Diffamation : décision du 9 avril 2019 Cour de cassation Pourvoi n° 16-82.610

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Diffamation : décision du 9 avril 2019 Cour de cassation Pourvoi n° 16-82.610
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N° Z 16-82.610 F-D

N° 463

CK
9 AVRIL 2019

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

– M. Z… O…, partie civile,

contre l’arrêt de la cour d’appel de LYON, 7e chambre, en date du 17 mars 2016, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 23 juin 2015, n° 14-83.599), dans la procédure suivie contre MM. U… A…, Q… C… et la société Editions des arènes, du chef de diffamation publique envers un dépositaire de l’autorité publique, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 19 février 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Lagauche

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de Mme le conseiller Ménotti, les observations de la société civile professionnelle RICHARD, la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général Lagauche, les avocats ayant eu la parole en dernier ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 29, alinéa 1er, 30 et 31, alinéa 1er, 42, 43 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

“en ce que l’arrêt attaqué a débouté M. O… de ses demandes formées à l’encontre de M. U… A…, de M. Q… C… et de la Société Les éditions des arènes ;

“aux motifs que la plainte de M. O… porte exclusivement et expressément sur la couverture de l’ouvrage en litige sur laquelle figurent :
– un titre “Complices de l’inavouable”
– un sous-titre en caractères plus petits “La France au Rwanda ”
– les noms d’une trentaine de personnes physiques parmi lesquelles des hommes politiques, ministres, ancien Président de la République, de nombreux militaires de l’armée française, un journaliste, un magistrat, des conseillers divers et des personnes dont la qualité n’est pas immédiatement identifiable,
– le nom de deux personnes morales, la “BNP” et “le Crédit lyonnais” ; que M. O… déduit des mentions figurant sur la couverture de cet ouvrage qu’il est ainsi présenté comme complice du génocide commis au Rwanda en 1994 ; que le terme génocide ne figure pas sur la couverture du livre ; que le titre “Complices de l’inavouable” renvoie à la complicité de plusieurs personnes à quelque chose qui ne peut être avoué selon l’auteur ; que le sous-titre “La France au Rwanda” est extrêmement précis en ce qu’il ne fait état que de la présence de la France en un pays étranger, en l’espèce le Rwanda ; qu’il ne peut être déduit de ces seules mentions que le nom de M. O… et sa qualité insinuent ou lui attribuent une quelconque complicité dans le génocide survenu au Rwanda en 1994 ; qu’en effet n’est évoquée que la présence de la France au Rwanda , ce qui renvoie à un seul questionnement sur la place alors de la France dans ce pays et aux actions qu’elle a pu y mener en tant que nation , dont selon l’auteur certaines seraient inavouables, questionnement qui s’inscrit dans un débat d’intérêt général légitime, débat qui fonde tout système démocratique et conditionne sa survie ; que les considérations sur la quatrième de couverture, non visées par la plainte, sont étrangères aux poursuites et la réalisation d’un sondage ne peut permettre à une partie d’établir la preuve de ce qu’elle soutient ; que les motifs ci-dessus exposés les propos incriminés, comme l’ont estimé les premiers juges, ne peuvent être retenus comme diffamatoires à l’égard de la partie civile, laquelle sera déboutée de toutes ses demandes ; que le jugement déféré sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions ;

“alors qu’il appartient à la Cour de cassation de contrôler les appréciations des juges du fond en ce qui concerne les éléments du délit de diffamation tels qu’ils se dégagent des écrits visés dans la citation ; que l’imputation ou l’allégation d’un fait déterminé ou précis portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne entre dans les prévisions de la loi même si elle est présentée sous une forme déguisée et par voie d’insinuation ; qu’il appartient au juge de relever les éléments intrinsèques et extrinsèques de nature à donner à la phrase incriminée replacée dans son contexte son véritable sens ; qu’en décidant que les propos incriminés ne présentaient pas un caractère diffamatoire, tandis que le rapprochement, opéré par la présentation de la première page de l’ouvrage, entre le titre Complices de l’inavouable – la France au Rwanda, et le nom, ainsi que la qualité, de la partie civile, explicité par la quatrième page de couverture, qui constitue un élément extrinsèque de nature à redonner aux propos incriminés replacés dans leur contexte leur véritable sens, peu important qu’ils n’aient pas été expressément visés dans la plainte comme étant diffamatoires, insinue que le M. O…, colonel, a été, parmi d’autres, complice de la « politique secrète », qualifiée d’«erreur criminelle », menée par la France au Rwanda, de 1990 à 1994, soit avant, pendant et après le génocide, « hors de toute règle » et de « tout débat », au prix « d’importantes entorses à la légalité républicaine », et que cette allégation, concernant des faits suffisamment précis et déterminés pour faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, porte atteinte à l’honneur et à la considération de la partie civile, la cour d’appel a exposé sa décision à la cassation” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’à la suite de la publication du livre intitulé “Complices de l’inavouable – la France au Rwanda”, M. O…, colonel de gendarmerie en retraite, a fait citer devant le tribunal correctionnel M. C… , auteur de l’ouvrage, et M. A…, responsable de la société éditrice Les Editions des arènes, du chef de diffamation publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique, en raison de la mention, en première page de couverture du livre et sous son titre, de son nom et de sa qualité, parmi d’autres patronymes, rapprochement qui, selon lui, lui impute de s’être rendu complice du génocide survenu au Rwanda en 1994 ; que les premiers juges ont relaxé les prévenus et débouté la partie civile, laquelle a interjeté appel ;

En cet état ;

Sur la recevabilité, contestée en défense, du moyen de M. O… relatif à la nature de l’imputation diffamatoire alléguée :

Attendu que M. O…, qui incrimine la mention de son nom et de sa qualité en première page de couverture d’un ouvrage intitulé “Complices de l’inavouable – La France au Rwanda”, ne saurait se voir reprocher d’y voir aujourd’hui l’imputation à lui faite de s’être rendu complice de la politique “secrète” qualifiée “d’erreur criminelle” menée par la France au Rwanda, “hors de toute règle” et de “tout débat” au prix “d’importantes entorses à la légalité républicaine”, après avoir indiqué, dans sa citation, que le rapprochement de son nom et du titre revenait à lui imputer de s’être rendu complice du génocide survenu au Rwanda en 1994 ;

Qu’en effet, il résulte de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 que la citation directe ne fixe irrévocablement les termes de la poursuite qu’en ce qu’elle précise les propos incriminés, les qualifie et indique le texte applicable ; qu’en revanche, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite ;

Sur le caractère diffamatoire du propos incriminé ;

Vu l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu qu’en matière de diffamation, il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances intrinsèques ou extrinsèques aux faits poursuivis que comporte l’écrit qui les renferme, et ce, sous le contrôle de la Cour de cassation qui peut se reporter à l’écrit lui-même afin de vérifier s’il contient les éléments de l’infraction ;

Attendu que, pour dire que les faits reprochés ne peuvent être retenus comme diffamatoires à l’égard de la partie civile, l’arrêt énonce que la mention de son nom et de sa qualité en première page de couverture ne permet pas de lui imputer une complicité dans le génocide survenu au Rwanda en 1994, et que les mentions figurant en quatrième page de couverture, non visées par la plainte, sont étrangères aux poursuites ;

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que, d’une part, il lui appartenait d’apprécier le sens et la portée des propos diffamatoires à la lumière de la quatrième page de couverture faisant corps avec la première page, d’autre part, le rapprochement opéré entre le titre et le nom, ainsi que la qualité de la partie civile, explicité par la quatrième page de couverture, insinuait que M. O… avait été, parmi d’autres, complice de la politique “secrète”, “criminelle” et “illégale” menée par la France au Rwanda de 1990 à 1994 et que cette allégation, concernant des faits suffisamment précis pour faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, porte atteinte à l’honneur et à la considération de la partie civile, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

 


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