Diffamation : décision du 30 septembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/00016

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Diffamation : décision du 30 septembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/00016
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ARRÊT DU

30 Septembre 2022

N° 1571/22

N° RG 20/00016 – N° Portalis DBVT-V-B7E-SY3C

MLB / GD

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’Arras

en date du

21 Novembre 2019

(RG 19/00120 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 30 Septembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

Mme [ZB] [C]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Ioannis KAPPOPOULOS, avocat au barreau de VALENCIENNES

INTIMÉE :

SARL ALAX

[Adresse 3]

[Localité 9]

représentée par Me David-franck PAWLETTA, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l’audience publique du 23 Juin 2022

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaetan DELETTREZ

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Septembre 2022, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 12 mai 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SARL ALAX assure la gestion d’un réseau de micro-crèches sous le nom ‘Au jardin d’enfants’.

Mme [ZB] [C] a été embauchée par la SARL ALAX à compter du 25 août 2014 en qualité d’éducatrice coordonnatrice des 5 structures dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

Par avenant du 12 novembre 2014, elle a été promue aux fonctions de coordinatrice, statut cadre, avec pour mission de gérer les 5 micro crèches et le projet de 2 ouvertures.

Courant janvier 2015, elle a contesté la validité de l’avenant susvisé, et a saisi l’inspection du travail d’une difficulté concernant selon elle le non paiement d’heures supplémentaires. Des tensions sont survenues entre les parties à la suite de ce litige.

À compter du 10 février 2015, Mme [C] a été placée en arrêt maladie à la suite d’un malaise sur le parking des bureaux de la société ALAX. Elle a déposé plainte contre les 2 responsables pour non assistance à personne en danger, leur reprochant de ne pas avoir appelé les pompiers.

Par requête réceptionnée par le greffe le même jour soit le 10 février 2015, Mme [C] a en outre saisi le conseil de prud’hommes d’Arras aux fins de voir condamner son employeur au paiement de diverses indemnités et rappels de salaire ainsi que de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Le 13 avril 2015, Mme [C] a été convoquée à un entretien fixé au 23 avril 2015, préalable à un éventuel licenciement pour faute lourde, et s’est vue notifiée sa mise à pied à titre conservatoire à compter de la fin de son arrêt de travail devant intervenir le 14 avril 2015.

Par courrier du 22 avril 2015, Mme [C] ainsi que 7 autres salariés et anciens salariés ont dénoncé à plusieurs autorités dont le Conseil départemental et le procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Arras, leurs conditions de travail et certains dysfontionnements mettant en danger les enfants.

Par courrier reçu le 16 mai 2015, la SARL ALAX a notifié à Mme [C] son licenciement pour faute lourde, dénonçant différents manquements, notamment le fait d’avoir, avec la complicité d’autres salariées, dénoncé aux autorités de façon mensongère des dysfonctionnements inexistants ou mis en scène au sein des structures dans la seule volonté de lui nuire et obtenir la fermeture des micro-crèches.

Après réinscription de l’affaire le 20 mai 2019 devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes, Mme [C] a fait évoluer ses demandes et contesté son licenciement alléguant d’une discrimination en raison de la violation des règles protectrices du lanceur d’alerte.

Par jugement contradictoire rendu le 21 novembre 2019, le conseil de prud’hommes d’Arras a’:

– jugé bien fondé le licenciement pour faute lourde dont a fait l’objet Mme [C] et l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes,

– condamné Mme [C] à payer à la SARL ALAX les sommes suivantes’:

*1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive en réparation du préjudice subi,

*1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– déclaré irrecevable la demande d’intervention volontaire des deux co-gérantes et s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes reconventionnelles de dommages-intérêts pour préjudice personnel subi formulées par Mmes [T] [J] et [E] [O],

– renvoyé Mmes [T] [J] et [E] [O] à mieux se pourvoir au besoin devant le tribunal de grande instance d’Arras,

– condamné Mme [C] aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 3 janvier 2020, Mme [C] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande d’intervention volontaire des deux co-gérantes Mmes [T] [J] et [E] [O], s’est déclaré incompétent pour statuer sur leurs demandes reconventionnelles de dommages-intérêts pour préjudice personnel subi, et les a renvoyées à mieux se pourvoir au besoin devant le tribunal de grande instance d’Arras.

Dans ses dernières conclusions déposées le 2 avril 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens des parties, Mme [C] demande à la cour de’:

avant dire droit,

– écarter les pièces adverses n° 26, 29, 30, 31, 32, 50, 51, 66, 67, 68,

– au besoin, ordonner au visa de l’article R. 1454-1 du code du travail, une mission de conseiller rapporteur pour entendre toutes les personnes attestant de faits ne correspondant pas à la réalité,

à titre principal,

– juger que son licenciement est nul en raison de la discrimination et de la violation par l’employeur du statut protecteur accordé aux lanceurs d’alerte par les articles L. 1132-3-3 du code du travail et L. 1351-1 du code de santé publique,

– condamner la SARL ALAX à lui payer les sommes suivantes’:

*14 859,06 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul (6 mois de salaire) sur le fondement de l’article L. 1132-4 ou L. 1235-3 du code du travail,

*7 429,53 euros (3 mois de salaire) à titre d’indemnité compensatrice de préavis conformément aux dispositions conventionnelles, outre 742,95 euros au titre des congés payés afférents,

*5’000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat,

*786,49 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

*3 809,55 euros à titre de rappel de salaire sur coefficient, outre 380,95 euros au titre des congés payés y afférents,

*10 000 euros en réparation du préjudice moral distinct subi pour harcèlement moral,

*5 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat,

à titre subsidiaire,

– juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamner la SARL ALAX à lui payer les sommes suivantes’:

*14 859,06 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul (6 mois de salaire) sur le fondement de l’article L. 1132-4 ou L. 1235-3 du code du travail,

*7 429,53 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis conformément aux dispositions conventionnelles, outre 742,95 euros au titre des congés payés afférents,

*5’000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat,

*786,49 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

*3 809,55 euros à titre de rappel de salaire sur coefficient, outre 380,95 euros au titre des congés payés y afférents,

*10 000 euros en réparation du préjudice moral distinct subi pour harcèlement moral,

*5 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat,

en tout état de cause,

– juger que la SARL ALAX a manqué à son obligation de sécurité de résultat à son égard,

– condamner la SARL ALAX à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 15 juin 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la SARL AJAX demande à la cour de’:

à titre principal,

– dire l’affaire bien jugée, à l’exception de ce qui concerne le montant des dommages-intérêts auxquels Mme [C] a été condamnée,

– débouter Mme [C] de l’ensemble de ses demandes en ce compris ses demandes nouvelles avant-dire droit,

à titre incident,

– condamner Mme [C] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de procédure abusive et dommages-intérêts pour préjudice de subi,

à titre subsidiaire,

-confirmer la décision en toutes ses dispositions,

en tout état de cause,

– condamner Mme [C] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

– observations liminaires :

Mme [C] sollicite avant dire droit d’une part que soient écartées certaines attestations adverses, pour ne pas être conformes aux exigences de l’article 202 du code de procédure civile ou ne pas avoir de valeur probante, et d’autre part, si besoin, qu’il soit donné mission au conseiller rapporteur sur le fondement de l’article R. 1454-1 du code du travail d’entendre toute personne ‘attestant de fait ne correspondant pas à la réalité’.

Etant rappelé qu’il appartient au juge d’apprécier la valeur et la portée de tous les éléments de preuve qui lui sont soumis et si une attestation non conforme à l’article 202 du code de procédure civile présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction, la question du rejet éventuel des pièces litigieuses sera donc examinée au fur et à mesure de l’examen de l’affaire et dans la seule hypothèse où lesdites pièces sont susceptibles d’influer sur la solution du litige.

Par ailleurs, il appartiendra le cas échéant à la cour d’apprécier, après examen des pièces des parties, si l’audition par voie d’enquête d’auteurs de certaines attestations, mesure demandée de manière erronée par l’appelante sur l’article R. 1454-1 du code du travail, apparaît utile pour la solution du litige ainsi que l’y autorise l’article 203 du code de procédure civile.

– sur le licenciement de Mme [C] pour faute lourde :

La faute lourde est celle qui, comme la faute grave, résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis. Elle suppose, en outre, l’intention de nuire du salarié.

L’employeur qui invoque la faute lourde doit en rapporter la preuve, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés ne constituent pas néanmoins une faute grave ou le cas échéant, une cause réelle et sérieuse du licenciement, le doute subsistant alors devant profiter au salarié.

Aux termes d’une longue lettre non datée de licenciement pour faute lourde que Mme [C] reconnaît avoir reçue le 16 mai 2015 et qui fixe les limites du litige, et après avoir rappelé la chronologie de la révélation des faits à travers notamment ‘un audit complet de l’entreprise et des différentes structures du réseau entrepris à compter du 20 février 2015 jusqu’au mois d’avril 2015″ , la société ALAX dénonce en substance les agissements fautifs suivants :

– utilisation du portable professionnel de manière abusive en dehors des horaires de travail, jours fériés, dimanche,

– détérioration du véhicule de service et subtilisation du cahier de bord pour les trajets obligatoire dans le véhicule,

– falsification des notes de frais en subtilisant les frais d’une collaboratrice, Mme [K], à des fins personnelles,’ce que vous avez d’ailleurs reconnu en entretien’,

– pression sur Mme [F], leur assistante, en avril 2015, pour obtenir la signature d’un document non validé par la direction,

– dénigrement de Mme [J] et Mme [O], co-gérantes, auprès des collaboratrices, ‘allant même jusqu’à inventer des conflits inexistants’, ou dans le cadre de contacts avec d’anciennes collaboratrices,

– insubordination et agressivité envers les collaboratrices, menace sur certaines, notamment Mmes [Z], [LS], [B], [WI] et [IZ], de perdre leur travail et de déposer plainte à leur encontre si elles dévoilaient ses propos à la direction,

– agissements hostiles et à répétition affaiblissant psychologiquement 4 collaboratrices, Mmes [Y], [IZ], [WI] et [N], volonté de diviser les collaboratrices afin de créer un environnement malsain propre ‘à générer chez les parents des inquiétudes infondées et des ruptures de contrats’,

– interdiction faite aux équipes de contacter directement leur employeur,

– organisation délibérée de l’absence d’une salariée dans la structure d'[Localité 5] avant de contacter le conseil général pour dénoncer un défaut d’organisation et mettre ainsi la structure en défaut par rapport à l’agrément concernant le taux d’encadrement, ce qui aurait été reconnu par une salariée, Mme [HT] auprès de ses collègues,

– détérioration des lits dans cette structure avec Mme [HT], en vue dudit contrôle afin qu’elle ferme, ‘ nos structures d'[Localité 4], [Localité 10], [Localité 6] ont été contrôlées à notre grande surprise le 31 mars 2015. Etaient également contrôlées le 2 avril, les structures d'[Localité 5], [Localité 7], et [Localité 8] et le 16 avril [Localité 9]’.

– révélation alors du signalement fait au Conseil départemental ‘afin de dénoncer de prétendus problèmes, inexistants ou que vous aviez en réalité vous-même créer, dans le seul but de faire fermer les structures et nuire à votre employeur, et ce alors même que vous aviez aux termes de vos fonctions la responsabilités de la sécurité et de l’hygiène des locaux, sans en informer au préalable votre employeur, ce que vous avez reconnu dans le cadre de l’entretien’,’certaines collaboratrices et la direction ont été particulièrement choquées et ne comprennent pas votre attitude, votre volonté de nuire et de liguer d’anciennes et actuelles collaboratrices contre votre employeur, celui résulte manifestement de la constitution du Collectif des professionnels de la petite enfance dont vous êtes à l’initiative et dont nous avons découvert l’existence le 5 mai 2015″.

– ‘vous avez en effet continué à dénoncer de prétendus manquements de votre employeur et de prétendus défauts des structures d’accueil auprès de toutes les mairies des communes d’implantation des structures, le procureur de la République, les caisses d’allocation familiale, le Conseil départemental et les inspections du Travail’.

Les co-gérantes de la société ALAX concluent la lettre de licenciement comme suit : ‘L’ensemble de ces éléments témoigne incontestablement d’une intention de nuire de votre part à votre employeur. Votre conduite met en cause la bonne marche de notre entreprise et des structures d’accueil des enfants. Vous avez ainsi porté atteinte à vos collègues et à la direction en les fragilisant et en portant atteinte à leur réputation et à celle des structures’.

Mme [C] conteste l’intégralité des griefs ainsi exposés, soutenant en substance que son licenciement est discriminatoire car uniquement fondé sur le fait qu’elle a dénoncé aux autorités des manquements de son employeur à ses obligations légales et professionnelles. Elle sollicite à titre principale l’annulation de son licenciement sur le fondement des articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail ainsi que de l’article L. 1351-1 du code de la santé publique, en raison de la violation du statut protecteur accordé aux lanceurs d’alerte et à titre subsidiaire qu’il soit considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La société ALAX écarte pour sa part toute discrimination, et prétend au contraire que les fautes ‘de gravité variable’ de Mme [C] sont parfaitement caractérisées, considérant que sont constitutifs d’une faute lourde :

– les actes de harcèlement moral à l’égard des collaboratrices, destinés selon elle à altérer les relations entre salariées et avec leur employeur, et se faisant, à mettre en danger la structure,

– ‘les dénonciations calomnieuses et le sabordage organisé de l’entreprise’, Mme [C] ayant de mauvaise foi dénoncé des manquements imaginaires, et après mise en scène, dans l’unique but de lui nuire et de faire fermer ses structures.

Aux termes de l’article L. 1132-3-3 du code du travail, aucune personne ayant témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ou ayant relaté de tels faits ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L. 1121-2.

Aucun salarié ne peut ainsi être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Selon l’article L. 1134 du même code, lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Par ailleurs, s’agissant plus particulièrement des lanceurs d’alerte en matière de santé publique, l’ancien article L. 1351 du code de la santé publique applicable au cas d’espèce prévoit un statut protecteur similaire, disposant qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, ni être sanctionnée ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de traitement, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives de faits relatifs à un risque grave pour la santé publique ou l’environnement dont elle aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.

Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.

En cas de litige relatif à l’application des deux premiers alinéas, dès lors que la personne établit des faits qui permettent de présumer qu’elle a relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits relatifs à un danger pour la santé publique ou l’environnement, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Pour dénoncer le caractère discriminatoire de son licenciement par l’atteinte portée à son statut de lanceur d’alerte au sens des dispositions susvisées, Mme [C] explique en pages 12 à 14 de ses conclusions qu’elle a alerté le Conseil départemental par son courrier du 22 avril 2015 co-signé par 7 autres salariées, de l’existence de divers dysfonctionnements et dangers pour la santé des enfants, après avoir au préalable émis en vain de ‘nombreuses alertes verbales’ à destination de son employeur, sur notamment le manque de personnel par rapport au nombre d’enfants à gérer et la présence de plusieurs lits cassés et potentiellement dangereux.

Elle précise que contrairement à ce qui est prétendu par la partie adverse, elle n’a jamais cassé les lits et que les co-gérantes de la société ALAX, informées depuis février 2015, n’ont rien fait, attendant le 22 avril 2015 pour remplacer les lits, soit le jour de l’envoi du courrier de signalement aux autorités.

Elle ajoute que Mmes [O] et [J], consécutivement à ce courrier, ont tenté d’obtenir des témoignages de salariées soit pour la mettre en cause, soit pour revenir sur leurs précédentes déclarations.

Mme [C], qui réfute l’organisation ‘d’un complot’ avec les 7 autres signataires dudit courrier, affirme avoir agi de bonne foi, les manquements allégués dans le signalement aux autorités étant à l’époque avérés.

Mme [C] présente pour appuyer ses dires les éléments suivants :

– le courrier du 22 avril 2015 signé par elle et 7 autres salariés adressé au Conseil départemental (sa pièce 25),

– le courrier de Mme [U], sénatrice du Pas-de-Calais, en date du 13 avril 2015, relayant au président du Conseil départemental l’interpellation de salariées concernant certains dysfonctionnements au sein du réseau ‘Au jardin d’enfants’, et lui remettant copie d’un courrier que Mme [C] avait déjà adressé aux services du département (pièce 26),

– les attestations des 7 autres signataires du courrier du 22 avril 2015 :

* Mme [V] [HT] qui relate notamment les pressions des co-gérantes sur les salariées pour obtenir des informations et dénonciations concernant Mme [C], le contrôle du 31 mars 2015 par la PMI, la connaissance par les co-gérantes des lits cassés depuis février 2015 et leur remplacement le 3 avril 2015 (pièce 38),

* Mme [M] [WI] qui explique notamment pourquoi elle a accepté de faire un rapport sur Mme [C], sur la pression de Mme [J] à l’issue de la réunion de février 2015, afin de préserver son emploi, (pièce 37)

* Mmes [D] [W], [R] [DN], [I] [GG], [CB] [S], [L] [P], anciennes salariées du réseau ‘Au jardin d’enfants’ qui dénoncent leurs conditions de travail et les méthodes managériales de Mme [J] à l’époque ainsi que les pressions subies pour se taire (pièces 39, 40, 41, 42, 44),

– l’attestation de Mme [H] [X], stagiaire au sein de la micro crèche d'[Localité 5], concernant le manque de personnel, les lits déjà cassés à son arrivée le 16 mars 2015 et remplacés quelques jours avant la fin de son stage le 22 avril 2015.

Il sera d’abord relevé que Mme [C] ne produit aucun écrit de sa part signalant à la direction de la société ALAX les dysfonctionnements dangereux auxquels il lui apparaissait nécessaire de remédier dans l’intérêt des enfants.

Par ailleurs, la société ALAX justifiant que Mmes [HT], [WI] et [S] ont respectivement été licenciées pour faute lourde (Mmes [HT] et [WI]) et faute grave (Mme [S]), ces licenciements ayant été validés par la juridiction prud’homale par des jugements devenus définitifs, leurs attestations présentent un fort risque de partialité, de sorte qu’elles ne peuvent être retenues pour établir la matérialité des faits allégués.

De même, ainsi que le fait justement observer la société ALAX, les attestations de Mmes [P], [GG] et [W], qui précisent avoir été salariées du réseau, courant 2012 jusqu’au plus tard avril 2014 s’agissant de Mme [GG], et avaient donc quitté la structure bien avant l’arrivée de Mme [C], n’évoquent, directement ou indirectement, aucun fait survenu pendant la période au cours de laquelle l’appelante dit avoir constaté certains dysfonctionnements. Elles ne sont donc pas non plus de nature à établir la matérialité des faits dénoncés par Mme [C] et qui seraient survenus pendant sa relation de travail avec la société ALAX.

Pour sa part, Mme [DN] indique avoir été salariée du réseau entre le 8 octobre 2012 et avril 2014. Comme les autres anciennes salariées, elle évoque des incidents bien antérieurs à la période litigieuse. Par ailleurs, si elle relate un dernier échange téléphonique avec Mme [J] qui aurait tenté de la joindre les 3 et 10 février 2015, les termes du message laissé par celle-ci, étant les suivants : ‘[R], il se passe des choses bizarres avec [ZB] [C], j’aimerai que tu me rappelles au plus vite afin d’éclaircir certaines choses. Au vu de ce que nous avons fait pour toi, il serait respectueux de ta part de me recontacter rapidement’, ces éléments, seuls contemporains de la période litigieuse, sont trop imprécis pour établir la matérialité de faits tirés de pressions éventuelles par son ancien employeur, étant relevé que Mme [DN] ne prétend pas que Mme [J] l’aurait à nouveau relancée pour obtenir des informations défavorables sur Mme [C].

Ainsi, seule l’attestation de Mme [X], les signalements eux-mêmes et les pièces relatives au licenciement de Mme [C], à savoir le compte-rendu de l’entretien préalable et la lettre de licenciement, sont de nature à établir, d’une part la matérialité de certains dysfonctionnements et d’autre part la concommittance entre lesdits signalements et son licenciement, éléments qui, pris dans leur ensemble, laissent présumer qu’elle a été licenciée en raison de ses alertes émises de bonne foi aux autorités.

Toutefois, la société ALAX, à travers certains éléments objectifs versés aux débats, rapporte la preuve de la mauvaise foi de Mme [C] et partant, du fait que le licenciement de cette dernière est étranger à toute discrimination tirée de la violation du statut protecteur de lanceur d’alerte.

En effet, elle produit le jugement devenu définitif de départage du conseil de prud’hommes d’Arras rendu le 8 septembre 2017, ayant déclaré bien fondé le licenciement pour faute lourde de Mme [HT], après avoir notamment retenu que celle-ci, ‘soutenue par Mme [ZB] [C] a tenté de destabiliser le personnel de la structure à laquelle elle était rattachée et adopté un comportement déloyal dans le cadre de l’exécution de son contrat’, et avoir considéré comme caractérisé l’abus de liberté d’expression et l’intention de nuire à son employeur, en participant ‘à dénoncer des faits inexistants de façon calomnieuse’.

Or, Mme [X], dont l’attestation apparaît par ailleurs tronquée (manque au moins une page entre la première et la dernière page) sur la partie relative au taux d’encadrement des enfants, ne fait que reprendre les explications qui lui ont été données par Mme [HT], dont l’intention de nuire a été définitivement retenue, pour soutenir que les co-gérantes avaient été informées de l’existence de lits cassés dès février 2015, sachant qu’elle-même n’a constaté ce fait qu’à son arrivée le 16 mars 2015.

Les faits relatés dans cette attestation n’apparaissent donc pas fiables et ce d’autant plus que ce témoignage est par ailleurs largement contredit par différents écrits produits par la société ALAX, émanant de Mme [G] [Z] et Mme [G] [LS], toutes 2 salariées au sein de la crèche d'[Localité 5] où travaillait Mme [HT], sous la responsabilité directe de Mme [C].

Ces 2 salariées ont adressé sous leurs 2 signatures le 9 avril 2015, un courrier (pièce 33 de l’intimée) aux co-gérantes de la société ALAX, pour solliciter un RDV afin de les informer de ‘ dysfonctionnements perturbant notre travail et notre déontologie’, en ce que :

– Mme [C] refusait qu’elles prennent directement contact avec la direction,

– elles ont constaté ‘des désordres volontaires’,

– les 6 lits avaient été cassés ‘après avoir été fortement sollicités afin qu’il cassent par Mme [HT] et Mme [C]’, Mme [HT] ayant volontairement caché ce fait à la direction,

– elles n’ont pas osé le révéler à Mme [O] quand celle-ci a constaté les lits cassés, de peur de représailles des collègues,

– Mme [HT] leur a dit que Mme [C] aller ‘faire fermer la structure d’Auchy sans parler des autres’,

– elles étaient informées du futur passage du conseil départemental depuis ‘plus de 2 semaines’, ‘suite aux courriers et contacts pris par [ZB] [C]’, Mme [HT] ayant refusé d’en informer la direction,

– lors du contrôle le 2 avril 2015, le conseil départemental a confirmé que le signalement venait de Mme [C],

– Mme [HT] a ‘volontairement montré les lits cassés, comme cela était convenu avec [ZB] (elle nous l’avait bien expliqué), oubliant de préciser que les nouveaux lits devaient arriver le vendredi’,

– Mme [HT] a évoqué les dépassements d’effectifs lors du contrôle alors que selon les 2 signataires, cela n’est arrivé qu’une fois, avec sa validation pour dépanner des parents.

Outre ce courrier, Mmes [Z] et [LS] ont établi chacune une attestation, évoquant notamment le fait que Mme [C] est toujours restée en contact avec Mme [HT] pendant son arrêt, qu’elle leur interdisait tout contact direct avec la direction, qu’elle l’avait prévenue du contrôle à venir par la PMI sans que la direction ne soit au courant et que ce contrôle ‘ a été guidé par Mme [HT]’. Elles confirment également toutes 2 d’avoir pris l’initiative d’alerter la direction de cette situation.(pièces 49 et 51)

Mme [C] a sollicité le rejet de ces 2 attestations aux motifs d’une part que l’attestation de Mme [LS] n’est pas accompagnée de la pièce d’identité de cette dernière et que ces 2 pièces ne démontrent rien.

Cependant, même en l’absence de pièce d’identité, l’attestation de Mme [LS] présente des garanties suffisantes dans la mesure où Mme [C] ne prétend pas qu’elle n’a pas été rédigée par son auteur et que la signature apposée sur cette attestation est identique à celle figurant sur le courrier du 9 avril 2015 dont Mme [C] ne prétend pas qu’il n’émane pas de Mme [LS].

Cette attestation est en outre confirmée en son contenu par celle de Mme [Z] dont le formalisme n’est pas critiqué, ces 2 témoignages étant suffisamment circonstanciés pour emporter la conviction de la cour, concernant l’ambiance de travail à la crèche d'[Localité 5], les relations étroites entre Mme [C] et Mme [HT], les manoeuvres opérées par celles-ci en vue du contrôle de la PMI et la volonté des deux (2) témoins d’alerter la direction de l’attitude anormale de leurs collègues.

Le courrier adressé par la PMI le 8 avril 2015 à la société ALAX à la suite du contrôle du 2 avril 2015, confirme en outre que celui-ci a été organisé après réception ‘d’un courrier dénonçant des dysfonctionnements’, et non d’initiative, et qu’il s’est déroulé en présence de Mme [HT], ces éléments accréditant les explications données par Mmes [Z] et [LS].

Dans ce compte-rendu, il est également relevé qu’aucun dépassement du taux d’occupation n’a été constaté et surtout ‘qu’il semble que 7 lits se soient cassés instantanément, ce qui semble assez surprenant’, les agents chargés du contrôle exprimant ainsi manifestement leurs doutes quant à l’origine de ces dégradations, corroborant ainsi les témoignages susvisés.

Le fait que Mme [C] soit à l’origine de ces dénonciations, même si elle ne le reconnaît pas expressément, résulte également du courrier adressé par la sénatrice du Pas de Calais au président du Conseil départemental dès le 13 avril 2015, au terme duquel la parlementaire cite un courrier précédemment adressé par Mme [C] concernant certains dysfonctionnements au sein du réseau ‘Au jardin d’enfants’.

Compte tenu de sa date d’envoi, ce courrier ne fait à l’évidence pas référence à la dénonciation collective du 22 avril 2015 mais bien à des signalements antérieurs déjà initiés par Mme [C] tels que celui ayant abouti au contrôle du 2 avril 2015.

A travers l’ensemble de ces éléments objectifs, la société ALAX rapporte ainsi la preuve de la mauvaise foi de Mme [C] en ce que, dès le mois de mars 2015, elle a provoqué, par des signalements aux autorités compétentes, un contrôle PMI notamment au sein de la micro crèche d'[Localité 5], après avoir mis en scène avec la complicité de Mme [HT], certains manquements, tels que la dégradation des lits ou l’accusation d’un taux d’occupation anormal, et s’est délibérément abstenue de prévenir les co-gérantes de la société ALAX de ce contrôle alors pourtant qu’elle détenait l’information depuis plusieurs semaines.

Enfin, dans un tel contexte, l’envoi la veille de l’entretien préalable, soit le 22 avril 2015, d’un nouveau signalement dont elle revendique la paternité (dans son courrier du 27 mai 2015), aux autorités administratives, parlementaires et judiciaire, pour dénoncer des ‘négligences volontaires de la part de Mme [J] et Mme [O]’, apparaît avoir été à nouveau guidé par la mauvaise foi de Mme [C], soutenue par d’autres salariées ou anciennes salariées pour certaines en litige avec la société ALAX, sachant que l’appelante n’a présenté aucun élément, autre que ceux précédemment examinés, de nature à matériellement établir la réalité des dysfonctionnements allégués dans ce courrier, un courrier du conseil départemental du 23 juin 2015 produit par la société ALAX attestant même de l’absence de tout manquement grave constaté.

Il se déduit de l’ensemble des éléments présentés par la société ALAX que d’une part, Mme [C], ayant fait preuve de mauvaise foi en adressant ces différents signalements aux autorités, ne peut se prévaloir du statut protecteur des articles L. 1132-3-3 du code du travail et L. 1351 du code de la santé publique.

Ainsi que le démontre la chronologie des faits, c’est après les différents contrôles survenus entre le 31 mars et le 2 avril 2015 et la réception du courrier de Mme [Z] et Mme [LS] lui révélant les mises en scène organisées par Mme [C] et sa volonté de nuire à la structure, que la société ALAX a adressé à cette dernière le 13 avril 2015 une convocation à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement pour faute lourde et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.

A travers ces éléments objectifs, l’intimée démontre ainsi que sa décision d’initier un licenciement est étrangère à toute situation discriminatoire tirée de la violation du statut protecteur de lanceur d’alerte.

Il est également établi, au vu de l’ensemble de ces éléments que Mme [C] a agi avec la volonté de nuire à son employeur, au regard de la gravité des faits signalés et des destinataires des signalements qui auraient pu aboutir à la fermeture d’une ou plusieurs structures du réseau et mettre en péril l’activité de son employeur.

Sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs avancés par la société ALAX, le licenciement pour faute lourde de Mme [C] est en conséquence fondé.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté Mme [C] de l’ensemble de ses demandes en lien avec son licenciement, à l’exception de celle relative à l’indemnité compensatrice de congés payés qui reste due même en présence d’un licenciement pour faute lourde.

La cour ayant eu les éléments pour trancher, sera également rejetée la demande de Mme [C] aux fins d’audition des personnes ayant attesté.

– sur l’indemnité compensatrice de congés payés :

Mme [C] sollicite le paiement d’une somme de 786,49 euros au titre des congés payés non pris au jour de son licenciement, arguant du fait qu’elle n’a pris aucun jour de congé depuis le début de son contrat. Elle produit ses bulletins de salaire jusqu’en février 2015 inclus.

La société ALAX s’y oppose au motif que l’intéressée a été licenciée pour faute lourde. Toutefois, ce moyen ne peut prospérer dès lors que l’indemnité est due que la rupture soit du fait du salarié ou de l’employeur.

En outre, il ressort de la lettre de licenciement que la société ALAX a notifié à Mme [C] qu’elle perdait son droit à l’indemnité compensatrice de congés payés afférente à la période de référence en cours, ce dont il se déduit qu’à cette date, tous les congés n’avaient pas été pris.

Ceci est confirmé par les bulletins de salaires versés aux débats par Mme [C] dans la mesure où même si ceux de mars à mai 2015 ne sont produits par aucune des parties, celui de février 2015 porte mention d’un nombre de 13,50 jours non pris, aucun des bulletins précédents ne faisant par ailleurs état de jour de congé pris.

Il n’est d’ailleurs ni prétendu par la société ALAX, ni justifié que sa salariée avait pris l’ensemble de ses congés au jour de la rupture du contrat, étant rappelé que Mme [C] a été arrêtée à compter de mi-février 2015 puis sous le coup d’une mise à pied conservatoire à compter du 14 avril 2015.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que Mme [C] est en droit de revendiquer le versement d’une indemnité compensatrice de congés payés. Le salaire de référence de 7 864,99 euros invoqué par l’appelante et l’application de la méthode de calcul du 1/10eme de la rémunération totale sur la période de référence, n’étant pas discutés par la société ALAX, ni contredits par les pièces du dossier, l’employeur ne produisant ni les bulletins de salaire, ni les documents de finde contrat, il convient d’ accorder à Mme [C] une somme de 786,49 euros à ce titre.

– sur la demande indemnitaire au titre d’un harcèlement moral :

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Lorsque survient un litige relatif à l’application de cette disposition, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, Mme [C] formule une demande indemnitaire spécifique à hauteur de 10 000 euros concernant la réparation du préjudice causé par le harcèlement moral qu’elle dit avoir subi de la part de Mmes [J] et [O] à partir du moment où elle a commencé à réclamer le paiement d’heures supplémentaires.

Elle évoque comme constitutif de ce harcèlement moral, les faits suivants :

– le 26 janvier 2015, il lui est demandé de restituer les clés des locaux du siège social de la société alors qu’elle est en arrêt en raison d’un accident du travail,

– en janvier 2015, des offres d’emplois sont diffusées pour la remplacer,

– le 14 février 2015, son code d’accès à ses mails professionnels a été unilatéralement modifié par ses employeurs, l’empêchant de travailler correctement,

– elle s’est vue retirer le paiement d’heures travaillées,

– elles a fait l’objet d’accusations mensongères de vol, harcèlement, fausse dénonciation et détournement de frais,

– les co-gérantes ont exprimé devant les autres salariés de nombreuses critiques sur elle.

Elle évoque en outre ses 2 hospitalisations ayant un lien avec le contexte professionnel.

Au vu de ce qui a été précédemment statué, il sera dès à présent retenu que les faits tirés d’accusations mensongères de fausse dénonciation ne sont pas établis dès lors qu’il a été retenu que celles-ci avaient effectivement été faites par Mme [C] de façon mensongère et avec une volonté de nuire à son employeur.

Par ailleurs, pour établir la matérialité des critiques permanentes dont elle aurait fait l’objet, Mme [C] s’appuie sur les attestations de Mme [HT] (pièce 38) et de Mme [WI] (pièce 37) dont il a déjà été dit qu’elles présentaient un risque de partialité, ces 2 personnes ayant fait l’objet d’un licenciement pour faute lourde validé par la juridiction prud’homale par des décisions définitives.

Mme [P], ancienne salariée, n’étant plus présente dans la société quand Mme [C] a été embauchée, son attestation concernant les anciennes pratiques managériales de Mme [J] ne suffit pas non plus à matériellement établir les faits dénoncés par Mme [C].

C’est le cas d’ailleurs de l’ensemble des attestations des anciennes salariées du réseau ‘Au jardin d’enfants’, aucune d’entre elles n’ayant travaillé avec Mme [C].

Aucune autre pièce de Mme [C] ne vient également conforter ses dires concernant les supposées fausses accusations par son employeur de harcèlement qu’elle ferait subir à ses collègues, sachant que dans ses conclusions, elle est peu précise sur ce point.

Au contraire, la société ALAX verse aux débats, outre le courrier du 9 avril 2015 de Mmes [Z] et [LS], les attestations de salariées comme Mme [N] (pièce 55), Mme [Y] (pièce 54), Mme [B] (pièce 71), un écrit commun du 20 février 2015 notamment rédigé par Mme [B] et Mme [A] (pièce 27), qui en substance font état du malaise généré par les critiques permanentes de Mme [C] à l’égard de la hierarchie, des consignes pour éventuellement mentir sur ses heures de présence (Mme [B]), de la charge de travail croissante alors qu’elle-même venait de moins en moins (Mme [Y], Mme [N]) et les critiques sur leur travail (Mme [N]), les 2 dernières évoquant également l’effondement de Mme [WI] lors de la réunion organisée en février 2015 au cours de laquelle, en larmes, celle-ci a évoqué la manipulation dont elle a fait l’objet par Mme [C].

La société ALAX justifie en outre des démarches de ses gérantes, à la suite desdites révélations faites par les salariées en février 2015, auprès de l’inspecteur du travail et du médecin du travail auxquels elles ont dénoncé une situation possible de harcèlement moral.

Même si Mme [WI] a finalement attesté qu’elle n’était nullement victime de tels agissements de la part de Mme [C], les autres salariés ont maintenu leurs dires à travers leurs attestations, de sorte que les faits allégués de fausses accusations de harcèlement n’apparaissent pas matériellement établis.

De même, la pièce 7 de Mme [C] relative au blocage de sa messagerie professionnelle en février 2015 n’établit pas que son employeur en est à l’origine, le message affiché sur l’écran étant simplement ‘impossible de relever le courrier. Le nom d’utilisateur ou le mot de passe est incorrect’, ce qui peut résulter d’une simple erreur de manipulation.

Dans la lettre de licenciement, la société ALAX lui a effectivement fait le reproche d’avoir falsifié des notes de frais.

Toutefois, elle s’est fondée sur les déclarations d’une salariée, Mme [K], qui atteste (pièce 47) que l’appelante a pris à son compte des frais qu’elle avait elle-même avancés pour en demander le remboursement à la société ALAX, sommes qui figurent dans un récapitulatif des frais avancés par Mme [C] (pièce 45).

Même si l’attestation de Mme [K] n’est pas conforme aux exigences légales, force est de constater que lors de l’entretien préalable, Mme [C] évoque le fait qu’elle indiquait par téléphone à des salariées d’anticiper l’achat lorsqu’elle était absente, à charge pour elle de rembourser la salariée après reprise sur l’avance de frais qui lui était consentie. Ceci corrobore donc les déclarations de Mme [K] qui pour sa part, indique n’avoir pas été remboursée de l’avance faite à Mme [C] courant octobre/novembre 2014. Au vu de ces éléments, la fausseté du grief énoncé par la société ALAX n’est pas matériellement établi, les dires de Mme [C] étant contredits par Mme [K].

Enfin, si sur le bulletin de salaire de janvier 2015, apparaît la mention ‘heures non effectuées modularité du 15 décembre 2014 au 9 janvier 2015″, il ne se déduit pas de cette seule mention et du planning joint que la société ALAX ne l’a pas rémunérée pour la demi-journée d’absence du 19 décembre qu’elle s’était engagée à lui payer.

Il est en revanche matériellement établi que :

– le 17 février 2015, une offre d’emploi ‘éducatrice jeune enfant’ apparaissait sur le site internet Indeed, sans autre précision quant à sa date de première diffusion qui est au moins antérieure de 30 jours,

– le 16 février 2015, la société ALAX a demandé à Mme [C] de lui retourner ‘provisoirement’, divers clés d’accès aux locaux, sachant qu’elle était alors en arrêt maladie,

– dans la lettre de licenciement, la société ALAX lui a fait le reproche d’avoir dérobé le carnet de bord du véhicule mis à sa disposition, en justifiant de l’achat d’un nouveau carnet.

Toutefois, pris dans leur ensemble, ces derniers faits ne permettent pas de présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral, sachant par ailleurs que les pièces médicales évoquent le 1er décembre 2014,uniquement ‘un stress professionnel’, et à la suite de son hospitalisation du 10 au 12 février 2015, ‘une recrudescence anxio dépressive réactionnelle’, le certificat du 2 mars 2015 évoquant seul une crise pour ‘harcèlement moral’mais pas sa genèse, les médecins n’ayant connu de la situation de Mme [C] que ce qu’elle a bien voulu leur en dire.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que le harcèlement moral n’est pas établi et a débouté Mme [C] de sa demande indemnitaire à ce titre.

– sur l’obligation de sécurité de résultat :

Mme [C] sollicite une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice causé par le manquement de son employeur à son obligation de sécurité de résultat.

Elle allègue du harcèlement moral qu’elle dit avoir subi et de sa surcharge de travail, faisant aussi valoir qu’aucune des 2 gérantes pourtant présentes n’est intervenue pour lui venir en aide lorsqu’elle a fait son premier malaise avant d’entrer au siège de la société.

Il sera cependant relevé que Mme [C] ne donne aucune précision, et ne vise aucune pièce concernant sa supposée surcharge de travail, celle-ci ne se déduisant pas nécessairement du litige qui l’opposait alors à la société ALAX sur le calcul éventuel d’heures supplémentaires dont elle ne précise au demeurant pas le quantum dans ses conclusions.

S’agissant du harcèlement moral, il a été précédemment retenu que celui-ci n’était pas établi. En outre, Mme [C] ne produit aucune pièce de nature à démontrer qu’elle avait avant son malaise de février 2015 exprimé en vain sa détresse à leur endroit concernant ses conditions de travail, en dehors du litige sur d’éventuelles heures supplémentaires. Elle ne prétend pas non plus que la société ALAX avait été alertée par un tiers de son stress au travail.

Concernant l’incident de février 2015, il ressort de l’enquête de police menée suite à la plainte de Mme [C] pour mise en danger et qui a été au demeurant classée sans suite, que Mme [J] n’était pas dans les bureaux ce jour là et que Mme [O], constatant qu’elle pleurait dans son véhicule, est venue à sa rencontre pour tenter de la calmer et lui proposer de la raccompagner à son domicile, puis a constaté que l’appelante avait elle-même appelé les pompiers. Les différentes auditions notamment de l’assistante de direction, n’ont nullement démontré que Mme [O] et Mme [J] avaient refusé d’appeler les pompiers.

Ainsi, Mme [C], à qui incombe la charge de la preuve du manquement allégué, ne démontre pas que la société ALAX n’aurait pas respecté son obligation de sécurité de résultat.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ses dispositions de ce chef.

– sur le rappel de salaire au titre du minimum conventionnel :

Mme [C] sollicite, par application de la convention collective nationale des acteurs du lien social et familial du 4 juin 1983 étendue par arrêté du 22 janvier 1987, la reclassification de son emploi et le bénéfice du salaire minimum conventionnel correspondant au coefficient 556.

Cependant, c’est par des motifs pertinents qu’il convient d’adopter que les premiers juges ont débouté Mme [C] de cette demande, après avoir relevé qu’en vertu de l’article 1er de la convention collective invoquée par l’appelante, celle-ci ne s’applique pas aux organismes à but lucratif, et donc à l’intimée qui a le statut d’une société commerciale.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

– sur la demande indemnitaire de la société ALAX pour procédure abusive :

Dans le cadre de son appel incident, la société ALAX sollicite que l’indemnité qui lui a été allouée par les premiers juges en raison du caractère abusif de la procédure initiée par Mme [C] et en réparation du préjudice causé par la faute lourde de son ancienne salariée soit portée à la somme de 5 000 euros, insistant sur le caractère profondément diffamatoire des propos tenus par l’intéressée publiquement.

Mme [C] développe pour sa part des moyens pour soutenir que son action n’est pas abusive et pour obtenir la censure du jugement sur ce point.

Si les signalements faits par Mme [C] aux autorités portaient sur des faits d’une gravité certaine, il n’est cependant pas établi par la société ALAX qu’ils auraient été rendus publics par Mme [C] et auraient eu des conséquences sur son activité. Le préjudice allégué n’est donc pas établi.

En outre, Mme [C] ayant été accueillie dans une de ses demandes, il ne peut lui être reproché d’avoir abusivement agi en justice.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef et la société ALAX déboutée de sa demande indemnitaire.

– sur les demandes accessoires :

Si Mme [C] a été accueillie dans une de ses demandes, celle-ci revêtait un caractère très secondaire, l’action de l’intéressée visant principalement et surtout à contester son licenciement pour faute lourde.

Perdante sur ce point, il convient dès lors en application de l’article 696 du code de procédure civile de confirmer le jugement en ce qu’il a fait supporter à Mme [C] la charge des dépens de première instance. Il en sera de même des dépens d’appel.

L’équité commande en outre de confirmer le jugement en ses dispositions sur les frais irrépétibles de première instance et de condamner Mme [C] à payer à la société ALAX une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 21 novembre 2019 en ses dispositions critiquées, sauf en celles relatives à l’indemnité compensatrice de congés payés et à la demande reconventionnelle de la société ALAX,

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société ALAX à payer à Mme [ZB] [C] une somme de 786,49 euros à titre l’indemnité compensatrice de congés payés ;

DÉBOUTE la société ALAX de sa demande indemnitaire pour procédure abusive et en réparation du préjudice subi ;

CONDAMNE Mme [ZB] [C] à payer à la société ALAX une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel ;

DIT que Mme [ZB] [C] supportera les dépens d’appel.

LE GREFFIER

Cindy LEPERRE

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS

 


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