Directeur de Collection : 26 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05350

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 13

ARRÊT DU 26 Janvier 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 20/05350 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCHYC

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Août 2020 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 18/02303

APPELANTE

Société [9]

[Adresse 4]

[Localité 6]

représentée par Me Christophe VOITURIEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : E1619

Monsieur [Y] [M]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Christophe VOITURIEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : E1619

INTIMEES

URSSAF ILE DE FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 8]

représenté par Mme [N] [R] en vertu d’un pouvoir spécial

AGESSA

[Adresse 1]

[Localité 7]

représenté par Mme [N] [R] en vertu d’un pouvoir général

CAISSE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 12]

Direction du contentieux et de la lutte contre la fraude

Pole contentieux general

[Localité 12]

représenté par Me Camille MACHELE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Novembre 2023, en audience publique et double rapporteur , les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Raoul CARBONARO, Président de chambre, et M. Christophe LATIL, conseiller, chargés du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M Raoul CARBONARO, président de chambre

M Gilles REVELLES, conseiller

M Christophe LATIL , conseiller

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par M Raoul CARBONARO, président de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par la société [9] d’un jugement prononcé le 07 août 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Paris dans un litige l’opposant à l’URSSAF Ile-de-France, l’AGESSA et l’Assurance maladie de [Localité 12].

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler qu`à la suite d`un contrôle portant sur l’application de la législation de la sécurité sociale pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, l’URSSAF a adressé à la société [9] (la société) une lettre d’observations en date du 20 octobre 2017 portant sur cinq chefs de redressement.

La société a contesté les points l et 5 devant l`inspecteur du recouvrement qui a maintenu le 24 novembre 2017 le redressement envisagé.

Le 04 décembre 2017, l’inspecteur du recouvrement a informé la société qu’il maintenait des observations pour l`avenir portant sur les frais professionnels non justifiés et le 31 janvier 2018 l’URSSAF notifiait le redressement visé dans la lettre d’observations du 20 octobre 2017 par une mise en demeure d`un montant de 239 016 euros au titre des cotisations et de 25 187 euros au titre des majorations de retard.

Après vaine saisine de la commission de recours amiable, la société a formé son recours devant une juridiction en charge du contentieux de la sécurité sociale, l’AGESSA, la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] et M. [Y] [M] ayant été appelés en la cause.

Par jugement en date du 07 août 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Paris a :

– déclaré le recours introduit par la société [9] recevable,

– constaté que la procédure de redressement menée par l’URSSAF Ile-de-France est

régulière,

– débouté la société [9] de sa demande en annulation du redressement contesté,

– condamné la société [9] à payer à l’URSSAF Ile-de-France la somme de 239 016 euros au titre des cotisations et celle de 25 187 euros au titre des majorations de retard,

– débouté la société [9] de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– mis les dépens à la charge de la société [9].

Le tribunal a estimé que la lettre d’observations précise les éléments d’information prescrits par les dispositions de l’alinéa 5 de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale et que la mise en demeure était conforme aux exigences d’information du cotisant sur la nature, la cause et l’étendue de son obligation.

Au fond, il a jugé que le contrat qui liait M. [Y] [M] à la société constituait une activité de type salarial dès lors que la convention précise une liste de tâches diverses allant jusqu’à des missions de réécriture de modification en collaboration avec les auteurs mais qu’en réalité, le contractant avait pour mission essentielle de proposer des modifications de type orthographique de l’oeuvre de M. [U] [E] et d’effectuer une relecture globale afin de s’assurer de la cohérence de l’histoire racontée par l’auteur. Il a écarté l’argumentation relative au caractère de la rémunération du contractant proportionné aux recettes tirées des ventes des ouvrages publiés de même que celle relative à l’absence de lien hiérarchique du fait de la structure de la société qui ne permettait pas d’attribuer le statut d’auteur créant une oeuvre en toute indépendance à son contractant.

Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception remise à une date non déterminée à la société [9] (la société) qui en a interjeté appel par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception adressée le 13 août 2020.

L’affaire a alors été fixée à l’audience collégiale pour être plaidée à l’audience du 09 novembre 2023 lors de laquelle la société et M. [Y] [M] sont représentés par le même avocat, l’URSSAF Ile-de-France et l’AGESSA étant représentées par le même agent muni d’un pouvoir spécial régulier, la Caisse d’assurance maladie de [Localité 12], représentée par son avocat.

Aux termes des conclusions et de la plaidoirie de leur avocat commun, la société [9] et M. [Y] [M] demandent à la cour de :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par la tribunal judiciaire de Paris le 07 août 2020,

– déclarer recevable et bien fondée la requête de la société [9],

– dire et juger que le redressement opéré par l’URSSAF à hauteur de 239 000,16 euros augmenté des majorations de retards provisoires à hauteur de 25 187 euros, comme non fondé,

– débouter en conséquence l’URSSAF Ile-de-France et l’AGESSA de toute demande à l’encontre de la société [9],

– condamner l’URSSAF Ile-de-France à payer à la société [9] la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de son appel, la société entend démontrer, avec M. [Y] [M] à ses cotés, que les rémunérations versées pour le travail fourni par M. [Y] [M] dans sa contribution au projet commun avec l’auteur de bande-dessinée, M. [U] [E], doit être considéré comme relevant du statut d’auteur à partir du moment où il est intervenu dans la mise au point des textes, en réécrivant certains passages des oeuvres produites en 2015 et 2016, oeuvres qu’il a ainsi concouru à créer et à mettre au point, en l’absence de tout lien de subordination avec l’éditeur.

Ils entendent faire valoir qu’à l’occasion d’une même activité de travail de collaboration avec M. [U] [E] pour l’édition de son ouvrage ‘Retour au collège’, qui a été son premier succès de librairie paru en 2005, M. [M] a bénéficié du statut d’auteur alors qu’il était conseiller littéraire chez [11], ayant été rémunéré sous forme de droits d’auteur.

Ils soulignent qu’à l’époque il n’avait pas la fonction de directeur de collection mais était simple conseiller/directeur littéraire. Ils ajoutent qu’en outre, sur les années contrôlées de 2015 et 2016, M. [M] a perçu des droits d’auteur de la société [11] pour des prestations similaires que celles objet du présent litige et que l’URSSAF a requalifié en salaires. Ils relèvent qu’ainsi l’URSSAF a procédé au redressement des rémunérations litigieuses en écartant sa propre jurisprudence.

Ils font enfin valoir que l’AGESSA a rédigé une note en décembre 2012 par laquelle étaient précisés les critères à partir desquels certains directeurs de collection pouvaient bénéficier du statut d’auteur, estimant que l’activité de M. [M] remplissait ces critères.

L’URSSAF Ile-de-France demande à la cour de :

– confirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Paris du 07 août 2020 en ce qu’il a considéré que les sommes versées à M. [Y] [M], rémunérant son activité de directeur de collection ne constituaient pas des droits d’auteur et condamné la société au paiement des sommes actualisées de 236 793 euros en cotisations et 25 187 euros en majoration de retard au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016,

– condamner la société [9] au paiement d’une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’URSSAF entend rappeler qu’en application de l’article L. 242-1 alinéa 1 du code de la sécurité sociale sont soumises à cotisations sociales toutes sommes et tous avantages accordés aux travailleurs salariés en contrepartie du travail et que selon l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale ‘sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s’impose l’obligation prévue à l’article L. 311-2 (…)

23° Les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées et des sociétés d’exercice libéral par actions simplifiées.’

Elle soutient que le régime de sécurité sociale des artistes-auteurs ne concerne que les personnes qui ont créé en toute indépendance une ‘oeuvre de l’esprit’ telle que définie par les articles L. 112-2 ou L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle, dont l’activité est comprise dans l’énumération de l’article R. 382-2 du code de la sécurité sociale et hors de tout lien de subordination visé à l’article L. 311-2 du code de la sécurité sociale.

Elle relève qu’aucun élément du dossier ne permet de caractériser concrètement l’exercice d’un activité de co-auteur des ouvrages de M. [U] [E], M. [Y] [M] ne pouvant être déclaré auprès des AGESSA en qualité de directeur de collection et les sommes versées ne sauraient être qualifiées de droits d’auteur.

Par la voix de son avocat à l’audience, la Caisse d’assurance maladie de [Localité 12] a déclaré s’en rapporter aux conclusions déposées et développées par l’URSSAF Ile-de-France.

Pour sa part, l’AGESSA demande à la cour de confirmer le redressement opéré par l’URSSAF et de considérer que la collaboration apportée par M. [M] ne peut être assimilée à celle d’un directeur de collection indépendant ressortissant au champ d’application du régime de sécurité sociale des auteurs, indiquant qu’elle procéderait au remboursement des cotisations sociales indûment versées sur présentation de décomptes établis par la société dans l’hypothèse de la confirmation de ce redressement.

L’AGESSA soutient que l’activité de M. [M] n’est pas comprise dans le champ d’application du régime de sécurité sociale des auteurs tel que défini à l’article R. 382-2 du code de la sécurité sociale. Elle entend rappeler que M. [M] est également l’éditeur des [9] et que la direction des collections est donc nécessairement inhérente à sa fonction d’éditeur et ne saurait, en aucun cas, constituer une activité distincte. Elle considère que M. [M] ne justifie pas d’un travail d’écriture ou autre lui permettant de revendiquer la qualité de co-auteur des ouvrages et de légitimer ses rémunérations en droits d’auteurs.

En application de l’article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées le 09 novembre 2023 pour l’exposé complet des moyens développés et soutenus à l’audience.

MOTIFS DE LA DECISION

En premier lieu, il appartient à l’organisme du recouvrement qui entend procéder à la réintégration des sommes versées par un donneur d’ordre à une personne physique bénéficiant de la présomption de non salariat, de rapporter la preuve de ce lien de subordination juridique (2e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n° 20 13.944).

Le lien de subordination, qui constitue le critère essentiel du contrat de travail, est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail . L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait, dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.

Au-delà de cette première condition, il convient également pour régler le présent litige d’analyser la nature réelle de réalité de l’activité de M. [Y] [M] au sein de la société d’édition.

L’article R. 382-2 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction applicable à la période du contrôle litigieux, dispose que :

‘Entrent dans le champ d’application du présent chapitre les personnes dont l’activité, relevant des articles L. 112-2 ou L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle, se rattache à l’une des branches professionnelles suivantes :

1°) Branche des écrivains :

-auteurs de livres, brochures et autres écrits littéraires et scientifiques ;

-auteurs de traductions, adaptations et illustrations des oeuvres précitées ;

-auteurs d’oeuvres dramatiques ;

-auteurs d’oeuvres de même nature enregistrées sur un support matériel autre que l’écrit ou le livre ; (…)’.

L’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que :

‘Sont considérés notamment comme oeuvres de l’esprit au sens du présent code :

1° Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ;

2° Les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries et autres oeuvres de même nature ;

3° Les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicales ;

4° Les oeuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en oeuvre est fixée par écrit ou autrement ;

5° Les compositions musicales avec ou sans paroles ;

6° Les oeuvres cinématographiques et autres oeuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble oeuvres audiovisuelles ;

7° Les oeuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie;

8° Les oeuvres graphiques et typographiques ;

9° Les oeuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie ;

10° Les oeuvres des arts appliqués ;

11° Les illustrations, les cartes géographiques ;

12° Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences ;

13° Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ;

14° Les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l’habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d’ameublement.’.

Selon l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction applicable à la période du contrôle litigieux : ‘Sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s’impose l’obligation prévue à l’article L. 311-2, même s’ils ne sont pas occupés dans l’établissement de l’employeur ou du chef d’entreprise, même s’ils possèdent tout ou partie de l’outillage nécessaire à leur travail et même s’ils sont rétribués en totalité ou en partie à l’aide de pourboires : (…)

23° Les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées et des sociétés d’exercice libéral par actions simplifiées ; (…)’.

L’article L. 311-2 du même code prévoyait à la même période que : ‘Sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales, les personnes salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat.’.

Selon les notes émises par l’AGESSA en 1996 et 2012, invoquées au soutien de l’appel (pièces 5 et 6) le simple fait qu’un travail soit produit dans un poste dénommé directeur de collection dans une maison d’édition ne rend pas l’affiliation au régime de sécurité sociale des auteurs automatique et définitive :

– ‘cette dernière catégorie [directeur de collection] peut relever du régime de sécurité sociale des auteurs, sous réserve de l’examen de la situation par l’AGESSA.’,

– ‘Cas particulier : sous réserve d’une appréciation individuelle des situations par l’AGESSA, et notamment des contrats, peuvent être affiliables les rédacteurs-adaptateurs (rewriters) et direction de collection dont le niveau de participation intellectuelle à la création est suffisamment établi.’.

Le fait que M. [Y] [M] ait pu relever dans le passé du régime de sécurité sociale des auteurs alors qu’il était salarié d’une autre entreprise d’édition et en collaboration avec le même auteur, n’est pas suffisant pour établir que ses conditions de travail sont identiques et réunies au présent cas d’espèce pour la période du contrôle contesté.

En l’espèce M. [Y] [M] est à la fois président de la société [9] et, selon contrat du 10 décembre 2013 conclu entre la société et M. [Y] [M] (pièce 4 quater), directeur de collection.

M. [Y] [M] et la société conviennent dès lors avoir chacun une individualité distincte leur permettant de signer un tel contrat créant des liens entre eux.

L’article 1 de ce contrat stipule :

‘L’Editeur a décidé de la création intitulée ‘Images'(ci-après la ‘Collection’), destinée à regrouper :

– les romans graphiques ‘L’Arabe du Futur’ et ‘L’Arabe du Futur 2″, à remettre au plus tard le 1er mars 2014 pour ‘L’Arabe du Futur’ et le 1er octobre 2014 pour ‘L’Arabe du Futur 2″, et dont le Directeur de Collection a participé à la création en collaboration avec l’auteur [U] [E] ;

– et les futurs romans graphiques créés en collaboration avec le Directeur de Collection conformément aux termes du présent contrat.

L’Editeur confie la conception, le développement et la direction de la Collection au Directeur de Collection qui l’accepte.

Les contrats relatifs aux droits de propriété littéraire et artistique des auteurs sur les oeuvres publiées dans le cadre de la collection (ci-après les ‘Oeuvres’) seront directement conclus entre l’Editeur et les auteurs.’.

Cette première disposition du contrat permet déjà de vérifier plusieurs points importants quant au cadre et la nature juridiques du travail fourni par M. [Y] [M] pour le compte de la société d’édition :

– l’éditeur est la société d’édition, personne morale, qui a décidé de la création de la collection et dont il confie la direction au directeur de collection,

– le directeur de collection ‘participe à la création’ avec l’auteur, il n’est donc pas auteur ou co-auteur,

– les droits de propriété littéraire et artistique ne sont conclus qu’entre l’éditeur et l’auteur, à l’exclusion du directeur de collection.

Ainsi, outre le fait que M. [Y] [M] est salarié de la société en qualité de président, percevant un salaire de ce chef (pièce 3), il ressort de cet article 1, ci-dessus transcrit, qu’un véritable lien de subordination supplémentaire est créé entre M. [Y] [M] et la société d’édition.

L’article 2 du contrat du 10 décembre 2013 confirme l’existence de ce lien de subordination en ce qu’il précise les missions et les obligations exactes du directeur de collection vis à vis de la société d’édition, cadre très contraignant pour le directeur, dont les obligations sont plus nombreuses et détaillées, de façon plus directive que celles incombant à l’éditeur, essentiellement relatives à la rémunération du directeur (article 9) et à la fabrication et la diffusion des ouvrages édités (article 5) et qui dispose seul du pouvoir de déterminer les orientations futures de la collection.

Le fait que M. [Y] [M] soit le dirigeant de la société qui l’emploie en qualité de président n’est pas de nature à annihiler toute notion et existence d’un lien de subordination.

En effet, en ayant choisi la forme sociale pour créer et faire exister la maison d’édition pour exercer le métier d’éditeur, M. [Y] [M] s’est en fait et en droit placé sous l’autorité d’une personne morale différente de lui, douée d’une personnalité et d’une existence propres, même s’il en est le dirigeant, ayant en outre apporté ses actions à l’actif de la société civile [10] (pièce 11) se dépossédant encore une fois d’un pouvoir personnel au bénéfice d’une seconde personne morale.

Mais la seule existence de ce lien de subordination ainsi établi n’empêche pas nécessairement qu’un salarié puisse avoir une activité créatrice au sens de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle. Il convient d’analyser la réalité du travail réalisé par M. [Y] [M] et que la société soutient pouvoir rémunérer en droits d’auteur et non en salaires.

Au soutien de l’appel, il est affirmé que M. [Y] [M] a grandement participé intellectuellement à la création des oeuvres graphiques de M. [U] [E] notamment des façons suivantes :

– réécriture des voix off,

– poser des principes structurant (nécessité d’avoir des titres pour chaque page de la série des ‘Cahiers d’Esther’,

– participation, via ses remarques, à l’élaboration du story-board, page par page de la future oeuvre graphique, sur les dialogues, les dessins eux-mêmes.

La nature de ce travail est visible selon la société et M. [M] a travers les échanges, notamment par mails entre messieurs [E] et [M] (pièces 12, 13 et 14).

La lecture attentive des ces pièces permettent de constater que si M. [Y] [M] adresse des remarques, formule des propositions et des recommandations sur plusieurs plans de la réalisation de l’oeuvre de M. [U] [E], ce dernier reste toujours maître d’accepter et de suivre ou non ce qui ne constituent en fait que des suggestions de la part du directeur de collection, mais aussi qui ne sont absolument pas à l’origine de l’idée même de l’oeuvre, de son essence qui reste le fruit du travail intellectuel et artistique du seul auteur de ces ouvrages, M. [U] [E].

Il apparaît que le travail du directeur de collection a bien été, comme prévu au contrat du 10 décembre 2013, de participer avec l’auteur à la création des oeuvres. Il n’inspire pas l’oeuvre, mais aide à la rendre accessible, cohérente et compréhensible au public comme cela apparaît clairement dans les échanges entre les deux personnes :

– de la part de M. [M] :

‘je me suis rendu compte que le visage de la maîtresse est mieux dessiné’,

‘c’est pas plus logique de mettre Click ! Click ! (rajouter point d’exclamation pour faire comme dans l’autre case’,

‘Voir si pour être plus clair tu ne peux pas dire : (…)’

‘[U] ça te va mes suggestions de corrections de voix off ”

– des réponses de M. [E] :

‘DONC ! EFFACE mon précédent mail et les pages associées et prends CELLES-CI modifiées suite aux remarques de mon éditeur.’,

‘j’ai pas regardé les vois off mais je le fais dès que j’ai fini’

‘Il n’y a pas de s à vous sur mon doc, ce qui me fait craindre ma pire terreur : confusion des fichiers, désorganisation des documents, mélange des calques et co (…)’

‘je vais faire les corrections finales de voix off + dessins sur ces fichiers.’

‘Il y’a plein de modifs à faire sur les pages. Je ne pourrai pas vous attendre ne serait ce que quelques heures.’

‘J’ai donc terminé de corriger les pages reçues.’

‘Je compte les faire lire à ma copine, elle va corriger les dernières fautes (…) Je vais moi-même rentrer les dernières corrections, ça ira plus vite. J’ai modifié pas mal de phrases ici ou là en tenant compte des remarques de [Y], et celles de ma copine.’.

Par ses réponses, M. [U] [E] montre qu’il reste maître de la forme et surtout du fond de l’oeuvre et que le travail de M. [Y] [M] n’est pas de l’inspirer dans l’aspect créatif, mais uniquement de l’accompagner dans l’organisation essentiellement matérielle pour obtenir un travail de qualité, quelque peu débarrassé des contigences techniques et matérielles.

Il est en outre significatif que M. [U] [E] puisse d’ailleurs mettre sur un même plan les remarques de M. [Y] [M] avec celle qu’il recueille auprès de sa copine.

Si par son témoignage (pièce 18), M. [U] [E] souhaite démontrer toute l’importance que revêt pour lui le travail de M. [Y] [M] à ses cotés pendant le processus créatif, il n’exprime absolument pas le sentiment qu’ils se retrouvent véritablement dans le travail purement créatif au plan intellectuel. Il définit ce travail en écrivant : ‘il participe au processus de créations des séries ‘L’Arabe du Futur’ et ‘Les Cahiers d’Esther’. (..) Nous avons eu d’innombrables discussions informelles pour définir les projets de ces 2 séries ainsi que leur titre. (…) J’intègre ses remarques en général’, ce qui exclut toute notion de co-auteur, gardant la maîtrise finale de l’oeuvre.

Enfin, le dernier alinéa de l’article 2.2 du contrat de directeur de collection prévoit que ‘Le nom du Directeur de Collection figurera, en sa qualité de coauteur des Oeuvres, sur chaque ouvrage de la Collection publié en application du présent contrat’.

Or l’examen des avants dernières de couvertures des ouvrages L’Arabe du Futur 1, 2 et 3 (pièces 4 ter) permet de vérifier que cela n’a pas été suivi d’effet et que M. [Y] [M] n’est crédité que de la direction de la collection ‘Images’ et seulement après deux autres personnes chargées de la conception technique et coordination éditoriale, ainsi que des corrections, M. [U] [E] apparaissant en être le seul auteur.

Même s’il ressort, à ce stade de l’instance, que le travail de M. [Y] [M] va bien au-delà de simples modifications de type orthographique relevées par le tribunal, pour autant la preuve n’est pas rapportée qu’il ressorte d’un véritable travail de création personnelle pouvant permettre de lui reconnaître le rôle d’auteur de ces oeuvres réalisées pendant les années 2015 et 2016, période du contrôle litigieux.

Ainsi, il n’est pas établi, conformément aux notes émises en 1996 et 2012 par l’AGESSA invoquées au soutien de l’appel (pièces 5 et 6), un niveau suffisant de participation intellectuelle à la création des oeuvres pour pouvoir admettre que ce travail puisse relever du régime de sécurité sociale des auteurs.

C’est donc à bon droit que l’URSSAF et l’AGESSA soutiennent que les sommes versées par la société d’édition à M. [Y] [M] en 2015 et 2016 sous l’intitulé ‘droits d’auteur’ doivent être requalifiées en salaires assujettis aux cotisation sociales du régime général.

Il y a donc de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Partie principale succombante, la société [9] sera tenue aux dépens et déboutée de sa demande en paiement formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande qu’il soit fait droit à la demande de l’URSSAF en paiement de la somme de 1 500 euros à l’encontre de la société [9] en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME le jugement prononcé le 07 août 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions ;

DÉBOUTE la société [9] de sa demande en paiement formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société [9] à payer à l’URSSAF d’Ile-de-France la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE la société [9] aux dépens.

La greffière Le président