Diffamation : décision du 29 mars 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/05963

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Diffamation : décision du 29 mars 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/05963
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

————————–

ARRÊT DU : 29 MARS 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 19/05963 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LJ4X

Madame [R] [W]

c/

SARL @COM.A2CE devenue SARL @COM.[Localité 3]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 octobre 2019 (R.G. n°F 19/00011) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BERGERAC, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 13 novembre 2019,

APPELANTE :

Madame [R] [W]

née le 12 Avril 1970 à [Localité 2] de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]

assistée et représentée par Me Claire MORIN de la SCP DACHARRY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SARL @COM.A2CE devenue SARL @COM.[Localité 3] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 378 721 211

représentée par Me Genséric ARRIUBERGE, avocat au barreau de BORDEAUX assistée de Me Benoit LACOUCHE substituant Me Pascale LE MAROIS, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 janvier 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère chargée d’instruire l’affaire,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Madame [R] [W], née en 1970, a été engagée en qualité de comptable par la société A2CE à compter du 1er mars 1993.

En 2010, la société A2CE a été rachetée par la société @COM, devenue par la suite la société @com.A2CE.

Le 1er juillet 2014,Mme [W] a signé avec cette société un contrat de travail à durée indéterminée portant sur des fonctions d’assistante confirmée niveau IV, coefficient 280, la salariée étant promue aux fonctions de cheffe de mission

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des experts comptables et des commissaires aux comptes.

Par courrier en date du 6 septembre 2018, Mme [W] a démissionné ; la société en a pris acte le 18 septembre 2018 et a libéré Mme [W] de la clause de non-concurrence prévue à l’article 13 de son contrat de travail.

Par courrier du 7 décembre 2018, date d’achèvement de son préavis, Mme [W] a exposé à la société les raisons qui l’ont contraintes à démissionner: “la situation au cabinet s’est largement dégradée impactant directement mes conditions de travail (…) J’ai tenté de vous alerter sur la situation que je vivais, en vain (…), je n’ai donc d’autres choix pour préserver ma santé que de vous remettre ma démission (…) j’estime que vous êtes directement responsable de la situation”.

Par retour du 12 décembre 2018, la société a contesté les manquements évoqués par Mme [W].

A la date de la fin du contrat, Mme [W] avait une ancienneté de 25 ans et 6 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Soutenant que la démission doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamant outre une indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, Mme [W] a saisi le 7 février 2019 le conseil de prud’hommes de Bergerac qui, par jugement rendu le 17 octobre 2019, a:

– dit que la démission de Mme [W], en date du 6 septembre 2018, est claire et non équivoque,

– dit n’y avoir lieu à requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouté Mme [W] de toutes ses prétentions,

– condamné Mme [W] à verser à la société @com.A2CE les sommes suivantes:

* 1.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,

* 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [W] aux entiers dépens de l’instance, y compris les éventuels frais d’exécution.

Par déclaration du 13 novembre 2019, Mme [W] a relevé appel de cette décision.

Par ordonnance du 5 octobre 2022, le conseiller de la mise en état a débouté la société @com.A2CE de sa demande tendant à voir constater l’acquisition de la péremption et l’a condamnée aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 9 décembre 2022, Mme [W] demande à la cour de :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en date du 17 octobre 2019 en ce qu’il l’a déboutée de sa demande en requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et toutes les prétentions afférentes,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux en date du 17 octobre 2019 en ce qu’il l’a condamnée à verser à @com.A2CE les sommes suivantes :

* 1.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,

* 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire que sa démission s’analyse comme une démission équivoque, donnée dans un contexte de litiges graves qui ont constitué une contrainte forte, et donc de requalifier cette démission équivoque en prise d’acte de la rupture aux torts exclusifs de l’employeur,

– condamner la société @com.A2CE à lui verser les sommes suivantes :

* 43.246 euros à titre d’indemnité de licenciement,

* 60.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société @com.A2CE à lui verser la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance et frais éventuels d’exécution.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 décembre 2022, la société @com.A2CE devenue @com.[Localité 3] demande à la cour de’:

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* dit que la démission de Mme [W] en date du 6 septembre 2018, est claire et non équivoque,

* dit n’y avoir lieu à requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

* débouté Mme [W] de toutes ses prétentions,

– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* condamné Mme [W] à verser à la société la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

En conséquence,

– condamner Mme [W] à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive

– condamner Mme [W] à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance,

Y ajoutant,

– condamner Mme [W] à lui verser la somme de 4.000 euros au titre des frais exposés par elle en cause d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [W] aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 janvier 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 30 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de requalification de la démission

La lettre de démission de Mme [W] en date du 6 septembre 2016 ne porte aucune précision quant à ses motifs.

Par courrier reçu par la société le 10 décembre 2018, Mme [W] a détaillé les raisons qui l’ont poussées à démissionner dans termes suivants :

“Objet : Rupture du contrat de travail en raison de faits imputables à mon employeur

Je reviens vers vous suite à ma démission du 6 septembre dernier et souhaite vous exposer les raisons qui m’ont contraint de démissionner après 25 années passées dans la société. Depuis mon entrée dans la société en 1993 et au fil de mes évolutions, j’ai toujours apprécié le travail et les tâches qui m’étaient confiés.

Pour autant, ces derniers temps, la situation au cabinet s’est largement dégradée impactant directement mes conditions de travail.

Votre vie privée a dépassé les frontières professionnelles ; vous n’aviez plus de temps à m’accorder pour traiter au moins les dossiers les plus épineux.

J’étais épuisée de devoir d’une part assumer les tâches qui vous incombent en tant que gérante, de subir votre absence et d’autre part de devoir faire face quotidiennement à la présence de votre compagnon (qui ne travaille pas dans la société) qui s’approprie les lieux.

Par ailleurs, les réactions de celui-ci m’ont énormément inquiété dans la mesure où il s’est montré très menaçant verbalement et même à l’écrit, à mon égard.

J’ai tenté de vous alerter sur la situation que je vivais, en vain.

Je n’ai donc pas eu d’autres choix pour préserver ma santé que de vous remettre ma démission.

J’estime que vous êtes directement responsable de la situation qui m’a contraint à mettre un terme immédiatement à l’exécution de mon contrat de travail et me réserve le droit d’en tirer toutes les conséquences juridiques”.

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, il appartient à la cour d’apprécier s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque. Dans cette hypothèse, la démission s’analyse en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.

Pour que la remise en cause de la démission soit accueillie, il faut que le salarié justifie qu’un différend antérieur ou contemporain de la démission l’avait opposé à son

employeur. L’existence d’un lien de causalité entre les manquements imputés à l’employeur et l’acte de démission est nécessaire.

Ainsi, même émise sans réserve, une démission est nécessairement équivoque si le salarié parvient à démontrer qu’elle trouve sa cause dans des manquements antérieurs ou concomitants de l’employeur.

A l’appui du caractère équivoque de la démission, Mme [W] fait valoir la dégradation brutale des conditions de travail comme cause de la démission et invoque le changement d’attitude de son employeur à partir de 2017 et notamment :

– la surcharge de travail suite au décès du compagnon de la gérante au mois de février 2017, laquelle a délégué tout son travail aux cadres du cabinet ,

– les reproches injustifiés, dénigrements et moqueries de la part de l’employeur à son égard à son retour dans l’entreprise ,

– le comportement agressif et menaçant du compagnon de l’employeur présent dans les bureaux.

La société au contraire, se basant sur la lettre de démission sans réserve de Mme [W] pour ensuite 3 mois plus tard venir invoquer la faute de l’employeur comme cause de cette démission soulève le caractère non équivoque de la démission.

La société soutient que Mme [W] n’a jamais adressé la moindre alerte à son employeur sur ses conditions de travail, ni formulé de revendications qui n’auraient pas été satisfaites.

La société verse des attestations aux termes desquelles Mme [U], la gérante, a continué de remplir ses fonctions d’expert comptable après le décès de son compagnon alors que la société venait de racheter la clientèle d’un autre cabinet d’expert-comptable.

