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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Coquet, société anonyme, dont le siège est …, en cassation d’un arrêt rendu le 27 novembre 1995 par la cour d’appel de Limoges (Chambre sociale), au profit de M. Claude X…, demeurant …, défendeur à la cassation ;
LA COUR, en l’audience publique du 4 mars 1998, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Bouret, conseiller rapporteur, M. Ransac, conseiller, Mmes Girard-Thuilier, Lebée, conseillers référendaires, M. de Caigny, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Bouret, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société Coquet, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. X…, les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les moyens réunis :
Attendu que M. X…, engagé en 1991 en qualité de directeur artistique par la société Coquet, manufacture de porcelaine, pour s’occuper de la création de modèles et de décors nouveaux et de la mise au point de techniques nouvelles, chargé en outre de la responsabilité de l’atelier décoration, a été licencié par lettre du 9 novembre 1993 pour motif économique ;
Attendu que la société fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir condamnée au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, de première part, que, selon l’article L. 122-14-3 du Code du travail, le juge, à qui il appartient, en cas de licenciement, d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles;
qu’en imputant à la société Coquet, employeur, la charge de justifier suffisamment l’existence de difficultés financières graves et l’impérieuse nécessité d’opérer par la suppression d’un poste de directeur artistique, la restructuration qu’elle a engagée pour assurer la survie de l’entreprise par le maintien de ses capacités de compétitivité, la cour d’appel a violé cette disposition;
alors, de deuxième part, que procède d’une cause économique résultant de difficultés économiques le licenciement d’un salarié par une société dont le chiffre d’affaires a connu une baisse de 22 % la première année, une augmentation par rapport à cette année défavorable de seulement 9 % l’année suivante et dont le montant du bénéfice constaté par le résultat financier est resté inférieur à celui du montant du déficit d’exploitation pendant cette seconde année de référence;
qu’ainsi, en retenant que la société Coquet ne justifie pas suffisamment de l’existence de difficultés financières graves ni de l’impérieuse nécessité d’opérer par la suppression d’un poste de directeur artistique une restructuration ayant pour objectif la survie de l’entreprise, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L. 321-1 du Code du travail;
alors, de troisième part, et à titre subsidiaire, que procède d’une cause économique résultant de la nécessité d’une réorganisation pour sauvegarder sa compétitivité le licenciement d’un salarié par une société dont le chiffre d’affaires a connu une baisse de 22 % la première année, une augmentation par rapport à cette année défavorable de seulement 9 % l’année suivante et dont le montant du bénéfice constaté par le résultat financier est resté inférieur à celui du montant du déficit d’exploitation pendant cette seconde année de référence;
qu’ainsi, en retenant que la société Coquet ne justifie pas suffisamment de l’impérieuse nécessité d’opérer par la suppression d’un poste de directeur artistique une restructuration ayant pour objectif le maintien de ses capacités de compétitivité, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L. 321-1 du Code du travail;
alors, de quatrième part, que, dans ses écritures, la société Coquet avait exposé que le chiffre d’affaires total de la seule année 1993 s’est trouvé gonflé par la mise en place de plusieurs magasins d’exposition appartenant au groupe Lalique sans qu’aucune vente à une clientèle extérieure ne soit réalisée;
qu’ainsi, le bilan 1993 a pu faire croire à un redressement, alors qu’il est démontré par la production des états de chômage partiel qu’en réalité il ne s’agissait que d’une vente de stock ne permettant pas un fonctionnement normal de l’entreprise et, surtout, ne permettant pas l’utilisation de l’ensemble du personnel;
qu’en s’abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si l’accroissement du chiffre d’affaires en 1993 n’était pas dû à l’augmentation du stock exposé dans plusieurs magasins du groupe Lalique mais sans une vente correspondante à des clients, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 321-1 du Code du travail;
et alors, de cinquième part et enfin, que, dans ses conclusions, la société Coquet avait soutenu qu’en ce qui concerne les résultats d’exploitation, le conseil de prud’hommes a bien constaté une perte de plus d’un million de francs sans tenir compte ni de l’explication donnée sur la constitution du stock de produits finis qui a permis de limiter ce déficit, ni de la réduction de la perte d’exploitation résultant d’une provision pour indemnité d’assurance d’un million de francs;
qu’en s’abstenant de répondre à ce chef de conclusions, la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 321-1 du Code du travail;
alors, selon le deuxième moyen, de première part, que, dans ses conclusions, la société Coquet avait soutenu qu’en fait les difficultés économiques et les mesures de chômage partiel exécuté en son sein attestaient de l’absence de tout poste disponible sauf à licencier un autre salarié non initialement visé, ce que ne permet pas la jurisprudence de la Cour de Cassation;
qu’en s’abstenant de répondre à ce chef des conclusions, la cour d’appel a derechef violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile;
alors, de deuxième part, que l’obligation de reclassement ne constitue pas une obligation de résultat mais seulement de moyen;
que, dans ses conclusions d’appel, la société Coquet avait invité la cour d’appel à examiner les photocopies des registres d’entrée et de sortie du personnel de la société et des sociétés Lalique pour constater que depuis le départ de M. X…, il n’y avait eu aucune embauche pouvant correspondre à ses capacités;
qu’en s’abstenant de répondre à ce chef des conclusions de nature à exercer une incidence sur l’issue du litige, la cour d’appel a derechef violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, de troisième part, que, dans ses écritures d’appel, la société Coquet avait soutenu que M. X… ne pouvait être reclassé dans le poste de directeur d’usine responsable industriel tenu par M. Z…, d’une part parce que ce poste n’a rien à voir avec celui d’un directeur artistique spécialisé dans la cristallerie, d’autre part parce que M. Z…, titulaire d’un diplôme d’ingénieur ECS à l’Ecole nationale supérieure de céramique industrielle de Sèvres et qui a déjà assuré la direction de plusieurs sociétés importantes, notamment en faïenceries, pouvait être seul titulaire de ce poste;
qu’en s’abstenant de répondre à ce chef des conclusions, qui précisaient les faits étayant l’appréciation portée par la société Coquet sur les capacités d’adaptation de M. X… à l’exercice des fonctions de directeur d’usine, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile;
alors, de quatrième part, que la liberté d’entreprendre de l’employeur, responsable de l’entreprise, implique qu’il puisse choisir, dans l’exercice de ses pouvoirs de direction, ses collaborateurs directs dont il est seul juge de la valeur professionnelle ;
qu’en déclarant que la société Coquet aurait pu proposer à M. X…, directeur artistique, le poste de directeur industriel après une éventuelle formation, la cour d’appel, qui a substitué son appréciation à celle de cette société dans l’organisation du travail, a violé le principe de la liberté d’entreprendre, ensemble l’article 1134 du Code civil;
alors, selon le troisième moyen, d’abord, qu’en énonçant que l’état statistique de ventes ramené au chiffre d’affaires par création aurait été révélateur des préférences de l’employeur et de ce que le licenciement était inhérent à la personne du salarié, la cour d’appel s’est déterminée par un motif hypothétique et, par suite, violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile;
alors, ensuite, que, dans ses écritures d’appel, la société Coquet avait soutenu que la décision du conseil de prud’hommes devrait être censurée pour violation de la loi en ce qu’elle a à tort retenu que le licenciement de M. X… reposait sur un motif personnel, eu égard à l’application d’un critère de qualité technique prévu par la loi et la convention collective, d’une part, parce que seul le poste de directeur a été supprimé et, d’autre part, parce que l’étude de commercialité des modèles créés par Mme Y… et par M. X… démontre, sans contestation possible, que les modèles créés par ce dernier étaient beaucoup moins performants que ceux créés par Mme Y… et, enfin, parce que procède d’un motif économique le licenciement d’un salarié lorsque son emploi a été supprimé à la suite de la réorganisation de l’entreprise quand bien même l’employeur aurait privilégié le critère de qualification professionnelle après avoir pris en considération l’ensemble des critères arrêtés pour fixer l’ordre des licenciements;
qu’en s’abstenant de répondre à ce chef déterminant des conclusions de la société Coquet, la cour d’appel a derechef entaché sa décision d’un défaut de réponse à conclusions ;
Mais attendu que, sans faire supporter particulièrement la charge de la preuve à l’employeur, la cour d’appel, qui n’avait pas à répondre à de simples arguments, a retenu par motifs propres et adoptés, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve, que la suppression de l’emploi de directeur artistique ne résultait pas d’une réorganisation destinée à sauvegarder la compétitivité de l’entreprise à laquelle cet emploi était indispensable, mais résultait de la volonté de l’employeur de diminuer la charge salariale en l’absence de difficultés économiques;
qu’une telle fin ne pouvant constituer une cause économique de licenciement, elle a ainsi légalement justifié sa décision sans encourir aucun des griefs des moyens ;