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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 2 – Chambre 7
ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2022
(n° 25/2022, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/14477 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEFU7
Décision déférée à la Cour : Jugement du 2 Juin 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS RG n° 19/05955
APPELANT
Monsieur [I] [Y] [S]
[Adresse 3]
[Localité 10]
né le [Date naissance 4] 1963 à [Localité 10]
Représenté par Maître Maryline LUGOSI de la SELARL Selarl MOREAU GERVAIS GUILLOU VERNADE SIMON LUGOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : P73, avocat postulant
Assisté de Maître Philippe CLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : G157, avocat plaidant
INTIMES
Monsieur [L] [PD]
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représenté par Maître Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L34, avocat postulant
Assisté de Maître Olivier D’ANTIN de la SCP D’ANTIN-BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P336, avocat plaidant
Madame [KT] [V]
[Adresse 8]
[Localité 7]
Représentée par Maître Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L34, avocat postulant
Assistée de Maître Olivier D’ANTIN de la SCP D’ANTIN-BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P336, avocat plaidant
S.A.S. PLACE DES EDITEURS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
N° SIRET : 622 012 987
Représentée par Maître Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L34, avocat postulant
Assistée de Maître Olivier D’ANTIN de la SCP D’ANTIN-BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P336, avocat plaidant
LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE PARIS – PARQUET 04
[Adresse 5]
[Localité 7]
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 29 juin 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Anne RIVIERE, Président
Mme Anne CHAPLY, Assesseur
Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Assesseur
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme SAUTERAUD dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Anne RIVIERE, Président, et par Margaux MORA, Greffier, présente lors de la mise à disposition.
Vu les assignations à jour fixe délivrées le 3 mai 2019 à [L] [PD], [KT] [V], en sa qualité de présidente de la société PLACE DES EDITEURS, et à cette société, en qualité de civilement responsable, à la requête de [I] [Y] [S] qui demandait au tribunal de grande instance de Paris, à la suite de la parution d’un ouvrage intitulé « Enquête sur la noblesse – La permanence aristocratique » et au visa des articles 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43 et 44 de la loi du 29 juillet 1881 :
– de dire que les propos « La persistance de la propension vaniteuse pour la noblesse a été illustrée dans les années 1980 par un faussaire particulièrement opiniâtre, [I] [Y], né en 1963, qui a réussi à trafiquer son ascendance paternelle en usant d’actes falsifiés et de confusions homonymiques, pour devenir « [I] [Y] [S] » » (page 49) et « L’affaire, qui a nécessité des complicités et provoqué des destructions de documents d’état civil originaux a été portée devant les tribunaux. » (page 51), sont diffamatoires,
– de condamner in solidum [L] [PD] et [KT] [V] à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral subi,
– d’ordonner l’apposition d’un bandeau sur la couverture du livre, ou à défaut l’insertion d’un encart, comportant un communiqué judiciaire,
– d’ordonner la publication de ce communiqué judiciaire dans trois journaux papier ou en ligne,
– d’ordonner le retrait des passages diffamatoires en cas de nouvelle impression ou publication de l’ouvrage litigieux,
– de condamner in solidum [L] [PD] et [KT] [V] au versement de la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
– de déclarer la société PLACE DES EDITEURS civilement responsable,
– d’ordonner l’exécution provisoire de la condamnation à dommages et intérêts,
Vu le jugement contradictoire rendu le 2 juin 2021 par la 17ème chambre civile du tribunal judiciaire de Paris qui a :
– débouté [I] [Y] [S] de ses demandes,
– condamné [I] [Y] [S] à verser à [L] [PD], [KT] [V] et à la société PLACE DES EDITEURS la somme de mille euros (1 000 €) chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné [I] [Y] [S] aux dépens,
Vu l’appel interjeté le 23 juillet 2021 par [I] [Y] [S],
Vu les dernières conclusions d’appel n°3 de [I] [Y] [S], notifiées le 23 juin 2022 par voie électronique, qui demandent à la cour de :
– dire que les propos poursuivis étaient constitutifs d’une diffamation publique envers particulier,
– infirmer le jugement en ce qu’il a reconnu le bénéfice de la bonne foi,
– condamner in solidum [KT] [V] et [L] [PD] à lui verser la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
– déclarer la société PLACE DES EDITEURS civilement responsable,
– ordonner l’apposition d’un bandeau sur la couverture du livre, ou à défaut l’insertion d’un encart, comportant un communiqué judiciaire,
– ordonner la publication de ce communiqué judiciaire dans trois journaux papier ou en ligne,
– ordonner le retrait des passages diffamatoires en cas de nouvelle impression ou publication de l’ouvrage litigieux,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,
– débouter les intimés de leurs demandes,
– les condamner in solidum au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens avec application de l’article 699 du même code,
Vu les conclusions récapitulatives des défendeurs intimés, notifiées par RPVA le 14 juin 2022, sollicitant la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, outre la condamnation de l’appelant à payer à chacun d’eux une somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel,
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
Vu l’ordonnance de clôture en date du 29 juin 2022,
Rappel des faits et de la procédure
[I] [Y] [S] expose notamment qu’il a effectué l’essentiel de sa carrière professionnelle dans le secteur bancaire, qu’il est aussi féru d’histoire et docteur en histoire moderne, que depuis plus de trente ans, un conflit oppose deux branches de sa famille, originaire du village de [Localité 12] en Ardèche, qu’en 1982, son père [Z] et d’autres membres de la famille ont déposé une requête en rectification d’état civil, estimant que leur véritable nom était [Y] [S], tandis que ses deux oncles [RE] et [M] ont toujours considéré que le nom de leur famille était [Y]. Il ajoute qu’il fait l’objet de harcèlement et de lettres anonymes.
[L] [PD], historien et professeur d’université, se présente comme spécialiste de l’histoire de la noblesse française de ses origines à nos jours, auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet, dont le dernier intitulé « Enquête sur la noblesse – La permanence aristocratique » est paru en mars 2019 aux éditions [TK], un département de la société PLACE DES EDITEURS, dont [KT] [V] est présidente.
Ce livre de 395 pages -y compris les annexes- est présenté en ces termes en quatrième de couverture : « Qu’est-ce que la noblesse et comment peut-elle encore transmettre l’héritage culturel des vieilles dynasties qui l’incarnent ‘ Telles sont les questions auxquelles ce livre s’efforce de répondre en proposant d’abord une analyse des principes, des traditions et des comportements qui, dans le passé, ont construit l’identité nobiliaire. Il explique la classification de la noblesse, fruit de la diversité de ses origines, ainsi que ses contours juridiques imposés par la monarchie. Puis il retrace les grandes étapes de son histoire, des bâtisseurs de forteresses à la cour de Louis XIV, des salons des Lumières à la Terreur, de l’épopée napoléonienne au XXIe siècle.
La perte de toute incarnation institutionnelle n’a pas enlevé à la noblesse son importance sociologique ni sa place dans l’inconscient et l’imaginaire collectifs. [L] [PD] étudie les capacités de la noblesse à transmettre son identité, à maintenir sa stabilité sociale et à diffuser une énergie créatrice alors que les changements structurels, politiques et économiques ne cessent d’engendrer de nouvelles formes de stratifications. »
Les propos poursuivis (ci-dessous en caractères gras) se situent dans le premier chapitre intitulé « Le sens de la transmission héréditaire », au sein de la section « Vraie noblesse et noblesse d’apparence » et sous l’inter-titre «Trompeuse particule », dans ce contexte en page 49 :
‘Un bourgeois emparticulé peut essayer de se greffer sur une famille noble en achetant un château ou en jouant d’une similitude de patronyme. Mais il ne peut se réclamer de ses ancêtres ni se substituer à aucun de ses membres, à moins de le faire par effraction, c’est-à-dire en dénaturant le passé, en inventant de toutes pièces une généalogie ou un fait générateur de noblesse. Avec l’addition d’une particule ou d’un nom de terre au nom patronymique, l’usurpation est, en effet, l’autre source de la fausse noblesse. [‘] La persistance de la propension vaniteuse pour la noblesse a été illustrée dans les années 1980 par un faussaire particulièrement opiniâtre, [I] [Y], né en 1963, qui a réussi à trafiquer son ascendance paternelle en usant d’actes falsifiés et de confusions homonymiques, pour devenir « [I] [Y] [S] ». Des feuilles arrachées sur les registres d’état civil, fruit de ses passages dans les Archives départementales, en Ardèche et en Isère notamment, ont rendu manquants les actes des registres originaux et facilité le maquillage. Quelques pierres tombales, après avoir subi des améliorations de noms et des ajouts de qualifications nobiliaires, ont été bien patinées. Son acharnement aboutit, le 5 novembre 1985, à une étonnante rectification d’état civil par le procureur de la République de Privas, qui modifie celui de soixante-douze personnes décédées et des vivantes jusqu’à l’intéressé. Celui-ci a déjà commencé à déployer, avec un culot en acier, un véritable plan de guerre en cinq phases.[‘]’
Celles-ci sont ensuite évoquées et non poursuivies (le Bottin mondain, l’association des Cincinnati de France, l’Association de la noblesse française, l’Etat présent de la noblesse française subsistante et le Jockey Club), le passage consacré au demandeur s’achevant alors par ce dernier propos en page 51 : ‘L’affaire, qui a nécessité des complicités et provoqué des destructions de documents d’état civil originaux a été portée devant les tribunaux.’
A l’audience du tribunal, [I] [Y] [S] et [L] [PD] ont été entendus, ainsi que [GI] [XV] et [PR] [Y], témoins cités par les défendeurs.
Les premiers juges ont reconnu le caractère diffamatoire des propos, mais ont accordé le bénéfice de la bonne foi aux défendeurs.
Sur le caractère diffamatoire des propos
Il sera rappelé à cet égard que :
– l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme ‘toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé’ ;
– il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par ‘toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait’- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;
– l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
– la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.
Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par la partie civile ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d’examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.
En l’espèce, le caractère diffamatoire des propos incriminés n’est pas contesté en défense.
Les deux passages poursuivis éclairés par leur contexte imputent au demandeur, nommément désigné, d’être ‘un faussaire particulièrement opiniâtre’ et d’avoir ‘réussi à trafiquer son ascendance paternelle en usant d’actes falsifiés’ pour faire anoblir son nom.
Même s’il n’est ni affirmé ni insinué qu’il se serait rendu coupable des délits de faux et d’usage de faux et si les phases de son ‘plan de guerre’ pour se faire admettre comme noble véritable dans plusieurs ouvrages et associations ne sont pas poursuivies, il est cependant précisé juste après le premier passage incriminé que ‘Des feuilles arrachées sur les registres d’état civil, fruit de ses passages dans les Archives départementales, en Ardèche et en Isère notamment, ont rendu manquants les actes des registres originaux et facilité le maquillage’ et dans le dernier passage que ‘L’affaire, qui a nécessité des complicités et provoqué des destructions de documents d’état civil originaux a été portée devant les tribunaux.’
Il est ainsi imputé à [I] [Y] [S] d’avoir participé à des destructions de documents d’état civil et d’avoir fait usage d’actes falsifiés, ces faits précis étant susceptibles de preuve et attentatoires à l’honneur et à la considération, puisque pénalement répréhensibles et contraires aux valeurs morales communément admises.
Sur la bonne foi
Les défendeurs invoquent l’excuse de bonne foi, tandis que le demandeur appelant soutient qu’aucun des critères de la bonne foi n’est ici réuni.
Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos.
La liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’exprimait dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher d’abord en application de ce même texte, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment s’agissant de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence dans l’expression.
[I] [Y] [S] souligne à juste titre qu’il n’est pas une personnalité publique et que ce n’est pas lui qui a rendu public le conflit familial divisant les membres de sa famille sur leur nom, mais les partisans du seul nom [Y], notamment avec la création en 2017 du blog [Y].xyz, même si l’ordonnance de référé du 15 octobre 2020 lui donnant raison n’a pas autorité de la chose jugée et n’est pas déterminante dans la présente affaire qui porte sur des faits et circonstances distincts.
Toutefois la cour retient que les propos poursuivis s’inscrivent dans un débat d’intérêt général, dès lors qu’ils ont trait à des destructions d’actes d’état civil et qu’ils présentent un intérêt sociologique lié à un attrait pour la noblesse qui peut encore perdurer, comme le souligne la quatrième de couverture du livre en question.
Il convient donc de rechercher si l’auteur de l’ouvrage justifie d’une base factuelle suffisante lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait.
Il sera d’abord relevé que les propos en cause contiennent une note qui renvoie à deux articles qui ne sont pas dépourvus de tout intérêt, mais qui auraient à eux seuls été insuffisants, d’autant plus que le premier article, publié en 2014 dans la revue L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, indique que ‘Cette supercherie, habilement montée, a pu tromper pendant plus de trente ans nombre de personnes appartenant à la « bonne société », d’éminents spécialistes des questions nobiliaires et également, pour leur plus grande confusion, nombre d’institutions de prestige réputées’, en précisant aussi que ‘l’affaire qui a nécessité des complicités et s’est manifestée par des destructions et détériorations graves de documents d’archives originaux, est sous le coup d’une procédure en correctionnelle, et il faut attendre l’autorité de la chose jugée pour se prononcer avec certitude.’
Le second article a été publié dans l’hebdomadaire MARIANNE le 2 novembre 2018 ; signé [R] [O], il a pour titre « NOBLE À TOUT PRIX » et pour chapeau :
« Depuis toujours, [I] [Y] court après la particule. Après avoir fait accoler ‘[S]’ à son patronyme, infiltré les associations mondaines, ce banquier de 55 ans attaque ses cousins en diffamation. Mais ces ‘gueux’ restés ‘[Y]’ contre-attaquent’ »
Il sera observé qu’avant la sortie du livre, cet article faisait l’objet de poursuites en diffamation, ayant donné lieu à un jugement de relaxe en date du 12 janvier 2021, puis à un arrêt non définitif du 20 octobre 2021 confirmant le débouté de [I] [Y] [S] de toutes ses demandes.
[L] [PD] fait valoir qu’il a fait des recherches et rencontré de nombreuses personnes pendant plusieurs années pour écrire son livre et le fait que ces deux seuls articles y soient cités ne peut suffire à établir que son enquête serait postérieure à la publication.
Au titre des autres éléments invoqués en défense pour justifier d’une base factuelle, il sera renvoyé aux motifs du jugement pour exposer plus complètement le contenu de chaque pièce et il y a lieu de retenir principalement parmi les éléments examinés par le tribunal :
* Sur les disparitions et modifications d’actes d’état civil
– La synthèse de 45 pages rédigée en décembre 2011 par [X] [P], généalogiste, (pièce n°3) se rapporte à une recherche généalogique concernant la famille [Y] [S] ; après analyse de « tous les actes de cette généalogie, tant d’état-civil que paroissiaux, ainsi que des contrats de mariages et des déclarations de successions », il est notamment conclu que ‘les résultats obtenus attestent que cette famille [Y] est absolument roturière et que la généalogie aujourd’hui présentée par ses descendants est inexacte. Les actes produits sous forme de transcriptions dactylographiés ne sont pas conformes aux actes originaux. A noter que beaucoup de ces actes originaux ont aujourd’hui disparu et que les registres dans lesquels ils étaient inscrits portent des traces de mutilations volontaires. Fort heureusement, les Archives Départementales de l’Ardèche disposent de microfilms de sauvegarde pour la plupart de ces documents.’
– La mairie de [Localité 12] a établi le 26 mars 2018 un « document d’analyse des actes d’état-civil concernant une branche de la famille [Y] – [Y] [S] » de 13 pages (pièce n°15) qui, selon son résumé, ‘trace et documente les différentes anomalies constatées dans les registres d’état-civil de la commune de [Localité 12]. Il en ressort que sur la période 1795-1892 un bon nombre d’actes d’état-civil ont vraisemblablement été modifiés. Ces actes sont liés aux ascendants de M. [Y] [B] né le [Date naissance 1] 1845 à [Localité 12] et dont le patronyme est devenu ultérieurement « [Y] [S] ».’
La mairie relève vingt-et-un actes contrefaits et trois modifiés.
– Ces falsifications ont été constatées par huissier (pièce n°16) et ont été dénoncées au procureur de la République de Privas par courrier daté du 24 mai 2018 par le maire de [Localité 12] (pièce n°17) qui mentionne que « ces falsifications ont été opérées de plusieurs manières :
– par rédaction totalement apocryphe d’acte sur un formulaire initialement vierge
– par insertion d’actes d’état-civil par collage dans des registres constitués
– par insertion en opérant une modification de la reliure des cahiers constituant les registres (recomposition de cahiers) ».
