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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 2 – Chambre 7
ARRET DU 29 JUIN 2022
(n° 22/2022, 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10286 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDY4X
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mars 2021 – Tribunal judiciaire de Paris RG n° 18/05797
APPELANT
Monsieur [F] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté et assisté par Maître Vincent TOLEDANO, avocat au barreau de PARIS, toque : A859, avocat postulant et plaidant
INTIME
Monsieur [Y] [X]
[Adresse 5]
[Localité 3]
né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 8]
Représenté par Maître Mathieu DAVY, avocat au barreau de PARIS, toque : E233, avocat postulant
Assisté de Maître Marion DUCROS de la SELARL ORIAMEDIA, avocat au barreau de PARIS, toque : E233, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 mai 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Jean-Michel AUBAC, Président
Mme Anne RIVIERE, Assesseur
un rapport a été présenté à l’audience par Mme RIVIERE dans les conditions prévues par les articles 804 et 805 du code de procédure civile.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Jean-Michel AUBAC, Président
Mme Anne RIVIERE, Assesseur
Mme Anne CHAPLY, Assesseur
Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Jean-Michel AUBAC, Président, et par Margaux MORA, Greffier, présente lors de la mise à disposition.
1.Vu l’assignation délivrée le 27’avril 2018 à [Y] [X] à la requête de [F] [W], journaliste, selon laquelle M. [W] demandait la condamnation pour diffamation publique envers un particulier de [Y] [X] au tribunal de grande instance de Paris, à la suite de la publication, le 17’février 2018 à 22’h’41, sur la page Facebook de [Y] [X], des propos suivants: ‘C’est [F] [W] qui l’a balancé” Solidarité avec les victimes des dictateurs latinos’ au visa des articles’29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, de la loi du 29’juillet 1881 sur la presse.
2. Il’demandait au tribunal :
– de condamner [Y] [X] à verser à [F] [W] un euro de dommages-intérêts,
– d’ordonner la publication judiciaire du jugement sous astreinte,
– d’ordonner à [Y] [X] le retrait des écrits diffamatoires de sa page Facebook sous astreinte,
– de condamner [Y] [X] à verser à [F] [W] la somme de 3’500’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner [Y] [X] aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Vincent TOLEDANO, avocat, dans les termes de l’article 699 du code de procédure civile, en ce compris le coût du procès-verbal de constat de l’huissier du 8’mars 2018,
– d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
3. Par ordonnance du 25’septembre 2019, le juge de la mise en état a rejeté les exceptions de nullité soulevées par [Y] [X] sur le fondement de l’article 53 de la loi du 29’juillet 1881.
4. Par jugement rendu contradictoirement le 31 mars 2021, le tribunal judiciaire de Paris a’:
-‘dit que les propos poursuivis n’étaient pas diffamatoires,
– débouté [F] [W] de ses demandes,
– débouté [Y] [X] de ses demandes reconventionnelles,
-‘dit que chacune des parties conservera les frais non compris dans les dépens à sa charge’; qu’il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné [F] [W] aux dépens.
Vu l’appel interjeté le 1er’juin 2021 par [F] [W],
Vu les dernières conclusions signifiées le 4’août 2021 par [F] [W]’:
5. Dans ces conclusions, il demande à la cour de’:
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a’:
1. dit que les propos poursuivis ne sont pas diffamatoires,
2. débouté [F] [W] de ses demandes,
3. dit que chacune des parties conservera les frais non compris dans les dépens à sa charge,
4. dit qu’il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
5. condamné [F] [W] aux dépens.
