’employeur de rapporter la preuve du caractère infidèle de la durée de travail déclarée par la salariée, la rupture du contrat de travail à durée déterminée, requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, pour faute grave n’est pas justifiée.

Pour le même motif, la demande reconventionnelle de l’employeur en remboursement d’un trop perçu de salaire pour le mois d’octobre sera rejetée.

Abstraction faite des appréciations subjectives portées par le conseiller du salarié, qui a assisté Mme X lors de l’entretien préalable, dans son attestation, dont les termes sont vivement critiqués par Mme R, directrice-générale, il n’est pas discuté qu’à cette occasion, cette dernière a évoqué, ne serait-ce que pour indiquer qu’elle ‘ne souhaitait pas entrer dans le détail de ce qui n’était qu’un contexte (le fait que S ait décidé d’attaquer A aux prud’hommes, la plaçant dans une position hostile vis-à-vis de la société)’ (pièce n°21 de l’employeur) l’action prud’homale initiée par Mme X, ce fait étant repris non seulement dans le message du 13 octobre 2017 par lequel l’employeur lui proposait la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée, mais également dans la lettre de licenciement.

La procédure de rupture du contrat de travail à durée déterminée pour faute grave ayant été initiée dans les six semaines suivant la saisine par la salariée du conseil de prud’hommes en vue d’entendre prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, il appartient à ce dernier d’établir que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice, par elle, de son droit d’agir en justice.

Faute pour l’employeur de fournir un quelconque élément en ce sens et donc de justifier que sa décision est étrangère à toute volonté de sanctionner la saisine par la salariée du conseil de prud’hommes, la rupture du contrat de travail produira les effets d’un licenciement nul.

V – Sur l’indemnisation de la rupture :

Le salarié victime d’un licenciement nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit, d’une part, aux indemnités de rupture, et d’autre part, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Au jour de la rupture, Mme X âgée de 55 ans bénéficiait d’une ancienneté de 7 ans et 6 mois

au sein de la société A Production qui employait plus de dix salariés.

Elle justifie avoir été prise en charge par Pôle-emploi au titre de l’allocation de retour à l’emploi avant de retrouver un emploi en qualité de directrice de production à compter de mai 2018, employée par la chaîne France 2 sur le plateau de la série ‘Plus belle la vie’, dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée d’usage.

La rupture étant imputable à l’employeur, la salariée a droit, conformément à l’article L. 1235-4 du code du travail et aux stipulations de l’article V.1.2.1.de la convention collective applicable, à une indemnité de préavis d’une durée de deux mois. Il suit de ce qui précède que l’intéressée travaillait à temps partiel. L’indemnité compensatrice de préavis devant correspondre à la rémunération brute que la salariée aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période du délai-congé, il lui sera alloué de ce chef la somme de 8 400 euros bruts, outre 840 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la base du salaire de référence calculé sur la moyenne la plus favorable des trois derniers mois, soit la somme de 4 500 euros et d’une ancienneté de 7 ans et 9 mois, préavis compris, Mme X a droit à une indemnité légale de licenciement de 7 875 euros (4500/4 x 7).

Compte tenu de l’ensemble des éléments de la cause, son préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi sera plus justement réparé par l’octroi de la somme de 30 000 euros.

Le jugement sera réformé sur ces points.

VI – Sur le rappel de salaire de novembre 2017 :

Mme X sollicite un rappel de salaire de 722,26 euros en principal, outre congés payés

afférents, correspondant aux deux jours de travail qu’elle indique avoir accomplis les 2 et 6

novembre avant de s’être vue notifier la mise à pied conservatoire.

La société A Production objecte que la charge de la preuve de l’accomplissement de ces jours

de travail repose sur la salariée. Il suit de ce qui précède que la société A Production ne peut

se prévaloir pour le mois de novembre d’un contrat signé par la salariée, qui bénéficie en

conséquence de la présomption de temps plein pour cette période.

Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de la durée de travail convenue et du fait que Mme X n’avait pas à se maintenir à sa disposition, ainsi que du paiement du salaire ou du fait qui a produit l’extinction ou la suspension de l’obligation.

Faute pour la société A Production de rapporter ces preuves, le jugement sera infirmé à ce

titre et la demande en paiement accueillie conformément à la réclamation.

VII – Sur l’indemnité pour travail dissimulé :

Selon l’article L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L’article L. 8221-5 dispose notamment que, ‘est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur […] de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales’.

Au soutien de cette réclamation, Mme X se prévaut de l’émission d’un bulletin de paye

rectificatif pour le mois d’octobre 2017 ensuite de la découverte par la direction de la déclaration par l’intéressée d’un temps complet ce mois-ci.

Eu égard au litige ayant opposé les parties relativement à la durée de travail accomplie par

l’intéressée, la seule émission d’une telle fiche de paye, suivie de la réclamation formulée par l’employeur à ce titre, n’est pas de nature à objectiver une quelconque intention.

Dans le cadre de ce contexte conflictuel, le non paiement des deux jours de travail que la salariée indique avoir accomplis, en date des 2 et 6 novembre 2017 ne caractérise pas davantage l’intention frauduleuse de se soustraire aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de ce chef.

VIII – Sur la déloyauté contractuelle :

Faute pour l’employeur de démontrer que la salariée aurait exigé de lui d’être employée dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée d’usage, et peu important les dispositifs sociaux mis en oeuvre au profit des salariés intermittents, il suit de ce qui précède que la société A Production a abusé du recours à de tels contrats précaires pour occuper durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Le préjudice subi par la salariée à ce titre sera justement réparé par l’octroi de la somme de

4 500 euros à titre de dommages et intérêts.

IX – Sur le préjudice de retraite :

La demande de requalification de la relation de travail en temps plein ayant été rejetée, Mme

X ne justifie d’aucun préjudice à ce titre.

X – Sur la régularisation des cotisations au titre du préavis auprès de l’Urssaf :

Il sera ordonné, en tant que de besoin, à la société A Production de régulariser auprès de

l’Urssaf le paiement des cotisations portant sur son obligation de payer l’indemnité compensatrice de préavis et ce dans le délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt mais sans astreinte, inutile à garantir l’exécution de cette injonction.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Infirme partiellement le jugement déféré,

Statuant de nouveau sur le tout,

Ordonne la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 mai 2010,

Condamne la société A Production à verser à Mme X une indemnité de

requalification de 10 000 euros,

Prononce la nullité de la rupture du contrat de travail,

Condamne la société A Production à verser à Mme X les sommes suivantes :

—  8 400 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 840 euros bruts au titre des congés payés afférents,

—  7 875 euros à titre d’indemnité de licenciement,

—  30 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

—  722,26 euros bruts à titre de rappels de salaire pour le mois de novembre 2017, ainsi que 72,26 euros bruts de congés payés afférents,

—  4 500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

Enjoint à la société A Production de délivrer à Mme X un bulletin de paye de

régularisation, conforme à la présente décision dans un délai de deux mois à compter de la

signification du présent arrêt,

Ordonne à la société A Production de justifier à Mme X, dans un délai de deux mois

à compter de la signification de la présente décision, de la régularisation des cotisations au titre du préavis auprès des organismes sociaux (URSSAF, caisse d’assurance vieillesse, caisse de retraite complémentaire),

Dit n’y avoir lieu à assortir ces injonctions d’une astreinte,

Déboute Mme X du surplus de ses demandes et la société A de ses demandes

reconventionnelles,

Condamne la société A Production à verser à Mme X la somme de 3 000 euros au

titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur TAMPREAU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président


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