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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 2 – Chambre 7
ARRET DU 29 JANVIER 2020
(n° 2/2020, 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/16567 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B56XN
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 juin 2018 -Tribunal de grande instance de PARIS – RG n° 18/04870
APPELANT
Monsieur [V] [L]
[Adresse 5]
[Localité 4] – BELGIQUE
né le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 8] (ALGERIE)
Représenté par Maître Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, avocat postulant
Assisté de Maître Christian CHARRIERE-BOURNAZEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C1357, avocat plaidant
INTIMEES
Madame [H] [Z]
[Adresse 3]
[Localité 6]
née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 7] (MAROC)
Représentée et assistée de Maître Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, toque : W10, avocat postulant et plaidant
SA LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE
[Adresse 3]
[Localité 6]
N° SIRET : B 6 52 015 942
Représentée et assistée de Maître Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, toque : W10, avocat postulant et plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 octobre 2019, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente
Mme Sophie-Hélène CHATEAU, Conseillère
un rapport a été présenté à l’audience par Mme SAUTERAUD dans les conditions prévues par les articles 785 et 786 du code de procédure civile.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente
Mme Sophie-Hélène CHATEAU, Conseillère
Mme Françoise PETUREAUX, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour prorogé au 29 janvier 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu les assignations à jour fixe délivrées les 7 et 9 mars 2018 à [H] [Z], ‘directeur de la publication de L’Obs’, et à la SA LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE, ‘en sa qualité de société éditrice de L’Obs et du site internet L’Obs’, à la requête de [V] [L], qui demandait au tribunal de grande instance de Paris, au visa des articles 23, 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, de :
– dire que [H] [Z] s’est rendu coupable du délit de diffamation envers lui ‘à raison des passages ci-dessus retranscrits et ci-après reproduits’, constituant à son égard une faute civile,
– ‘dire la société éditrice de L’Obs civilement responsable de M. [Z]’,
– ‘condamner solidairement de M. [H] [Z], directeur de la publication et de la société L’Obs à’ lui payer la somme de 100.000 € de dommages-intérêts en raison de son préjudice moral,
– ordonner la publication du jugement dans son intégralité sur le site de L’Obs et, par extraits, dans cinq journaux de son choix,
– les condamner sous la même solidarité au paiement de la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– les condamner en tous les dépens en ce compris tous les frais de citation, signification et autres rendus nécessaires par la présente procédure,
Vu le jugement contradictoire rendu le 20 juin 2018 par la 17ème chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, qui a :
– annulé l’assignation du 9 mars 2018, en rejetant le moyen tiré de l’imprécision du support, mais en retenant celui tiré de l’imprécision des propos,
– condamné [V] [L] à payer à Mme [Z] et à la SA LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE la somme globale de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné [V] [L] aux dépens,
Vu l’appel interjeté par ce dernier le 29 juin 2018,
Vu les dernières conclusions signifiées le 30 avril 2019 par voie électronique par [V] [L], qui demande à la cour :
– d’infirmer le jugement du 20 juin 2018 et de constater l’opportunité de l’évocation de l’affaire au fond,
– de ‘dire la société éditrice de L’Obs civilement responsable de Mme [Z]’,
– de dire que les éléments constitutifs de la bonne foi ne sont pas réunis,
– de ‘condamner solidairement de Mme [H] [Z], directeur de la publication et de la société L’Obs à’ lui payer la somme de 100.000 € de dommages-intérêts en raison de son préjudice moral,
– de débouter ‘Mme [Z] et la société L’Obs’ de l’ensemble de leurs demandes,
– d’ordonner la publication du jugement dans son intégralité sur le site de L’Obs et, par extraits, dans cinq journaux de son choix,
– de les condamner sous la même solidarité au paiement de la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– de les condamner en tous les dépens, avec application de l’article 699 du même code,
Vu les conclusions d’intimés signifiées par RPVA le 26 novembre 2018, aux termes desquelles la SA LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE et Mme [H] [Z] sollicitent de la cour qu’elle :
– à titre principal, confirme le jugement, le cas échéant par substitution de motifs,
– dise, subsidiairement, que les propos ne sont pas diffamatoires à l’égard de [V] [L] et, très subsidiairement, que [H] [Z] doit bénéficier de l’excuse de bonne foi,
– encore plus subsidiairement, ramène le préjudice invoqué à hauteur d’un euro symbolique,
– en tout état de cause, condamne le demandeur à payer à [H] [Z] et à la SA LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE une somme globale de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
– le condamne en tous les dépens, avec application de l’article 699 du même code,
Vu l’arrêt contradictoire rendu le 25 septembre 2019 par le pôle 2-chambre 7 de la cour d’appel de Paris qui a :
– infirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 20 juin 2018, en ce qu’il a annulé l’assignation et condamné le demandeur au paiement de frais irrépétibles, ainsi qu’aux dépens,
– déclaré l’assignation régulière,
– évoqué et renvoyé le dossier pour examen au fond de l’affaire à l’audience de plaidoiries du mercredi 30 octobre 2019 à 14 heures,
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
SUR CE
La cour a précédemment jugé que l’assignation était suffisamment claire pour permettre de comprendre que [V] [L] poursuivait comme diffamatoires à son encontre des propos publiés le 8 février 2018 sur le site internet du NOUVEL OBSERVATEUR, reprenant des extraits d’un livre à paraître, intitulé ‘Je ne pouvais rien dire’ et ayant pour auteur un certain [X] [T] écrivant sous un nom d’emprunt, deux passages étant précisément incriminés.
L’appelant soutient que le premier passage lui impute d’avoir commis dans sa jeunesse des actes tombant sous le coup de la loi pénale et d’avoir été un agent des services secrets algériens, en s’abritant derrière une société comme couverture, le second passage alléguant qu’il aurait agi contre les intérêts de la France lorsqu’il était à la tête de la CSEE.
La directrice de publication de L’OBS et la société éditrice du site font valoir que les propos ne sont pas diffamatoires et invoquent subsidiairement l’excuse de bonne foi.
Sur le caractère diffamatoire des propos
Il sera rappelé à cet égard que :
– l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme ‘toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé’ ;
– il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par ‘toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait’- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;
– l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
– la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.
Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par le demandeur ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d’examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.
Sur le 1er passage poursuivi :
« A côté de la success-story de l’Algérien naturalisé, devenu PDG de Quadral puis de la Compagnie des signaux et des équipements électroniques (future “CS Communication & Systèmes”, société ‘uvrant dans les milieux de l’électronique de défense et de sécurité), les notes du service relèvent que l’intéressé, connu dans sa jeunesse de la police judiciaire pour des faits mineurs, est, selon notre division A2 de l’époque des années 1970-1980, “vraisemblablement” manipulé par les services de renseignement algériens. Dans notre langage, “vraisemblablement” signifie que nous en avons la certitude. La société nationale Sonatrach, où [L] a occupé un poste important, leur sert de couverture. »
Les termes « connu dans sa jeunesse par la police judiciaire pour des faits mineurs » n’imputent à [V] [L] la commission d’aucune infraction pénale, le fait qu’il soit seulement « connu » de la police judiciaire laissant au contraire entendre qu’il n’a pas été condamné, et la précision « faits mineurs » relativisant encore de façon importante la gravité des éventuels comportements reprochés.
De même, le fait d’être ‘manipulé par les services de renseignement algériens’ présente [V] [L] comme la victime, plutôt que l’auteur d’une telle manipulation, le lecteur ne pouvant comprendre qu’il aurait consciemment trahi les intérêts de la France.
Enfin, le mot ‘leur’ employé dans la dernière phrase montre que la couverture de l’entreprise SONATRACH est utilisée par les services secrets algériens, et non par [V] [L].
Ainsi, même si ces propos ont pu lui apparaître désagréables, aucun n’impute à [V] [L] un fait précis qui serait attentatoire à son honneur ou à sa considération.
Sur le 2nd passage poursuivi :
« Décrit comme avisé, avenant et courtois à l’excès, l’industriel, dont la nomination à la tête de la CSEE est apparue “inopportune”, présente pour la DST en 1993 un profil de loyauté douteux vis-à-vis des intérêts de la France. La division B2 conclut l’une de ses notes par la formule “individu défavorablement connu du service”. Une autre division de la DST met en garde contre l’intrusion insistante du cabinet américain Kroll, lié à la CIA, avec qui il a eu contact. »
Les propos litigieux sont certes dépréciatifs vis à vis de [V] [L], mais écrire que sa ‘nomination à la tête de la CSEE est apparue “inopportune” ‘, qu’il ‘présente pour la DST en 1993 un profil de loyauté douteux vis-à-vis des intérêts de la France’ et qu’il est ‘défavorablement connu du service’ ne caractérise que des jugements de valeur de portée vague et très générale, sans imputer à l’intéressé le moindre fait précis qui pourrait faire sans difficulté l’objet d’un débat sur la preuve de sa vérité.
La dernière phrase du passage indique que [V] [L] ‘a eu contact’, sans aucunement préciser ni laisser entendre de quelle sorte de contact il s’agirait, avec le ‘cabinet américain Kroll, lié à la CIA’, ce qui ne peut signifier, même par insinuation et sauf extrapolation, qu’il serait un agent de la CIA ou qu’il aurait trahi les intérêts de la France.
En conséquence, bien que [V] [L] ait déclaré devant la cour que les propos poursuivis l’avaient profondément blessé, et que ceux-ci soient manifestement négatifs et défavorables, ils demeurent cependant trop vagues ; ils ne contiennent l’imputation d’aucun fait suffisamment précis pour être aisément prouvé et portant atteinte à son honneur ou à sa considération.
La cour retient donc que ni l’un ni l’autre des passages poursuivis n’est diffamatoire envers [V] [L].
Sur les demandes
A défaut de caractère diffamatoire des propos incriminés, [V] [L] doit être débouté de toutes ses demandes, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les éléments invoqués en défense au titre de la bonne foi.
En équité, il sera condamné à payer aux intimées la somme globale de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens avec application de l’article 699 du même code.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Evoquant,
Déboute [V] [L] de toutes ses demandes,
Condamne [V] [L] à payer à [H] [Z] et à la SA LE NOUVEL OBSERVATEUR DU MONDE la somme globale de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
Condamne [V] [L] aux dépens, qui pourront être recouvrés par Maître Christophe BIGOT, avocat, dans les conditions de l’article 699 du même code.
LE PRESIDENT LE GREFFIER