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9ème Ch Sécurité Sociale
ARRET N°680
N° RG 17/01823 – N° Portalis DBVL-V-B7B-NYYN
URSSAF
C/
Société DEVRED
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 DECEMBRE 2019
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Laurence LE QUELLEC, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Loeiza ROGER, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 16 Octobre 2019
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Décembre 2019 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré initialement fixé au 27 novembre 2019 ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 01 Février 2017
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BREST
****
APPELANTE :
URSSAF
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représenté par Mme [N] [X] (Représentant légal) en vertu d’un pouvoir spécial
INTIMÉE :
Société DEVRED, Prise en la personne de son Président
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Xavier CAMBIER, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
FAITS ET PROCEDURE :
La SAS DEVRED (la société) a fait l’objet par l’Urssaf de Bretagne d’une vérification portant sur la législation de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires pour la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, sur l’ensemble de ses établissements.
Le 31 octobre 2013, l’Urssaf a notifié à la société des observations sur dix-huit points pour un montant total de 1 009 463 euros.
Lors du contrôle comptable d’assiette, les inspecteurs ont relevé des sommes mensuelles enregistrées le dernier jour du mois dans le compte comptable n°622670 intitulé « honoraire conseil marketing produit » libellées « honoraires M. [W] » à partir d’avril 2010, soit :
– 83 500 euros en 2010,
– 96 500 euros en 2011,
– 125 200 euros en 2012.
M. [W] était salarié de la société, au poste de directeur de collection jusqu’au 31 mars 2010, date à laquelle il fait valoir ses droits à la retraite.
A compter du 1er avril 2010, il a poursuivi son activité en tant que travailleur indépendant, dans les mêmes conditions que précédemment, n’ayant pas été remplacé au poste de directeur de collection.
L’Urssaf a estimé que le cas de M. [W] relevait d’une situation de travail dissimulé au sens des articles L. 8221-1 et L 8221-2 du code du travail.
Un procès-verbal a été transmis au procureur de la république le 10 janvier 2014 ainsi qu’une lettre d’observations adressée à la société le 18 août 2014 envisageant un redressement du chef de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié avec verbalisation et annulation des réductions patronales sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2013.
La société a fait valoir des observations par courrier du 17 septembre 2014.
L’Urssaf a néanmoins maintenu les chefs de redressement.
Une mise en demeure a été délivrée le 15 décembre 2014 portant sur un montant de cotisations en principal de 506 348 euros outre 71 996 euros de majorations de retard, soit un total de 578 344 euros.
La société a porté le litige devant la commission de recours amiable puis le tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest, se prévalant d’une décision implicite de rejet de la commission.
Par décision du 28 avril 2016 notifiée le 4 juin 2016, la commission a validé le redressement intervenu.
Le 8 juillet 2016, la société a formé un nouveau recours à l’encontre de cette décision explicite de rejet rendue par la commission.
Par jugement du 1er février 2017, le tribunal a :
– prononcé la jonction des deux affaires,
– annulé dans son ensemble le redressement relatif aux cotisations et majorations impayées pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012,
– dit en conséquence injustifiée la demande en paiement de la somme de 578 244 euros ayant fait l’objet d’une mise en demeure en date du 15 décembre 2014,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné l’Urssaf à verser à la société la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a estimé que la procédure menée par l’Urssaf était illégale en retenant en premier lieu que la lettre d’observations en date du 18 août 2014 fait expressément mention de l’application des dispositions de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale sans que la preuve de la réception de l’avis mentionné par ce texte soit rapportée et en second lieu que la lettre d’observations en date du 31 octobre 2013 aussi bien que la convocation de M. [C] [W] font référence aux articles L. 8221-1 et suivants du code du travail relatifs au travail dissimulé, mais sans que soit rapportée la preuve que l’intéressé aurait donné son consentement à l’audition. Il a également relevé que faisant le choix de conduire une procédure de manière floue sans que l’on sache quelle est la procédure réellement suivie, l’Urssaf a conduit une procédure irrégulière sur le plan formel, les autres pièces de la procédure ne permettant pas, en tout état de cause, de justifier le redressement effectué.
Le 17 février 2017, l’Urssaf a interjeté appel du jugement qui lui a été notifié le 6 février 2017.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Par ses conclusions auxquelles s’est référé et qu’à développées son représentant à l’audience, l’Urssaf demande à la cour de :
-infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
– déclarer régulière la procédure de contrôle relevant l’infraction de travail dissimulé,
-valider le redressement du chef de travail dissimulé avec verbalisation – dissimulation d’emploi salarié par recours au faux statut de travailleur indépendant : assiette réelle à hauteur de 226 843 euros,
– valider les annulations des exonérations suite au constat de travail dissimulé à hauteur de 279 506 euros,
-condamner la société à acquitter les sommes suivantes :
-Cotisations : 506 348 euros
-Majorations initiales : 71 996 euros,
sous réserve des majorations de retard restant à courir jusqu’au complet paiement,
-condamner la société au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter la société de ses autres demandes ou prétentions.
L’Urssaf indique que le présent contrôle a été engagé sur le fondement de l’article L. 243-7 du code de la sécurité sociale et a conduit à la constatation d’infraction pour travail dissimulé ; qu’un avis de contrôle a été adressé le 3 avril 2013 ; qu’elle a parfaitement rempli son obligation d’information ; que c’est au cours du contrôle comptable d’assiette que les preuves concernant la situation de M. [W] ont été révélées ; qu’une lettre d’information distincte a ensuite été notifiée à la société ; que l’article R. 243-5 du code de la sécurité sociale régit le respect du contradictoire des procédures de contrôle de l’Urssaf et ne fixe aucunement le cadre juridique de l’intervention des inspecteurs qui est la vocation de l’article L. 243-7 ; que la jurisprudence Heridan visée adversairement se situe dans le cadre d’un contrôle inopiné de travail dissimulé, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; que M. [W] a été convoqué dans les locaux de l’Urssaf et que c’est en toute connaissance de cause qu’il s’est présenté à l’audition ; qu’il a répondu aux questions posées et a signé le procès-verbal ; qu’une audition irrégulière ne remet pas en cause le contrôle dès lors que d’autres éléments suffisent à établir l’infraction ; que les seules modalités d’audition ne peuvent conduire à l’annulation du contrôle.
Sur le fond, elle relève que la lettre d’observations et la mise en demeure sont régulières et contiennent toutes les informations nécessaires ; que l’avis de passage daté du 3 avril 2013 mentionne la faculté pour la société de se faire assister au cours de la vérification par le conseil de son choix ; que la procédure des abus de droit n’est pas obligatoire, ce n’est qu’une possibilité pour l’Urssaf d’y recourir ; sur le bien fondé du redressement, que la présomption de non-salariat est une présomption simple dont la preuve contraire peut être rapportée par tout moyen ; qu’en l’espèce, M. [W] travaillait depuis de nombreuses années pour la société et qu’en tant que travailleur indépendant, il a travaillé quasi-exclusivement avec elle ; qu’il utilisait les moyens de la société pour exécuter les prestations prévues au contrat et devait se conformer au calendrier imposé par elle ; que la société avait un pouvoir de contrôle et de sanction à l’égard de M. [W] ; qu’il intervenait dans les mêmes conditions que lorsqu’il était salarié ; que la société prenait en charge ses frais de déplacement, ses frais professionnels et toutes les assurances nécessaires ; que la société connaissait ses obligations en matière de déclarations sociales ; que la lettre d’observations mentionne bien les assiettes et montants par année ainsi que les taux de cotisations appliqués ; que les cotisations de sécurité sociale doivent être calculées sur la rémunération brute et que pour le calcul du redressement, les sommes perçues en net doivent être reconstituées en salaire brut.
Par ses conclusions auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, la société demande à la cour de :
– confirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest rendu le 1er février 2017,
– corriger une erreur matérielle figurant dans le jugement et , pour ce faire, de dire et juger que la mention de son dispositif « annule dans son ensemble le redressement effectué au titre des cotisations et majorations impayées pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 » doit se lire comme « annule dans son ensemble le redressement effectué au titre des cotisations et majorations impayées pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013 »,
– condamner l’Urssaf au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société fait valoir que la procédure de contrôle n’a pas été respectée ; que la procédure suivie est indéterminée ; qu’aucune pièce ne précise que l’Urssaf a rappelé à M. [W] que son consentement était nécessaire pour être auditionné, ni que celui-ci a exprimé explicitement ce consentement ; que la mise en demeure est irrégulière en ce qu’elle vise uniquement l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale et que les motifs du redressement y sont mentionnés de façon erronée ; qu’à supposer que la procédure se soit inscrite dans le régime des contrôle de droit commun, elle ne permet que de recouvrer les cotisations sociales y afférentes, ce qui n’est pas le cas en l’espèce dès lors qu’un procès-verbal a été adressé au procureur de la république ; qu’elle n’a pas reçu d’avis de contrôle, ni été informée de la faculté d’être assistée d’un conseil ; que dans le cadre de la procédure de droit commun, l’Urssaf n’était pas habilitée à auditionner M. [W] dans ses locaux ; qu’un vice affectant une audition rend le contrôle irrégulier et doit conduire à son annulation ; que la procédure d’abus de droit aurait dû être déclenchée puisque l’Urssaf a considéré le contrat de prestation de services conclu par M. [W] et le statut de travailleur indépendant de ce dernier comme fictifs. Sur la relation professionnelle entre M. [W] et la société, elle ajoute que l’Urssaf ne démontre pas le lien de subordination ; que les inspecteurs n’ont effectué aucune investigation, ils n’ont pas interrogé les dirigeants de la société, ne se sont pas rendus dans les locaux de l’entreprise pour connaître les conditions concrètes d’intervention de M. [W] ; que M. [W] avait pour mission de participer à l’élaboration du « book collection » et réalisait pour ce faire une veille active des tendances ; que la nature de ses missions n’est en rien incompatible avec le statut de travailleur indépendant ; qu’il ne recevait pas d’ordre ni de directive ; qu’il définissait librement ses méthodes de travail et agissait comme un consultant ; qu’elle ne disposait d’aucun pouvoir de sanction à son encontre ; que l’établissement d’un calendrier n’était dicté que par les contraintes de la saisonnalité inhérentes aux collections vestimentaires ; que le montant des prestations versées ne correspondait pas au salaire antérieur ; que le nombre de jours de travail était fluctuant ; que le mode de calcul du redressement n’est pas déterminé.