REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2023
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01352 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDDR2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 8 Janvier 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Encadrement chambre 5 – RG n° F18/03664
APPELANT
Monsieur [O] [L] [E]
[Adresse 1] –
[Adresse 1] –
[Localité 4]
Représenté par Me Sophie BURY, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
SARL ADESIDEES
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Nicolas DUVAL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0493
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, et M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe MICHEL, président de chambre
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat de travail à durée déterminée à compter du 24 août 2015 puis contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mars 2016, M. [E] a été engagé en qualité de directeur artistique, avec statut cadre, par la société AdesIDEES, ladite société employant habituellement moins de 11 salariés et appliquant la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.
Suivant courrier recommandé du 1er octobre 2017, M. [E] a fait l’objet d’un avertissement pour « insubordination et insuffisance professionnelle ».
M. [E] a fait l’objet d’arrêts de travail pour maladie de manière ininterrompue à compter du mois de novembre 2017.
Invoquant l’existence d’une situation de harcèlement moral et s’estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [E] a saisi la juridiction prud’homale le 18 mai 2018 aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur ainsi que le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.
M. [E] a été examiné par le médecin du travail le 6 septembre 2018 qui l’a déclarée inapte en un seul examen en précisant que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Suivant courrier recommandé du 27 septembre 2018, M. [E] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par jugement du 8 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– débouté M. [E] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la société AdesIDEES de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [E] aux entiers dépens.
Par déclaration du 26 janvier 2021, M. [E] a interjeté appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 avril 2021, M. [E] demande à la cour de :
– infirmer le jugement sauf en ce qu’il a rejeté les pièces n°2, 22 et 23 produites par la société AdesIDEES et en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes reconventionnelles, et, statuant à nouveau,
à titre principal,
– constater que son salaire mensuel brut moyen est de 3 598,20 euros,
– dire que l’avertissement notifié le 1er octobre 2017 est nul,
– dire que son licenciement pour inaptitude est nul en raison du harcèlement subi,
– condamner en conséquence la société AdesIDEES à lui payer les sommes suivantes :
– 61 918,50 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul (17,5 mois de salaire),
– 1 790 euros à titre de reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 10 614,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (3 mois de salaire) outre 1 061,46 euros bruts à titre de congés payés sur préavis,
à titre subsidiaire,
– constater que son salaire mensuel brut moyen est de 3 598,20 euros,
– dire que l’avertissement notifié le 1er octobre 2017 est nul,
– dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamner en conséquence la société AdesIDEES à lui payer les sommes suivantes :
– 61 918,50 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 790 euros à titre de reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 10 614,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (3 mois de salaire) outre 1 061,46 euros bruts à titre de congés payés sur préavis,
en tout état de cause,
– dire que la société AdesIDEES a commis une faute constitutive d’une violation de sa vie privée,
– condamner la société AdesIDEES à lui payer les sommes suivantes :
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de la vie privée,
– 15 000 euros pour non-respect de l’obligation de sécurité,
– 15 201,56 euros à titre de rappel de salaire pour inopposabilité de la convention de forfait en jours (pour les années 2015 à 2017) outre 1 520,15 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire,
– 12 600 euros à titre de contrepartie financière à la clause de non-concurrence outre 1 260 euros à titre de congés payés sur contrepartie financière à la clause de non-concurrence,
– 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens,
– condamner la société AdesIDEES au remboursement des allocations Pôle Emploi dans la limite de 6 mois d’allocations,
– condamner la société AdesIDEES au paiement des intérêts au taux légal et à la capitalisation desdits intérêts,
– ordonner la remise des bulletins de salaire, de l’attestation Pôle emploi et du reçu pour solde de tout compte rectifiés sous astreinte de 150 euros par jour.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 juillet 2021, la société AdesIDEES demande à la cour de :
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
– condamner M. [E] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, lesquels pourront être recouvrés par Maître Nicolas Duval de la Selarl NOUAL DUVAL, avocat à la cour, dans les formes prescrites à l’article 699 du code de procédure civile.
L’instruction a été clôturée le 4 avril 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 10 mai 2023.
MOTIFS
Sur les demandes de rejet de pièces et de dommages-intérêts pour violation de la vie privée
Si l’appelant fait valoir que la société intimée a violé sa vie privée en produisant des données confidentielles et strictement personnelles, issues de sa messagerie personnelle, sans aucun lien avec le présent litige, il sera tout d’abord relevé que le conseil de prud’hommes a rejeté les pièces litigieuses n°2, 22 et 23 produites par l’employeur, l’appelant sollicitant la confirmation du jugement de ce chef dans l’hypothèse où l’intimée les produirait à nouveau en cause d’appel, la société intimée n’ayant pour sa part pas formé appel incident de ce chef et s’abstenant en tout état de cause de produire les pièces litigieuses, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les pièces de la société intimée n°2, 22 et 23. Par ailleurs, l’appelant ne justifiant, au vu des seuls éléments versés aux débats et mises à part ses seules affirmations de principe, ni du principe ni du quantum du préjudice allégué de ce chef, et ce alors que les pièces litigieuses ne sont pas produites en cause d’appel, la cour confirme également le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts formée à ce titre.
Sur le harcèlement moral et l’obligation de sécurité
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il résulte par ailleurs de l’article L. 1154-1 du code du travail que, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, le salarié, qui indique avoir fait l’objet de conditions de travail anormales ainsi que d’un traitement brutal et vexatoire de la part du gérant de la société se traduisant notamment par des humiliations, menaces, propos violents et méthodes brutales de gestion, produit les éléments suivants :
– des attestations établies par d’anciens collègues de travail (MM. [S] et [P] ainsi que Mmes [N], [R] et [G]),
– un mail d’alerte du 29 septembre 2017 concernant la dégradation de ses conditions de travail,
– l’avertissement lui ayant été notifié le 1er octobre 2017 pour « insubordination et insuffisance professionnelle » ainsi que son courrier de contestation du 20 octobre 2017,
– des avis d’arrêts de travail pour maladie à compter du 6 novembre 2017 faisant état d’anxiété et d’un état dépressif réactionnel ainsi que différents justificatifs et certificats médicaux relatifs à l’évolution de son état de santé au cours de la période litigieuse,
– l’avis du médecin du travail du 6 septembre 2018 l’ayant déclaré inapte à son poste de travail en un seul examen avec la précision que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.»,
lesdits éléments faisant état de la mise en ‘uvre par le gérant de la société intimée de pratiques managériales génératrices d’humiliation, d’anxiété et de perte de confiance se manifestant par une attitude et des propos vexatoires ainsi que par des pratiques d’isolement et de stigmatisation publique du salarié devant les autres, outre une surveillance dénigrante des faits et gestes ainsi que de l’activité (en s’installant aux postes de travail des salariés en leur absence), des pratiques punitives constitutives de mesures de rétorsion s’agissant notamment de la notification d’un avertissement disciplinaire à la suite d’un mail d’alerte du salarié concernant la dégradation de ses conditions de travail, ainsi qu’une organisation de l’activité aboutissant à un épuisement professionnel et des critiques systématiques sur la qualité du travail outre la mise en oeuvre d’injonctions paradoxales consistant à donner des consignes contradictoires ou à faire refaire à plusieurs reprises le travail déjà effectué, lesdits agissements ayant eu pour effet de dégrader les conditions de travail et d’altérer la santé physique et mentale du salarié ainsi que cela résulte des nombreux éléments médicaux concordants versés aux débats.
Dès lors, il apparaît que le salarié présente des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
La société intimée se limitant principalement en réplique à contester les affirmations de l’appelant et à critiquer les pièces produites par ce dernier en soulignant que les faits allégués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral, que l’intéressé ne justifie pas du fait que la dégradation de son état de santé serait liée à ses conditions de travail alors qu’il souffrait de stress et d’anxiété depuis plusieurs années et que son travail était insuffisant, tout en mettant en avant le ton courtois et bienséant des mails échangés ainsi que la grande bienveillance, le professionnalisme et l’humanité du dirigeant de la société, la cour retient que l’employeur ne démontre pas, mises à part ses seules affirmations de principe et en l’absence de production en réplique d’éléments de preuve suffisants de nature à les corroborer, que les agissements litigieux ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que les différentes décisions précitées étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il sera ainsi notamment relevé que les seules attestations produites en réplique par l’employeur, rédigées en des termes généraux, imprécis et non circonstanciés, et ce pour partie par des personnes n’ayant pas eu la qualité de salarié de l’intimée ou n’ayant pas été présentes au sein de l’entreprise à la date des faits litigieux, sont manifestement inopérantes et insuffisantes pour remettre en cause les éléments circonstanciés et concordants produits par le salarié.
En application des dispositions des articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail, s’agissant de l’avertissement du 1er octobre 2017, outre que l’intimée ne justifie pas suffisamment, au vu des seules pièces versées aux débats, de la matérialité et des circonstances précises des faits allégués ainsi que de leur caractère fautif imputable au salarié, la cour relève également que l’avertissement litigieux est intervenu 2 jours après que le salarié a alerté son employeur de la dégradation de ses conditions de travail, de sorte que l’avertissement litigieux, qui n’apparaît pas justifié, sera annulé, et ce par infirmation du jugement.
Par conséquent, au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient de retenir l’existence de faits de harcèlement moral subis par l’appelant, et ce par infirmation du jugement.
Par ailleurs, étant rappelé que les obligations résultant des articles L. 1152-1 et L. 1152-4 du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents, peut ouvrir droit à réparation, la cour relevant en l’espèce que l’employeur ne justifie ni du fait d’avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ni, une fois informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral (notamment à la suite du mail d’alerte précité du 29 septembre 2017), d’avoir pris les mesures immédiates propres à le faire cesser, l’intimée, qui a au contraire notifié un avertissement à son salarié dès le 1er octobre 2017 pour insubordination et insuffisance professionnelle, ayant ainsi manqué à ses obligations en matière de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral, il convient, compte tenu du préjudice spécifique non contestable subi par le salarié au regard des répercussions sur son état de santé, de lui accorder en réparation une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, et ce par infirmation du jugement.
Sur la rupture du contrat de travail
Etant rappelé qu’en application des dispositions de l’article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, l’article L. 1152-3 du même code prévoyant que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul, compte tenu des développements précédents concernant la caractérisation de faits de harcèlement moral et au vu de l’ensemble des éléments versés aux débats, la cour relève que le licenciement prononcé à l’encontre de l’appelant s’inscrit dans le contexte précité de harcèlement moral dont le salarié faisait l’objet, ce dernier ayant manifestement été licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.
Dès lors, il convient, sans avoir dans une telle hypothèse à examiner les faits énoncés dans la lettre de licenciement, de déclarer nul le licenciement prononcé à l’encontre de l’appelant, et ce par infirmation du jugement.
Sur les conséquences financières de la rupture
Il résulte des dispositions de l’article L. 1235-3-1 du code du travail que l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
1° La violation d’une liberté fondamentale ;
2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;
3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;
4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;
5° Un licenciement d’un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l’exercice de son mandat ;
6° Un licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
L’indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.
En application des dispositions des articles L. 1234-1 et suivants ainsi que R. 1234-1 et suivants du code du travail outre celles de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, étant rappelé que lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à l’indemnité compensatrice de préavis, peu important les motifs de la rupture, l’indemnité compensatrice de préavis étant intégralement due bien que le salarié, irrégulièrement licencié, n’ait pas été en état d’exécuter un préavis, la cour accorde à l’appelant, sur la base d’une rémunération de référence de 3 538,20 euros, une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 10 614,60 euros (correspondant à un préavis d’une durée de 3 mois) outre 1 061,46 euros au titre des congés payés y afférents, et ce par infirmation du jugement. Par ailleurs, compte tenu d’une ancienneté globale de 3 ans et 4 mois incluant la durée du préavis, le salarié étant en droit de percevoir la somme totale de 3 931,33 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement alors qu’il n’a été réglé que de la somme de 3 910 euros, la cour lui accorde, par infirmation du jugement, un complément d’indemnité conventionnelle de licenciement de 21,33 euros.
Enfin, eu égard à l’ancienneté précitée dans l’entreprise (3 ans et 4 mois), à l’âge du salarié (48 ans) et à la rémunération de référence précitée lors de la rupture du contrat de travail et compte tenu des éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, l’intéressé justifiant avoir perçu l’allocation d’aide au retour à l’emploi à tout le moins jusqu’au mois d’août 2019, la cour lui accorde la somme de 23 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, et ce par infirmation du jugement.
Sur la convention de forfait et les heures supplémentaires
L’appelant fait valoir que son coefficient conventionnel et le montant de sa rémunération contractuelle ne permettaient pas à l’employeur de recourir à une convention de forfait en jours.
L’intimée réplique que le salarié a bien été rémunéré conformément au taux applicable pour une position conventionnelle 3.1, classification 170, et que la convention de forfait en jours était donc régulière.
Etant rappelé qu’en application des dispositions de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, les salariés pouvant se voir appliquer une convention de forfait annuel en jours doivent relever au minimum de la position 3 de la grille de classification des cadres de la convention collective, le personnel concerné devant de surcroît bénéficier d’une rémunération annuelle au moins égale à 120 % du minimum conventionnel de sa catégorie sur la base d’un forfait annuel de 218 jours travaillés ou sur la base du forfait défini en entreprise, cette dernière condition n’apparaissant pas remplie en l’espèce au regard de la rémunération mensuelle brute contractuelle de l’appelant d’un montant de 3 500 euros, de sorte que la convention de forfait en jours litigieuse lui est inopposable, la cour retient que le salarié est bien fondé à revendiquer le décompte de son temps de travail selon le droit commun et à réclamer, le cas échéant, le paiement d’heures supplémentaires au titre de la période courant à compter du 1er mars 2016 (le contrat de travail à durée déterminée conclu pour la période antérieure du 24 août 2015 au 29 février 2016 ne prévoyant pas l’application d’une convention de forfait en jours).
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, au vu des pièces communiquées par le salarié et notamment du décompte précis et détaillé de ses jours et de son temps de travail, des tableaux récapitulatifs des heures supplémentaires réclamées au titre de la période litigieuse ainsi que des courriels échangés dans le cadre de son activité professionnelle, la cour constate que l’intéressé présente à l’appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il indique avoir accomplies pour permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
La société intimée se limitant en réponse à contester les demandes formées par le salarié et à critiquer les éléments produits par ce dernier en affirmant que l’intéressé est imprécis dans ses demandes et qu’il agit de manière purement opportuniste alors qu’il n’avait formulé aucune remarque ou réclamation durant l’exécution de la relation de travail, la cour relève que l’employeur ne fournit donc pas d’éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par son salarié, les seules pièces produites en réplique étant manifestement insuffisantes et inopérantes de ce chef.
Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments et au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées, après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, la cour retient la réalisation d’heures supplémentaires rendues nécessaires par les tâches confiées au salarié, dans une moindre mesure toutefois qu’allégué compte tenu des périodes d’absence pour maladie de l’intéressé, et accorde en conséquence au salarié la somme totale de 3 192,32 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 319,23 euros au titre des congés payés y afférents, et ce par infirmation du jugement.
Sur la clause de non-concurrence
L’appelant fait valoir qu’il n’a pas été régulièrement délié de la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail, et ce dès la lettre de licenciement compte tenu de l’absence d’exécution du préavis.
L’intimée réplique qu’elle a levé la clause de non-concurrence dans le cadre du certificat de travail du 8 octobre 2018, et ce conformément aux stipulations contractuelles.
Le contrat de travail liant les parties contient un article 12 prévoyant notamment que « Par ailleurs, la société se réserve la possibilité de libérer le collaborateur du respect de la clause.
Dans ce cas, la société s’engage à prévenir le collaborateur par écrit dans les 20 jours suivants la notification de la rupture du contrat de travail. »
En l’espèce, au vu de la lettre de licenciement du 27 septembre 2018 ne comportant pas de mention relative à la levée de la clause de non-concurrence ainsi que du certificat de travail du 8 octobre 2018 précisant que le salarié est libéré de l’interdiction de non-concurrence conformément à l’article 12 du contrat de travail, étant rappelé qu’en cas de rupture du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis par le salarié, la date à partir de laquelle celui-ci est tenu de respecter l’obligation de non-concurrence, la date d’exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celles du départ effectif de l’entreprise et qu’il en résulte que l’employeur qui dispense le salarié de l’exécution de son préavis doit, s’il entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, le faire au plus tard à la date du départ effectif de l’intéressé de l’entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires. Il apparaît ainsi que la société intimée, qui a expressément indiqué au salarié, dans le cadre de la lettre de licenciement du 27 septembre 2018, qu’il n’effectuerait pas son préavis, devait renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence au plus tard à la date du départ effectif du salarié de l’entreprise, soit à cette même date du 27 septembre 2018, de sorte que la renonciation dans le cadre du certificat du travail du 8 octobre 2018 est tardive.
Dès lors, étant rappelé que lorsque la renonciation à la clause de non-concurrence par l’employeur est inopérante, le salarié a droit à la contrepartie financière tant qu’il respecte l’interdiction de non-concurrence, la cour accorde au salarié, sur la base des stipulations contractuelles prévoyant, en cas de licenciement pour motif personnel, le versement d’une indemnité de 10 % de la moyenne mensuelle de salaire pendant une durée de 24 mois, une somme de 8 400 euros à titre de contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence outre 840 euros au titre des congés payés y afférents, et ce par infirmation du jugement.
Sur les autres demandes
Il convient d’ordonner à l’employeur de remettre au salarié un bulletin de paie récapitulatif, un solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision, et ce sans qu’il apparaisse nécessaire d’assortir cette décision d’une mesure d’astreinte.
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
Selon l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, il y a lieu d’ordonner à l’employeur fautif de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de trois mois d’indemnités.
En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à verser au salarié la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés en cause d’appel non compris dans les dépens.
L’employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d’appel, et ce par infirmation du jugement.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en ce qu’il a rejeté les pièces n°2, 22 et 23 de la société AdesIDEES, débouté M. [E] de sa demande de dommages-intérêts pour violation de la vie privée et débouté la société AdesIDEES de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Annule l’avertissement notifié à M. [E] le 1er octobre 2017 ;
Déclare nul le licenciement prononcé à l’encontre de M. [E] ;
Condamne la société AdesIDEES à payer à M. [E] les sommes suivantes :
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité en matière de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral,
– 10 614,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 061,46 euros au titre des congés payés y afférents,
– 21,33 euros à titre de complément d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 23 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
– 3 192,32 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 319,23 euros au titre des congés payés y afférents,
– 8 400 euros à titre de contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence outre
840 euros au titre des congés payés y afférents ;
Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société AdesIDEES de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires ;
Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l’article 1343-2 du code
civil ;
Ordonne à la société AdesIDEES de remettre à M. [E] un bulletin de paie récapitulatif, un solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi conformes à la présente
décision ;
Rejette la demande d’astreinte ;
Ordonne à la société AdesIDEES de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [E] du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de trois mois d’indemnités ;
Condamne la société AdesIDEES à payer à M. [E] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Déboute M. [E] du surplus de ses demandes ;
Condamne la société AdesIDEES aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT