Your cart is currently empty!
N° V 19-81.629 F-D
N° 914
7 MAI 2019
CK
NON LIEU À RENVOI
IRRECEVABILITE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à Paris, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité formulée par mémoire spécial reçu le 20 février 2019 et présentée :
– M. D…-G… E…,
à l’occasion du pourvoi formé par lui contre l’arrêt n° 45 de la cour d’appel de NÎMES, chambre correctionnelle, en date du 1er février 2019, qui, pour complicité de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un service public, l’a condamné à 1 500 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 9 avril 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de M. le conseiller Parlos, les observations de la société civile professionnelle ROUSSEAU et TAPIE, avocat en la Cour et les conclusions de M. l’avocat général LEMOINE ;
Vu le mémoire produit en défense ;
Sur sa recevabilité :
Vu l’article R. 49-31 du code de procédure pénale ;
Attendu que ce mémoire, présenté plus d’un mois à compter du dépôt de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation est irrecevable comme tardif ;
Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
“Les articles 23, 29, 31, 32, 35, 42, 43, 55 et 59 de la loi du 29 Juillet 1881 sur la liberté de la presse, 93-3 de la loi n°82-652 du 29 Juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et 121-7 du code pénal du code de procédure pénale portent-ils atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et spécialement :
– au droit à la liberté en général comme droit naturel de l’homme et au droit à la liberté d’entreprendre consacrés par les articles 4 et 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 Août 1789, ci-après « DDH » ;
– au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense garantis par l’article 16 DDH ;
– au droit à la liberté d’expression garanti par l’article 11 DDH ;
– à l’article 34 de la Constitution du 04 Octobre 1958 fixant, en partie, le domaine de la loi ;
– au principe de la légalité des délits et des peines consacré par les articles 7 et 8 DDH,
– au principe de présomption d’innocence garanti par l’article 9 DDH,
– au principe de réparation responsabilité corollaire de la liberté conçue comme pouvoir de « faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », garanti par l’article 4 DDH, en ce que :
1°) la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante leur confère (CC, décision n°2010-39 QPC du 06 Octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. consid. 2 ; CC, décision n°2010-52 QPC du 14 Octobre 2010, Compagnie agricole de la Crau, consid. 4) conduit à considérer que les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec l’intention de nuire, (Crim. 19 nov. 1985, n° 84-95.202, Bull. crim. n° 363 ; Civ. 2e, 24 févr. 2005, n° 02-19.136, Bull. civ. II, n° 48, arrêts cités par Cass. 1° Civ., 28 Septembre 2016, n°15-21.823), sans possibilité concrète et effective de combattre utilement cette présomption de culpabilité et rompt, partant, l’égalité des armes, principe directeur du procès équitable, spécialement lorsque les discours ou écrits prétendument diffamatoires s’analysent, en réalité, en dénonciation d’un comportement constitutif de harcèlement moral ?
2°) sauf réserve d’interprétation, l’article 121-7 du code pénal permet à l’Etat une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par l’article 11 DDH, en traitant comme complice d’une diffamation la victime d’un harcèlement moral dénoncé par voie de presse, alors que ce comportement peut être signalé au défenseur des droits, en vertu de l’article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 Mars 2011 relative au défenseur des droits, compétent pour prendre les mesures relatives à l’orientation et à la protection des lanceurs d’alerte ?
3 °) le délai non franc de trois jours imparti au demandeur au pourvoi en matière de presse, par l’article 59, alinéa 1er de la loi du 29 Juillet 1881 sur la liberté de la presse ne permet pas un accès effectif au juge de Cassation, spécialement lorsque le conseil de l’intéressé ne reçoit pas copie de l’acte de signification délivré à son client et ne réside pas dans le ressort de la cour d’appel au greffe de laquelle doit être reçue la déclaration de pourvoi ?
4°) la nullité prévue par l’article 59, alinéa 2 de la loi du 29 Juillet 1881 sur la liberté de la presse frappant la voie de recours, appel ou pourvoi en cassation, exercée contre la décision statuant « sur les incidents et exceptions autres que les exceptions d’incompétence » fait obstacle sans motif légitime à ce que soit immédiatement tranchée une question de fait ou de droit conditionnant la régularité de la procédure soumise à la juridiction ?” ;
Attendu que l’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui définit l’injure, l’article 31 de ladite loi, qui prévoit la diffamation à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers le Président de la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, un ministre de l’un des cultes salariés par l’Etat, un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition, les alinéas 2 à 5 de l’article 32 de la même loi, qui incriminent et sanctionnent la diffamation publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap et les articles 42 et 43 de la loi précitée, qui déterminent l’ordre et la nature des responsabilités pénales des directeurs de la publication, éditeurs, auteurs des propos, imprimeurs, vendeur, distributeurs et afficheurs, dès lors que le réseau internet constitue un moyen de communication audiovisuelle au sens de l’article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et que la responsabilité pénale du propriétaire d’un site et de l’auteur des propos injurieux ou diffamatoires diffusés sur ce site est engagée dans les conditions prévues par l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, ne sont pas applicables au litige ;
Attendu que l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle précitée a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel (Décision n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011) ;
Attendu que les autres dispositions législatives contestées sont applicables à la procédure et n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;
Mais attendu qu’en dépit d’un prétendu droit constitutionnel à concourir à la formation de la loi qu’elle invoque, lequel n’est consacré par aucune disposition constitutionnelle, la question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle ;
Et attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux ;
Que les dispositions combinées des articles 23, 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 121-7 du code pénal définissent, en des termes suffisamment clairs et précis, les éléments matériels des délits de diffamation publique et de complicité de ces infractions pour permettre que leur interprétation, qui relève de l’office du juge, se fasse sans risque d’arbitraire ;
Que la présomption d’imputabilité au titre de l’élément moral du délit de diffamation à l’auteur des propos incriminés, qui est inhérente aux dispositions en cause, est dépourvue de tout caractère irréfragable, le prévenu ayant la faculté de démontrer, soit la vérité du fait diffamatoire, selon les modalités prévues par les articles 35, 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881 précitée, soit l’existence de circonstances particulières de nature à le faire bénéficier de la bonne foi ; qu’elle ne fait pas obstacle à l’exercice des droits de la défense ;
Qu’ainsi, il ne résulte ni des incriminations de diffamation publique et de complicité prévues par les articles 23, 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er de ladite loi et l’article 121-7 du code pénal ni des conditions dans lesquelles peut être retenue la culpabilité d’une personne poursuivie pour l’un de ces délits, que les atteintes ainsi portées à la liberté d’expression ou à l’un des droits ou principes constitutionnels invoqués seraient inapropriées ou disproportionnées ;
Qu’enfin la fixation du délai du pourvoi en cassation en matière d’infraction à loi sur la presse à trois jours non francs et l’obligation de ne former un pourvoi contre les arrêts des cours d’appel qui auront statué sur les incidents et exceptions autres que les exceptions d’incompétence, à peine de nullité, qu’après l’arrêt définitif et en même temps que le pourvoi contre ledit arrêt, qui s’appliquent tant au prévenu qu’à la partie civile et au ministère public, ne les privent pas de la possibilité d’exercer un recours effectif devant la Cour de cassation et permettent l’exercice, également effectif, des droits de la défense ;
Par ces motifs :
DÉCLARE IRRECEVABLE la question prioritaire de constitutionnalité en ce qu’elle porte sur les articles 29, alinéa 2, 31, 32, alinéa 2 à 5, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
DIT N’Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité en ce qu’elle porte sur les articles 23, 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, 35, 55 et 59 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept mai deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.