AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller GUERDER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– B. Philippe, contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 7ème chambre, en date du 7 février 1994, qui, dans la procédure suivie contre lui, après relaxe, du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Vu l’article 21 de la loi du 3 août 1995, portant amnistie ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 29, alinéa 1, 35 bis et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, 1382 du code civil, défaut de motifs et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a considéré que les éléments constitutifs du délit de diffamation publique étaient établis contre Philippe B. et l’a condamné à verser la somme de 1 franc à titre de dommages et intérêts à M. T. ;
« alors, d’une part, que la motion rédigée par le syndicat SNAM-CGT reprochait à M. T., délégué syndical CFDT, une attitude d’obstruction systématique nuisible à la bonne marche de l’orchestre régional de Cannes et mettait en cause sa représentativité sur un mode humoristique, précisant en outre qu’il avait auparavant été exclu du syndicat FO ;
que ces propos n’étant pas excessifs et ne sortant pas des limites du droit de critique dans le cadre d’un conflit syndical, ils ne pouvaient être considérés comme de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération de l’intéressé ;
qu’ainsi, la cour d’appel a violé les dispositions des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et 1382 du Code civil ;
« alors, d’autre part, que la motion litigieuse considérée par la cour d’appel comme imputant à M.
T. le fait d’être principalement animé du souci de détruire l’orchestre dont il faisait partie, ne contenait de surcroît aucune articulation précise de nature à être sans difficulté l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire ;
qu’en jugeant cependant ce document comme constituant une diffamation, la cour d’appel a violé l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
« alors, enfin, qu’une motion syndicale mettant en cause les agissements d’un délégué appartenant à une autre organisation syndicale en se référant à lui sous l’appellation de « M. Rien » ne contient pas une imputation diffamatoire mais tout au plus une injure, infraction non visée par la citation ;
qu’ainsi, la cour d’appel a violé les dispositions des articles 29, 33 et 35 de la loi du 29 juillet 1881″ ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 23, 28 et 29 de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a considéré que les éléments constitutifs du délit de diffamation publique étaient établis contre Philippe B. et l’a condamné à verser la somme de 1 franc à titre de dommages et intérêts à M. T. ;
« aux motifs que Philippe B. a diffusé la motion rédigée par la CGT à des représentants de la CFDT, soit à des personnes étrangères au groupement dont elle émanait ;
que ce faisant, il a conféré audit écrit un caractère public ;
« alors que le simple fait, pour le directeur artistique d’un orchestre, de communiquer à deux dirigeants d’une organisation syndicale une motion, rédigée par un autre syndicat, mettant en cause l’attitude de leur représentant au sein de l’orchestre, ne saurait caractériser l’élément de publicité au sens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, lequel suppose l’intention de toucher un public large et anonyme ; qu’ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et l’examen des pièces de la procédure mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par des motifs exempts d’insuffisance ou de contradiction, et répondant aux conclusions dont elle était saisie, a exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés par Georges T. dans la motion syndicale distribuée par Philippe B. à des personnes étrangères à son syndicat, et caractérisé en tous ses éléments matériels le délit retenu à la charge du prévenu ;
D’où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation
des articles 29, alinéa 1, 35 bis et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a considéré que les éléments constitutifs du délit de diffamation publique étaient établis contre Philippe B. et l’a condamné à verser la somme de 1 franc à titre de dommages et intérêts à M. T. ;
« alors qu’il résulte des propres énonciations de l’arrêt attaqué que Philippe B. n’avait en aucune façon participé à la rédaction de la motion litigieuse et qu’il s’était borné, en sa qualité de directeur artistique de l’orchestre régional de Cannes, à communiquer aux dirigeants d’une organisation syndicale une motion mettant en cause l’un de leur représentant au sein de l’orchestre et qui avait été établie par un autre syndicat dans le cadre du conflit opposant les deux organisations ;
qu’en refusant de reconnaître à Philippe B., qui n’avait fait qu’exercer son devoir d’information en toute objectivité en rapportant les affrontements opposant un délégué syndical à une autre organisation, le bénéfice de la bonne foi, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ;