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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 8
ARRET DU 07 DECEMBRE 2023
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00877 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDAZE
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 17/09741
APPELANTE
SOCIÉTÉ CHANGE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Emmanuelle SAPENE, avocat au barreau de PARIS, toque : R047
INTIMÉE
Madame [E] [L]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Audrey DUFAU, avocat au barreau de PARIS, toque : C0869
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [E] [L] a été engagée par la société Care, par contrat à durée indéterminée du 30 juin 2014 en qualité de conceptrice rédactrice, statut agent de maîtrise, niveau 2.2 de la convention collective de la publicité.
Par avenant du 1er janvier 2015, son contrat de travail a été transféré à la société Change Digital, devenue Change.
Madame [L] a été placée en arrêt de travail du 23 février au 15 mars 2015, puis du 3 juillet au 30 septembre 2015, bénéficiant de soins jusqu’au 31 décembre 2015.
Par avis du 26 octobre 2015, le médecin du travail a déclaré Madame [L] inapte définitivement à son poste de travail sans aménagement ou reclassement possible au sein de l’entreprise ou du groupe.
Le 9 novembre 2015, la société Change l’a convoquée à un entretien préalable fixé au 18 novembre suivant.
Par courrier du 23 novembre 2015, elle lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Contestant son licenciement, Madame [L] a saisi le 29 novembre 2017 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 30 octobre 2020, a :
-dit que son licenciement était nul,
-condamné la société Change à lui payer les sommes suivantes’:
-12 750 euros pour licenciement nul,
-602 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
-2 125 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
-212 euros au titre des congés payés afférents,
-12 000 euros en réparation du harcèlement moral,
-12 000 euros en réparation du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et de santé de résultat,
-3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-rappelé que les sommes ayant la nature de salaire produisent intérêts à compter de la saisine de la juridiction prud’homale,
-dit que les sommes ayant la nature de dommages-intérêts seront assorties du taux légal à compter du jour du jugement, et que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêts à compter de la saisine de la juridiction prud’homale,
-débouté les parties du surplus de leurs demandes,
-dit que les dépens seront supportés par la société,
-ordonné l’exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 8 janvier 2021, la société Change a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 7 avril 2021, la société Change demande à la cour :
-de la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
-d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a’:
*dit que le licenciement de Madame [L] était nul,
*condamné la société Change à payer à Madame [L] les sommes suivantes’:
-12 750 euros pour licenciement nul,
-602 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
-2 125 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
-212 euros au titre des congés payés afférents,
-12 000 euros en réparation du harcèlement moral,
-12 000 euros en réparation du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et de santé de résultat,
-3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
*débouté la société Change de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux entiers dépens,
par conséquent, statuant à nouveau,
-de débouter Madame [L] de l’ensemble de ses demandes, fin et prétentions,
-de condamner Madame [L] à payer à la société Change la somme de’2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-de condamner Madame [L] en tous les dépens.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 25 juin 2021, Madame [L] demande à la cour :
-de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 30 octobre 2020,
statuant à nouveau,
-de condamner la société Change au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-de débouter la société Change de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
-de condamner la société Change aux entiers dépens d’appel.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 4 juillet 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 10 octobre 2023.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur le harcèlement moral:
La société Change conteste tout harcèlement moral.
Mme [L] affirme au contraire avoir été victime de harcèlement moral et relève notamment un manque total de considération du travail qu’elle a produit, une absence d’encadrement et de retour sur son travail, des annulations de projets ayant donné lieu à plusieurs semaines de travail, une absence de convocation aux réunions de travail, la mise en place d’objectifs particulièrement exigeants, l’alerte sur sa santé restée sans suite, une menace constante de licenciement, conduisant à la dégradation de son état de santé.
Selon l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L1154-1 du code du travail dans sa version applicable au litige dispose que ‘Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’
La salariée verse aux débats :
-l’attestation de Mme [Y], ancienne directrice artistique de la société, évoquant ‘la mauvaise organisation de l’agence’ et le ‘ management catastrophique du DC’ ( directeur de création)’, ‘l’ambiance s’est dégradée petit à petit. Notre nouveau DC ne s’entendait pas avec [C] [H], un des DA déjà en poste chez Change. Nous avions d’ailleurs du mal à comprendre cet acharnement car nous trouvions tous de notre côté que [C] [H] fournissait un travail exemplaire’, ‘sur de nombreux sujets nous avons travaillé plusieurs jours mais nous devions batailler pour qu'[O] valide notre travail’,’Quelques exemples, une compétition pour La Poste sur laquelle nous avions beaucoup travaillé et pour laquelle nous étions restées tard plusieurs soirs pour avancer au mieux. Le sujet n’est finalement pas sorti pour des raisons financières décidées par La Poste mais nous n’avons été prévenues longuement ( sic) après alors que nous relancions sans cesse nos supérieurs pour savoir où cela en était’,’ la situation s’est ensuite dégradée lorsque des bruits ont commencé à courir sur d’autres licenciements potentiels. [E] était très inquiète de faire partie des personnes concernées par ces nouveaux licenciements. Les rumeurs ont circulé plusieurs semaines mais aucune information n’était réellement communiquée. Lors d’une réunion de travail avec [E], nous avons découvert sur un vulgaire post-it la liste des employés susceptibles de faire partie des nouveaux départs. À noter que ce post-it a été oublié sur un bureau servant souvent aux réunions des équipes. Cela a anéanti [E], sachant que son nom était mentionné sur cette liste. Suite à cela, je l’ai vue de plus en plus mal les semaines suivantes et je l’ai vu pleurer à plusieurs reprises’,
– l’attestation de l’ancienne directrice de clientèle parlant de la ‘pression exercée tant sur moi que sur les équipes avec qui je travaillais’, évoquant un ‘climat de suspicion et de «flicage »’, évoquant la distribution de tickets restaurants conditionnée au renseignement des feuilles de temps, précisant en outre que le manque de communication avec le directeur de la création digitale était plus préoccupant pour ‘ceux des créatifs qui ne bénéficiaient pas de ses feed-back, et notamment [E] qui me faisait part de son inquiétude quant à ce manque de considération’,
– le témoignage d’une chef de projet en charge de différents comptes clients, travaillant au quotidien avec la salariée intimée et précisant ‘l’organisation a réellement changé et cela s’est ressenti progressivement sur les équipes. Le département « création » de l’agence n’était plus aussi bien organisé. J’ai très souvent vu [E] travailler tard le soir ou dans l’urgence, ou hors planning.[…] Aucun directeur de création ne jugeait utile de regarder et de valider son travail, elle était très mal encadrée’,
– l’attestation d’un ancien directeur artistique, [U] [K], expliquant que [E] [L] ‘ a commencé à aller mal au mois de janvier’, ‘Nous étions peu épaulés par nos managers. Trois semaines d’arrêt pour [E] en février, toute sa bonne volonté n’a rien changé, je l’ai vu « abîmée » par l’ambiance de l’agence’, ‘les points se faisaient même parfois sans nous’,
– l’attestation d’un ancien directeur artistique de 2013 à 2015 évoquant l’ambiance dégradée rapidement après la fusion, le directeur de création digitale ‘n’était jamais présent et les rares fois où il venait, il n’était pas disponible’, ‘ne répondait jamais à ses mails’…
– le courriel d’une ex-directrice administrative et financière au sein de l’agence, évoquant ‘l’esprit’ qui avait ‘changé’ au sein de la structure ainsi qu’une ‘dérive du « savoir-être » dans l’agence’.
Madame [L] verse également des éléments sur la tenue de son entretien annuel d’évaluation à son retour d’arrêt maladie, ce que Madame [X], ancienne directrice de clientèle a considéré comme étant une ‘erreur de management, un grand manque d’égard, voire une certaine malveillance’.
Il est établi, à la lecture du compte rendu de l’entretien d’évaluation annuelle du 17 mars 2015, que ses objectifs qualitatifs et quantitatifs étaient ‘4 campagnes intégrées réussies’ et ‘au moins 1 prix’.
La salariée verse en outre aux débats ses avis d’arrêt de travail, dont celui du 1er juillet 2015 faisant état d’une ‘intoxication médicamenteuse volontaire dans la nuit du 2 au 3 juillet 2015 avec internement à [4] durant 7 jours dans un contexte d’état de stress aigu avec idées noires centrées sur les difficultés rencontrées sur son lieu de travail avec son manager’, ainsi que plusieurs certificats du médecin psychiatre qui la suivait, faisant état d’une ‘idéation dépressive’ ‘essentiellement centrée sur un sentiment de maltraitance dans son environnement professionnel’, évoquant une ‘dégradation rapide au cours du mois de juin’ (2015) ‘avec un sentiment d’angoisse croissant au gré des départs d’une dizaine de ses collègues en deux mois. Son sentiment de désespoir et d’humiliation culmine la nuit du 2 au 3 juillet, durant laquelle elle réalise une intoxication médicamenteuse volontaire’.
L’intimée verse également la liste des entrées et sorties du personnel pour l’exercice 2015 au sein de l’entreprise, montrant un nombre important de licenciements.
Madame [L] établit ainsi des pressions, un manque de management, une insuffisance d’encadrement, un manque de considération pour le travail accompli, des tensions liées à des vagues de licenciement et à des projets nouveaux en ce sens la concernant directement, faits qui, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.
Pour sa part, la société Change, qui soutient que les manquements invoqués par Madame [L] n’ont aucun fondement et ne caractérisent pas le harcèlement moral allégué, souligne que la fusion-absorption en janvier 2015 a modifié inévitablement les méthodes de travail et l’organisation de l’agence, dont Madame [L] ne s’est pas plainte lors de l’entretien annuel d’évaluation du 17 mars 2015, que les critiques faites à l’égard du management sont inconsistantes, que les objectifs fixés à l’intéressée étaient réalistes et cohérents, qu’un post-it non daté, dont l’auteur reste inconnu, comme les circonstances de sa rédaction, ne peut être probant d’une menace de licenciement et que les attestations adverses sont imprécises et pour certaines sujettes à caution puisqu’émanant de salariés licenciés et donc non objectifs dans leurs critiques.
Elle fait valoir que l’intoxication médicamenteuse n’a pas été considérée comme un accident du travail et qu’aucun lien n’est fait entre cet événement et la sphère professionnelle de Madame [L].
La société Change verse aux débats le contrat de travail de Madame [L] qui, occupant le poste de conceptrice rédactrice, bénéficiait d’une certaine autonomie et indépendance dans l’exécution de ses missions et ne pouvait donc se plaindre de l’absence d’appui de ses managers, ainsi que le procès-verbal d’audition de Monsieur [W], directeur de la création, dans le cadre de l’enquête menée par la CPAM, faisant état du niveau insuffisant de la salariée en conception, peut-être à l’origine de son découragement.
Elle produit également la lettre de démission de Madame [Y], la lettre de licenciement pour insuffisance professionnelle d’une autre salariée ayant attesté, différents courriels quant au projet de réorganisation de l’entreprise, un courriel de Monsieur [R], ancien dirigeant de la société Care, reprochant aux équipes un laisser-aller et des horaires d’arrivée ‘devenus extensibles’, montrant, selon elle, une réalité tout autre que celle décrite par l’intimée.
Cependant, nonobstant une autonomie dans l’exécution des tâches, un agent de maîtrise ne saurait se passer de tout encadrement hiérarchique, notamment dans le domaine d’activité de l’espèce, et aucun élément n’est produit permettant de justifier la carence pointée à ce sujet par plusieurs attestations.
Si, dans le compte rendu de l’entretien annuel d’évaluation litigieux, Madame [L] s’est dite globalement satisfaite, il convient de relever toutefois qu’elle a alerté sur la nécessité de revoir les process de l’agence.
Par ailleurs, les pressions, tensions, rumeurs sur des projets de rupture des relations contractuelles ne sont ni démenties, ni justifiées par les pièces produites.
La société Change échoue donc à justifier les agissements invoqués par la salariée et à démontrer que ses décisions étaient sous-tendues par des considérations objectives étrangères à tout harcèlement moral.
Les éléments recueillis relatifs à l’internement de Madame [L], au traitement médicamenteux, au suivi psychiatrique nécessaires pour elle avant et après sa tentative de suicide et à son mal être aux conséquences durables justifient l’allocation d’une somme de
10 000 € de dommages-intérêts au titre de ce harcèlement moral.
Le jugement de première instance doit donc être infirmé de ce chef.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité:
La société Change considère que Madame [L] n’a jamais émis la moindre alerte sur un éventuel harcèlement moral pendant toute l’exécution de son contrat de travail et n’a saisi la juridiction que deux ans après son licenciement, à l’occasion de conclusions détaillées qui pourraient être une tentative d’échapper à la prescription biennale sur la rupture du contrat de travail.
Madame [L] considère que son employeur ne s’est pas préoccupé de son état de santé à son retour d’arrêt maladie, alors qu’il n’a pas pu ignorer ses pleurs à son poste de travail et son mal-être, n’ayant pris aucune mesure pour veiller à sa santé et à sa sécurité.
Les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail disposent: ‘ l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.’
‘L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.’
Ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.
En l’espèce, les différentes attestations produites par Madame [L] permettent de vérifier la prégnance de son mal-être ainsi que les manifestations de la dégradation de son état de santé en cours de relation de travail, confirmées par les avis d’arrêt de travail, transmis à l’employeur.
Or, il n’est justifié d’aucune mesure préventive relative à un harcèlement moral, au sein de la structure, ni d’aucune investigation sur les conditions de travail et ce, alors que le vice président et directeur de la création, Monsieur [W], a reconnu que l’intéressée ‘travaillait en open space, face à son boss et au milieu de ses collègues de travail’, lors de son audition par la CPAM et qu’il savait que [E] ‘était un peu tendue. Peut-être qu’elle prenait pour elle des remarques faites sur son travail. Le métier, en lui-même, est assez dur psychologiquement’, le fatalisme affiché dans cette dernière expression constituant même l’antithèse de l’obligation de sécurité.
Les éléments recueillis relatifs au préjudice moral subi par la salariée de ce fait, doivent conduire à une réparation au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à hauteur de la somme de 6’000 €, par infirmation du jugement entrepris de ce chef.
Sur le licenciement
La société Change soutient que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, qu’il n’existe aucun lien de causalité entre l’état de santé de Mme [L] et ses conditions de travail.
Mme [L] indique que son inaptitude est directement liée au harcèlement moral qu’elle a subi et que son licenciement est nul.
Il a été vu que Madame [L] avait été victime d’un harcèlement moral, dans les suites de la fusion-absorption de la structure employeur et de sa nouvelle organisation.
Nonobstant les critiques de la société Change relatives à la teneur des certificats médicaux et le refus de la CPAM de considérer la tentative de suicide comme un accident du travail, la teneur des éléments médicaux recueillis établit de façon certaine, comme les attestations précises d’anciens salariés, le lien entre la dégradation de la santé de Madame [L] et ses conditions de travail.
Il convient donc de dire, en l’état d’une rupture pour inaptitude résultant de cette situation, que le licenciement est nul.
Si la société Change produit l’attestation Pôle Emploi concernant Madame [L] et les bulletins de salaire de la salariée de novembre 2014 à décembre 2015 (ses pièces 9 et 10), ces documents ne sauraient confirmer le versement de l’indemnité de licenciement, laquelle est due à la salariée à hauteur du montant réclamé, non strictement contesté et conforme à ses droits.
Par ailleurs, nonobstant l’incapacité dans laquelle se trouvait Madame [L] d’exécuter son préavis, une indemnité lui est due à ce titre et au titre des congés payés y afférents, le licenciement étant nul du fait du harcèlement moral exercé au sein de la structure ; le jugement de première instance doit donc être confirmé de ce chef.
Il en va de même, eu égard à l’ancienneté de la salariée, à son âge ( 28 ans) au jour de la rupture, au montant de son salaire moyen mensuel ( soit 2125 €), à l’absence de justificatifs de sa situation professionnelle après le licenciement, et en considération des éléments médicaux spécifiques à l’espèce, relativement à l’évaluation des dommages intérêts pour licenciement nul.
Le jugement de première instance doit être confirmé à ce sujet.
Sur les intérêts
Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal courent sur les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappels de salaire, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel.
L’équité commande d’infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, mais de faire application de l’article 700 du code de procédure civile toutefois pour la première instance et en cause d’appel en allouant à la salariée la somme globale de 4 000 €.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à l’indemnisation du harcèlement moral et du manquement à l’obligation de sécurité, ainsi qu’aux frais irrépétibles,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société Change à payer à Madame [E] [L] les sommes de :
– 10 000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
– 6 000 € de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
– 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation pour les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, à compter du jugement de première instance pour les sommes indemnitaires confirmées et à compter du présent arrêt pour le surplus,
REJETTE les autres demandes des parties,
CONDAMNE la société Change aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE