Diffamation : décision du 30 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01303

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Diffamation : décision du 30 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01303

N° RG 21/01303 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IXGK

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 30 MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LOUVIERS du 03 Mars 2021

APPELANT :

Monsieur [C] [R]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Victoric BELLET, avocat au barreau de DIEPPE substitué par Me Yaël HASSID, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

Société ETABLISSEMENTS DUTHEIL

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Céline VERDIER de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de l’EURE substituée par Me Cassandre BROGNIART, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 22 Février 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 22 Février 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 30 Mars 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 30 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Etablissements Dutheil (la société) est spécialisée dans les travaux de charpente métallique et serrurerie. Elle emploie 18 salariés et applique la convention collective nationale du bâtiment.

M. [R] (le salarié) a été embauché par la société Etablissements Dutheil en qualité de directeur d’activité, statut cadre, position C, 2ème échelon, coefficient 162, à compter du 3 septembre 2018 aux termes d’un contrat à durée indéterminée.

Par courrier du 15 octobre, il a fait l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire et a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 24 octobre 2019.

Son licenciement pour faute lourde lui a été notifié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 28 octobre 2019 motivée comme suit :

‘Nous faisons suite à notre entretien du jeudi 24 octobre courant et vous informons, après réflexion, que nous avons pris la décision de procéder à votre licenciement pour faute lourde, lequel prendra effet dès la notification de la présente, pour les motifs exposés ci-après :

A l’occasion d’un litige récent avec un client de la société, ce dernier a pris contact avec le Directeur Général du Groupe pour l’informer des problèmes graves intervenus sur le chantier en cours dont vous aviez la responsabilité et pour lequel il réclamait des solutions rapides.

Ayant pris votre contact pour obtenir des éléments de réponse aux réclamations du client, Monsieur [B], Directeur Général, s’est entendu répondre que vous lui interdisiez de s’intéresser à cette question. A la demande du Directeur Général, votre réponse était en effet la suivante : ‘je refuse catégoriquement que vous vous impliquiez dans ce genre de chose…’.

Malgré l’insistance de Monsieur [B] pour obtenir des éléments d’explication en réponse aux questions du client, vous avez conservé la même attitude intransigeante et, pour seule réponse, vous avez proposé à la société une rupture conventionnelle, tout en affirmant que vous n’étiez plus sur ‘la même longueur d’ondes’ (!)

En dépit des relances de la société, vous vous êtes permis ensuite de confirmer que, selon vous, le litige avec le client était votre problème et pas celui de la société (!), et que c’était la première fois que vous voyiez ‘un DG prendre au téléphone un client’.

Un dernier mail de votre part invitait le Directeur Général à ne pas intervenir auprès du client et encore moins à le rappeler (!).

Encore plus grave, vous vous êtes permis de dénigrer de Directeur Général du Groupe, dans un mail du 7 octobre, en affirmant de celui-ci qu’il ne sait pas faire, qu’il ne connait pas le BTP et qu’ils ne se comprendraient jamais (!), tout en affirmant que celui-ci disait toujours oui aux maîtres d’ouvrage !

Ces propos irrespectueux, tenus à l’encontre d’un responsable hiérarchique, constituent un nouveau motif de rupture.

Votre comportement a eu de répercussions commerciales dommageables auprès du client et de façon plus générale, entaché la réputation de l’entreprise.

Non content d’agir ainsi de façon totalement irresponsable, vous avez, le 17 octobre 2019 dans la soirée, dans un mouvement incontrôlé de colère, brisé la vitre avant conducteur du véhicule utilisé par une collaboratrice et appartenant à l’entreprise en créant ainsi un nouveau préjudice à l’entreprise.

La salariée concernée, choquée par la violence de votre attitude, a subi un choc traumatique d’ordre psychologique ayant aujourd’hui encore, des répercussions sur sa vie professionnelle et privée.

Un tel comportement ne permet pas à la société de maintenir votre contrat.

Votre licenciement immédiat, sans préavis ni indemnité de licenciement, est effectif dès la notification de la lettre de rupture…’

Contestant la légitimité de son licenciement, M. [R] a saisi le 30 décembre 2019 le conseil de prud’homme de Louviers.

Par jugement du 3 mars 2021, le conseil de prud’hommes de Louviers a :

– dit que le licenciement de M. [R] repose sur une faute grave,

– en conséquence, débouté M. [R] de l’ensemble de ses demandes concernant la procédure de licenciement,

– débouté M. [R] également d’une demande spécifique au paiement d’un bonus sur résultats,

– condamné la société Etablissements Dutheil à lui payer par l’intermédaire de la Caisse des congés du BTP les sommes dues au titre de ses droits acquis en matière de congés payés dans le cadre de l’établissement de son solde de tout compte,

– débouté la société Etablissements Dutheil de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [R] aux dépens.

M. [R] a interjeté appel le 25 mars 2021 à l’encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 6 mars précédent.

La société Etablissements Dutheil a constitué avocat par voie électronique le 9 avril 2021.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 23 juin 2021, le salarié appelant, soutenant, d’une part que les propos qui lui sont reprochés sont à apprécier dans le cadre de la relation entre les parties et au regard de son statut, son ton ayant toujours été direct, tout comme d’ailleurs les réponses apportées, et d’autre part que les faits de dégradation d’un véhicule sont postérieurs à l’engagement de la procédure de licenciement et sont purement accidentels, sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de ses demandes au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse au fondement du licenciement et de sa demande de bonus contractuel et demande à la cour de :

– condamner la société Etablissements Dutheil à régulariser ses droits au titre des sommes dues au titre de la rupture, soit :

14 666,66 euros d’indemnité de préavis (CNN),

1 833,33 euros d’indemnité de licenciement,

6 844,13 euros de salaire du 1er au 28 octobre 2018,

15 000 euros de bonus sur résultat avant impôt,

– ordonner la communication du résultat avant impôts de la société sur les seules affaires traitées par lui,

– dire que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,

– constater les circonstances vexatoires et dommageables,

– en conséquence, condamner la société Etablissements Dutheil à lui verser la somme de 21 999 euros,

– condamner la société Etablissements Dutheil à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Etablissements Dutheil aux entiers frais et dépens de la procédure d’appel et de première instance, lesquels pourront être recouvrés par Maître Bellet, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 9 septembre 2021, l’employeur intimé, réfutant les moyens et l’argumentation de la partie appelante, aux motifs notamment que M. [R] a gravement manqué à ses obligations contractuelles en refusant l’autorité du directeur général du groupe et toute communication avec ce dernier, qu’un salarié ne peut abuser de sa liberté d’expression par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, et qu’il n’est pas contestable qu’il s’est rendu au domicile de Mme [U] et l’a empêchée de fermer sa fenêtre conducteur, ce qui a provoqué la casse de la vitre, demande, pour sa part, à la cour de :

– juger que le licenciement repose sur une faute grave et confirmer le jugement entrepris de ce chef,

En conséquence :

– débouter le salarié de ses demandes,

– subsidiairement, juger que le licenciement du salarié repose sur une cause réelle et sérieuse et le débouter de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– infiniment subsidiairement, limiter le montant des dommages et intérêts alloué au salarié à la somme de 7 333,33 euros correspondant à un mois de salaire, en l’absence de préjudice démontré,

– condamner le salarié au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture en date du 2 février 2023 a renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 22 février suivant.

Il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la rupture du contrat de travail

M. [R] conteste la légitimité de la rupture, la matérialité des griefs allégués.

A titre liminaire, il y a lieu de constater que l’employeur ne sollicite pas que le licenciement pour faute lourde soit reconnu légitime mais requiert sa requalification en licenciement pour faute grave.

Sur ce :

Pour satisfaire à l’exigence de motivation posée par l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits précis et contrôlables.

La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise.

Il ressort de la lettre de licenciement reproduite ci-dessus que l’employeur reproche à M. [R] d’avoir :

– à l’occasion d’un litige récent avec un client de la société, interdit au directeur général du groupe de s’intéresser à cette question, et refusé de répondre à ses questions en conservant cette même attitude intransigeante, proposant pour seule réponse une rupture conventionnelle,

– dans un mail du 7 octobre, dénigré le directeur général du groupe en tenant des propos irrespectueux,

– le 17 octobre 2019 dans la soirée, dans un mouvement incontrôlé de colère, brisé la vitre avant conducteur du véhicule utilisé par une collaboratrice et appartenant à l’entreprise.

a) Sur l’interdiction opposée au directeur général et le refus de répondre à ses questions :

Il ressort de son contrat de travail que : ‘ En sa qualité de Directeur d’Activité et en étroite collaboration avec la direction générale, Monsieur [R] aura la responsabilité de la gestion de la société dans son ensemble (commercial, production, réalisation), ce qui implique notamment de :

Consolider et développer le chiffre d’affaires de la société avec ses clients traditionnles mais aussi de nouveaux clients

Chiffrer les affaires et assurer les négociations

Superviser les études, la production et la réalisation des chantiers (établissement des plannings, contrôle des travaux en termes de qualités, quantités, délais, participer aux réunions de chantiers, réceptionner les chantiers, négocier le DGD, suivre les comptes du chantier)

(…)

Superviser et manager les salariés

(…)

Continuer à structurer la société

Participer au comité de direction’

Au titre des ses obligations professionnelles, il est prévu que :

‘Il s’oblige à respecter les instructions qui pourront lui être données par la direction générale et par ses supérieurs hiérarchiques, et se conformer aux régles régissant le fonctionnement interne de l’entreprise.’

M. [R] a donc été engagé en qualité de cadre de direction avec de très larges fonctions et responsabilités tant à l’égard de la clientèle de la société que de ses salariés, s’exerçant en étroite collaboration avec la direction générale dont il devait respecter les instructions.

Il convient préalablement d’observer que si le premier grief invoqué dans la lettre de licenciement n’est pas daté, les parties s’accordent néanmoins à reconnaître que l’employeur vise les mails adressés par M. [R] à M. [B], directeur général, entre le 4 et le 7 octobre 2019.

Le 3 octobre 2019, M. [B] écrit en mail à M. [R] :

‘Mr [G] m’a appelé.

Il me dit que son chantier est bloqué de notre fait et souhaite (fermement)que [W] et moi, soyons présents pour une réunion sur le chantier qui pourrait avoir lieu Mardi 8 Octobre.

Pour préparer cette réunion, nous ferons un point Lundi 7 à 14 heures.’

M. [R] réplique en ces termes le 4 octobre 2019 à 9h13, mail adressé en copie à Mme [L] [U] et à M. [W] [T] :

‘Je refuse catégoriquement que vous vous impliquiez dans ce genre de chose.

J’ai fait un RAR et ils ne sont pas contents

Et pour terminer, si [S] respectait mes instructions on aurait reçu les verres et on ne serait pas dans la M aujourd’hui.’

Il envoie un second mail à 9h26 :

‘Très sérieusement accepteriez-vous que l’on fasse une rupture conventionnelle dès lundi prochain car franchement je ne supporte plus de travailler avec vous tous.

On est pas du tout sur la même longueur d’ondes.

Vous n’avez pas confiance etc

Et ce n’est plus possible pour moi

Je m’en suis toujours sorti même dans les moments les plus compliqués’

M. [B] réplique le 4 octobre à 11h06 :

‘Le seul sujet de mon mail c’est ‘comment nous allons rassurer notre client’ Quelles réponses lui apporter ”

On se voit donc tous les quatre lundi à 14 h uniquement pour ça.’

A 12h13, M. [R] lui adresse le mail suivant :

‘Non ça reste mon problème et pas le votre.

Je ne suis pas conducteur de travaux.

Maintenant 2 solutions soit je quitte l’entreprise lundi à l’Américaine avec une RC soit vous me foutez la paix et chacun son boulot.

Et c’est bien la première fois que je vois un DG prendre au téléphone un client.

Dites moi car il faut statuer.’

M. [R] a été placé en arrêt maladie à compter du lundi 7 octobre suivant.

Si au vu de cet échange, M. [R] s’est opposé à ce que le directeur général prenne en charge le dossier dont le client s’était plaint directement à lui, il en ressort également que M. [R] a considéré que la démarche du directeur général ne respectait pas l’autonomie et l’autorité qui lui avaient été contractuellement confiées.

Or, si aux termes de son contrat de travail, M. [R] devait collaborer avec la direction générale, il n’en demeure pas moins qu’il avait la responsabilité de la gestion de la société dans son ensemble.

Lors de cet échange, le directeur général ne reproche d’ailleurs à aucun moment à M. [R] d’outrepasser ses prérogatives et de manquer à ses obligations contractuelles.

Il convient également de relever qu’aux termes de la lettre de licenciement, il n’est pas reproché à M. [R] d’avoir refusé une instruction qui lui aurait été donnée par le directeur général.

Par ailleurs, la liberté d’expression est une liberté fondamentale consacrée par l’article 10 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

Dès lors, le salarié jouit, dans l’entreprise et même en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées comme le prévoit l’article L.1121-1 du code du travail. (‘Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché.’)

Le principe de la liberté de s’exprimer s’applique notamment au cadre supérieur qui dispose d’une large autonomie et d’une autorité sur d’autres salariés, sauf termes injurieux, diffamatoires ou excessifs.

En l’espèce, les mails adressés par M. [R] au directeur général, dont le ton est certes véhément mais par lesquels M. [R] ne fait que se positionner en qualité de directeur d’activité, en exprimant son désaccord quant au fait que le directeur général intervienne dans la gestion de l’un de ses dossiers, ne contiennent cependant aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif, et ne caractérisent donc pas un abus de sa liberté d’expression et ce d’autant qu’ils sont directement adressés au directeur général et n’ont pas vocation à être diffusés.

De plus, ils surviennent dans un contexte de remise en cause de la relation contractuelle par M. [R], précisément en raison de désaccords avec la direction générale.

Ce grief n’est donc pas établi.

b) Sur le mail du 7 octobre

Aux termes de ce mail, adressé cette fois à M. [W] [T], président de la société, avec une copie au directeur général, M. [O] [B], M. [R] écrit :

‘(…)

C’est pas compliqué, [O] ne sait pas faire et ne connait pas le BTP et on ne se comprendra jamais…et surtout veut toujours avoir raison. Ne pas perdre de vue que je suis cadre C2 qui ne sert pas seulement à réduire certains avantages.

Je pense avoir été assez clair sur ce sujet qui risque de se reproduire car moi je ne dis pas toujours oui aux maîtres de l’ouvrage et c’est pas pour autant que je suis fâché avec la terre entière in fine…

Il n’y a rien de passionné…’

Si M. [R] émet indéniablement une critique à l’encontre du directeur général, cette critique qui n’est destinée qu’au directeur de la société, ne peut être qualifiée de dénigrement ou d’être irrespectueuse, dès lors qu’elle ne fait qu’exprimer, dans le contexte des échanges initiés depuis le 3 octobre 2019 avec le directeur général, une divergence de vues et de positionnement entre eux qui conduit M. [R] à souhaiter la rupture des relations contractuelles.

Elle ne caractérise donc pas un abus de la liberté d’expression du salarié.

c) Sur le mouvement incontrôlé du 17 octobre 2019 :

Si M. [R] relève, à juste titre, que cet événement est postérieur à la procédure de licenciement initiée le 15 octobre 2019, il n’en demeure pas moins qu’il a été évoqué lors de l’entretien préalable et qu’il est expressément visé dans la lettre de licenciement.

Pour l’établir, l’employeur produit :

– une attestation de Mme [M] aux termes de laquelle cette dernière affirme avoir été agressée physiquement par M. [R] le 17 octobre, alors qu’elle était dans son véhicule de fonction, M. [R] lui ayant ordonné de sortir de sa voiture et après plusieurs refus de sa part, ayant brisé la vitre conducteur, ce qui l’a conduit à déposer plainte,

– une facture Renault pour le remplacement d’une vitre avant gauche le 28 octobre 2019.

Il convient de relever que M. [R] n’a jamais contesté le bris de vitre qu’il qualifie, en revanche, d’accidentel, en précisant qu’il est intervenu dans le contexte des relations personnelles qu’il entretenait avant Mme [M].

En outre, M. [R] établit non seulement que la plainte de Mme [M] a été classée sans suite mais qu’au surplus, cette dernière s’est vu notifier un rappel à la loi par officier de police judiciaire le 9 novembre 2020 pour avoir dénoncé mensongèrement à l’autorité judiciaire des faits de ‘dégradation ou détérioration volontaire du bien d’autrui causant un dommage léger’, ‘menace réitérée de délit contre les personnes dont la tentative est punissable’, ‘violence ayant entraîné une incapacité de travail n’excédant pas 8 jours’.

Le bris de vitre imputé à M. [R], fait isolé, ne saurait constituer, à lui seul, une cause réelle et sérieuse de licenciement et, a fortiori, ne revêt pas un caractère de gravité suffisant pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

M. [R] ne soutenant pas la nullité de son licenciement mais demandant exclusivement à la cour de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse, il sera fait droit à sa demande. Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

2/ Sur les conséquences financières

Au regard du salaire de M. [R], à savoir 7 333,33 euros, il convient de lui allouer la somme de 14 666,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis. La cour observe que le salarié ne forme aucune demande au titre des congés payés afférents.

Par ailleurs, M. [R] a été mis à pied à titre conservatoire à compter du 15 octobre jusqu’au 28 octobre 2019.

Il est toutefois établi qu’il s’est trouvé en arrêt de travail à compter du 15 octobre jusqu’au 31 octobre 2019 et que ses jours d’arrêt maladie ont été réglés par l’employeur.

Il ne peut donc prétendre obtenir un rappel de salaire au titre de sa mise à pied conservatoire et se verra débouté de sa demande présentée à ce titre.

Il sera, en revanche, fait droit à sa demande tendant à ce que lui soit allouée une somme de 1.833 euros à titre d’indemnité de licenciement, dont le montant n’est pas discuté.

Par ailleurs, M. [R] demande à la cour de déplafonner le montant des dommages et intérêts dûs pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sans étayer spécifiquement sa demande.

Il sera toutefois rappelé que la mise en place d’un barème n’est pas en soi contraire aux textes imposant en cas de licenciement injustifié, de garantir au salarié ‘une indemnité adéquate ou une réparation appropriée’, le juge français dans le cadre des montants minimaux et maximaux édictés sur la base de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise, gardant une marge d’appréciation.

L’entreprise employant plus de 11 salariés mais M. [R] ayant seulement 15 mois d’ancienneté, préavis inclus au jour du licenciement, étant à l’époque âgé de 54 ans mais ne justifiant pas de sa situation postérieurement au licenciement, se verra allouer, en application de l’article L.1235-3 du code du travail, la somme de 7 333,33 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3/ Sur le rappel de bonus

M. [R] se prévalant de son contrat de travail, sollicite une somme de 15 000 euros correspondant à 5 % du résultat avant impôt de la société sur une base de 300 000 euros en soutenant que l’employeur s’est contenté de produire un bilan dont il est impossible d’extraire ce qui n’aurait pas été engendré par lui, à savoir, les affaires traitées par son prédécesseur à fortes pertes, et les affaires résiliées par les actionnaires après son licenciement.

L’employeur s’y oppose au motif que M. [R] ayant laissé la société dans une situation telle que le résultat courant à fin 2019 est largement négatif, il n’est pas éligible à percevoir un quelconque bonus.

Sur ce :

L’article 7 du contrat de travail de M. [R] prévoit :

‘Un bonus annuel calculé de la façon suivante : 5% du résultat avant impôts de la société Etablissements Dutheil. Le versement de ce bonus interviendra en une fois après audit des comptes par les commissaires aux comptes. Au titre de 2018, un minimum de 5.000 Euros brut vous sera garanti et versé après validation de votre période d’essai.’

Le contrat de travail prévoit donc un bonus calculé sur le résultat avant impôts de la société, sans autre précision ni distinction quant aux résultats générés exclusivement par M. [R].

Or, l’employeur produit un extrait de son bilan pour l’exercice clos le 31 décembre 2019 qui fait apparaître une perte de 1 241 362 euros, dont le montant n’est, au demeurant, pas contesté par M. [R].

En conséquence, et dès lors que la société n’a pas généré un résultat positif, M. [R] ne peut prétendre, conformément aux stipulations contractuelles, percevoir un bonus.

La décision entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle l’a débouté de sa demande présentée à ce titre et il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de M. [R] tendant à ce que soit ordonnée la communication du résultat avant impôts sur ses seules affaires.

4/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il y a lieu de condamner la société Etablissements Dutheil, qui succombe, aux dépens de première instance et d’appel, dont distraction sera ordonnée au profit de Me Bellet, avocat.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [R] les frais non compris dans les dépens qu’il a pu exposer.

Il convient, en l’espèce, de condamner la société Etablissements Dutheil à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure.

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l’employeur les frais irrépétibles par lui exposés.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Louviers du 3 mars 2021 sauf en ce qu’il a débouté M. [R] de sa demande en paiement d’un bonus sur résultats ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Dit le licenciement de M. [R] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Etablissements Dutheil à verser à M. [R] les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 14 666,66 euros

indemnité de licenciement : 1.833,00 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans

cause réelle et sérieuse : 7 333,33 euros

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;

Dit que la société Etablissements Dutheil devra remettre à M. [R] un bulletin de salaire, un certificat de travail et l’attestation Pôle emploi rectifiés conformément au présent arrêt ;

Condamne la société Etablissements Dutheil à payer à M. [R] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société Etablissements Dutheil aux entiers dépens de première instance et d’appel avec distraction au profit de Maître Bellet, avocat au barreau de Dieppe.

La greffière La présidente

 


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