Le maire ajoute que « Ces falsifications ont vraisemblablement été commises il y a plusieurs années et ont notamment permis à une branche de la famille de M. [RE] [Y] d’engager et de faire valider une modification de patronyme vers le nom de « [Y] [S] ». »
– Le site internet « Geneanet » a refusé d’enregistrer [F] [H] [Y] comme « [S] » en relevant au surplus une anomalie dans la signature « C [Localité 11] » [Chevalier (de) [Localité 11], maire de [Localité 12]] visible sur le prétendu acte de naissance du 31 décembre 1816. (pièce n°20)
– Les impressions écran du site internet « https://[09].xyz » créé par des membres de la famille [Y] opposés au demandeur (pièce n°4) montrent qu’il y est indiqué que ‘L’affaire [Y] [S] est une affaire majeure de falsification d’état-civil’.
S’agissant par exemple de [F] [H] [Y] (1814 ‘ 1898), le site relève que l’acte de naissance conservé aux archives départementales de l’Ardèche mentionne une naissance le 22 juillet 1814 et un cultivateur illettré, alors que l’acte de naissance à la mairie de [Localité 12] indique une naissance le 31 décembre 1816 et une profession d’avocat.
Le site dresse le « Récapitulatif détaillé des actes falsifiés » reproduit dans le jugement.
* Sur la participation de [I] [Y] [S] à des destructions de documents d’état civil
– [PR] [Y], homonyme et adjoint au maire de Rochemaure entre 2014 et 2020, entendu comme témoin par le tribunal, a notamment déclaré savoir qu’en 1981, [I] [Y] [S] « s’était lié avec le maire de l’époque et il était très présent en mairie ».
Ce témoignage manque de valeur probante, s’agissant en outre de propos rapportés.
– Un courrier de [Z] [Y], père du demandeur, daté du 31 janvier 1982, pour présenter « tous les documents concernant le nom [Y] [S] » énonce que « les documents retrouvés et réunis par [I] sont irréfutables ». Un courrier de la veille évoquait déjà « le sens de la démarche généalogique entreprise par [I] » (pièce n°28).
– [I] [Y] [S] écrit à son oncle [M] le 7 janvier 1987 « tout ce que j’avais entrepris, je l’avais fait dans un esprit d’amour, et pour toute ma famille [‘] vous utilisez contre moi un labeur de milliers d’heures, et qui n’étaient destinées qu’à votre bien, qu’à ceux que j’étais fier, jusque là, d’appeler ma famille » (pièce n°29).
– [RE] [Y], autre oncle du demandeur, rédige en 2011 un texte intitulé « Vrais [Y], faux [Y] [S] » (pièce n°10), où il indique en préambule :
‘Par tempérament, je suis plus curieux de l’avenir que du passé. Cependant, lorsque [I], le fils aîné de mon frère aîné [Z], a décidé d’aller à la recherche de l’histoire de nos ancêtres en Ardèche et surtout à [Localité 12], je fus impatient d’avoir des précisions sur notre famille. Cette histoire commence donc en 1981, mon neveu n’ayant que 18 ans à l’époque.’
– La décision produite en pièce n°31 en défense fait encore état d’une lettre de [I] [Y] [S] à sa grand-mère [N] [Y], en date du 16 novembre 1986 (pièce n°2) s’excusant d’avoir mentionné sa grand-mère dans le « Bottin Mondain », lui faisant part de ses raisons logiques : « on se serait en effet posé des questions sur la différence de nom entre le fils et sa mère », mettant en lumière la motivation de la rectification de l’acte d’état civil tenant à permettre une pénétration de la noblesse.
[I] [Y] [S] objecte qu’un extrait d’acte de décès délivré par la Mairie de [Localité 12] le 22 décembre 1981 atteste que, dès cette époque, il existait déjà, dans les archives municipales de cette commune, des actes d’état-civil libellés [Y] [S] (sa pièce n°52).
– Le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Privas le 21 janvier 2016 (pièce n°9 des défendeurs), ayant relaxé [I] [Y] [S], poursuivi pour avoir détruit diverses pièces et actes d’archives publiques au préjudice des Archives départementales de l’Ardèche, conclut ‘qu’au final, s’il est possible que le prévenu ait commis des dégradations d’archives à un moment ou à un autre entre 1980 et 2011, période durant laquelle il les consultait régulièrement, il n’en demeure pas moins qu’au regard de tout ce qui vient d’être exposé concernant le recueil et l’exploitation des éléments relatifs aux faits poursuivis, il subsiste, a minima, un doute sur la date de commission des faits et donc sur la question de la prescription de l’action publique’, mais il faut souligner que le tribunal avait également relevé ‘qu’au moins un autre lecteur a été l’auteur de dégradations sur ce type de documents’.
Il en résulte que si [I] [Y] [S] a été relaxé au bénéfice d’un doute sur la date de la commission des faits, il a bien été jugé qu’il a pu commettre certaines dégradations constatées alors qu’il se trouvait aux Archives départementales de l’Ardèche, même s’il ne les a pas toutes commises.
En outre, la correspondance familiale produite montre que [I] [Y] [S] se trouvait déjà à un jeune âge très investi dans l’étude généalogique et le changement du patronyme de la famille.
* Sur l’usage d’actes falsifiés
Les propos poursuivis imputent à ‘[I] [Y] [d’avoir] réussi à trafiquer son ascendance paternelle en usant d’actes falsifiés […] pour devenir [I] [Y] [S]’, et non pour obtenir le titre de comte, les développements faits à cet égard dans les conclusions, les pièces et le jugement n’apparaissant donc pas déterminants au regard des termes incriminés et de l’imputation diffamatoire retenue par la cour.
Il se déduit des pièces produites en défense que l’existence de falsifications est avérée et que le demandeur, né [Y], a obtenu, comme d’autres membres de sa famille, la modification de son nom patronymique en « [Y] [S] » à la suite d’une décision prise par le procureur de la République de Privas en 1985 au vu d’actes falsifiés.
De tels actes ont également pu lui permettre d’être admis dans diverses institutions et même si le long développement du livre à cet égard n’est pas poursuivi, il peut être retenu à ce titre :
– [L] [PD] écrit que l’édition du Bottin mondain de 1983 ‘voit apparaître le premier [Z] [Y] [S], époux de Madame, née [HZ] [DO], les parents de l’intéressé, accompagnés de leurs cinq enfants’ dont [I], ce qui ressort des pièces versées aux débats.
Les défendeurs produisent également une attestation de [D] [BY] [C] [W] [G], directrice générale du Bottin Mondain (BM), qui mentionne notamment que le comité de rédaction du BM a accepté d’ouvrir ses archives à [L] [PD] (pièce n°13).
[GI] [XV], président honoraire de la Noblesse Française Pontificale, entendu sous serment par le tribunal, a rappelé que la famille [Y] [S], en 1981, déposait ‘une demande d’inscription au nom de [Y] [S] auprès du Bottin mondain puis en 1983 celui de comte pontifical’, titre (étranger aux présents débats) qui a été retiré.
– Sur l’association des Cincinnati de France est produite l’attestation de [WS] [E] (pièce n°14), président honoraire de l’association, qui relate les termes du courrier qu’il a adressé le 27 mars 2012 à [I] [Y] [S] selon lequel « sur la base de certaines informations qui ont été portées à la connaissance de la Société des Cincinnati de France, une étude approfondie des dossiers de votre famille a été diligentée. Elle a permis de constater :
– que la généalogie fournie par votre famille est fausse,
– qu’une partie des éléments transmis pour étayer cette généalogie sont également des faux,
– que les états de service des officiers sont, sinon entièrement faux, du moins sujets à caution,
– que les dits officiers ne présentent aucune filiation avec votre famille.
Il apparaît donc que votre famille n’a pas de titre à être représentée dans notre Société et que la Commission de dévolution des Sièges et Preuves a été sciemment trompée ».
