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La diminution délibérée des commandes à l’un de ses partenaires contractuels établi peut être qualifiée de rupture abusive de relations commerciales.
En application de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n’implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n’est soumise à aucun formalisme quoiqu’une convention ou une succession d’accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d’un simple courant d’affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664).
Elle est établie dès lors qu’elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l’avenir, une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque “la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale”).
L’article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l’agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l’absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s’apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement.
Les critères pertinents sont notamment l’ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d’affaires réalisé, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, l’éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu’une modification contractuelle négociable et non imposée n’est pas la marque d’une rupture partielle brutale).
Le préavis suffisant au sens de l’article L 441-2 II du code de commerce s’entend du temps nécessaire au partenaire victime pour réorienter son activité en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d’un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs à la notification de la rupture ou à sa matérialisation ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960).
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 08 NOVEMBRE 2023
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/01733 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC75W
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Janvier 2021 – Tribunal de Commerce de Lyon – RG n° 2019J00751
APPELANTES
S.A.S. L’ODYSSEE DES GLACES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le numéro 508 290 624
[Adresse 11]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
assistée de Me Franck LAVERGNE de la SCP LAVERGNE & ASSOCIES, avocat au barreau d’ANNECY
SAS CO.GE.FOB agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de Thonon-les-bains sous le numéro 389 151 481
[Adresse 1]
[Localité 5]
SAS ETABLISSEMENTS ARNAUD agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de Chambery sous le numéro 304 733 298
[Adresse 10]
[Localité 3]
représentées par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
assistées de Me Igal ENNEDAM de la SCP BES SAUVAIGO & Associés, avocat au barreau de LYON
INTIMEE
S.A.R.L. L’ARTISAN GLACIER prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de Chambéry sous le numéro 535 374 706
[Adresse 7]
[Localité 4]
représentée par Me Abdelaziz KHATAB, avocat au barreau de PARIS, toque P438
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Septembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4, et Monsieur Julien Richaud, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4,
Madame Brigitte Brun-Lallemand, 1ère présidente de chambre,
Monsieur Julien Richaud, conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Monsieur Damien Govindaretty
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4, et par Madame Yulia Trefilova, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
La SARL L’Artisan Glacier exerce en Savoie et dans les départements limitrophes une activité principale de fabrication, à base de produits de locaux et selon des procédés artisanaux, et de vente de glaces, crèmes glacées, sorbets et entremets, principalement à destination de professionnels, tels les distributeurs, les restaurateurs et les glaciers. Elle exploite par ailleurs, à titre résiduel, une boutique de vente en direct de ses produits.
La SAS L’Odyssée des Glaces, anciennement dénommée Lac des Glaces et associée de la SARL L’Artisan Glacier jusqu’au 16 décembre 2016, exerce une activité de grossiste en matières premières pour tous les produits relatifs à la glace, d’installation de glaciers, de vente et de production de glaces et sorbets. Dans ce cadre, elle distribuait les glaces fabriquées par la SARL L’Artisan Glacier dans le sud de la France, notamment en région PACA.
La SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud, adhérentes de la centrale d’achat alimentaire Back Europ France, exercent une activité principale de commerce de gros de produits alimentaires à destination des professionnels des secteurs de la boulangerie-pâtisserie, de la restauration ainsi que de tous les métiers de bouche en Savoie et Haute-Savoie.
En janvier et octobre 2013, la SARL L’Artisan Glacier est entrée en relation respectivement avec la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB, celles-ci distribuant les glaces qu’elle leur fournissait en direct. Leurs relations étaient toutefois modifiées à l’occasion de l’adhésion de la SARL L’Artisan Glacier au réseau Back Europ France en septembre 2014, la centrale d’achat procédant alors à des achats en direct pour le compte des sociétés Etablissements Arnaud ou CO.GE.FOB, tandis que la SAS Etablissements Arnaud devenait également, à compter de cette date, fournisseur en matières premières de la SARL L’Artisan Glacier.
Les relations se dégradaient en avril 2017, la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB reprochant à la SARL L’Artisan Glacier d’avoir démarché certains de leurs clients pour procéder à des ventes en direct (Les Pétrins des Saveurs, L’Auberge des [Localité 8] et [Adresse 9]), et le courant d’affaires se réduisait à compter du mois de juin 2017 pour se tarir en juillet 2017, les premières soutenant l’existence d’une rupture de la relation d’un commun accord avec la seconde en août 2017 et s’étant ensuite rapprochées de la SAS L’Odyssée des Glaces à raison des bonnes relations qu’elles entretenaient avec son président, monsieur [B], avec qui elles avaient collaboré de 1998 à 2008 puis lorsqu’il était cogérant de la SARL L’Artisan Glacier jusqu’en janvier 2017.
Dénonçant la rupture brutale des relations commerciales par la SAS Etablissements Arnaud, la SAS CO.GE.FOB et la SAS L’Odyssée des Glaces et leur imputant la commission concertée d’actes de concurrence déloyale et parasitaire résidant dans la commercialisation en région Rhône-Alpes de glaces sous le signe “L’Artisan Glacier” avec un visuel imitant le sien dans des conditions générant un risque de confusion avec ses propres produits dans l’esprit du consommateur, la SARL L’Artisan Glacier a, par acte d’huissier signifié le 27 juin 2018, assigné la SAS Etablissements Arnaud, la SAS CO.GE.FOB et la SAS L’Odyssée des Glaces devant le tribunal de commerce de Chambéry en réparation de ses préjudices.
Par jugement du 30 janvier 2019, le tribunal de commerce de Chambéry s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Lyon à qui le dossier de l’affaire a été transmis en application de l’article 82 du code de procédure civile.
Par jugement du 5 janvier 2021, le tribunal de commerce de Lyon a statué en ces termes :
– “Juge que la société L’ARTISAN GLACIER n’a pas subi une rupture brutale des relations commerciales avec la société L’ODYSSEE DES GLACES ;
– Déboute la société L’ARTISAN GLACIER de sa demande indemnitaire d’un montant de 186.431,96 euros au titre d’un préjudice subi du fait de la rupture brutale ;
– Juge que la société ETABLISSEMENTS ARNAUD a brutalement rompu ses relations commerciales avec la société L’ARTISAN GLACIER ;
– Juge que la société CO.GE.FOB a brutalement rompu ses relations commerciales avec la société L’ARTISAN GLACIER ;
– Condamne solidairement la société ETABLISSEMENTS ARNAUD et la société CO.GE.FOB à verser à la société L’ARTISAN GLACIER la somme de 55.581,13 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la rupture des relations commerciales et déboute la société ARTISAN GLACIER du surplus de ses demandes ;
– Rejette la demande indemnitaire de la société L’ARTISAN GLACIER d’un montant de 15.000 euros au titre d’un préjudice moral du fait de la rupture brutale des relations commerciales avec la société ETABLISSEMENTS ARNAUD ;
– Rejette la demande indemnitaire de la société L’ARTISAN GLACIER d’un montant de 15.000 euros au titre d’un préjudice moral du fait de la rupture brutale des relations commerciales avec la société CO.GE.FOB ;
– Juge que les sociétés L’ODYSSEE DES GLASSES, ETABLISSEMENTS ARNAUD et CO.GE.FOB ont commis des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la société ARTISAN GLACIER ;
– Rejette la demande indemnitaire de la société L’ARTISAN GLACIER à hauteur de la somme de 167.356,48 euros au titre de son préjudice matériel du fait des actes de concurrence déloyale des sociétés L’ODYSSEE DES GLACES, ETABLISSEMENTS ARNAUD et CO.GE.FOB ;
– Condamne solidairement les sociétés L’ODYSSEE DES GLACES, ETABLISSEMENTS ARNAUD et CO.GE.FOB à payer à la société L’ARTISAN GLACIER la somme de 187.943,50 euros à titre de dommages et intérêts pour manque à gagner de chiffre d’affaires du fait des actes de concurrence déloyale des sociétés L’ODYSSEE DES GLACES, ETABLISSEMENT ARNAUD et CO.GE.FOB ;
– Rejette la demande indemnitaire de la société L’ARTISAN GLACIER à hauteur de la somme de 15.000 euros au titre d’un préjudice moral du fait des actes de concurrence déloyale de la société L’ODYSSEE DES GLACES ;
– Rejette la demande indemnitaire de la société L’ARTISAN GLACIER à hauteur de la somme de 15.000 euros au titre d’un préjudice moral du fait des actes de concurrence déloyale de la société ETABLISSEMENTS ARNAUD ;
– Rejette la demande indemnitaire de la société L’ARTISAN GLACIER à hauteur de la somme de 15.000 euros au titre d’un préjudice moral du fait des actes de concurrence déloyale de la société CO.GE.FOB ;
– Déboute les sociétés ARNAUD et CO.GE.FOB de l’ensemble de leurs demandes formées à titre reconventionnel ;
– Condamne solidairement les sociétés L’ODYSSEE DES GLACES, ETABLISSEMENTS ARNAUD et CO.GE.FOB à verser la somme de 9.000 euros à la société L’ARTISAN GLACIER au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne solidairement les sociétés L’ODYSSEE DES GLACES, ETABLISSEMENTS ARNAUD et CO.GE.FOB aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Maître Kathab en application de l’article 699 du code de procédure civile ;
– Rejette la demande d’exécution provisoire du présent jugement “.
Par déclarations reçues au greffe les 25 et 27 janvier 2021, la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB puis la SAS L’Odyssée des Glaces ont interjeté appel de ce jugement, les instances étant alors jointes.
Par ordonnances des 19 octobre 2021 et 22 mars 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir fondée sur l’article 564 du code de procédure civile opposée par la SAS L’Odyssée des Glaces à l’action en garantie des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB, puis a rejeté la demande de production forcée de pièces présentées par ces dernières.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 juin 2023, la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB demandent à la cour, au visa des articles L 442-6 ancien du code de commerce, 1104, 1353 et 1240 du code civil et 9 du code de procédure civile :
– de réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 5 janvier 2021 en ce qu’il a :
* jugé que la SAS Etablissements Arnaud a brutalement rompu ses relations commerciales avec la SARL L’Artisan Glacier ;
* jugé que la SAS CO.GE.FOB a brutalement rompu ses relations commerciales avec la SARL L’Artisan Glacier ;
* condamné solidairement la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB à verser à la SARL L’Artisan Glacier la somme de 55 581,13 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la rupture des relations commerciales ;
* jugé que la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud ont commis des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la SARL L’Artisan Glacier ;
* condamné solidairement la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud à verser à la SARL L’Artisan Glacier la somme de 187 943,50 euros à titre de dommages et intérêts pour manque à gagner de chiffre d’affaires du fait des actes de concurrence déloyale ;
* débouté la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB de l’ensemble de leurs demandes formées à titre reconventionnel ;
* condamné solidairement la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud à verser à la SARL L’Artisan Glacier la somme de 9 000 euros à la SARL L’Artisan Glacier au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’instance ;
– de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la SARL L’Artisan Glacier du surplus de ses demandes principales, subsidiaires, additionnelles ou complémentaires ;
– statuant à nouveau, avant dire droit, d’enjoindre à la SARL L’Artisan Glacier de communiquer aux sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB les documents suivants :
* ses bilans et comptes de résultat des exercices 2017 et 2018 validés par son expert-comptable ou son commissaire aux comptes ;
* ses comptes-clients pour les exercices 2017 et 2018, validés par son expert-comptable ou son commissaire aux comptes, et à tout le moins ceux concernant les clients suivants : [Adresse 9] ;
* et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
– s’agissant des demandes au titre de la rupture abusive des relations commerciales établies :
* à titre principal, de débouter la SARL L’Artisan Glacier de l’ensemble de ses demandes à l’encontre des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB y compris celles formulées dans le cadre de son appel incident et relatives à la rupture abusive de relation commerciale établie, la cessation de celle-ci résultant des agissements déloyaux de la SARL L’Artisan Glacier ;
* à titre subsidiaire, de débouter la SARL L’Artisan Glacier de l’ensemble de ses demandes à l’encontre des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB y compris celles formulées dans le cadre de son appel incident, faute pour cette dernière de justifier de la réalité de son préjudice par des documents comptables et financiers probants ;
* à titre infiniment subsidiaire, de :
° ramener à de plus justes proportions les demandes adverses ;
° fixer notamment la durée de préavis qui aurait dû être accordé à la SARL L’Artisan Glacier à 4 mois pour la SAS Etablissements Arnaud et à 3 mois pour la SAS CO.GE.FOB ;
° limiter les condamnations éventuelles aux sommes suivantes : 6 126,13 euros HT pour la SAS Etablissements Arnaud et 858,82 euros HT pour la SAS CO.GE.FOB ;
– s’agissant des demandes indemnitaires pour concurrence déloyale, de :
* à titre principal, débouter la SARL L’Artisan Glacier de l’ensemble de ses demandes formulées à l’encontre des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB, y compris celles formulées dans le cadre de son appel incident et relatives aux prétendus actes de concurrence déloyale dont elles auraient été à l’origine ;
* subsidiairement, ramener les demandes adverses à de plus justes proportions et condamner la SAS L’Odyssée des Glaces à relever et garantir les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB des condamnations qui pourraient être mises à leur charge au titre de ces prétendus actes de concurrence déloyale ;
– s’agissant de la demande des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB tendant à voir la SAS L’Odyssée des Glaces les relever et garantir des éventuelles condamnations qui pourraient être mises à leur charge, de :
* juger que la demande des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB tendant à voir la SAS L’Odyssée des Glaces les relever et garantir desdites condamnations n’est pas nouvelle, cette demande n’étant que la conséquence des prétentions formulées en première instance par les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB et ayant été rendue nécessaire par l’évolution du litige ;
* en conséquence, rejeter les demandes de la SAS L’Odyssée des Glaces ;
– en tout état de cause, de :
* à titre reconventionnel :
° juger que la demande de la SAS Etablissements Arnaud tendant à voir condamner la SARL L’Artisan Glacier au paiement d’une somme de 1 832,26 euros HT au titre de la perte de marge brute résultant du préavis de 3 mois dont elle a été privée du fait de la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies dont la SARL L’Artisan Glacier est à l’origine n’est pas nouvelle ;
° condamner la SARL L’Artisan Glacier à payer à la SAS Etablissements Arnaud une somme de 1 832,26 euros HT au titre de la perte de marge brute résultant du préavis de 3 mois dont elle a été privée du fait de la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies dont la SARL L’Artisan Glacier est à l’origine ;
– condamner la SARL L’Artisan Glacier à payer à la SAS Etablissements Arnaud et à la SAS CO.GE.FOB une somme de 10 000 euros chacune au titre des frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la même aux entiers dépens d’appel et de première instance avec distraction au profit de Maître Frédéric Lallement, avocat au barreau de paris, selon son affirmation de droit ;
– débouter la SARL L’Artisan Glacier de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens ;
– débouter la SAS L’Odyssée des Glaces de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 juin 2023, la SARL L’Artisan Glacier demande à la cour, au visa des articles L 442-1 II du code de commerce, 1240 et 1241 du code civil, 11 alinéa 2 et les articles 142, 138, 139, 907 et 788 du code de procédure civile, 564, 565, 556, 557, 64, et 70 du même code, L 151-3, L 153-1 et R 153-3 du code de commerce :
– de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon en ce qu’il a :
* jugé que la SAS Etablissements Arnaud a brutalement rompu ses relations commerciales avec la SARL L’Artisan Glacier ;
* jugé que la SAS CO.GE.FOB a brutalement rompu ses relations commerciales avec la SARL L’Artisan Glacier ;
* jugé que la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud ont commis des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la SARL L’Artisan Glacier ;
* débouté les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB de l’ensemble de leurs demandes formées à titre reconventionnel ;
* condamné solidairement la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud à verser la somme de 9 000 euros à la SARL L’Artisan Glacier au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– d’infirmer le jugement pour le surplus ;
– statuant à nouveau, à titre principal, de :
* déclarer la demande formée par la SAS Etablissements Arnaud au titre de la rupture des relations commerciales avec la SARL L’Artisan Glacier irrecevable ;
* en conséquence, débouter la SAS Etablissements Arnaud de sa demande de condamnations de la SARL L’Artisan Glacier au paiement de dommages-et-intérêts ;
* condamner in solidum la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud à réparer le préjudice et le manque à gagner subi par la société la SARL L’Artisan Glacier et à lui verser un montant de dommages et intérêts à hauteur de 942 853,96 euros ;
* condamner in solidum la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud à réparer le préjudice moral subi par la SARL L’Artisan Glacier et à lui verser un montant de dommages et intérêts à hauteur de 90 000 euros ;
* condamner in solidum la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud à payer à la SARL L’Artisan Glacier la somme de 35 644,50 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;
– subsidiairement, de :
* débouter la SAS Etablissements Arnaud de sa demande de condamnation de la SARL L’Artisan Glacier au paiement de dommages et intérêts au titre de la rupture des relations commerciales avec la SARL L’Artisan Glacier ;
* condamner la SAS Etablissements Arnaud à verser à la SARL L’Artisan Glacier :
° la somme de 170 100 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
° la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
° la somme de 11 881,50 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;
* condamner la SAS CO.GE.FOB à verser à la SARL L’Artisan Glacier :
° la somme de 35 619,34 euros de dommages-et-intérêts au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
° la somme de 15 000 euros de dommages-et-intérêts au titre du préjudice moral subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
° la somme de 11 881,50 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;
* condamner la SAS L’Odyssée des Glaces à verser à la SARL L’Artisan Glacier :
° la somme de 186 431,96 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
° la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
° la somme de 11 881,50 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;
* condamner in solidum la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud à verser à la société l’artisan glacier :
° la somme de 383 346,18 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de leurs actes de concurrence déloyale ;
° la somme de 45 000 euros de dommages-et-intérêts au titre du préjudice moral subi du fait de leurs actes de concurrence déloyale ;
– en tout état de cause, de :
* déclarer que la demande de communication de pièces formée par les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB est irrecevable ;
* en conséquence, débouter les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB de leur demande de communication de pièces ;
* condamner in solidum la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Maître Khatab en application de l’article 699 du code de procédure civile ;
* débouter la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud de l’ensemble de leurs demandes.
Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 14 juin 2023, la SAS L’Odyssée des Glaces demande à la cour, au visa des articles 4, 6, 53, 56, 564 et 910-1 du code de procédure civile et 1240 et 1241 du code civil, de :
– s’agissant de la demande des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB d’être relevées et garanties :
o * à titre principal, déclarer irrecevable comme nouvelle la prétention des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB visant à voir condamner la SAS L’Odyssée des Glacesà les relever et garantir des condamnations qui pourraient être mises à leur charge au titre des prétendus actes de concurrence déloyale ;
o * à titre subsidiaire et dans l’hypothèse où la demande ne serait pas considérée comme nouvelle, déclarer irrecevable et mal fondée cette demande comme n’étant fondée en fait ni en droit et par conséquent, la rejeter ;
– s’agissant des demandes indemnitaires de la SARL L’Artisan Glacier :
* confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a :
° jugé que la SARL L’Artisan Glacier n’avait pas subi une brusque rupture des relations commerciales avec la SAS L’Odyssée des Glaces et débouté la SARL L’Artisan Glacier de sa demande indemnitaire de ce chef ;
° rejeté les demandes indemnitaires de la SARL L’Artisan Glacier au titre de ses préjudices moraux ;
° rejeté la demande indemnitaire de la SARL L’Artisan Glacier au titre de son préjudice matériel ;
– l’infirmer en ce qu’il a :
* jugé que la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud ont commis des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la SARL L’Artisan Glacier ;
* condamné solidairement la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud à payer à la société la SARL L’Artisan Glacier la somme de 187 943,50 euros à titre de dommage et intérêts pour manque à gagner de chiffre d’affaires du fait des actes de concurrence déloyale ;
* condamné solidairement la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud à verser la somme de 9 000 euros à la SARL L’Artisan Glacier au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
* condamné solidairement la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Maître Kathab en application de l’article 699 du code de procédure civile ;
– et, statuant à nouveau :
* à titre principal, débouter la SARL L’Artisan Glacier de l’ensemble de ses demandes ;
* à titre subsidiaire, dire et juger que le préjudice allégué par l’artisan glacier au titre du manque à gagner qu’elle entend imputer à la SAS L’Odyssée des Glaces ne saurait en tout état de cause excéder 16 720 euros ;
– en tout état de cause :
* condamner solidairement les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB à payer à la SAS L’Odyssée des Glaces la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
* condamner la SARL L’Artisan Glacier à payer à la SAS L’Odyssée des Glaces la somme de 35 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
* condamner solidairement les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB et la SARL L’Artisan Glacier aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction pour les premiers au profit de la SCP Lavergne & Associes et pour les seconds au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’arrêt sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur la demande de production forcée
Conformément à l’article 11 du code de procédure civile, les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus. Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime.
En application de l’article 142 du code de procédure civile, les demandes de production des éléments de preuve détenus par les parties sont faites, et leur production a lieu, conformément aux dispositions des articles 138 et 139 qui, régissant l’obtention des pièces détenues par un tiers, disposent que la demande de production d’un acte, dont une partie qui n’y était pas partie entend faire état en cours d’instance, peut être faite sans forme au juge qui, s’il l’estime fondée, ordonne la délivrance ou la production de l’acte ou de la pièce, en original, en copie ou en extrait selon le cas, dans les conditions et sous les garanties qu’il fixe, au besoin à peine d’astreinte.
S’il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de ses prétentions en application de l’article 9 du code de procédure civile, cette preuve peut être apportée par le biais de la production ou la communication forcée d’une pièce par la partie adverse ou de sa production par un tiers. Toutefois, pouvant notamment heurter la confidentialité d’éléments nécessaires à l’exercice d’une activité économique concurrentielle ou un secret légalement protégé et soumise au principe général posé par l’article 146 du code de procédure civile excluant que le juge supplée par une mesure quelconque la carence des parties dans l’administration de la preuve, la production forcée doit porter sur des pièces pertinentes et nécessaires à la solution du litige en ce qu’elles sont de nature à prouver les faits allégués, vraisemblablement détenues par la partie adverse et insusceptibles d’être obtenues autrement.
Et, le défaut de preuve des faits soutenant une prétention sous une qualification déterminée commandant son rejet conformément à l’adage idem est non esse et non probari, le choix des pièces que la SARL L’Artisan Glacier entend produire pour justifier du bien-fondé de ses demandes n’appartient qu’à elle et s’opère à ses risques et périls, une partie n’ayant ainsi aucun intérêt à solliciter une pièce étrangère au succès de ses prétentions mais uniquement de nature à fonder un moyen de défense qui lui est opposé.
Or, la demande de production forcée présentée par les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB porte sur des pièces qui ne sont pas utiles au succès de leurs prétentions ou à l’examen des mérites de leurs moyens de défense mais qui servent exclusivement à justifier du quantum du préjudice réclamé par la SARL L’Artisan Glacier (page 13 de leurs écritures). Elle recèle par ailleurs une certaine incohérence puisqu’elles reprennent à leur compte sans réserve les données financières communiquées par cette dernière (ses pièces 26 et 27) et les exploitent dans leurs écritures (pages 15 et 16) et dans une pièce complémentaire 29, éléments suffisants pour déterminer le chiffre d’affaires généré par chaque relation. En outre, les bilans et comptes clients des années 2017 et 2018 objet de leur demande ne sont pas pertinents puisqu’ils portent sur des exercices qui sont affectés par la rupture ou lui sont postérieurs et qui sont de ce fait étrangères à la détermination de l’indemnisation sollicitée. Enfin, elles n’expliquent pas le bénéfice qu’elles tireraient de la production d’éléments concernant les clients Les Pétrins des Saveurs, L’Auberge des [Localité 8] et [Adresse 9].
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande de production forcée.
2°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyens des parties
Au soutien de leur appel principal, la SAS CO.GE.FOB et la SAS Etablissements Arnaud exposent que, à compter du mois de septembre 2014, une relation tripartite s’est instaurée entre avec la société Back Europ France qui se fournissait auprès de la SARL L’Artisan Glacier et leur revendait ses produits, leurs propres commandes en direct représentant une part résiduelle avoisinant 13 %. Elles estiment que la relation commerciale s’est ainsi poursuivie avec la société Back Europ France jusqu’en mars 2021 avec une augmentation des ventes dès 2016 malgré l’arrêt de leur propre commande, ce qui exclut toute rupture en 2017 qui leur serait imputable. Subsidiairement, elles précisent que cette dernière était régulière à raison de la faute grave commise par la SARL L’Artisan Glacier qui avait, courant 2017, démarché leurs clients (Les Pétrins des Saveurs, [Adresse 9]) pour leur vendre directement ses produits et n’avait pas répondu à leurs demandes de clarification adressées le 11 mai 2017. Elles ajoutent que, face à cette situation, les parties ont rompu d’un commun accord la relation commerciale durant l’été 2017. Plus subsidiairement, elles estiment que le préjudice allégué, qui devrait être limité à la seule chute des ventes en direct, n’est démontré ni en son principe ni en sa mesure, la SARL L’Artisan Glacier, qui ne prouve aucune dépendance économique, ne produisant aucune pièce comptable fiable, carence qui fonde leur demande de production forcée. A défaut, elles fixent le préavis suffisant à trois mois pour la SAS CO.GE.FOB et à quatre mois pour la SAS Etablissements Arnaud et assoient l’indemnisation sur les seules ventes directes.
En réponse, la SARL L’Artisan Glacier expose qu’elle entretenait des relations commerciales avec la SAS Etablissements Arnaud depuis 2012 et avec la SAS CO.GE.FOB depuis 2013 et que l’intervention de la société Back Europ France ne les a pas affectées puisque, en sa qualité de simple intermédiaire, elle passait toutes ses commandes à leur demande et pour leur compte, la part moyenne du chiffre d’affaires généré par ces relations s’établissant respectivement à 17 % et 4 % en 2016. Si elle reconnaît que la fin du partenariat a été envisagée en mai 2017, elle précise que les parties se sont finalement accordées sur sa poursuite qui a été confirmée par courriel du 2 mai 2017. Elle ajoute que la chute des commandes en juin 2017 puis leur cessation en juillet 2017 parallèlement à l’instauration d’une collaboration avec la SAS L’Odyssée des Glaces caractérise une rupture brutale qui leur est exclusivement imputable. Elle précise que le moment de la rupture, consommée pendant la période estivale, particulièrement propice à la consommation de glaces, et sa dépendance économique aggravent sa brutalité. Elle explique par ailleurs qu’elle entretenait avec la SAS L’Odyssée des Glaces des relations commerciales établies entre sa création et septembre 2017, la part du chiffre d’affaires généré par celles-ci représentant 25 % de son chiffre d’affaires global en 2016. Elle indique que ses liens avec la société L’Horizon des Glaces, comme le conflit qui les a opposées et qu’elle a subi, sont étrangers à la cessation du partenariat commercial. Elle ajoute que la rupture, vexatoire, lui cause un préjudice moral.
Elle estime que, en considération des circonstances des ruptures intervenues avant les pics d’activité des vacances d’été et des fêtes de Noël ainsi que du caractère saisonnier de son activité, le préavis suffisant dont elle a été privée était de douze mois. Elle retient une marge de 63 % calculée sur l’année 2018, seule représentative, les années 2016 et 2017 ayant été respectivement affectées par la vente des parts sociales de la SAS L’Odyssée des Glaces et par la rupture, qu’elle applique par régression linéaire au chiffre d’affaires reconstitué de juin à décembre 2017.
La SAS L’Odyssée des Glaces expose pour sa part que ses relations avec la SARL L’Artisan Glacier ont perduré jusqu’en septembre 2017 et n’ont cessé qu’à l’initiative de cette dernière qui a bloqué toute commande et a fait pratiquer une mesure d’instruction in futurum dans ses locaux. Subsidiairement, elle estime que le préavis ne pouvait raisonnablement excéder cinq mois.
Réponse de la cour
En application de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
– Sur les caractéristiques des relations commerciales
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n’implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n’est soumise à aucun formalisme quoiqu’une convention ou une succession d’accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d’un simple courant d’affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu’elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l’avenir, une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque “la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale”).
Les relations entre la SARL L’Artisan Glacier et les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB
Il ressort des écritures des parties, qui ne varient sur ce point qu’à la marge, de l’attestation de monsieur [E] [Y], président des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB (pièce 20 de la SARL L’Artisan Glacier) et des données comptables produites par la SARL L’Artisan Glacier (ses pièces 26 à 28, 31 et 48), que les relations commerciales avec des dernières ont débuté respectivement en janvier 2013 et en octobre 2013.
A compter du mois de septembre 2014, la SARL L’Artisan Glacier a intégré le réseau organisé par la société Back Europ France et les ventes en direct avec la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB ont diminué. Pour autant, les commandes passées par celle-là, devenues très majoritaires dès l’adhésion (pièces 26 et 27 de la SARL L’Artisan Glacier reprises en sa pièce 19 par les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB), l’ont systématiquement été “pour le compte” de celles-ci (pièces 7 et 8 de la SARL L’Artisan Glacier), les bons de commande correspondants étant adressés à chacune d’elles indépendamment de l’intervention de la société Back Europ France qui n’affectait que le mode de règlement, par virement ou prélèvement (pièces 51 à 54 de la SARL L’Artisan Glacier) tandis que les livraisons étaient assurées par la SARL L’Artisan Glacier (ses pièces 55 à 58), le circuit des marchandises étant ainsi inchangé. Aussi, c’est par de justes motifs que la Cour adopte que le tribunal a considéré que l’intermédiation de la société Back Europ France, qui centralisait des commandes qui demeuraient individualisées comptablement et économiquement sans reprendre à son compte un partenariat antérieur, n’a concrètement pas modifié la relation commerciale établie entre la SARL L’Artisan Glacier et les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB : le chiffre d’affaires pertinent pour apprécier la consistance de cette relation comprend indistinctement les ventes en direct et celles réalisées par le truchement de la société Back Europ France, la poursuite des relations avec cette dernière pour le compte d’autre adhérents postérieurement à la rupture alléguée (pièce 21 des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB) étant de ce fait sans incidence.
Au regard des données comptables non utilement contestées en leur teneur par les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB qui les reprennent dans leur pièce 19, chacune des relations commerciales a été stable et continue, de son origine à sa cessation alléguée, et a permis de générer un chiffre d’affaires présentant les caractéristiques suivantes :
– pour la SAS Etablissements Arnaud (sa pièce 27) : le chiffre d’affaires annuel a constamment et significativement crû de janvier 2013 (108 253,93 euros sur l’année puis 170 666,13 euros en 2014) à décembre 2015 (201 755,26 euros) avant d’entamer une très légère baisse en 2016 (194 591,32 euros) ;
– pour la SAS CO.GE.FOB (sa pièce 26) : le chiffre d’affaires annuel a constamment et significativement crû de janvier 2013 (6 160,63 euros sur l’année puis 23 400,64 euros en 2014 et 36 418,89 euros en 2015) à décembre 2016 (45 590,29 euros).
Ainsi, sur l’année 2016, la part du chiffre d’affaires généré par les relations avec la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB représentait respectivement 17 % et 4 % du chiffre d’affaires global de la SARL L’Artisan Glacier (comparaison de ses pièces 26, 27 et 48).
Ces éléments combinés révèlent que ces relations ininterrompues ont généré un flux d’affaires significatif en valeurs absolue et relative et en augmentation constante jusqu’en 2015 ou 2016.
Dès lors, elles étaient établies au sens de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce.
Les relations entre la SARL L’Artisan Glacier et la SAS L’Odyssée des Glaces
Il est constant que la relation commerciale entre ces sociétés a débuté courant 2012 et ont perduré malgré la cession des parts détenues par la SAS L’Odyssée des Glaces dans la SARL L’Artisan Glacier le 16 décembre 2016. Ainsi que le révèlent les données comptables produites par les parties (pièce 28 de la SARL L’Artisan Glacier et pièce 29 de la SAS L’Odyssée des Glaces qui présentent des divergences marginales), le chiffre d’affaires généré par cette relation a régulièrement crû de 2012 à 2015, passant de 60 645 euros à 309 583,66 euros) avant d’amorcer une baisse en 2016 (282 263,84 euros). Sur l’année 2016, la part du chiffre d’affaires généré par les relations avec la SAS L’Odyssée des Glaces représentait 25 % du chiffre d’affaires global de la SARL L’Artisan Glacier (comparaison de ses pièces 28 et 48)
Ces éléments combinés révèlent que ces relations ininterrompues étaient stables et régulières et ont généré un flux d’affaires significatif en valeurs absolue et relative et en augmentation constante jusqu’en 2015. Elles étaient établies au sens de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce.
– Sur la réalité, l’imputabilité et la brutalité des ruptures
L’article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l’agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l’absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s’apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont notamment l’ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d’affaires réalisé, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, l’éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu’une modification contractuelle négociable et non imposée n’est pas la marque d’une rupture partielle brutale).
Les relations entre la SARL L’Artisan Glacier et les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB
De manière contradictoire, les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB concluent d’abord à l’absence de rupture en invoquant, à tort ainsi qu’il a été dit, la reprise des relations par la société Back Europ France, mais également une cessation d’un commun accord puis une rupture fondée sur la faute grave de la SARL L’Artisan Glacier. Par-delà cette incohérence, ces moyens manquent en fait.