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l’audience du 16 octobre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la régularité de la procédure de contrôle :
Il est constant que le contrôle initial s’est inscrit dans le cadre de la vérification de l’application des législations de sécurité sociale, de l’assurance chômage et de la garantie des salaires AGS, soit un contrôle d’assiette comptable, réalisé en vertu des articles L. 243-7 et suivants et R. 243-59 et suivants du code de la sécurité sociale, lequel a fait l’objet d’une lettre d’observations datée du 31 octobre 2013.
Les investigations de ce contrôle ont amené à la constatation d’une infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié par recours au faux statut de travailleur indépendant.
Une autre lettre d’observations a été adressée de ce chef datée du 18 août 2014 dont l’objet porte la mention suivante : « Recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé mentionnées à l’article L. 8221-1 du code du travail » et a abouti à un redressement n’ayant pas pour seule finalité un contrôle d’assiette puisque les déductions patronales loi « TEPA » ainsi que les réductions « Fillon » ont été annulées et un procès-verbal a été transmis au procureur de la république.
Dès lors, il y a bien deux contrôles fondés sur des dispositions distinctes dès lors que deux lettres d’observations ont été adressées, même si les faits ayant conduit au second contrôle ont été révélés lors du premier.
En tout état de cause, seul le redressement du chef de travail dissimulé est concerné par le présent litige.
‘ Sur le respect de la procédure en matière d’auditions :
L’Urssaf s’est inscrit, à partir de la révélation des faits relatifs au travail dissimulé et postérieurement à l’envoi de la première lettre d’observations, dans le cadre légal des articles L.8221-1 du code du travail et non plus dans celui du contrôle d’assiette comptable.
L’audition de M. [W] entre dès lors dans le cadre spécifique des articles L. 8221-1 et suivants du code du travail puisque réalisée après la clôture de la procédure de vérification d’assiette comptable.
D’ailleurs, la lettre d’observations porte mention en son en-tête comme objet du contrôle réalisé « Recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé mentionnées aux articles L. 8221-1 du code du travail ».
M. [W] a été entendu le 29 novembre 2013 dans les locaux de l’Urssaf.
Or, l’article L. 8271-6-1 du code du travail, dans sa version applicable issue de la loi du 16 juin 2011, dispose que « les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature. De même, ils peuvent entendre toute personne susceptible de fournir des informations utiles à l’accomplissement de leur mission de lutte contre le travail illégal.
Ces auditions peuvent faire l’objet d’un procès-verbal signé des agents mentionnés au premier alinéa et des personnes entendues ».
Force est de constater que le procès-verbal d’audition de M. [W], signé par les deux inspecteurs de recouvrement, ne comporte aucune mention relative au recueil préalable du consentement de celui-ci à son audition, même si sa signature y figure.
La société a donc été privée d’une garantie de fond qui a vicié le procès-verbal des agents de contrôle et le redressement fondé sur leurs constatations.
Par conséquent, le redressement résultant de la lettre d’observations du 18 août 2014 et de la mise en demeure du 15 décembre 2014 sera annulé. Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la période de redressement considérée qui s’étend du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013.
Sur les autres demandes :
L’équité commande qu’il ne soit pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile en procédure d’appel.
S’agissant des dépens, si la procédure était, en application de l’article R.144-10 du code de la sécurité sociale gratuite et sans frais, l’article R.142-1-1 II, pris en application du décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale, dispose que les demandes sont formées, instruites et jugées selon les dispositions du code de procédure civile, de sorte que les dépens sont régis désormais par les règles de droit commun conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de l’Urssaf de Bretagne.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, par décision mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest du 1er février 2017 en ce qu’il a annulé le redressement ;
DIT que le redressement annulé concerne la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013 ;
DIT n’y avoir lieu à indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l’Urssaf de Bretagne aux dépens exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIERLE PRESIDENT