[AH] [K], actuel président de l’association, atteste que « sur la base d’informations portées à la connaissance de la Sté des Cincinnati de France, une étude approfondie des dossiers de candidature de MM. [I], [T] et [J] [Y] [S] a été conduite en 2012. Au vu des graves anomalies constatées dans certains documents présentés, le président en exercice de la société leur a demandé de démissionner » (pièce n°11).
– [L] [PD] écrit sur l’Association de la noblesse française que ‘l’assemblée générale du 9 juin 1989 entérine l’admission de cette fausse famille sur la base de faux documents’.
Les défendeurs produisent l’attestation de [RE] [A] [U] (pièce 12), vice-président de l’ANF de juin 2006 à juin 2015, qui indique que [I] [Y] [S] a été admis à l’ANF par l’assemblée générale du 18 mai 1990, qu’il avait auparavant constitué le dossier de son père et de sa mère, admis le 9 juin 1989, que la vérification des dossiers a fait soupçonner une anomalie, qu’il a mandaté [X] [P] ‘spécialiste réputée de la région d’origine de la famille [Y]’, qui leur a fait savoir ‘preuves à l’appui’ que ‘cette famille [Y] est absolument roturière et que la généalogie présentée par ses descendants est inexacte’, qu’il a alors été demandé aux représentants de la famille [Y] [S] de démissionner de l’ANF en décembre 2011, ce qui fut fait.
Il est ainsi justifié d’une base factuelle suffisante pour permettre à l’auteur du livre d’écrire que ‘[I] [Y] […] a réussi à trafiquer son ascendance paternelle en usant d’actes falsifiés […] pour devenir [I] [Y] [S]’, en lui imputant d’avoir participé à des destructions de documents d’état civil et d’avoir fait usage d’actes falsifiés.
L’appelant reproche à l’auteur de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire, faute de l’avoir contacté avant publication pour recueillir son point de vue.
Il doit cependant être observé que le respect de ce principe ne s’impose pas dans tous les cas, notamment lorsqu’il est justifié d’une base factuelle suffisante et que la personne visée n’est que brièvement évoquée au sein d’un texte beaucoup plus long portant sur de nombreux autres sujets comme en l’espèce.
[I] [Y] [S] reproche également à [L] [PD] d’être l’homme-lige de certaines associations et d’une partie de sa famille.
Toutefois, l’animosité personnelle ne peut se déduire seulement de la gravité des accusations ou du ton sur lequel elles sont formulées, mais elle n’est susceptible de faire obstacle à la bonne foi de l’auteur des propos que si elle est préexistante et extérieure à ceux-ci et si elle résulte de circonstances qui ne sont pas connues des lecteurs, ce qui n’est pas caractérisé au cas présent.
Quant au critère de la prudence dans l’expression, il doit être apprécié souplement en présence d’un sujet d’intérêt général et d’une base factuelle suffisante, de sorte que les termes ‘un faussaire particulièrement opiniâtre’, assez généraux et vagues, ne dépassent pas les limites autorisées de la liberté d’expression dans le contexte en cause.
Certes, en écrivant que ‘L’affaire, qui a nécessité des complicités et provoqué des destructions de documents d’état civil originaux, a été portée devant les tribunaux’, l’auteur n’a pas précisé que [I] [Y] [S] avait été relaxé des poursuites engagées à son encontre. Mais il doit être observé, d’une part, qu’une telle mention aurait nécessité que les motifs et circonstances de cette relaxe soient explicités avec suffisamment de détails, ce qui n’était pas aisé dans le cadre d’un bref passage au sein d’un livre, et, d’autre part, que cette phrase n’insinue nullement que l’intéressé a été pénalement condamné.
En conséquence, le bénéfice de la bonne foi peut être accordé aux défendeurs et le prononcé d’une condamnation, même civile, porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté [I] [Y] [S] de ses demandes.
Il sera également confirmé en ce qu’il a condamné ce dernier à payer à [L] [PD], à [KT] [V] et à la société PLACE DES EDITEURS la somme de 1 000 € chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile.
En équité, il y a lieu de condamner en outre [I] [Y] [S] à payer à chacun des trois intimés la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 2 juin 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne [I] [Y] [S] à payer à chacun des trois intimés la somme de 1 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
Condamne [I] [Y] [S] aux entiers dépens d’appel.
LE PRÉSIDENTLE GREFFIER