En effet, si les relations ont pris un tour conflictuel en avril 2017 quand la SAS CO.GE.FOB a découvert que des commandes avaient été passées directement par un de ses clients à la SARL L’Artisan Glacier, la correspondance des 9 et 11 mai 2017 (pièces 16 et 25 de la SARL L’Artisan Glacier) démontrent que, quoique leur cessation fût explicitement envisagée (pièce 17 des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB), les relations ont été clairement maintenues. Ainsi, tandis que la SARL L’Artisan Glacier sommait le dirigeant commun des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB de lui confirmer sa décision, annoncée lors d’une réunion du 27 avril 2017, de rompre toute relation commerciale, celui-ci lui confirmait, dans une lettre qui n’appelait aucune réponse, le maintien du courant d’affaires en évoquant toutefois la possibilité d’une “mise au point quant à [leurs] relations commerciales”. Aussi, c’est en parfaite connaissance des agissements de la SARL L’Artisan Glacier que la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB ont poursuivi le partenariat commercial, les clarifications envisagées n’étant pas présentées comme susceptibles de le remettre en cause. De ce fait, l’argument tiré d’une précarisation de la relation et de la prévisibilité de la rupture est inopérant.
Ce constat emporte deux conséquences. D’une part, il prive de toute pertinence la thèse, que rien n’étaye par ailleurs, d’un mutuus dissensus. D’autre part, l’appréciation de la faute susceptible de fonder une rupture brutale doit être objective, au regard de l’ampleur de l’inexécution et de la nature l’obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie. Or, la confirmation explicite, sans réserve sur son principe, de la poursuite de la relation avec la conscience claire des fautes commises par la SARL L’Artisan Glacier induit à elle seule l’absence de gravité de ces dernières qui, dans l’esprit du président des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB n’étaient pas de nature à faire obstacle au maintien du partenariat. Surabondamment, la Cour constate que, alors que les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB ne se prévalent d’aucune obligation de non-concurrence et que le démarchage de leur clientèle est en conséquence libre sous la seule réserve qu’il ne s’accompagne pas d’un acte déloyal (en ce sens, au nom de la liberté du commerce et de l’industrie et de la libre concurrence, Com., 14 févr. 2018, n° 15-25.346), les attestations produites, très imprécises sur le rôle actif ou passif de la SARL L’Artisan Glacier et les conséquences concrètes des prises de contacts évoquées (pièces 14 à 16 des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB), ne rapportent l’emploi d’aucun moyen qui ne serait pas conforme aux usages loyaux du commerce, les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB ne démontrant en outre pas la perte des clients concernés qui ne peut se déduire du seul examen de leur chiffre d’affaires pour les produits glacés en 2018, soit à distance des faits litigieux (leur pièce 25).
En revanche, les données financières livrées par la SARL L’Artisan Glacier (ses pièces 26 et 27 de la SARL L’Artisan Glacier) révèlent que les commandes ont chuté en juin 2017 pour cesser totalement en juillet 2017. C’est d’ailleurs à cette période que les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB ont commencé à se fournir auprès de la SAS L’Odyssée des Glaces. Cet arrêt définitif et sans préavis des commandes caractérise une rupture brutale des relations commerciales établies, partielle dès juin 2017 puis totale, sa soudaineté étant aggravée par le fait que la SARL L’Artisan Glacier ne pouvait raisonnablement l’anticiper au regard des termes univoques du courrier du 11 mai 2017 et qu’elle intervient durant la saison la plus rémunératrice de l’année ainsi qu’il sera dit infra.
Les relations entre la SARL L’Artisan Glacier et la SAS L’Odyssée des Glaces
Au regard des éléments financiers communiqués par les parties (pièce 28 de la SARL L’Artisan Glacier et pièce 29 de la SAS L’Odyssée des Glaces), la SAS L’Odyssée des Glaces a cessé ses commandes en septembre 2017, les achats à hauteur de 317,10 euros et 105,70 euros étant dérisoires au regard des montants facturés l’année précédente à la même période (14 866,01 et 3 477,73 euros).
Cependant, outre le fait que le flux d’affaires présentait une nette tendance baissière initiée en 2015, accentuée en 2016 et nettement aggravée sur le premier semestre 2017, signe d’un certain délitement de la relation commerciale, la SARL L’Artisan Glacier a elle-même précisé le 3 août 2017 (pièce 24 de la SAS L’Odyssée des Glaces) qu’elle bloquerait toute commande de la SAS L’Odyssée des Glaces sans un engagement, à formaliser par écrit dès le lendemain, de la part de la société tierce L’Horizon des Glaces pour une intervention en novembre 2017 sur la chaine de production défaillante qu’elle lui louait. Elle obtenait parallèlement le 4 août 2017 l’autorisation de faire pratiquer une mesure d’instruction in futurum dans ses locaux (pièce 25 de la SAS L’Odyssée des Glaces), investigations qui ne sont pas de nature à laisser entendre à son partenaire qu’elle souhaitait poursuivre les relations dont elle annonçait sans équivoque la cessation.
S’il est exact que les relations qu’elle entretenait avec la SAS L’Odyssée des Glaces et avec la société L’Horizon des Glaces étaient juridiquement et économiquement distinctes, peu important leurs liens capitalistiques, la SARL L’Artisan Glacier a, d’initiative, choisi de les confondre pour disposer d’un moyen de pression plus efficace. Ce faisant, elle a lié leur sort, à tort puisque l’exception d’inexécution qu’elle mettait en ‘uvre portait sur des obligations indépendantes trouvant leur source dans des relations différentes : la dégradation irrémédiable de l’une entraîne celle de l’autre et l’annonce de la SARL L’Artisan Glacier, qui est seule responsable des effets qu’elle produit, rendait illusoire, dans l’esprit de la SAS L’Odyssée des Glaces, toute nouvelle commande.
Dès lors, peu important le bienfondé de ses réclamations à l’encontre de la société L’Horizon des Glaces, la SARL L’Artisan Glacier est à l’origine de la rupture des relations commerciales avec la SAS L’Odyssée des Glaces.
Le jugement entrepris, dont les motifs seront adoptés sur ce point, sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes de la SARL L’Artisan Glacier au titre de la rupture brutale des relations commerciales par la SAS L’Odyssée des Glaces.
– Sur la durée du préavis éludé et l’indemnisation
Le préavis suffisant au sens de l’article L 441-2 II du code de commerce s’entend du temps nécessaire au partenaire victime pour réorienter son activité en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d’un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs à la notification de la rupture ou à sa matérialisation ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960).
La relation commerciale nouée entre la SARL L’Artisan Glacier et la SAS Etablissements Arnaud a duré 4 ans et 6 mois au jour de la rupture, consommée début juin 2017, celle entretenue avec la SAS CO.GE.FOB ayant perduré 3 ans et 9 mois. Sur l’année 2016, la part du chiffre d’affaires généré par les relations avec la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB représentait respectivement 17 % et 4 % du chiffre d’affaires global de la SARL L’Artisan Glacier (comparaison de ses pièces 26, 27 et 48).
A ce titre, l’état de dépendance économique, pour l’essentiel défini pour les besoins de l’application de l’article L 420-2 du code de commerce qui n’est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d’élément d’évaluation de la durée du préavis éludé, s’entend de l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s’apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur, ainsi que de l’impossibilité pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d’une solution équivalente s’entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l’entreprise de développer des relations contractuelles avec d’autres partenaires, de substituer à son donneur d’ordre un ou plusieurs autres donneurs d’ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).
Ces taux ne traduisent aucune dépendance économique avec la SAS CO.GE.FOB et une dépendance modérée à l’endroit de la SAS Etablissements Arnaud. Pour autant, l’appréciation des possibilités de redéploiement de son activité par la SARL L’Artisan Glacier doivent intégrer son caractère saisonnier que confirment les données financières produites, les flux d’affaires atteignant leurs maxima de mai à août puis en novembre et décembre de chaque année, représentant dans les deux cas 40 % en moyenne du chiffre d’affaires. Ce constat n’implique pas comme le soutient la SARL L’Artisan Glacier, qui confond réparation des conséquences de la rupture et indemnisation du préjudice causé par sa brutalité, de raisonner systématiquement en semestres pour déterminer le préavis suffisant sans égard pour les spécificités concrètes de chacune des relations, chaque période d’accroissement de l’activité étant indépendante et la passation de commandes en octobre pour la période des fêtes de Noël autorisant une rupture intercalaire. En revanche, il commande d’une part de ne pas scinder ces périodes d’intense activité si le préavis théorique les englobe et d’autre part de calculer l’indemnisation par référence au chiffre d’affaires dégagé pendant les pics saisonniers correspondants des années précédentes non affectées par la rupture, la victime ne pouvant être privée des fruits de la saison dont elle n’a pu profiter contre ses prévisions légitimes.
Enfin, le revirement des sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB qui ont rompu les relations tout en ayant annoncé leur poursuite a nécessairement entravé la réorganisation de l’activité de la SARL L’Artisan Glacier et la recherche de nouveaux distributeurs.
Au regard de ces éléments appréciés globalement, le préavis dont a été privé la SARL L’Artisan Glacier sera fixé à cinq mois pour la SAS Etablissements Arnaud et à quatre mois la SAS CO.GE.FOB, ainsi que l’a justement retenu le tribunal, les périodes de pic d’activité n’étant ainsi pas scindées.
Le préjudice subi par la SARL L’Artisan Glacier est constitué de son gain manqué qui correspond à la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d’affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé. Pour justifier de cette marge, la SARL L’Artisan Glacier produit un bilan largement caviardé mais mentionnant la marge brute production pour les années 2015 à 2018 (sa pièce 50). A défaut de tout autre élément et de débat animant les parties sur la nature de cette marge ainsi que de contestation utile sur son taux, sera retenu celui de 58,39 % de l’exercice 2015/2016, la vente de ses parts sociales par la SAS L’Odyssée des Glaces n’ayant eu aucune incidence sur l’activité, l’année 2017 affectée par la rupture n’étant pas représentative et les données postérieures à la rupture étant sans pertinence.
A ce titre, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s’évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s’exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n’est que la projection de celui antérieurement réalisé. En ce sens, la reconstitution opérée par la SARL L’Artisan Glacier, qui touche en réalité à la réparation du préjudice né de la rupture et non de sa brutalité, n’est pas conforme à la nature du préjudice réparable. La régression linéaire qui la sous-tend s’appuie en outre sur des postulats erronés, notamment en ce qu’elle présuppose une croissance continue indéfinie qui était incertaine en son principe, la SARL L’Artisan Glacier ne bénéficiant d’aucune exclusivité et ne disposant d’aucun droit acquis tandis que les capacités de distribution de ses partenaires sont nécessairement limitées, et en ce qu’elle ne tient pas suffisamment compte de la diminution constatée en 2016 (pour la SAS Etablissements Arnaud) qui ne s’explique pas par les conditions météorologiques (sa pièce 34 : les températures du mois de juillet étaient supérieures à la moyenne alors que l’ensoleillement était excédentaire et la pluviométrie déficitaire, caractéristiques identiques pour le mois d’août, ” très ensoleillé “, seul le mois de juin étant plus pluvieux malgré des températures de saison). Aussi, le raisonnement qu’elle tient est hypothétique et moins fiable qu’un calcul assis sur les données financières concrètes de la relation, soit sur un chiffre d’affaires passé effectivement dégagé dont la croissance est utilement intégrée à travers le choix des années de référence.
Ainsi, pour tenir compte de la saisonnalité de l’activité et de la progression globale du volume d’affaires, ce taux de marge sera appliqué au chiffre d’affaires moyen généré pendant les pics d’activité des deux exercices précédents la rupture correspondant à la ou aux périodes couvertes par le préavis éludé, et intègrera, pour les raisons déjà exposées, les commandes passées par la société Back Europ France. L’indemnisation due à la SARL L’Artisan Glacier s’établit ainsi :
– la somme de 46 672,33 euros à la charge de la SAS Etablissements Arnaud, en retenant le chiffre d’affaires moyen 2015 et 2016 de juin à octobre inclus (93 496,59 euros puis 84 936,45 euros, soit 89 216,52 euros en moyenne) auquel il faut retrancher les sommes encaissées en juin et juillet 2017 (9 284,46 euros, soit un chiffre d’affaires moyen pertinent de 79 932,06 euros) ;
– la somme de 6 874,59 euros à la charge de la SAS CO.GE.FOB en appliquant les mêmes calculs et raisonnement (chiffre d’affaires moyen de 13 297,88 euros minoré des commandes effectivement passées à hauteur de 1 524,31 euros, soit 11 773,57 euros).
Par ailleurs, la seule concomitance des ruptures, liée au fait que les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB partagent le même dirigeant n’implique aucune action concertée ou man’uvre conjointe qui justifierait leur condamnation in solidum alors que les préjudices causés par les ruptures brutales sont individualisés et propres à chacune d’elle. De la même manière, le seul fait qu’elle ait été choisie par ces dernières comme fournisseur de substitution à raison de leur collaboration ancienne avec son dirigeant ne fonde pas une condamnation solidaire de la SAS L’Odyssée des Glaces à raison de ruptures auxquelles elle est étrangère.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ces chefs et les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB seront condamnées à payer à la SARL L’Artisan Glacier les sommes respectives de 46 672,33 euros et 6 874,59 euros.
– Sur le préjudice moral
Outre le fait qu’elle ne prouve pas le caractère vexatoire de la rupture, le simple fait qu’elle soit intervenue après l’annonce de la poursuite des relations participant de sa brutalité et ayant été intégré dans la détermination du préavis suffisant et, partant, dans l’indemnisation allouée, l’imitation alléguée des produits ne peut être réparée que dans le cadre de l’action en concurrence déloyale et parasitaire.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande, le préjudice allégué n’étant par ailleurs étayé ni en son principe ni en sa mesure.
3°) Sur la concurrence déloyale
Moyens des parties
Au soutien de leur appel principal, les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB exposent qu’aucune imitation des signes distinctifs et produits de la SARL L’Artisan Glacier ne peut leur être imputée à raison de leur qualité de distributeurs. Elles ajoutent que le signe “L’Artisan Glacier” est générique et ne présente aucune originalité et que monsieur [B] a en usé à titre de nom commercial, de dénomination sociale et de marque en Suisse dès 2009, soit avant la création de la SARL L’Artisan Glacier en 2011. Elles contestent tout risque de confusion, le signe exploité par la SAS L’Odyssée des Glaces étant nettement distinct (” Artisan Glacier de Provence “). Elles invoquent également une antériorité d’usage au bénéfice de monsieur [B] sur le logo. Elles ajoutent par ailleurs qu’aucun détournement de clientèle n’est prouvé et que le préjudice allégué n’est pas démontré en son principe et en sa mesure, le raisonnement tenu par le tribunal aboutissant de surcroît à une double indemnisation au regard de celle allouée au titre de la rupture brutale des relations commerciales.
En réponse, la SARL L’Artisan Glacier explique que la SAS L’Odyssée des Glaces, qui a démarché le client Morane qu’elle a définitivement perdu, a commercialisé dès juin 2017 en Savoie et Haute-Savoie des produits imitant les siens (forme des contenants et des étiquettes, logo, signe “L’Artisan Glacier”, police, couleurs, liseré) pour tromper et capter sa clientèle en usant de ses signes distinctifs (dénomination sociale, nom commercial, enseigne). Elle expose que son préjudice réside dans les investissements qu’elle a réalisés pour reconquérir la clientèle perdue (achat d’un camion frigorifique, agrandissement de sa boutique pour permettre la vente directe au consommateur, embauche de personnel), dans son manque à gagner (calculé sur la base d’une extrapolation destinée à tempérer les mauvais résultats de 2016 liés à des conditions climatiques dégradées et à gommer les effets des actes de concurrence déloyale qui ont retardé son développement) et dans son préjudice moral.
La SAS L’Odyssée des Glaces soutient pour sa part que la SARL L’Artisan Glacier a pour clients des grossistes et non des restaurateurs et en déduit que le risque de confusion allégué est inexistant, les professionnels étant quoi qu’il en soit dotés d’une attention supérieure aux consommateurs. Elle ajoute que les signes en débat sont différents, la SARL L’Artisan Glacier ayant de surcroît modifié son nom commercial en avril 2017 en alertant ses clients dès l’hiver 2016/2017. Elle précise n’être soumise à aucune obligation de non-concurrence, vendre depuis 2016 des glaces en Savoie avec des étiquettes, livrées par le même fournisseur que la SARL L’Artisan Glacier, dont la forme est dictée par celle des contenants. Elle indique que les autres éléments de décoration sont communs à tous les fabricants de glaces tandis que le signe ” L’Artisan Glacier ” est générique et largement exploité par des concurrents des départements 45, 54 et 97 et que le logo a été créé à sa demande en 2012. Elle expose que la SARL L’Artisan Glacier, qui ne produit pas de pièce comptable probante justifiant son chiffre d’affaires et sa marge, ne démontre ni perte de clientèle ni manque à gagner, l’éventuelle perte de marge résultant exclusivement de la rupture des relations commerciales avec les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB.
Réponse de la cour
En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un signe qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.
L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité et la notoriété de la prestation copiée.
Le parasitisme, qui s’apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.
Si elle évoque le détournement du client Morane, la SARL L’Artisan Glacier n’en tire aucune conséquence juridique. Seuls sont en débat l’imitation des signes distinctifs et des produits.
– Sur les signes distinctifs
La dénomination sociale, élément principal de l’identification d’une personne morale, le nom commercial, l’enseigne, qui désignent respectivement un fonds de commerce et un lieu d’exploitation, ou le nom de domaine, qui signale un site internet et remplit la fonction d’une enseigne virtuelle, sont des signes d’usage soumis au principe de spécialité. Dès lors, ils ne peuvent fonder une limitation de leur utilisation par des tiers et une réparation dans le cadre de la responsabilité délictuelle de droit commun qu’à compter de la date de leur exploitation effective dans le commerce indépendamment de l’accomplissement de toutes formalités qui président à leur publicité ou à leur enregistrement, tels l’inscription d’une dénomination sociale ou d’un nom commercial au RCS ou la réservation d’un nom de domaine, et uniquement si un risque de confusion dans l’esprit du public est démontré en considération de l’identité ou la similitude des signes ainsi que des produits et services objets des activités concurrentes et de la connaissance des signes par les consommateurs dans la zone dans laquelle s’exerce la concurrence entre les parties.
Logiquement, et contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, l’antériorité de l’usage, dont la preuve incombe à celui qui se prétend victime d’une imitation, est décisive (en ce sens, Com. 21 mars 2000, n° 98-12.219). Par ailleurs, si l’originalité, notion propre au droit d’auteur, n’est pas une condition de protection des signes en débat, ceux-ci, pour être distinctifs et être ainsi aptes à remplir leur fonction d’identification et de différenciation des concurrents dans l’esprit du public pertinent et de ralliement de la clientèle, doivent présenter un certain arbitraire, soit une distance entre l’appellation et son objet, à l’égard de l’activité, qu’ils ne doivent pas simplement décrire, et des produits et services couverts et ne pas être un terme générique, usuel ou nécessaire à l’activité de tous les opérateurs économiques du secteur.
La SARL L’Artisan Glacier oppose l’imitation du signe “L’Artisan Glacier” en ce qu’il constitue sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne. L’usage de ce dernier à ces titres dans la vie des affaires n’est pas contesté.
Cependant, si l’usage à titre de dénomination sociale est acquis, sous cette forme purement nominale et sans ajout, dès la date de son immatriculation le 20 octobre 2011 (sa pièce 1) et a été ensuite continu, y compris par les tiers (ses pièces 21, 30 et 36 à 38), il ressort des factures produites par la SARL L’Artisan Glacier (ses pièces 4 à 8) que le signe qu’elle exploite à titre de nom commercial est ” L’Artisan Glacier des Savoies ” agrémenté d’un logo représentant un cornet de glace stylisé en trois couleurs (vert, rouge et mauve). Il est certain à compter du 1er janvier 2015. Néanmoins, la SARL L’Artisan Glacier a modifié son nom commercial en juin 2017 (pièce 20 de la SAS L’Odyssée des Glaces), soit concomitamment à la rupture brutale des relations commerciales et au début des actes de concurrence déloyale allégués, pour employer le signe ” Renzo – Maître Artisan Glacier – L’artisan Glacier “, peu après avoir déposé des marques semi-figuratives constituées des termes ” Renzo – Maître Artisan Glacier ” (pièce 19 de la SAS L’Odyssée des Glaces). De fait, au jour des faits, l’usage sous la forme opposée avait cessé. Enfin, aucun usage à titre d’enseigne n’est prouvé à date certaine.
Par ailleurs, ainsi que le soulignent la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB, la locution ” artisan glacier “, qui renvoie à une qualité professionnelle ainsi qu’à un mode de production tout en précisant son objet, est strictement descriptif de l’activité exercée et de la qualification du fabricant, et est générique. Il est en ce sens nécessaire à tous les artisans glaciers, la seule utilisation de l’article défini ” l’ ” n’étant pas de nature à modifier cette analyse et à rendre le signe distinctif. Sa banalité est telle qu’il ne peut, faute pour la SARL L’Artisan Glacier de prouver qu’il aurait acquis par son action une certaine notoriété, remplir une fonction de ralliement de la clientèle (soit, permettre au public pertinent de distinguer les activités qu’il nomme et de les rattacher clairement aux entreprises concurrentes qui l’exploitent) et qu’il peut à l’évidence être repris librement par tous les acteurs du marché : le risque de confusion éventuel trouve sa source non dans son imitation par un tiers mais dans sa constitution par des termes nécessaires dans leur sens courant et dans une association usuelle.
De fait, d’autres acteurs, peu important qu’ils soient hors de la zone de concurrence des parties et que les preuves d’usage soient postérieures pour apprécier ce caractère, usent du même signe pour s’identifier administrativement et dans leur relation avec leur clientèle (pièces 12 et 28 de la SAS L’Odyssée des Glaces) ou à titre de marque, l’absence évidente de distinctivité intrinsèque étant alors contrebalancée par l’adjonction d’un patronyme et/ou d’éléments figuratifs (pièce 17 de la SARL L’Artisan Glacier). Il est exact que l’autorisation d’exploitation de cette dénomination accordée par le créateur en septembre 2008 d’une société suisse L’Artisan Glacier par ailleurs titulaire d’une marque suisse constituée de ces termes, soumise au principe de territorialité et de ce fait indifférente, ne peut suffire à prouver son usage effectif dans la vie des affaires dès cette date. Cependant, les bons à tirer d’étiquettes produits par la SAS L’Odyssée des Glaces, dont l’utilisation dans la vie des affaires n’est pas contestée, révèlent que cette dernière commercialisait des glaces sous le signe semi-figuratif “L’Artisan Glacier de Provence” dès le mois de mars 2016, à une époque où elle était encore associée de la SARL L’Artisan Glacier, y compris, en fournissant dès le mois de décembre 2016 la société Morane, acteur de la région Rhône-Alpes (pièces 4 à 6, 18 et 28 de la SAS L’Odyssée des Glaces et 33 de la SARL L’Artisan Glacier). Ainsi, les signes en débat ont coexisté pacifiquement, ce que confirme un client commun (pièce 27 de la SAS L’Odyssée des Glaces), avant la naissance du conflit opposant les parties, indice surabondant de l’inexistence du risque de confusion désormais allégué. Et, si sa réalisation n’est pas un critère de son appréciation, les témoignages produits par la SARL L’Artisan Glacier (ses pièces 11 à 13 et 59) révèlent que les clients, tous des professionnels dotés d’une attention élevée aux détails et d’une meilleure connaissance du marché qu’un particulier, étaient mécontents, non à cause de leur incapacité à distinguer d’emblée l’origine commerciale et artisanale des produits achetés, de moindre qualité, mais à raison du changement de fournisseur qu’ils ont immédiatement décelé. Cet argument, inopérant par lui-même, est erroné.
Par ailleurs, même en occultant le changement opéré en avril 2017, le signe semi-figuratif un temps exploité à titre de nom commercial “L’Artisan Glacier des Savoies”, est à son tour constitué d’éléments qui, pris isolément, sont descriptifs, ajout de la localisation géographique compris. La distinctivité alléguée, appréciée globalement, ne peut ainsi résulter que de la combinaison des éléments nominaux et figuratifs.
Or, le logo, constitué d’une représentation stylisée et minimaliste d’un cornet de glace, est strictement identique à celui créé à la demande de la SAS L’Odyssée des Glaces par une entreprise Netio en février 2011 (sa pièce 13), soit avant l’immatriculation et le commencement d’activité de la SARL L’Artisan Glacier. Il a ensuite été reproduit par la SAS L’Odyssée des Glaces sur des factures dès novembre 2012 et sur son catalogue de la même année (ses pièces 15 et 16) ainsi qu’au sein de son enseigne (pièce 15 de la SARL L’Artisan Glacier). Cette analyse rejoint celle développée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour rétracter l’ordonnance sur requête du 4 août 2017 (pièce 23 de la SAS L’Odyssée des Glaces). Ainsi, la SAS L’Odyssée des Glaces peut se prévaloir d’une antériorité d’usage sur le logo.
