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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 – CHAMBRE 16
ARRET DU 07 FEVRIER 2023
RECOURS EN ANNULATION
(n° 17 /2023 , 18 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/19243 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CETP7
Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale finale rendue à [Localité 6] le 28 septembre 2021 sous l’égide de la Chambre de commerce internationale, (n° 24359/GR/PAR)
DEMANDEURS AU RECOURS :
Monsieur [D] [X] [M]
né le 1er Janvier 1948 à [Localité 2]
domicilié : [Adresse 4] (COTE D’IVOIRE)
Madame [L] [R] [C] [G]
née le 15 Octobre 1952 à [Localité 3]
domiciliée : [Adresse 4] (COTE D’IVOIRE)
Madame [Z] [O] [X] [M]
née le 26 Juillet 1973 à [Localité 3]
domiciliée : [Adresse 4] (COTE D’IVOIRE)
Madame [A] [B] [W] [M]
née le 17 Janvier 1976 à [Localité 1]
domicilié : [Adresse 4] (COTE D’IVOIRE)
Monsieur [S] [M]
né le 19 Juin 1979 à [Localité 7]
domicilié : [Adresse 4] (COTE D’IVOIRE)
Monsieur [N] [P] [X] [M]
né le 24 Juillet 1979 à [Localité 1]
domicilié : [Adresse 4] (COTE D’IVOIRE)
Monsieur [I] [E] [X] [M]
né le 02 Mai 1982 à [Localité 3]
domicilié : [Adresse 4] (COTE D’IVOIRE)
Société MANZIMA HOLDING SA
société anonyme de droit ivoirien
ayant son siège social : [Adresse 4] (COTE D’IVOIRE)
Société [H] FINANCES SA
société anonyme de droit ivoirien, immatriculée au Registre du commerce et du crédit mobilier d'[Localité 1] sous le numéro CI-ABJ-2017-B-01889,
ayant son siège social : [Adresse 4] (COTE D’IVOIRE)
Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant : Me Jean-Fabrice BRUN de la SELAFA C’M’S FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, toque : NAN 1701
DÉFENDERESSE AU RECOURS :
Société SWISS RE DIRECT INVESTMENTS COMPANY LTD
société de droit suisse,
inscrite au Registre du commerce de ZURICH sous le numéro CHE-115.339.896,
ayant son siège social : [Adresse 5]H (SUISSE)
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H AVOCATS , avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Ayant pour avocats plaidants : Me Clément DUPOIRIER et Me Thierry TOMASI, du cabinet HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J 025
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 06 Décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président
Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Daniel BARLOW dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie d’un recours en annulation contre une sentence arbitrale finale rendue sous l’égide de la Chambre de commerce internationale (ci-après : « la CCI »), le 28 septembre 2021, dans un litige opposant :
– d’une part, la société de droit suisse Swiss Re Direct Investments Company Ltd (« Swiss Re »), filiale du groupe Swiss Re, qui est l’un des principaux opérateurs mondiaux du secteur de l’assurance, de la réassurance et autres formes de transfert de risques liés à l’assurance ;
– de l’autre, les « Parties [M] », expression employées par le tribunal arbitral pour désigner :
‘ M. [M], entrepreneur de nationalité ivoirienne qui a fondé et développé le groupe Nouvelle Société Interafricaine d’Assurances « NSIA »), qu’il dirige ‘ via le contrôle des sociétés [H] Finances (« [H] ») et NSIA Participations (« NSIAP ») ‘ avec les autres membres de la famille [M], par le truchement de la société [U] Holding (« [U] ») ;
‘ les autres membres de la famille participant à ce contrôle ;
‘ les sociétés [U] et [H].
2. Le différend trouve son origine dans la signature, le 2 mai 2017, d’un contrat d’acquisition entre M. [M] et Swiss Re en vue de permettre à cette dernière d’entrer au capital de la société [H].
3. Cette convention prévoit l’engagement de la société Swiss Re à investir la somme de 65 892 379 537 francs CFA selon les modalités suivantes :
– un paiement de 3 000 000 000 francs CFA à M. [M] pour l’acquisition de 3 462 actions qu’il détenait dans le capital de [H] ;
– un paiement de 50 124 918 002 francs CFA à la société [H] pour la souscription de 57 838 actions nouvelles de cette société ;
– un paiement de 12 767 461 535 francs CFA [H] pour la souscription de 12 767 461 535 obligations convertibles en actions émises par cette société.
4. Les documents contractuels définissent :
– les modalités de conversion des obligations convertibles, dans la limite d’une participation totale de 40 % de la société Swiss Re au capital de [H] et sous réserve de la réalisation de deux conditions : l’une dite de valorisation, tenant à la détermination définitive de la valeur de [H] à la date de réalisation, l’autre, dite « CIMA », tenant à l’obtention d’autorisation des autorités des assurances ;
– le cas échéant, le remboursement à la société Swiss Re des obligations non converties à raison du plafond de détention de 40 %.
5. Ces mêmes documents prévoient des garanties consenties par les Parties [M] quant à la régularité de l’opération, à la participation de Swiss Re à la gouvernance de la société [H] et du groupe NSIA, via la présence de représentants aux conseils d’administration des sociétés [H] et NSIAP et une participation à un comité stratégique créé par le pacte d’actionnaires joint au contrat, ainsi qu’à la protection de la société Swiss Re en sa qualité d’actionnaire et d’obligataire.
6. Ils contiennent des clauses compromissoires prévoyant la compétence d’un tribunal arbitral institué sous l’égide de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI.
7. Des difficultés sont apparues durant la phase d’exécution de cette convention, qui se sont traduites par l’absence de conversion des obligations convertibles. Les comptes consolidés du groupe NSIA pour l’exercice 2016 ont ainsi été adoptés plus de deux mois après la date envisagée dans le contrat d’acquisition et des discussions ont eu lieu entre les parties à propos des modalités de remboursement du montant des obligations convertibles non converties et des modalités de leur conversion, sans qu’un accord puisse être trouvé.
8. Une première augmentation du capital de la société [H] a été votée par l’assemblée générale extraordinaire du 14 mars 2019, sans prime d’émission.
9. Dans ce contexte, la société Swiss Re a introduit une procédure d’arbitrage d’urgence devant la CCI, le 25 mars 2019, en vue d’obtenir, d’une part, qu’il soit ordonné aux Parties [M], sous astreinte, qu’elles engagent les démarches nécessaires à la conversion des obligations convertibles et, d’autre part, que les effets de l’augmentation de capital soient suspendus dans l’attente de cette conversion, du règlement du différend au fond par le tribunal arbitral et du vote d’une résolution préservant ses droits. Ces demandes feront l’objet d’une ordonnance de rejet le 13 avril 2019.
10. La société Swiss Re a par ailleurs engagé une procédure d’arbitrage au fond devant la même CCI, le 4 avril 2019.
11. Le 15 avril 2019, jour de l’expiration du délai prévu par le contrat, elle a souscrit à l’augmentation de capital de la société [H] à hauteur de 2 949 410 000 francs CFA, soit à proportion de sa participation au capital de cette dernière.
12. Elle s’est opposée à une deuxième augmentation de capital de la société [H], destinée à financer celle de la holding NSIAP, votée sans prime d’émission le 8 avril 2019. L’augmentation de capital a néanmoins été réalisée en mai 2019 et la participation de la société [H] dans le capital de NSIAP a été diluée, passant de 67,16 % à 22,69 %, la société [U] en détenant alors 48,11 %.
13. À la suite de cette opération, la société Swiss Re s’est plainte de violations du pacte d’actionnaires concernant sa participation aux instances gouvernantes du groupe, dénonçant l’opposition des Parties [M] à la désignation de son nouveau représentant.
14. Le tribunal arbitral a été définitivement constitué le 18 octobre 2019.
15. Le 31 octobre 2019, la société [H] et M. [M] ont introduit une procédure d’arbitrage devant la Cour d’arbitrage de Côte d’Ivoire (ci-après : « CACI »), en se fondant sur une clause insérée dans les statuts de la société [H].
16. Le tribunal arbitral institué sous l’égide de la CCI a prononcé sa sentence finale le 28 septembre 2021 (ICC n° 24359/GR/PAR) aux termes de laquelle, il a notamment :
‘ rejeté dans son intégralité la demande de sursis à statuer ;
‘ constaté que les conditions de la conversion des obligations convertibles définies au contrat d’acquisition et à ses annexes étaient réunies à la date du 11 janvier 2018 ;
‘ ordonné à [H] d’émettre et d’attribuer à Swiss Re 36 392 nouvelles actions [H], dans les 45 jours ouvrables suivant la notification de la sentence aux parties par le secrétariat de la Cour, sous peine d’une astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;
‘ ordonné aux Parties [M] de prendre toutes les mesures nécessaires pour que [H] émette et attribue à Swiss Re 36 392 nouvelles actions [H] dans les 45 jours ouvrables suivant la notification de la sentence aux Parties par le secrétariat de la Cour, sous peine d’une astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;
‘ condamné solidairement [H] et les Parties [M] à payer à Swiss Re 8 295 milliards francs CFA au titre du remboursement du montant des obligations convertibles non-converties en actions [H], avec intérêts au taux légal à compter du 21 février 2019 ;
‘ à la majorité, condamné solidairement [H] et les Parties [M] à payer à Swiss Re 7 463 milliards de francs CFA au titre du Surprix ;
‘ ordonné l’exécution provisoire de la sentence, mais seulement pour ce qui concerne la condamnation sous astreinte de [H] à émettre et attribuer à Swiss Re 36 392 actions [H], et la condamnation des Parties [M] à prendre toutes les mesures nécessaires pour que [H] émette et attribue à Swiss Re lesdites actions [H] ;
‘ condamné M. [M], les autres membres de la famille [M], [H] et [U] à supporter à hauteur des trois quarts (3/4) les frais du présent arbitrage, en ce compris les honoraires des arbitres mais à l’exclusion des dépenses que les Parties ont respectivement engagées pour leur défense ;
‘ condamné solidairement les défendeurs à payer à Swiss Re la somme de 169 400 USD en règlement de sa contribution définitive aux frais de l’arbitrage évalués par la Cour ;
‘ condamné solidairement les défendeurs à payer à Swiss Re la somme de 13 279,20 USD au titre des frais d’audience engagés par les Parties.
17. Le 29 octobre 2021, M. [D] [X] [M], Mme [L] [R] [C] [G], Mme [Z] [O] [X] [M], Mme [A] [B] [W] [M], M. [S] [M], M. [N] [P] [X] [M], M. [I] [E] [X] [M], la société [U] Holding SA et la société [H] Finances SA ont introduit un recours en annulation à l’encontre de cette sentence devant la cour de céans.
18. À l’issue de la mise en état, l’ordonnance de clôture a été prononcée, le 15 novembre 2022, l’affaire étant appelée à l’audience du 6 décembre 2022.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
19. Dans leurs conclusions récapitulatives (n°3) communiquées par voie électronique le 10 novembre 2022, M. [D] [X] [M], Mme [L] [R] [C] [G], Mme [Z] [O] [X] [M], Mme [A] [B] [W] [M], M. [S] [M], M. [N] [P] [X] [M], M. [I] [E] [X] [M], la société [U] Holding SA et la société [H] Finances SA demandent à la cour, au visa des articles 1518, 1520, 699 et 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :
– juger que le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ;
– juger que le tribunal arbitral a statué en dehors de sa mission ;
– juger que le tribunal arbitral a violé le principe de la contradiction à plusieurs égards ;
En conséquence,
– annuler la sentence arbitrale rendue le 28 septembre 2021 en toutes ses dispositions, notamment en ce que le tribunal arbitral a :
” rejeté l’intégralité de la demande de sursis à statuer et des autres demandes de [H], des Parties [M] et de [U] ;
” constaté que les conditions de la conversion des Obligations Convertibles définies au Contrat d’Acquisition et à ses Annexes étaient réunies à la date du 11 janvier 2018 ;
” ordonné à [H] d’émettre et d’attribuer à Swiss Re 36 392 nouvelles actions [H], dans les 45 jours ouvrables suivant la notification de la sentence aux Parties par le Secrétariat de la Cour, sous peine d’une astreinte de 5.000 euros par jour de retard ;
” ordonné aux Parties [M] de prendre toutes les mesures nécessaires pour que [H] émette et attribue à Swiss Re 36 392 nouvelles actions [H] dans les 45 jours ouvrables suivant la notification de la sentence aux Parties par le Secrétariat de la Cour, sous peine d’une astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;
” condamné solidairement [H] et les Parties [M] à payer à Swiss Re 8 295 milliards FCFA (Francs CFA) au titre du remboursement du montant des obligations convertibles non-converties en actions [H], avec intérêts au taux légal à compter du 21 février 2019 ;
” à la majorité, condamné solidairement [H] et les Parties [M] à payer à Swiss Re 7 463 milliards FCFA au titre du Surprix ;
” condamné M. [M], les Autres Membres de la famille [M], [H] et [U] à supporter à hauteur des trois quarts (3/4) les frais du présent arbitrage, en ce compris les honoraires des arbitres mais à l’exclusion des dépenses que les Parties ont respectivement engagées pour leur défense ;
” condamné solidairement Monsieur [M], les Autres Membres de la famille [M], [H] et [U] à payer à Swiss Re la somme de 169.400 US$ en règlement de sa contribution définitive aux frais de l’arbitrage évalués par la Cour ;
” condamné solidairement Monsieur [M], les Autres Membres de la famille [M], [H] et [U] à payer à Swiss RE la somme de 13.279,20 USD au titre des frais d’audience engagés par les Parties.
En tout état de cause,
– condamner la société Swiss Re à payer à Monsieur [M], aux Autres membres de la famille [M], à [H] et à [U] la somme de 50 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’au paiement des entiers dépens de l’instance.
20. Dans ses conclusions récapitulatives en réponse, communiquées par voie électronique le 28 octobre 2022, la société Swiss Re Direct Investments Company Ltd sollicite de la cour, saisie sur le fondement de l’article 1520 du code de procédure civile, qu’elle :
À titre principal :
– rejette purement et simplement le recours en annulation formé contre la sentence arbitrale finale CCI n°24359/GR/PAR rendue selon le règlement d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale de Paris le 28 septembre 2021 à l’encontre de Monsieur [D] [X] [M], Madame [L] [R] [C] [G] (épouse [M]), Madame [Z] [O] [X] [M], Madame [A] [B] [W] [M] (épouse [J]), Monsieur [S] [M], Monsieur [N] [P] [X] [M], Monsieur [I] [E] [X] [M], la société [U] Holding SAS et la société [H] Finances SA ;
À titre subsidiaire :
– rejette le recours en annulation formé contre la sentence arbitrale finale CCI n°24359/GR/PAR rendue selon le règlement d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale de Paris le 28 septembre 2021 à l’encontre de Monsieur [D] [X] [M], Madame [L] [R] [C] [G] (épouse [M]), Madame [Z] [O] [X] [M], Madame [A] [B] [W] [M] (épouse [J]), Monsieur [S] [M], Monsieur [N] [P] [X] [M], Monsieur [I] [E] [X] [M], la société [U] Holding SAS et la société [H] Finances SA, sauf en ce que cette sentence prononce la condamnation solidaire des Parties [M] avec [H] au remboursement des Obligations Convertibles non-converties à hauteur de 8,295 milliards FCFA ; et,
En conséquence :
– annule partiellement la sentence arbitrale finale CCI n°24359/GR/PAR, mais seulement en ce qu’elle a prononcé la condamnation des Parties [M] avec [H] au remboursement des Obligations Convertibles non-converties, [H] restant redevable de ce remboursement qui avait expressément été sollicité à son encontre ;
– confirme, pour le reste, la sentence arbitrale en question.
En tout état de cause :
– déboute les parties de l’ensemble de leurs demandes formulées à l’encontre de DICO ;
– condamne solidairement les Parties [M] et la société [H] Finances SA, et tout succombant à payer 150.000 euros à DICO au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; et
– condamne solidairement les Parties [M] et la société [H] Finances SA, et tout succombant aux entiers frais et dépens de l’instance qui seront recouvrés pour ceux-là concernant par la SELARL 2H Avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
21. Les Parties [M] développent six moyens d’annulation tirés de :
‘ l’incompétence du tribunal arbitral pour statuer sur la sixième résolution votée par la société [H] lors de son assemblée générale du 2 mai 2017 ;
‘ le non-respect des termes de sa mission de ce même chef ;
‘ le non-respect des termes de sa mission à raison de la condamnation solidaire de la société [H] et des Parties [M] à rembourser à Swiss Re le prix des obligations convertibles non converties en actions ;
‘ le non-respect des termes de sa mission sur la question du remboursement du surprix ;
‘ le non-respect du principe de la contradiction concernant ce même chef ;
‘ le non-respect du principe de la contradiction dans la conduite des audiences de plaidoiries.
22. La cour examinera successivement les questions relevant de la compétence du tribunal arbitral, du respect des termes de sa mission et du respect du principe de la contradiction.
Sur le moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral
23. Les Parties [M] font grief au tribunal arbitral de s’être prononcé sur la nullité de la sixième résolution de l’assemblée générale tenue par la société [H] le 2 mai 2017 et sur celle, consécutive, des obligations convertibles alors qu’il n’était pas compétent pour ce faire. Elles soutiennent à ce titre que :
– les contestations relatives à la validité des délibérations sociales de cette société ne relèvent pas des conventions d’arbitrage prévues par le contrat d’acquisition mais de l’article 45 de ses statuts, qui prévoit la compétence de la Cour d’arbitrage de Côte d’Ivoire (CACI) ;
– la société défenderesse opère une confusion entre la question de la conversion des obligations convertibles, qui relève du contrat et de la clause de résolution du litige qu’il contient, et celle de la nullité et de l’opposabilité d’une décision sociale, qui relève exclusivement des statuts ;
– les parties n’ont, à aucun moment, exprimé le souhait de revenir sur cette compétence ;
– le raisonnement du tribunal arbitral pour justifier l’extension de sa compétence, qui a consisté à considérer que les parties [M] auraient entendu lui soumettre cette question en soulevant une « exception de nullité » qu’il lui appartenait de trancher pour statuer sur la demande de conversion des obligations convertibles en actions, est manifestement erroné, aucune exception de nullité formelle ne lui ayant été soumise en ce sens ;
– le tribunal arbitral s’est considéré à tort comme mieux placé que celui de la CACI pour statuer sur ce point, en dehors du champ de sa compétence.
24. La société Swiss Re réplique que :
– le tribunal arbitral ne s’est pas prononcé sur la prétendue nullité de la résolution;
– il s’est limité à juger que, même à la supposer établie, la prétendue nullité ne serait pas opposable à la société Swiss Re qui est un tiers de bonne foi ;
– les arguments développés par les demandeurs sur l’exception de nullité sont dénués de toute pertinence et ne visent qu’à obtenir une révision au fond de la sentence ;
– le tribunal était compétent pour juger de l’opposabilité à la société Swiss Re de ladite nullité en vertu des clauses d’arbitrage sur le fondement desquelles il était saisi ;
– les rapports entre la société [H], émettrice des obligations convertibles, et la société Swiss Re, tiers obligataire ayant souscrit auxdites obligations, sont régis par le contrat d’acquisition et les termes et conditions desdites obligations, de sorte que tout litige survenant entre ces dernières relève du mécanisme de règlement des différends prévus par ces engagements, à savoir l’arbitrage CCI.
SUR CE :
25. L’article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation contre la sentence arbitrale lorsque le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent.
26. En application de ce texte, il appartient au juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage. Ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.
27. En l’espèce, le tribunal arbitral institué sous l’égide de la CCI a été saisi par la société Swiss Re sur le fondement de clauses compromissoires insérées (i) dans le contrat d’acquisition signé par les parties le 2 mai 2017, (ii) dans les « termes et conditions de l’émission par [H] d’obligations convertibles en actions ordinaires » figurant dans l’appendice II de ce contrat, et (iii) dans le pacte d’actionnaires qui en constitue l’appendice III.
28. Ces stipulations sont formulées en ces termes :
Article 13.12 du Contrat d’Acquisition
13.12.2 Tout différend, litige ou réclamation découlant de ou se rapportant au présent Contrat, y compris tout différend concernant l’existence, la validité ou la cessation du présent Contrat ou les conséquences de sa nullité et tout différend non-contractuel ou autre (un « Différend ») sera réglé de manière définitive par la voie de l’arbitrage dans le cadre du Règlement d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (« le Règlement »), lequel Règlement sera réputé être intégré au présent article par renvoi.
Article 10.2 des termes et conditions de l’émission
10.1.2 Compétence
Tous les litiges en lien avec les stipulations des Termes et Conditions seront réglés en application des règles d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale par trois (3) arbitres nommés conformément à ces règles. L’arbitrage aura lieu en France, à [Localité 6], et la langue officielle de l’arbitrage de cet arbitrage sera le français.
Article 23 du Pacte d’Actionnaires
23.2 Tout litige résultant du présent Pacte, ou en rapport avec ce dernier, sera tranché selon les règles d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale, par trois (3) arbitres désignés conformément à ces règles. La procédure d’arbitrage se tiendra à [Localité 6], France et la langue officielle de cette procédure d’arbitrage sera le français.
29. L’article 3.2 du contrat prévoit par ailleurs l’« Émission d’Obligations Convertibles par [H] ». Il énonce à cet effet que :
3.2.1 Conformément aux termes et sous réserve des conditions du présent Contrat, [H] est tenue d’émettre, et les Parties [M] feront en sorte que [H] émette, douze milliard sept cent soixante-sept millions quatre cent soixante et un mille cinq cent trente-cinq (12.767.465.535) Obligations Convertibles par voie d’émission réservée à l’Investisseur (l’« Émission d’Obligations Convertibles par [H] »).
3.2.2 Conformément aux termes et sous réserves des conditions du présent Contrat :
(a) Les Membres de la Famille [M] font en sorte, et [U] est tenue, au plus tard à la Date de Réalisation de l’Opération, de voter en faveur des Résolutions de [H] ;
(b) L’Investisseur est tenu, à la Date de Réalisation de l’Opération, de souscrire aux Obligations convertibles et de verser le montant de douze milliard sept cent soixante-sept millions quatre cent soixante et un mille cinq cent trente-cinq (12.767.465.535) FCFA (le « Prix des Obligations Convertibles [H] ») sur le Compte Dépositaire de l’Emission d’Obligations Convertibles [H].
3.2.3 Les Obligations Convertibles souscrites par l’Investisseur, seront, sous réserve de la Réalisation de l’Opération, convertibles post-Réalisation de l’Opération en un nombre d’Actions Ordinaires qui sera déterminé sur la base de la valeur de [H] à la Date de Réalisation [‘]
30. Dans le cadre ainsi défini, le tribunal arbitral, saisi par Swiss Re d’une demande tendant à la conversion forcée des obligations convertibles prévue par les stipulations précitées, s’est préalablement prononcé sur une demande de sursis à statuer formée par les Parties [M] à raison de la saisine concurrente du tribunal arbitral de la CACI, dont elles faisaient valoir la compétence naturelle pour connaître de la nullité de la résolution votée par l’assemblée générale de la société [H] relative à l’émission des obligations convertibles.
31. Le tribunal arbitral a rejeté cette demande de sursis, en considérant, en substance, que l’annulation de la résolution litigieuse serait sans conséquences sur les droits de la société Swiss Re, réputée tiers de bonne foi.
32. Si, pour rejeter cette demande, il s’estime compétent, dans sa motivation, pour se prononcer sur la validité de la résolution litigieuse, force est de constater qu’il ne tire aucune conséquence juridique de cette affirmation puisque, à aucun moment, il ne statue sur la nullité de cette résolution, qui n’est pas tranchée dans le dispositif de la sentence, pas plus qu’elle n’est affirmée dans ses motifs.
33. Les Parties [M] ne sauraient donc valablement faire grief au tribunal arbitral d’avoir statué hors le champ de sa compétence pour s’être prononcé sur ce point, le moyen manquant ici en fait.
34. Elles ne sauraient davantage mettre en cause le raisonnement suivi par le tribunal pour répondre à une demande de sursis à statuer se rapportant à une demande principale dont il est acquis qu’elle entrait bien dans le champ de sa compétence. Le contrôle de la compétence du tribunal arbitral par le juge de l’annulation étant exclusif de toute révision au fond de la sentence, ce qui interdit à la cour de se prononcer sur la pertinence de la motivation retenue, le moyen manque ici en droit.
35. Le grief tiré de la violation des dispositions de l’article 1520,1°, du code de procédure civile doit, dans ces conditions, être écarté.
Sur les moyens tirés de la violation de sa mission par le tribunal arbitral
36. Les Parties [M] font grief au tribunal arbitral d’avoir méconnu les termes de sa mission, en statuant sur la nullité de la sixième résolution votée par l’assemblée générale de la société [H] le 2 mai 2017, en condamnant solidairement les Parties Dianou, avec [H], à rembourser le prix des obligations non-converties en actions, et en statuant en équité sur le surprix.
37. Elles soutiennent, sur le premier point, que le tribunal arbitral n’était pas saisi d’une demande d’annulation de la résolution, les défendeurs ayant simplement fait valoir un moyen de défense tendant à ce que la nullité à prononcer par le tribunal de la CACI soit prise en compte par le tribunal de la CCI, qui a considéré à tort que la nullité était dans les débats tenus devant lui. Elles ajoutent que ce tribunal a dénaturé leurs demandes en se prétendant saisi d’une exception de nullité qu’elles n’ont jamais invoquée et en se prononçant sur l’opposabilité de la nullité à Swiss Re.
38. Elles exposent, sur le deuxième point, qu’en condamnant solidairement la société [H] et les Parties [M] au paiement de la somme de 8 295 376 530 francs CFA à raison de la non-conversion des obligations convertibles en actions, le tribunal a statué ultra petita, la société Swiss Re ayant demandé à ce titre la seule condamnation de la société [H], ce que la défenderesse au recours reconnaît. Elles considèrent que la jurisprudence invoquée par Swiss Re pour conclure à une annulation partielle de la sentence est isolée et critiquable au regard du fait que le juge de l’annulation ne peut « corriger » ni « réécrire » un chef de dispositif vicié.
39. Elles font valoir, sur le troisième point, que, bien qu’il ait affirmé raisonner et juger en droit, le tribunal arbitral a fait usage de l’équité pour parvenir à un résultat au titre du surprix auquel il n’aurait pas pu aboutir s’il avait véritablement appliqué le droit français, en l’occurrence les articles 1104 et 1194 du code civil. Elles ajoutent que l’usage de l’équité ressort de la mise en place systématique de biais par lesquels le tribunal a pallié les lacunes de la société Swiss Re, tant dans son raisonnement que dans sa démonstration factuelle, de sorte qu’il s’est arrogé un pouvoir d’amiable compositeur que les parties ne lui avaient pas reconnu, ce qu’a relevé l’un des arbitres dans son opinion dissidente.
40. Elles contestent toute tentative de révision au fond de la sentence de leur part.
41. La société Swiss Re réplique, sur le premier point, que lorsque les Parties [M] ont fait savoir, dès le stade de la préparation de l’acte de mission, qu’elles entendaient soulever la prétendue nullité de la résolution par voie d’exception dans l’arbitrage CCI puis par voie d’action devant le tribunal de la CACI, elle a expressément demandé au tribunal de la CCI de juger que toute éventuelle nullité de la résolution lui serait inopposable en sa qualité de tiers de bonne foi. Elle ajoute que cette question figurait dans la liste des demandes soumises au tribunal incluse dans l’acte de mission signé par les Parties le 9 décembre 2019, les Parties [M] et la société [H] ne s’y étant pas opposées.
42. Elle soutient, sur le deuxième point, que l’erreur commise par le tribunal ne saurait justifier l’annulation des dispositions de la sentence relatives au remboursement, cette dernière pouvant être corrigée au moyen d’une annulation partielle dès lors que la condamnation de la société [H] à rembourser les obligations convertibles non converties est dissociable de la condamnation prononcée à l’encontre des autres demandeurs de ce chef. Elle précise à cet égard qu’il suffit à la cour d’annuler les seules dispositions relatives à la condamnation solidaire des Parties [M] au remboursement desdites obligations, ce qui, comme le montre la jurisprudence, entre dans ses pouvoirs.
43. Elle fait enfin valoir, sur le troisième point, que le tribunal a raisonné en droit pour condamner la société [H] et les Parties [M] au titre du surprix et qu’en optant pour une application amendée de la méthodologie proposée par la société Swiss Re pour le calcul de la condamnation, il a rappelé que ce choix résultait d’une interprétation de la commune intention des parties au Contrat.
44. Elle conclut à une tentative de révision au fond de la sentence, qui est interdite au juge de l’annulation.
SUR CE :
(i) En droit
45. Selon l’article 1520, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.
46. Cette mission, définie par la convention d’arbitrage, est délimitée principalement par l’objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu’il y ait lieu de s’attacher uniquement à l’énoncé des questions figurant dans l’acte de mission.
47. Il appartient ainsi au tribunal arbitral de statuer dans les limites des demandes qui lui sont formées, de sorte que s’il accorde plus que ce qui avait été demandé, sa sentence est susceptible d’être annulée pour méconnaissance de sa mission.
48. L’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, les parties perdant la prérogative d’en exiger la stricte application et les arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier ou de modérer les conséquences des stipulations contractuelles dès lors que l’équité ou l’intérêt commun bien compris des parties l’exige.
49. L’arbitre ne s’écarte pas de sa mission s’il use de la liberté qui lui est accordée par le droit applicable au différend, l’usage par un tribunal arbitral d’une liberté d’appréciation que lui confère la règle applicable pour statuer sur une demande ne suffisant pas à qualifier ce pouvoir d’amiable composition.
(ii) Sur le grief tiré du dépassement de sa mission par le tribunal arbitral concernant la nullité de la sixième résolution votée par l’assemblée générale de la société [H] le 2 mai 2017
50. Il résulte des constatations précédentes que le tribunal arbitral a été saisi par les Parties [M] d’une demande de sursis à statuer motivée par l’existence d’une procédure concurrente d’arbitrage qu’elles avaient initiée devant la CACI.
51. La sentence attaquée se borne, dans son dispositif, à rejeter cette demande, en quoi le tribunal a répondu aux prétentions qui lui étaient soumises sans qu’il puisse être considéré qu’il aurait excédé sa mission de ce chef.
52. Si les Parties [M] contestent la motivation ayant conduit à ce rejet et la prise en compte par le tribunal d’une exception de nullité qu’ils affirment n’avoir pas élevée, il n’appartient pas au juge de l’annulation de vérifier le bien ou le mal fondé de la sentence, ni de s’assurer de la pertinence du raisonnement suivi par l’arbitre, étant ici relevé que, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs au recours, le tribunal arbitral ne s’est pas prononcé sur la nullité de la résolution litigieuse, mais a précisé au contraire s’abstenir de le faire dès lors qu’il n’était pas saisi d’une demande d’annulation de cette résolution (sentence attaquée, §§ 236 et 319).
53. Le moyen développé de ce chef par les demandeurs au recours est dès lors inopérant. Il sera rejeté.
(iii) Sur le grief tiré du dépassement de sa mission par le tribunal arbitral concernant la condamnation solidaire des Parties [M] avec la société [H] à rembourser le prix des obligations non converties en actions
54. Les pièces versées aux débats établissent que la société Swiss Re a sollicité du tribunal arbitral qu’il condamne la seule société [H] à lui payer la somme de 8 295 376 530 francs CFA au titre des obligations convertibles non converties en actions [H], sans étendre ce chef de demande aux Parties [M].
55. Le tribunal arbitral n’en a pas moins condamné celles-ci « solidairement » avec la société [H] à payer à Swiss Re la somme de 8,295 milliards francs CFA au titre du remboursement du montant des obligations convertibles non-converties.
56. Il a, ce faisant, statué ultra petita, excédant par là même les termes de sa mission.
57. La sentence attaquée encourt donc l’annulation de ce chef, sans qu’il y ait lieu d’étendre cette sanction à la sentence tout entière, la disposition entachée de nullité étant dissociable du reste et des autres chefs de la sentence.
(iv) Sur le grief tiré du dépassement de sa mission par le tribunal arbitral concernant la détermination du surprix
58. Il est acquis aux débats que les parties n’ont pas investi le tribunal arbitral de la qualité d’amiable compositeur, les clauses contractuelles prévoyant au contraire l’application du droit français, sauf pour ce qui concerne les obligations convertibles en actions et les questions s’y rattachant, soumises au droit de L’OHADA.
59. Dans sa sentence, le tribunal arbitral retient, sur l’existence d’un surprix et son évaluation, que la demande qui lui est soumise repose sur un fondement juridique tiré de la force obligatoire du contrat et son exécution de bonne foi. Dans le cadre ainsi défini, il juge non pertinente la méthode de valorisation proposée par la demanderesse et, « en l’absence d’élément de valorisation de [H] et de NSIAP en 2021 ou en 2019 », procède à un certain nombre de constatations le conduisant à amender cette méthodologie. Il précise à ce sujet qu’il « se doit de statuer sur la demande de Surprix et sur son montant conformément à l’Acte de mission du 9 décembre 2019 » et souligne procéder à ces constatations « en raisonnant en droit » (sentence attaquée, § 493).
60. Dans son opinion dissidente, l’un des arbitres conclut à une dénaturation de la volonté des parties et un dévoiement des règles de la responsabilité l’amenant à considérer que la sentence « se fonde sur une approche ex aequo et bono, alors que les Parties ont requis du Tribunal arbitral de statuer en droit et non en amiable composition » (opinion dissidente relative au surprix, § 164).
61. Nonobstant cette appréciation, il ne peut être considéré que le tribunal aurait méconnu les termes de sa mission et statué en amiable composition dès lors que :
– il écarte expressément cette voie dans sa motivation, précisant se prononcer « en droit et non en équité » (§ 495) ;
– il fonde son raisonnement sur les principes de force obligatoire du contrat et son exécution de bonne foi, conformément au droit français invoqué par les parties, en relevant des « manquements des Défendeurs à leurs obligations contractuelles [ayant] entrainé une atteinte aux droits que la Demanderesse tirait du Contrat d’Acquisition » (ibid.), et fait reposer l’évaluation de la somme allouée au titre du surprix sur « l’interprétation de la commune intention des cocontractants » (§ 509) ;
– cette motivation procède bien d’une application des règles du droit français, postulée par le contrat, le tribunal arbitral citant expressément les articles 1104 et 1194 du code civil, le premier disposant que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, le second qu’ils obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi, en quoi le recours à l’équité pour apprécier la portée des engagements, à le supposer démontré, ne serait que l’application du dit droit, sans qu’il puisse être considéré que le tribunal se serait institué amiable compositeur contre la volonté des parties ;
– il n’appartient pas au juge de l’annulation de contrôler la pertinence de cette motivation ni de sanctionner l’erreur de droit ou la mauvaise application de ce droit par le tribunal arbitral.
62. Le moyen, inopérant, doit dès lors être rejeté.
Sur les moyens tirés de la violation du principe de la contradiction
63. Les Parties [M] font grief au tribunal arbitral d’avoir violé le principe de la contradiction :
– en appliquant unilatéralement et sans en informer les parties ni provoquer l’entrée dans le débat de l’article 1217 du code civil pour le calcul du surprix, palliant ainsi la carence de la société Swiss Re qui ne l’avait jamais invoqué au soutien de sa demande de ce chef ;
– en retenant une méthode de calcul pour l’évaluation du surprix qui n’avait pas été soumise au débat contradictoire ;
– en clôturant les débats sans que les parties [M] aient pu utilement présenter leurs moyens sur la suppression d’une partie de leur plaidoirie dans les transcripts telle que demandée par la société Swiss Re, le tribunal ayant simplement indiqué qu’il ferait « connaître dès que possible sa décision sur les passages litigieux » sans réellement inviter les parties à s’exprimer à ce sujet alors que, sur tous les autres incidents, il avait systématiquement organisé des débats ;
– en procédant à cette suppression, alors qu’aucune règle de procédure ne l’autorisait, que le prétendu accord de confidentialité invoqué pour justifier la suppression de la partie de la plaidoirie n’a jamais été produit, qu’aucun propos diffamatoire n’a été prononcé et que les passages concernés représentent une question centrale du litige.
64. La société Swiss Re réplique que :
– le tribunal arbitral n’a pas fondé sa décision sur l’article 1217 du code civil et n’avait pas l’obligation de soumettre sa motivation au débat contradictoire, l’évaluation du préjudice relevant de son pouvoir souverain ;
– il a parfaitement respecté le principe du contradictoire, tant en ce qui concerne le fondement juridique applicable à la demande de surprix que la méthode de calcul du montant dû au titre de cette demande ses constatations reposant toutes sur les éléments versés aux débats ;
– il n’a pas violé le principe de la contradiction dans la conduite des audiences,
– le passage de la transcription a été supprimé à sa demande après que les Parties [M] et la société [H] aient été mises en mesure de s’y opposer, ce qu’elles ont fait, et de faire valoir tous leurs arguments ;
– un tribunal arbitral peut écarter des pièces ou des écritures des débats et a fortiori procéder à la suppression de parties de la transcription d’une audience lorsque les éléments qui y figurent sont protégés par le secret professionnel ou une obligation contractuelle de confidentialité ;
– une éventuelle violation du principe de la contradiction ne pourrait entraîner l’annulation de la sentence que si elle avait porté sur un élément ayant eu un impact déterminant sur la décision du tribunal, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
SUR CE :
(i) En droit
65. L’article 1520, 4°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation si le principe de la contradiction n’a pas été respecté.
66. Le principe de la contradiction veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et qu’elles aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire.
67. Le tribunal arbitral n’est pas tenu de soumettre aux parties l’argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé. Il ne peut toutefois fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués.
(ii) Sur le grief relatif au fondement juridique de la décision sur le surprix
68. Les Parties [M] font grief au tribunal arbitral d’avoir relevé d’office l’application de l’article 1217 du code civil pour fonder sa décision sur le surprix, sans soumettre ce point à la discussion contradictoire des parties.
69. Cette disposition est mentionnée au paragraphe 483 de la sentence attaquée, dans lequel le tribunal arbitral examine « le fondement juridique de la demande de surprix » en ces termes :
« En se référant aux articles 1194 et 1104 du Code civil ‘ auxquels elle aurait pu ajouter l’article 1217 du même code ‘ la Demanderesse se fonde sur le principe de la force obligatoire du contrat et sur le principe de bonne foi ; elle poursuit ainsi l’exécution forcée du Contrat d’Acquisition tel qu’elle l’interprète. Le Tribunal observe que la Demanderesse poursuit de la même façon l’exécution forcée du Contrat s’agissant de la conversion des Obligations Convertibles. Mais dans ce dernier cas, il s’agit d’exécution forcée en nature, alors qu’il ne peut s’agir, relativement au Surprix allégué, que d’exécution par équivalent. Elle invoque un manquement des Parties [M] à leurs obligations ayant conduit à la dilution de [H] dans NSIAP, mais elle ne demande pas réparation du préjudice qui résulterait pour elle d’un tel manquement. Elle demande à être mise dans l’état où elle se trouverait si le Contrat d’Acquisition avait été exécuté suivant ses termes, c’est-à-dire, en bref, si [H] n’avait pas été diluée dans NSIAP au mépris de ses intérêts. Elle se situe à la date du Contrat d’Acquisition, ou plus exactement à la date que ce Contrat prévoit pour évaluer [H] et NSIAP, à savoir le 31 décembre 2016, date à laquelle elle fait rétroagir, en quelque sorte, la dilution de [H] dans le capital de NSIAP dès lors qu’une telle dilution n’aurait pas dû avoir lieu, selon elle, aux termes du Contrat. Elle en déduit avoir trop payé pour le pourcentage qu’elle détient effectivement, quoiqu’indirectement, dans NSIAP, par rapport à ce qu’elle escomptait au départ. » (souligné par la cour)
70. Le paragraphe 484 précise que :
« Le Tribunal arbitral considère donc que la demande repose bien sur un fondement juridique, à savoir les principes de force obligatoire du contrat et de son exécution de bonne foi »
71. Ces deux principes, qui résultent des dispositions des articles 1104 et 1194 du code civil précités, sont appliqués par le tribunal arbitral pour statuer sur la demande de surprix, sans que les arbitres se réfèrent ultérieurement aux dispositions de l’article 1217 du même code.
72. La référence faite à ce dernier texte, par voie d’incise, ne constitue donc pas un motif décisoire, de sorte qu’il ne saurait valablement être fait grief au tribunal de ne l’avoir pas soumise à la discussion préalable des parties.
73. En quoi, le moyen développé de ce chef ne peut prospérer.
(iii) Sur le grief relatif à la méthode de calcul retenue
74. Il résulte de la sentence attaquée que, alors que la société Swiss Re avait soumis une méthodologie aboutissant à une évaluation du surprix à hauteur de 37 268 677 413 francs CFA, les Parties [M] concluant de leur côté à un rejet pur et simple de cette prétention, sans proposer de méthode de calcul alternative, le tribunal arbitral a fait droit à la demande mais a significativement réduit le montant du surprix, le portant à 7,463 milliards de francs CFA.
75. Pour parvenir à ce résultat, le tribunal arbitral considère que « la méthodologie adoptée par la Demanderesse n’est pas pertinente si on l’applique à la lettre, car l’opération de valorisation implique nécessairement la prise en compte de l’écoulement du temps et de multiples facteurs » qu’il détaille (sentence attaquée, § 492). Après avoir retranché de l’assiette du surprix certaines sommes, pour tenir compte du fait qu’en situation normale la demanderesse au recours aurait souscrit aux augmentations de capital de [H], il applique à l’assiette ainsi corrigée un coefficient de 0,67, considérant que « Swiss Re [a] contribué à la dilution de [H] pour une part que le Tribunal arbitral a souverainement évalué à un tiers » (ibid., § 506).
76. Si cette formule de calcul n’a pas été soumise aux parties par le tribunal, il n’en apparaît pas moins que les éléments sur lesquels se fonde la sentence étaient tous dans le débat et ont pu être discutés de façon contradictoire par les parties, la solution retenue à ce titre relevant de la libre appréciation et du pouvoir de motivation du tribunal.
77. Le grief tiré du non-respect du principe de la contradiction par le tribunal n’apparaît dès lors pas de nature à justifier une annulation de ce chef.
(iv) Sur les griefs relatifs à la conduite des débats et aux transcripts d’audience
78. Les Parties [M] font ici grief au tribunal arbitral, d’une part, d’avoir clôturé les débats de façon prématurée, les empêchant ainsi de faire valoir l’ensemble de leurs moyens et arguments pour s’opposer à la suppression d’un passage du transcript d’audience qui avait été sollicité par la société Swiss Re et, d’autre part, d’avoir procédé à cette suppression.
79. Il résulte des débats et des pièces versées au dossier que, par courriel du 26 mars 2021, le conseil de la société Swiss Re a sollicité du tribunal la suppression de certains passages du transcript d’audience au motif qu’ils faisaient état de discussions entre avocats relatives à la désignation du président du tribunal de la CCI et de discussions entre les parties couvertes par un accord de confidentialité. Le tribunal arbitral a répondu par courriel, le 29 mars 2021, qu’il ferait « connaître dès que possible sa décision sur les passages litigieux ». Par courriel du même jour, le conseil des Parties [M] a répliqué aux demandes de suppression précitées, en faisant notamment valoir que les passages litigieux ne comportaient aucun échange qui serait couvert par le secret des correspondances entre avocats et que l’accord de confidentialité invoqué avait déjà été mentionné à deux reprises en cours de procédure sans que la demanderesse s’en émeuve alors. Le conseil de Swiss Re a répondu à ce courriel le lendemain, 1er avril 2021, en énonçant notamment que les passages invoqués à ce titre étaient anecdotiques par rapport aux déclarations d’audience visées par la demande de suppression. Par ordonnance du 9 avril 2021, le tribunal arbitral a prononcé la clôture des débats et a décidé la suppression des passages litigieux.
80. La clôture des débats plus de huit jours après le dernier échange intervenu entre parties ne saurait être regardée comme étant de nature à porter atteinte au principe de la contradiction dès lors que les parties [M] ont répondu aux demandes de suppression litigieuses moins de 24 heures après qu’elles eurent été formulées et qu’elles n’ont pas manifesté leur souhait de répliquer au dernier courriel de leur contradicteur, posté le lendemain, alors même qu’elles étaient informées de la volonté du tribunal de statuer rapidement sur ce point.
81. Elles ne démontrent pas, par ailleurs, en quoi les passages supprimés seraient décisifs ou auraient eu une quelconque influence sur la décision du tribunal arbitral. Les éléments versés aux débats dans le cadre de la présente instance font en effet apparaître que les lignes en question se rapportaient aux négociations préalables entre les parties et aux conditions de saisine par les Parties [M] du tribunal arbitral de la CACI, qualifiée par Swiss Re de « torpille procédurale ». Or, il résulte des mêmes débats et des pièces produites par les parties que cette question avait fait l’objet de nombreux échanges et développements de leur part en cours de procédure, le tribunal arbitral y consacrant de longs développements dans sa sentence, qu’il conclut en rejetant expressément les arguments de Swiss Re relatifs au caractère prétendument déloyal ou frauduleux de cette procédure concurrente (sentence attaquée, § 295).
82. Les moyens tirés de la violation du principe de la contradictoire dans la conduite de l’audience seront donc rejetés.
Sur les demandes accessoires
83. La société Swiss Re, qui succombe partiellement, sera condamnée aux dépens.
84. Elle sera en outre condamnée à payer aux parties [M] une somme que l’équité commande de fixer à 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la demande qu’elle forme de ce même chef étant rejetée.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Annule partiellement la sentence arbitrale finale rendue le 28 septembre 2021 sous l’égide de la Chambre de commerce internationale, sous la CCI n° 24359/GR/PAR, en ce qu’elle a prononcé la condamnation des Parties [M] solidairement avec la société [H] au remboursement des obligations convertibles non-converties, la société [H] restant redevable de ce remboursement qui avait expressément été sollicité à son encontre ;
2) Rejette, pour le reste, le recours en annulation ;
3) Condamne la société Swiss Re Direct Investments Compagny Ltd à payer à M. [D] [X] [M], Mme [L] [R] [C] [G] (épouse [M]), Mme [Z] [O] [X] [M], Mme [A] [B] [W] [M] (épouse [J]), M. [S] [M], M. [N] [P] [X] [M], M. [I] [E] [X] [M], la société [U] Holding SAS et la société [H] Finances SA, ensemble, la somme de cinq mille euros (5 000 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
4) Condamne la société Swiss Re Direct Investments Compagny Ltd aux dépens.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,