Il ressort des pièces versées au débats que Mme [W] a adressé une lettre de démission le 6 septembre 2018. La fin de son contrat de travail comprenant les trois mois de préavis doit être fixée au 7 décembre 2018, même si l’employeur a dispensé Mme [W] de l’effectuer. Ainsi, Mme [W], en adressant une lettre de réserves mentionnant différents griefs, fondés ou non, le 10 décembre 2018, soit 3 jours après le terme du contrat de travail, fait le lien entre la sa volonté de quitter l’entreprise et l’existence de griefs qui sont antérieurs ou contemporains à la rupture et la rendent équivoque.

La démission de Mme [W], en ce qu’elle est équivoque doit donc s’analyser en une prise d’acte.

Le jugement sera infirmé de ce chef

*

La prise d’acte de la rupture du contrat par un salarié produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d’acte de la rupture produit les effets d’une démission.

Il appartient dans cette hypothèse au salarié de rapporter la preuve de ce que les manquements reprochés sont d’une gravité suffisante pour justifier l’impossibilité de poursuivre la relation de travail.

L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à l’employeur ne fixe pas les limites du litige.

Il appartient donc au conseil de prud’hommes, puis à la cour, d’examiner l’ensemble des griefs invoqués par le salarié à l’encontre de l’employeur, quelle que soit leur ancienneté, même s’ils n’ont pas été mentionnés dans la lettre de prise d’acte.

Pour voir caractériser les manquements de l’employeur suffisamment graves ayant empêché la poursuite du contrat de travail, Mme [W] fait valoir des faits de dénigrements, d’insultes sans que l’employeur prenne les mesures nécessaires pour assurer la santé et la sécurité des salariés.

L’employeur soutient au contraire que les conflits dont Mme [W] fait état relèvent de la sphère privée et la rupture de leur amitié en février 2018.

1 – sur les faits de dénigrements, insultes et humiliations subis par Mme [W]

Mme [W] verse trois attestations de Mmes [S], [T] et [O], toutes trois anciennes salariées, et celle de sa voisine, Mme [V] :

Mme [S], atteste ainsi des humiliations et moqueries subies quotidiennement et cite un exemple précis survenu le jour de son anniversaire, le 12 avril 2018 avec des propos tenus par M. [X], compagnon de Mme [U] qui la traitait de “salope”.

Mme [O], salariée présente au moment des faits, atteste de ce que “M. [X] profère avec Mme [U] des injures envers Mme [W] dans les couloirs”.

Mme [T] évoque des faits de harcèlement de la part de Mme [U] à l’encontre de Mme [W], privée de sa connexion à distance au logiciel métier. Elle atteste également qu’elle aurait été soumise à une pression et un chantage important de la part de Mme [U] par SMS.

Ces attestations sont rédigées de manière très générales, ne sont confirmées par aucune pièce, ainsi la coupure de la connexion à distance du logiciel métier n’est pas avérée et aucun SMS de Mme [U] n’est produit à l’appui des pressions qu’auraient subies Mme [W]. Les menaces entendues sont évoquées en termes très généraux.

Par ailleurs, Mme [V] étant la voisine de Mme [W], ne fait que rapporter des faits dont elle n’a pas été témoin elle-même et alors qu’elle ne fréquente pas l’entreprise.

L’employeur verse de son côté les témoignages de Mme [B], Mme [J] et Mme [P], qui attestent que les relations entre Mme [U] et Mme [W] se sont dégradées du fait de la salariée qui a adopté un comportement inadapté.

La société produit en revanche des courriels adressés par Mme [U] à Mme [W], dans le cadre professionnel, sur certains dossiers ou prenant connaissance de données. Le ton et l’écriture de ces échanges traduisent un ton respectueux, professionnel entre les parties sans que n’apparaisse d’insulte ou de dénigrement.

S’agissant de la pression exercée par l’employeur sur certains salariés, Mme [S] atteste de ce que certains d’entre eux ont été poussés à démissionner au motif de leurs bons rapports avec Mme [W], elle-même ayant donné sa démission en novembre 2018. Mme [O], dans son attestation de décembre 2018 confirme que le fait d’avoir bu un café le matin avec Mme [W] a porté tort à certaines de ses collègues, dont elle même, qui a été amenée à démissionner par la suite. Mme [T] confirme l’exclusion des personnes proches de Mme [W].

Ces attestations sont rédigées de manière très générale et les lettres de démission de Mmes [S] et [O] n’étant pas produites, la cour ne peut vérifier que leur décision de quitter la société était liée à une pression de l’employeur ou à un harcèlement qu’elles auraient subis.

M. [I], époux d’une ancienne salariée et client de la société, confirme que son épouse a du démissionner suite à des pressions de son employeur et que lui même a suivi Mme [W] dans sa nouvelle agence. Cette attestation ne saurait toutefois être probante dès lors que la salariée concernée n’a jamais témoigné ni fait part de ce qu’elle aurait vécu, les propos tenus par M. [I] étant rapportés.

De son côté, la société verse les témoignages de Mme [J] selon laquelle Mme [W] de février 2017 à février 2018 a empêché toute amitié avec Mme [U] et a rendu difficile les relations avec tout le personnel du cabinet.

S’agissant de l’isolement de Mme [W] dans son bureau, Mme [S] fait état de ce que la présence du nouveau compagnon de la gérante était source d’angoisse pour Mme [W]. Mme [O] atteste de l’isolement et de la crainte de Mme [W].

Mme [T] atteste du climat lourd au sein du cabinet et que Mme [W] “se trouvait isolée et que Mme [U] ne donnait jamais suite à ses demandes (…) annulait les rendez-vous communs auprès des clients à la dernière minute”.

La société de son côté produit les attestations de Mmes [B] et [P] qui confirment la précaution prise par Mme [W] de s’enfermer dans son bureau de sa propre initiative.

Il convient de relativiser les déclarations faites par Mme [O] à deux mois d’intervalle, la 1ère en date du 18 octobre 2018 attestant sur l’honneur que Mme [W] s’est isolée toute seule sans que Mme [U] ne lui interdise de participer à la vie du cabinet et le second du 12 décembre 2018 indiquant que suite à la fin de sa relation d’amitié avec Mme [U], elle a passé tout son temps de travail sans sortir de son bureau.

Mme [O] dans une 3ème attestation en date du 16 mai 2019 dit avoir fait l’objet de chantage de la part de son employeur, Mme [U], pour rédiger la 1ère attestation avant de donner sa démission. Elle joint un SMS de Mme [U] adressé le 15 octobre dans laquelle cette dernièrelui demande d’écrire “tout ce qu’elle a dit qui a un caractère diffamatoire sur ma vie privée et celle de [A]”. Toutefois, Mme [U] ne lui demande pas de mentir, l’attestation de Mme [O] portant uniquement sur l’isolement de Mme [W] et sur l’absence de danger que représentait M. [X] pour elle.

La société produit un courriel du 5 mars, dans lequel Mme [U] indique à Mme [W] “ton effacement est ridicule et je ne le comprends pas”, Mme [W] ayant elle-même indiqué dans un précédent courriel qu’il ne lui restait plus qu’à s’effacer, faisant ainsi part d’une décision personnelle de s’isoler et non pas d’une pression subie par le comportement “dangereux” de M. [X].

Au vu des éléments objectifs produits par la société, le grief tiré des faits de dénigrements, insultes et humiliations qu’auraient subis Mme [W] n’est pas établi.

2 – sur les menaces subies par Mme [W] de la part du nouveau compagnon de l’employeur

Pour voir reconnaître les menaces reçues par M. [X], Mme [W] verse le SMS reçu le 24 mars 2018 qui lui a été adressé par M. [X] ainsi rédigé : “ne t’amuse pas à ce jeu avec moi.. Je te garantis tu ne sais même pas où tu mets les pieds…”.

Mme [S] atteste également que tous les salariés avaient reçu des menaces écrites de la part de M. [X], attitude qui était connue de Mme [U], sans toutefois préciser le type de menace reçu et de quelle façon Mme [U] en était au courant.

Mme [T] confirme “la peur de croiser” M. [X] sans en expliquer les raisons.

Il n’est pas contesté que M. [X] était client de la société, mais que son entreprise est également intervenue dans les locaux pour faire des travaux de rénovation et qu’il est devenu le compagnon de Mme [U].

Il n’est pas indiqué par Mme [W] à quelle discussion la phrase écrite par M. [X] fait suite, le SMS ayant été adressé du téléphone personnel de M. [X] sur le téléphone personnel de Mme [W].

Par ailleurs, cette dernière, dans un courriel à son mari, depuis sa messagerie professionnelle, en date du 18 janvier 2018 fait état d’une dégradation de ses relations de couple et mentionne sa relation avec Mme [U] comme ayant pu “l’occuper” avant qu’elle ne rencontre M. [X] “Concernant [M], elle a sa vie avec [A] maintenant, elle n’est donc plus disponible pour m’occuper. C’est toujours mon amie, mais ça va être différent maintenant”. Elle faisait ainsi le lien avec son mari auquel elle lui enjoignait d’adopter un comportement plus adapté “sil voulait la garder car je ne peux plus vivre comme ça, je te l’ai déjà dit”.

Ces échanges établissent le caractère privé du SMS reçu par Mme [W], aucun autre élément n’étant produit pour démontrer le caractère menaçant de M. [X] tant à son égard qu’à l’égard d’autres salariées.

En effet, si Mme [W] indique que M. [X] lui rappelait qu’il était capable de violences et pouvait évoquer le fait que son ancienne femme ait porté plainte contre lui à plusieurs reprises pour coups et blessures, elle n’en rapporte pas la preuve.

Le grief tiré des menaces de M. [X] à l’encontre de Mme [W] n’est pas établi.

3 – l’absence de mesures par l’employeur pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale de la salariée : la violation de l’obligation de sécurité

L’employeur, tenu d’une obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en vertu des dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur son lieu de travail, de violences physiques ou morales exercées par l’un ou l’autre des salariés de l’entreprise.

Pour justifier du respect de son obligation de protection de la santé des salariés en matière de harcèlement moral, l’employeur doit être en mesure de justifier qu’il a pris toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement dès qu’il a été informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral et qu’il a mis en ‘uvre, antérieurement, toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail.

Sur la charge de travail importante qu’aurait subie Mme [W], chaque partie verse des attestations selon lesquelles Mme [W] a toujours accompagné ses clients et Mme [U] a été présente même pendant la période qui a suivi le décès de son compagnon. Aucun élément n’est produit sur la répartition des missions et des clients entre les salariés et Mme [W] ne démontre pas avoir subi une charge de travail supérieure sur la période de février 2017 qui serait liée à un désengagement de Mme [U].

Les faits de dénigrements, de menaces de l’employeur et de M. [X] n’ont pas été démontrés comme jugé par la cour ci-dessus.

Mme [W] soutient avoir sollicité en amont de la rupture du contrat de travail Mme [U] afin de pouvoir l’alerter sur les faits de dénigrement, de menaces et d’insultes. Elle verse ainsi un SMS adressé le 8 février 2018 de son téléphone personnel sur celui de Mme [U] dans lequel elle lui demande de la rencontrer très rapidement à titre professionnel. La réponse apportée par Mme [U] sera alors “fous moi la paix pour l’instant, tu es très forte….” le reste du SMS n’étant pas produit dans la procédure.

Toutefois, est également produit un échange de courriel sur les messageries professionnelles entre le 17 février 2018 aux termes duquel Mme [W] transmet sa fiche de congés à Mme [U] en terminant par “j’espère que tu vas bien, bises” et le 5 mars, Mme [W] indiquant “du fait que tu ne m’aies pas accordée d’entrevue seule à seule à l’extérieur du cabinet, je ne sais comment fonctionner… si ce n’est m’effacer. Dis toi bien que c’est très douloureux pour moi… très lourd de ne pouvoir me défendre et m’expliquer… Bises”.

Il ne ressort pas de ces échanges une demande de Mme [W] de dénoncer des faits de dénigrement et d’insultes, la demande de rendez-vous ayant été sollicitée en dehors du cadre professionnel.

Enfin, Mme [W] ne démontre pas la dégradation de ses conditions de travail par la production d’un certificat médical attestant que son état de santé ne lui permettait pas de se présenter le 6 septembre 2018 chez son employeur et lui prescrivant un anti-dépresseur. De la même façon, Mme [F], coach sportif de Mme [W] depuis 9 ans, qui atteste que sa relation professionnelle l’a détruite moralement et qu’elle est en pleurs ne repose que sur les dires de Mme [W] et ne permet pas d’établir de lien de causalité entre des conditions de travail que Mme [W] a ressenti comme dégradées et une souffrance au travail médicalement constatée.

La société produit au contraire un courriel de Mme [W] adressé depuis sa messagerie professionnelle à un client en date du 7 septembre 2018 ayant pour objet “démission” dans lequel elle indique ” Aujourd’hui je suis forte et sans scrupules… Une 2ème carrière professionnelle s’offre à moi et je vais m’éclater et me retrouver”.

Le grief lié à l’absence de mesures prises par l’employeur pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale de la salariée n’est pas établi.

En conséquence, Mme [W] échouant à démontrer l’existence de manquements de l’employeur qui auraient justifier, par leur gravité, l’impossibilité de poursuivre la relation de travail, sa prise d’acte de la rupture de son contrat de travail doit être qualifiée de démission.

Le jugement déféré sera confirmé.

Sur les demandes financières

La prise d’acte n’ayant pas été requalifiée en licenciement pour cause réelle et sérieuse, les demandes financières de Mme [W] seront rejetées et le jugement déféré confirmé.

Sur la demande reconventionnelle de la société pour procédure abusive

La société sollicite la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la procédure abusive engagée par Mme [W], instrumentalisant le conseil de prud’hommes dans un litige qui relève de la sphère privée et en ayant orchestré avec son départ celui d’un grand nombre de clients de la société alors qu’elle est devenue dans le même temps chargée de mission au sein d’une société qu’elle a créée de conseil en gestion.

Mme [W] s’y oppose, soutenant que cette demande est un procédé d’intimidation comme l’a été la procédure pour détournement de clientèle engagée par l’employeur devant le tribunal judiciaire de Bergerac qui a débouté la société @COM.A2CE de ses demandes.

Le droit d’agir en justice et d’exercer une voie de recours ne dégénère en abus qu’en cas de faute caractérisée par l’intention de nuire de son auteur, sa mauvaise foi ou sa légèreté blâmable, qui ne résultent pas du seul caractère infondé des prétentions formulées.

La question du détournement de clientèle ayant fait l’objet d’un jugement du tribunal judiciaire de Bergerac, en date du 4 mars 2022, dont il a été interjeté appel, la cour ne se prononcera pas sur le préjudice invoqué par la société au soutien de sa demande au titre de l’abus de procédure.

En revanche, au regard des conditions de la rupture du contrat, dont Mme [W] est seule à l’initiative, qu’elle a cherché à associer à la rupture de ses liens avec Mme [U] qu’elle a subie, de ce que la procédure engagée a eu pour conséquences de venir porter à la connaissance de l’ensemble des salariés de l’entreprise de faits relevant de la vie privée de chacune des parties, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné Mme [W] au paiement d’une indemnité à la société pour procédure abusive.

Sur les dépens et les frais irréptibles

Mme [W], partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel ainsi qu’au paiement à la société la somme complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a considéré la démission de Mme [W] comme non équivoque,

Statuant à nouveau,

Dit que la démission de Mme [W] était équivoque,

Dit que la démission, requalifiée en prise d’acte, produit les effets d’une démission,

Condamne Mme [W] aux dépens de la procédure d’appel,

Condamne Mme [W] à payer à la société @com.[Localité 3] la somme complémentaire de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d’appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard

 


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