Et statuant de nouveau’:
– dire et juger que les propos de [Y] [X] diffusés depuis le 17’février 2018 à 22’heures 41 ont porté atteinte à l’honneur et à la considération de [F] [W] et constituent une diffamation publique envers un particulier telle que prévue par les dispositions de l’article 29, alinéa’1, et réprimée par l’article 32, alinéa’1, de la loi sur la presse du 29’juillet 1881, du fait des imputations suivantes’:
‘C’est [F] [W] qui l’a balancé” Solidarité avec les victimes des dictateurs latinos’
– condamner [Y] [X] à verser à [F] [W] la somme de 1’euro à titre de dommages et intérêts,
– ordonner à [Y] [X] la publication du dispositif du jugement à intervenir pendant une durée de 15 jours consécutifs dans les 8 jours de la signification du jugement à intervenir en page d’ouverture de sa page FACEBOOK et de son blog à l’adresse http://[06].fr sous astreinte provisoire de 1’000’€ par jour de retard dans les huit jours du prononcé du jugement à intervenir, et dans trois journaux au choix du demandeur aux frais avancés de l’intimé sans que chaque publication ne dépasse le coût de 3’000’euros HT,
– ordonner à [Y] [X] le retrait des écrits diffamatoires de sa page FACEBOOK et ce sous astreinte provisoire de 1’000’euros par jour de retard dans les huit jours du prononcé du jugement à intervenir,
– condamner [Y] [X] à verser à [F] [W] la somme de 5’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner [Y] [X] aux entiers dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés par Maître Vincent TOLEDANO, avocat, dans les termes de l’article 699 du Code de procédure civile, et comprendront le coût du procès-verbal de constat de l’huissier du 8’mars 2018.
Vu les conclusions de l’intimé signifiées le 4’novembre 2021 par [Y] [X]’:
6. M. [X] demande à la cour de’:
À titre principal,
– confirmer le jugement rendu par la 17e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris le 31’mars 2021 en ce qu’il a’:
– dit que les propos poursuivis ne sont pas diffamatoires,
– débouté [F] [W] de ses demandes,
– condamné [F] [W] aux entiers dépens.
À titre subsidiaire,
– juger que la bonne foi doit être retenue au bénéfice de l’intimé,
En tout état de cause, statuant à nouveau’;
– condamner [F] [W] à verser à [Y] [X] la somme de 10’000’euros au titre du préjudice subi en raison de la présente procédure abusive,
– condamner [F] [W] à verser à [Y] [X] la somme de 5’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner [F] [W] aux entiers dépens,
Vu l’ordonnance de clôture du 20’avril 2022,
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
Rappel des faits et de la procédure
7. [F] [W], ancien journaliste en charge de l’information sur l’Amérique latine au quotidien LE MONDE, constatait le 17’février 2018 à 22’h’41 et faisait constater par huissier selon procès-verbal en date du 8’mars 2018, la publication sur la page Facebook de [Y] [X], du message incriminé’: ‘C’est [F] [W] qui l’a balancé” Solidarité avec les victimes des dictateurs latinos’ commentant le partage d’une publication de [L] [G] lequel soutenait l’ex-militant du Frente Patriotico Manuel Rodriguez (FPMR) [C] [E] [B].
En effet, ce dernier arrêté à [Localité 7] était accusé d’avoir perpétré un attentat contre le député de l’Union Democratica Independante (UDI) [I] [R] en 1991, attentat pour lequel il avait été condamné au Chili.
[L] [G] précisait sans sa publication les éléments suivants : ‘ #Chili L’ex-militant du Frente Patriotico Manuel Rodriguez (FPMR) [C] [E] [B] a été arrêté à [Localité 7]. Il est accusé d’avoir perpétré l’attentat contre le député de l’Union Democratica Independiente (UDI) [I] [R] en 1991 et pour lequel il a été condamné au Chili lors d’un jugement arbitraire sur des aveux obtenus sous la torture. Il s’est ensuite réfugié à Cuba. Il a demandé protection à l’Office de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). Le Chili va demander son extradition. Nous exprimons notre totale solidarité avec lui. Il vient d’être mis en liberté sous contrôle judiciaire….’».
Sur le caractère diffamatoire des propos
8. Il sera rappelé à cet égard que’:
– l’article 29, alinéa’1, de la loi du 29’juillet 1881 définit la diffamation comme ‘toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé”;
– il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par ‘toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait’- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée’;
– l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises’;
– la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.
9. Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par les parties civiles ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question.
10. En l’espèce, les propos ont été tenus publiquement sur le réseau social Facebook à l’encontre du demandeur, nommément cité.
11. Il lui est imputé d’avoir dénoncé [C] [E] [B] à un régime politique dictatorial et d’avoir été ainsi à l’origine des tortures d’un militant politique qui a fini par avouer un attentat sous la contrainte.
12. Ces propos, même exprimés sous forme dubitative avec un point d’interrogation à la fin de la phrase litigieuse, insinuent néanmoins clairement que [F] [W] a pu contribuer à faire de ce militant politique une victime des dictateurs d’Amérique latine.
13. Ces propos imputent à l’appelant d’avoir commis une délation mettant les jours d’un militant politique en danger, ce qui porte nécessairement atteinte à son honneur ou à sa considération.
14. Le jugement entrepris doit être infirmé de ce chef.
15. En l’absence d’exception de vérité opposée au demandeur, il convient d’examiner la bonne foi alléguée par l’intimé.
Sur la bonne foi
16. L’intimé invoque le bénéfice de la bonne foi, ce que conteste la partie civile, faute de base factuelle, de prudence et de contradiction.
17. La liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe’2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
18. En matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’exprimait dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher d’abord en application de ce même texte, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment s’agissant de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence dans l’expression.
19. Il appartient également aux juges de contrôler le caractère proportionné de l’atteinte portée au principe de la liberté d’expression défini par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne, et de vérifier que le prononcé d’une condamnation, même civile, ne porterait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté.
20. En l’espèce, l’intimé fait valoir qu’il dispose d’une base factuelle suffisante et produit divers articles de presse à l’appui de ses propos.
21. Ces articles retracent le parcours politique de l’appelant, laissant suspecter qu’il aurait appartenu à des services de renseignements, car il aurait échappé à une peine d’emprisonnement.
22. Pour l’intimé, le soupçon de l’existence d’une relation entre l’appelant et la CIA est de nature à lui permettre de légitimement s’interroger sur le rôle qu’avait pu jouer [F] [W], journaliste en France, dans l’arrestation d’un guérillero chilien ayant milité contre la dictature de [S] au Chili.
23. Néanmoins, même si l’intimé exprime clairement ses soupçons au sujet d’une relation entre l’appelant et la CIA, ces éléments subjectifs ne peuvent constituer une base factuelle suffisante pour étayer la dénonciation faite par l’appelant au préjudice de [C] [E] [B].
24. Dans ces conditions, le bénéfice de la bonne foi ne peut pas être accordé à [Y] [X] et la diffamation est caractérisée.
Sur la demande de dommages et intérêts
25. Il y a lieu de faire droit à la demande de l’appelant qui sollicite un euro à titre de dommages et intérêts.
Sur la demande de publication et de retrait des propos litigieux
26. L’ancienneté de l’affaire et sa nature ne nécessitent pas la publication de la présente décision. Cette demande sera rejetée.
27. En revanche, le retrait des propos litigieux sera ordonné sans qu’il soit nécessaire de fixer une astreinte.
Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile
28. Il est inéquitable de laisser à la charge de l’appelant les frais irrépétibles qu’il a engagés pour sa défense et la somme de 2 000 euros lui sera allouée pour l’ensemble de la procédure.
29. Les demandes de l’intimé qui succombe seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau,
Dit que les propos poursuivis sont diffamatoires et que l’intimé ne peut bénéficier de l’excuse de bonne foi,
En conséquence,
Condamne [Y] [X] à payer à [F] [W] un euro à titre de dommages et intérêts,
Dit n’y avoir lieu à la publication de la présente décision,
Dit avoir lieu en tant que de besoin au retrait des propos litigieux dès que la présente décision sera définitive,
Rejette les demandes de l’intimé,
Condamne [Y] [X] à payer à [F] [W] la somme de deux mille euros (2’000’euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la présente procédure ainsi qu’aux entiers dépens dans les termes de l’article 699 du Code de procédure civile, et qui comprendront le coût du procès-verbal de constat de d’huissier du 8’mars 2018.
LE PRÉSIDENTLE GREFFIER