Et, au regard du caractère générique et descriptif des termes “artisan glacier”, l’ajout “des Savoies” par la SARL L’Artisan Glacier suffit à distinguer le nom commercial du signe utilisé par la SAS L’Odyssée des Glaces qui ne comporte, sur les contenants versés au débat sous forme de reproduction photographique n’ayant aucune date certaine, aucune indication de provenance géographique.
En conséquence, la concurrence déloyale et parasitaire alléguée n’est pas caractérisée.
Surabondamment, la Cour constate que la SARL L’Artisan Glacier évoque des actes de parasitisme sans en tirer de conséquences, son raisonnement étant centré sur le risque de confusion indifférent à sa caractérisation. En outre, elle ne produit aucun élément susceptible de prouver l’existence d’investissements réalisés spécifiquement pour concevoir, promouvoir et valoriser le signe, en ses différents composants pris isolément ou en combinaison, les produits glacés eux-mêmes n’étant pas en débat. Aussi, ce dernier ne constitue pas une valeur économique individualisée susceptible d’avoir été captée par la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB.
– Sur les produits
Bien qu’elle allègue une imitation de ses produits, la SARL L’Artisan Glacier n’évoque qu’une reproduction des éléments apposés sur les contenants et non une copie de ses glaces, parfums ou saveurs. A cet égard, l’argument tiré de la persistance des commandes de produits phares pour entretenir la confusion est inexact, la facture produite étant antérieure à la rupture des relations avec la SAS L’Odyssée des Glaces (pièce 4 de la SARL L’Artisan Glacier).
Elle dénonce en ces termes la reprise des caractéristiques essentielles de ses contenants (page 57 de ses écritures) :
L’ARTISAN GLACIER, qui est le nom d’enseigne, la dénomination commerciale et le nom de domaine de la société l’ARTISAN GLACIER est mentionné de manière très apparente sur le couvercle (même police, même taille) ;
Le liseré extérieur est présent dans les deux cas et dans un coloris identique ;
La couleur en fond est identique ;
La police d’écriture est la même, dans les mêmes grosseurs de caractères pour désigner le parfum ainsi que le volume ;
Le logo est reproduit avec exactement les mêmes teintes ;
L’indication en bas de l’adresse est reproduite dans un cadre coloré.
Ainsi qu’il a été dit, la reprise du logo et de la dénomination sociale est licite, même sous cette combinaison particulière à raison de l’antériorité d’usage de la SAS L’Odyssée des Glaces sur le premier et de la descriptivité de la seconde. Et, les différents bons à tirer établis dès 2005 et 2006, notamment au profit de la société Glace des Alpes au sein de laquelle travaillait monsieur [B] et du client Morane, par une société Etigraph qui a réalisé les étiquettes des sociétés L’Odyssée des Glaces et L’Artisan Glacier respectivement en mars et novembre 2012, révèlent que la forme des étiquettes, adaptées au contenant, la présence d’un liseré coloré tranchant avec un fond clair ainsi que le positionnement et les proportions des différentes mentions est usuelle et bien antérieure aux premiers usages de la SARL L’Artisan Glacier (pièces 17, 18 et 32 à 33 de la SAS L’Odyssée des Glaces). Enfin, la forme des pots de glace est elle-même dictée par une contrainte technique tenant à celle des bacs dans lesquels ils sont destinés à être insérés. Leur fabricant depuis les années 1990 précise à cet égard : “ce modèle épouse la forme d’un véritable bac inox, son design est international et quasiment identique chez tous les fabricants puisqu’il doit se conformer au bac originel livré dans les vitrines réfrigérées” (pièce 34 de la SAS L’Odyssée des Glaces qui justifie en pièce 16 commercialiser des bacs identiques depuis 2012). Quant à la police d’écritures, qui apparaît banale, la SARL L’Artisan Glacier n’explique pas en quoi elle présenterait une spécificité quelconque participant de son identification par le consommateur. Aussi, la combinaison opposée s’inscrit sans le moindre écart dans les habitudes établies du secteur.
En conséquence, la concurrence déloyale et parasitaire n’étant pas caractérisée, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a condamné in solidum la SAS L’Odyssée des Glaces, la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB à ce titre et les demandes de la SARL L’Artisan Glacier seront intégralement rejetées. Privée d’objet, l’action en garantie formée par la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB ne sera pas examinée.
4°) Sur les demandes reconventionnelles
En application des articles 564 à 566 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Néanmoins, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les parties ne pouvant ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
La SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB sollicitent à titre reconventionnel l’indemnisation à hauteur de 1 832,26 euros du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies depuis septembre 2014 par la SARL L’Artisan Glacier qui a cessé de se fournir auprès d’elles en juillet 2014. Elles estiment que cette prétention n’est pas nouvelle, contrairement à ce que soutient la SARL L’Artisan Glacier, au motif qu’elle est “nécessairement le complément de celle formulée en première instance par les concluantes au titre du comportement déloyal de la société l’ARTISAN GLACIER”.
Devant le tribunal de commerce, elles sollicitaient le constat du comportement déloyal de la SARL L’Artisan Glacier à leur égard et sa condamnation à leur communiquer les pièces objet de la demande de production forcée déjà rejetée ainsi qu’à leur payer des sommes de 20 000 euros et 10 000 euros chacune en réparation de leurs préjudices financier et moral (pages 5 et 6 du jugement). Ces prétentions étaient motivées par le démarchage illicite de leurs clients.
Ainsi, les prétentions soumises à la Cour sont radicalement distinctes en leur fondement et en leurs fins de celles formées devant le tribunal, les faits invoqués à leur soutien étant en outre sans rapport. Or, cette nouveauté n’est justifiée ni par les nécessités d’une compensation qui n’est pas poursuivie ou du développement d’un moyen de défense ni par la survenance d’un fait nouveau depuis le prononcé du jugement. Et, une demande au titre de la rupture abusive de relations commerciales établies n’est pas le complément nécessaire, la conséquence ou l’accessoire d’une prétention au titre de la concurrence déloyale caractérisée par un détournement de clientèle, pas plus qu’elle ne se rattache par un lien suffisant, qui n’est d’ailleurs pas invoqué, aux prétentions originaires au sens des articles 64, 70 et 567 du code de procédure civile.
Cette demande est en conséquence irrecevable.
5°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens, sauf en ce qu’il a condamné la SAS L’Odyssée des Glaces à ces titres.
Succombant à l’appel de la SAS L’Odyssée des Glaces, la SARL L’Artisan Glacier, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée à son égard, sera condamnée à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les dépens qu’elle a engagés qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
La SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB d’une part et la SARL L’Artisan Glacier d’autre part succombant partiellement, l’équité commande de rejeter leurs demandes au titre des frais irrépétibles et de laisser à leur charge les dépens qu’elles ont engagés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Infirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu’il a
– rejeté la demande de production forcée de pièces présentée par les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB ;
– rejeté les demandes présentées par la SARL L’Artisan Glacier à l’encontre de la SAS L’Odyssée des Glaces au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
– rejeté les demandes de la SARL L’Artisan Glacier au titre de son préjudice moral, tant sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies que sur celui de la concurrence déloyale et parasitaire ;
– rejeté la demande indemnitaire de la SARL L’Artisan Glacier au titre du préjudice matériel causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
– rejeté les demandes reconventionnelles de la SAS Etablissements Arnaud et de la SAS CO.GE.FOB ;
– condamné in solidum la SAS Etablissements Arnaud et la SAS CO.GE.FOB à payer à la SARL L’Artisan Glacier la somme de 9 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la SAS Etablissements Arnaud à payer à la SARL L’Artisan Glacier la somme de 46 672,33 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
Condamne la SAS CO.GE.FOB à payer à la SARL L’Artisan Glacier la somme de 6 874,59 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
Rejette l’intégralité des demandes de la SARL L’Artisan Glacier au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;
Y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande reconventionnelle présentées par les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB ;
Rejette les demandes de la SARL L’Artisan Glacier, de la SAS Etablissements Arnaud et de la SAS CO.GE.FOB au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SARL L’Artisan Glacier à payer à la SAS L’Odyssée des Glaces la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL L’Artisan Glacier à supporter les dépens d’appel engagés par la SAS L’Odyssée des Glaces ;
Dit que les dépens engagés par la SARL L’Artisan Glacier et par les sociétés Etablissements Arnaud et CO.GE.FOB resteront à leurs charges respectives.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE