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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 3 – Chambre 1
ARRÊT DU 26 FÉVRIER 2020
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/27409 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B63JE
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Septembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 17/11563
APPELANTS
Monsieur [P] [U]
né le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 14]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Monsieur [V] [U]
né le [Date naissance 4] 1968 à [Localité 14]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
représentés par Me Nicolas GRAFTIEAUX de l’AARPI NMCG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007
ayant pour avocat plaidant Me Marie LAGUIAN de l’AARPI NMCG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007
INTIMÉE
Madame [W] [R] veuve [U]
née le [Date naissance 1] 1941 à [Localité 13]
[Adresse 10]
[Adresse 10]
représentée et plaidant par Me Adrien SAPORITO de la SELARL TSV AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0044
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 21 Janvier 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Dorothée DARD, Président
Mme Madeleine HUBERTY, Conseiller
Mme Catherine GONZALEZ, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme [G] [I] dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.
Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Madeleine HUBERTY, Conseiller, pour le Président empêché, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.
***
PRÉTENTIONS DES PARTIES ET PROCÉDURE
[K] [U] est décédé à [Localité 14] le [Date décès 5] 2016.
Il a laissé pour lui succéder :
. Madame [W] [R], son épouse survivante, avec laquelle il s’est marié sous le régime de la séparation des biens en 1994,
. Monsieur [P] [U], né le [Date naissance 3] 1960,
. Monsieur [V] [U], né le [Date naissance 4] 1968,
ses deux enfants nés d’une précédente union avec Madame [F] [E], dont il a divorcé par jugement en date du 13 octobre 1980.
Le 22 avril 1974, [K] [U] a rédigé un testament olographe dans les termes suivants :
‘Ceci est mon testament. Je soussigné [K] [U] déclare léguer à mon épouse [F] [E] la totalité de la quotité disponible entre époux.
Si mon épouse venait à disparaître, je désigne les grands parents maternels comme tuteurs et dans le cas où ils se trouveraient dans l’incapacité de remplir leur mission, je désigne comme tutrice Madame [W] [C] demeurant à [Adresse 12].
Dans le cas où mon épouse et moi-même viendrions à disparaître simultanément, je désire que mes biens meubles et immeubles soient répartis à part égale entre mes enfants [P] et [V].
Je révoque toutes dispositions antérieures.
Fait à Paris le 22 octobre 1974 (signature).’
Dans un codicille rédigé le 19 mars 1975, [K] [U] a prévu la désignation d’un exécuteur testamentaire.
Par acte authentique en date du 26 juillet 1994, [K] [U] a consenti donation au dernier vivant au profit de son épouse. Selon cet acte, il a fait donation à [W] [R] ‘de la toute propriété de tous les biens et droits mobiliers et immobiliers qui composeront sa succession, en quelques lieux qu’ils soient dus et situés, sans aucune exception ni réserve.
En cas d’existence de descendants au jour du décès du donateur et si la réduction en est demandée, la présente donation comprendra la plus large quotité disponible permise entre époux par les dispositions légales alors en vigueur, et portera au choix exclusif de la donataire, sur les maxima alors permis, soit en toute propriété, soit en toute propriété et usufruit, soit en usufruit seulement’.
Selon acte notarié en date du 15 juin 2016, le conjoint survivant a opté pour le quart en toute propriété et les trois quarts en usufruit des biens mobiliers et immobiliers composant la succession de [K] [U].
Des difficultés sont survenues dans le règlement de la succession, qui ont notamment conduit Messieurs [P] et [V] [U] à solliciter, par voie de référé, contre Madame [W] [R] la communication de divers documents. Le juge des référés a fait droit à ces prétentions.
Au cours de l’année 2019, Messieurs [P] et [V] [U] ont sollicité la désignation d’un mandataire successoral aux fins d’administrer provisoirement la succession, mais cette demande a été rejetée.
Messieurs [P] et [V] [U] ont, d’autre part, estimé que Madame [W] [R] n’avait pas de droits sur la succession en l’absence de révocation du testament olographe du 22 avril 1974.
Par acte en date du 9 décembre 2016, ils ont assigné Madame [W] [R] devant le tribunal de grande instance de CAEN afin notamment de voir ordonner l’ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession, se voir autoriser à procéder seuls à la vente d’un immeuble successoral et constater que Madame [W] [R] n’avait aucun droit sur la succession de leur père.
Le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de CAEN a déclaré cette juridiction incompétente au profit de du tribunal de grande instance de PARIS.
Dans son jugement rendu le 19 septembre 2018, le tribunal de grande instance de PARIS a statué en ces termes :
– Rejette la demande tendant à ce qu’il soit constaté que les enfants du défunt ont bénéficié d’un legs universel par testament de [K] [U] du 22 avril 1974 et codicille du 19 mars 1975;
– Rejette la demande tendant à constater que Madame [W] [R] n’a aucun droit dans la succession;
– Dit que la demande tendant à constater que le testament du 22 avril 1974 n’a pas été révoqué par la donation entre époux du 26 juillet 1994 est sans objet;
– Rejette la demande d’autorisation de vendre le bien situé [Adresse 9];
– Rejette la demande de condamnation de Madame [W] [R] au paiement des pénalités de retard;
– Rejette les demandes de remise, sous astreinte, des biens de la succession y compris des effets personnels du défunt et les biens meubles détenus par Madame [W] [R] à [Localité 11], de l’ensemble des biens immobiliers de la succession, des comptes et sommes perçues par Madame [W] [R] depuis le décès;
– Rejette la demande de partage judiciaire de la succession de [K] [U];
– Dit que la demande de désignation d’un notaire commis est sans objet;
– Condamne Messieurs [P] et [V] [U] à payer à Madame [W] [R] la somme de 3000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile;
– Condamne Messieurs [P] et [V] [U] aux dépens;
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
Messieurs [P] et [V] [U] ont régulièrement interjeté appel par déclaration en date du 5 décembre 2018.
*********************
Dans leurs conclusions régularisées le 6 janvier 2020, Messieurs [P] et [V] [U] formulent les prétentions suivantes :
– Infirmer partiellement le jugement rendu par le tribunal de grande instance de PARIS le 19 septembre 2018 en ce qu’il :
‘ Rejette la demande tendant à ce qu’il soit constaté que les enfants du défunt ont bénéficié d’un legs universel par testament de [K] [U] du 22 avril 1974 et codicille du 19 mars 1975;
‘ Rejette la demande tendant à constater que Madame [W] [R] n’a aucun droit dans la succession;
‘ Dit que la demande tendant à constater que le testament du 22 avril 1974 n’a pas été révoqué par la donation entre époux du 26 juillet 1994 est sans objet;
‘ Rejette la demande de partage judiciaire de la succession de [K] [U];
‘ Dit que la demande de désignation d’un notaire commis est sans objet;
‘ Condamne Messieurs [P] et [V] [U] à payer à Madame [W] [R] la somme de 3000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile;
‘ Condamne Messieurs [P] et [V] [U] aux dépens.
En conséquence, statuant à nouveau,
A titre principal :
– Juger que la donation entre époux du 26 juillet 1994 ne respecte pas les formes prescrites par l’article 1035 du code civil et l’article 9-2 de la loi du 25 Ventôse an XI modifiée;
– Juger que les dispositions du testament olographe du 22 avril 1974 et codicille du 19 mars 1975 ne sont pas révoqués de plein droit par la donation entre époux du 26 juillet 1994;
– Juger que les dispositions du testament olographe du 22 avril 1974 et du codicille du 19 mars 1975 au profit de Messieurs [P] et [V] [U] ne sont pas révoquées par le jugement de divorce du 13 octobre 1980 homologuant la convention de divorce entre époux;
– Juger que la donation entre époux est incompatible avec les dispositions testamentaires;
– Juger que les mots ‘dans le cas où mon épouse et moi-même viendrions à disparaître simultanément’ du testament du 22 avril 1974 sont sans objet;
– Attribuer la totalité du patrimoine du de cujus à Messieurs [P] et [V] [U];
– Condamner le conjoint survivant à restituer tout l’actif successoral qu’elle se serait approprié ainsi que tous les fruits et intérêts perçus depuis le décès;
A titre subsidiaire, si la cour donnait application à la donation au dernier vivant :
– Ordonner qu’il sera , par le Président de la chambre des notaires avec faculté pour lui de déléguer à tout membre de sa compagnie, procédé aux opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de [K] [U];
– Commettre un juge du siège pour surveiller les opérations de partage et faire rapport sur l’homologation de la liquidation s’il y a lieu;
En tout état de cause,
– Ecarter des débats, les deux paragraphes suivants des conclusions de Madame [R] :
‘A titre préalable, il sera indiqué que les enfants de Monsieur [U], [P] et [V], appelants nés de sa première union d’avec Madame [E], dont il a divorcé en 1980, tentent de faire échec aux dispositions prises par leur père au profit de leur belle mère, Madame [W] [U], seconde épouse et conjoint survivant;
Ils cherchent ainsi vainement à se venger en usant de propos diffamatoires et volontairement blessants à l’endroit de Madame [U] alors qu’ils ne se sont pas préoccupés de leur père de son vivant et que celui-ci n’a fait que protéger son épouse au moyen de l’outil juridique classique de la donation entre époux’;
– Juger recevables la demande de Messieurs [P] et [V] [U] de voir condamner Madame [R] à leur verser la somme de 2000€ à titre de dommages intérêts pour propos diffamatoires;
En conséquence,
– Condamner Madame [W] [R] à leur payer une somme de 2000€ à titre de dommages intérêts pour propos diffamatoires;
– Condamner Madame [W] [R] à leur payer une somme de 15 000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile;
– Condamner Madame [W] [R] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Messieurs [P] et [V] [U] font valoir que :
‘ le testament du 22 avril 1974 les a institués légataires universels et ce testament n’a pas été révoqué en l’absence d’autre testament ou d’acte notarié répondant aux exigences de l’article 1035 du code civil (présence de deux notaires ou un notaire en présence de deux témoins). La donation au dernier vivant régularisée le 26 juillet 1994 n’a été formalisée que par un seul notaire et en l’absence de témoins. Si la convention de divorce a pu révoquer les dispositions en faveur de l’épouse, elle n’avait aucunement vocation à révoquer les dispositions prises en faveur des enfants, lesquels étaient étrangers au divorce.
‘ jusqu’à son décès, et même après la donation du 26 juillet 1994, le défunt a sciemment entendu maintenir les dispositions testamentaires prises en faveur de ses enfants. C’est pour cette raison que ni la convention de divorce ni l’acte de donation n’ont fait mention d’une révocation des dispositions testamentaires de 1974. Le défunt était avocat comme l’un de ses fils et il entretenait de bonnes relations avec ses deux enfants. Du fait de l’incompatibilité matérielle entre les dispositions testamentaires attribuant la totalité du patrimoine successoral aux deux enfants et la donation au profit de Madame [R] de la plus forte quotité disponible entre époux, la donation ne peut trouver application et le conjoint survivant ne peut avoir aucune vocation légale en pleine propriété. Ce n’est qu’en raison de leur qualité d’héritiers légaux que le défunt a désigné ses deux fils comme légataires universels pour le cas où leur mère serait décédée. La mention d’un décès simultané des parents doit être considérée comme sans objet. Il n’y a donc pas d’indivision successorale parce que Madame [R] est dépourvue de tout droit sur la succession.
‘ le fait pour un époux marié sous le régime séparatiste de revendiquer des droits de propriété sur un bien immobilier propre de son époux décédé est de nature à porter atteinte au droit de propriété de l’époux décédé et de ses héritiers en violation de l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de l’article 1 du protocole 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
‘ subsidiairement, il y a indivision successorale dès lors que la nue propriété des biens successoraux appartient pour partie à Madame [R] et pour partie aux appelants. Nul ne pouvant être contraint de rester dans l’indivision, ils sont fondés à solliciter l’ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de leur père. Le notaire suggéré par l’intimée ne peut être désigné pour procéder à ces opérations compte tenu de sa partialité manifeste.
‘ du fait de l’erreur commise par les premiers juges sur l’existence d’une indivision, ils n’ont pas bénéficié d’un procès équitable car leurs prétentions au fond n’ont pas été abordées.
‘ certains paragraphes des conclusions de Madame [R] sont diffamatoires, ce qui justifient leur retrait et la condamnation de l’intéressée à leur verser des dommages intérêts.
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Dans ses conclusions régularisées le 2 janvier 2020, Madame [W] [R] veuve [U] formule les prétentions suivantes :
– Débouter Messieurs [P] et [V] [U] de leurs demandes;
A titre principal,
– Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;
A titre subsidiaire sur l’ouverture des opérations,
Si par extraordinaire la cour d’appel infirme le jugement entrepris sur l’ouverture des opérations judiciaires de compte, liquidation et partage de la succession de feu [K] [U], désigner la SCP CASTIGLIONE, office notarial situé [Adresse 2], pour y procéder;
En tout état de cause,
– Juger irrecevable la demande de dommages intérêts formulée par Messieurs [P] et [V] [U] à son encontre pour propos diffamatoires, subsidiairement, les débouter;
– Condamner in solidum Messieurs [P] et [V] [U] à lui payer une somme de 10000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile;
– Condamner in solidum Messieurs [P] et [V] [U] aux dépens de première instance et d’appel avec distraction.
Madame [W] [R] veuve [U] fait valoir que :
‘ le legs universel prévu dans le testament du 22 avril 1974 a clairement été conditionné à la disparition simultanée du défunt et de sa première épouse, ce qui ne s’est jamais réalisé. Il en résulte que le legs est réputé n’avoir jamais été consenti au profit des deux enfants. Il ne peut y avoir interprétation d’une disposition parfaitement claire.
‘ la convention de divorce des époux [U]-[E] a prévu qu’ils renonçaient aux donations et avantages qu’ils s’étaient auparavant consentis, ce qui signifie que les dispositions du testament du 22 avril 1974 ont été expressément révoquées.
‘ les dispositions du testament ont en outre été tacitement révoquées par la donation du 26 juillet 1994 car les dispositions de cette donation sont incompatibles avec le premier acte en raison de la volonté évidente du défunt de gratifier son épouse.
‘ l’institution classique de donation au dernier vivant n’a nullement pour effet de porter atteinte au droit de propriété des appelants puisque la réserve héréditaire est respectée grâce aux droits en nue propriété.
‘ si la cour devait ordonner l’ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de [K] [U], elle est libre de choisir le notaire chargé du règlement de la succession en vertu de l’article 61 du règlement inter-cours des notaires qui a été régulièrement publié au journal officiel. La plainte déontologique qui a été déposée par les appelants contre la SCP CASTIGLIONE ne peut justifier d’écarter ce choix dès lors qu’elle n’a pas eu d’issue connue. Dans tous les cas l’indivision était limitée à la nue propriété, la demande de partage judiciaire doit être rejetée.
‘ les prétentions indemnitaires des appelants sont irrecevables comme nouvelles. Dans tous les cas les paragraphes en litige ont figuré dans les conclusions de première instance et n’ont aucun caractère diffamatoire ou injurieux. Il s’est seulement agi d’expliciter l’acharnement judiciaire qu’elle subit depuis le décès de son époux.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le mardi 7 janvier 2020.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR,
Sur les effets du testament olographe du 22 avril 1974 et du codicille du 19 mars 1975
Il est constant que, lors du décès de [K] [U], le testament olographe du 22 avril 1974 et son codicille n’avaient pas fait l’objet d’une révocation expresse, que ce soit dans un testament postérieur ou par un acte devant notaire portant déclaration du changement de volonté, selon les modalités prévues par l’article 971 du code civil.
La révocation peut, toutefois, être tacite et résulter notamment de l’incompatibilité des dispositions d’un testament postérieur ou d’une aliénation à titre onéreux ou gratuite de la chose léguée.
En l’occurrence, si le défunt ne s’est manifestement pas défait de son patrimoine à titre onéreux, il en a disposé, dans la limite de la quotité disponible permise entre époux en présence d’enfants, au travers de l’acte de donation entre vifs (au profit du conjoint survivant), qu’il a régularisé le 26 juillet 1994 en faveur de son épouse Madame [W] [R] (pièce 4 appelants), avec laquelle il s’était marié le [Date mariage 6] 1994 sous le régime de la séparation des biens.
Il résulte de cet acte de donation que le défunt, avocat, a pris en considération, tant sa nouvelle situation matrimoniale, que la dissolution ancienne par divorce (en 1980) de son premier mariage, sans oublier les deux enfants qui étaient issus de cette première union, dont l’existence est rappelée à deux reprises en page 2 de l’acte de donation, qui prévoit des stipulations particulières (pour les frais et droits à leur charge) pour le cas où ‘les héritiers réservataires ne recueillent que de la nue propriété…’.
Contrairement à ce qui est soutenu par Messieurs [P] et [V] [U], il n’est aucunement démontré que le défunt ait entendu maintenir les effets du testament qu’il avait rédigé le 22 avril 1974. Il apparaît, au contraire, que ce testament avait été rédigé en considération de la situation familiale de [K] [U] en 1974, puisque l’existence de son épouse de l’époque (Madame [F] [E]) y est évoquée à trois reprises, d’abord pour lui donner la quotité disponible entre époux, ensuite pour désigner les tuteurs des enfants pour le cas où son épouse disparaîtrait et enfin pour désigner ses deux enfants légataires universels à part égale pour le cas où lui-même et son épouse disparaîtraient simultanément.
Force est de constater que la situation matrimoniale clairement prise en compte par le testament a disparu et, qu’au surplus, la condition de disparition simultanée des parents gouvernant la qualité de légataires universels de Messieurs [P] et [V] [U] ne s’est pas réalisée, ce qui a justement conduit les premiers juges a retenir que le legs était réputé ne jamais avoir été consenti. C’est ce qui explique, d’ailleurs, que le défunt, avocat, n’ait pas estimé utile de faire état de son testament de 1974 dans l’acte de donation, puisque les dispositions du testament ne pouvaient pas s’appliquer, tant au regard des conditions posées, que de l’évolution de sa situation matrimoniale.
Ainsi qu’il a été relevé par les appelants, ils avaient effectivement, en qualité d’héritiers réservataires, vocation au patrimoine paternel, sous réserve, cependant, des droits du conjoint survivant, ce qui explique qu’ils aient été désignés, dans le testament, légataires à part égale, dans la seule hypothèse de disparition de ce conjoint survivant (simultanée à celle du défunt). Il n’est ainsi pas démontré que le défunt ait jamais entendu gratifier ses enfants en faisant abstraction des droits qu’il conférait à son épouse, quelle qu’elle soit.
Il n’est pas justifié que l’article 757 du code civil serait contraire au droit de propriété consacré par l’article 1 al 1 du protocole1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au motif qu’un époux marié sous le régime séparatiste pourrait revendiquer des droits de propriété sur un bien immobilier propre de son époux décédé. En effet, les droits de propriété dont Messieurs [P] et [V] [U] peuvent se prévaloir dans le cadre successoral ne préexistent pas au décès de leur père, ni aux droits conférés au conjoint survivant, peu important son régime matrimonial. Leurs droits successoraux sont liés à la dévolution successorale qui gouverne, en tant que telle, la transmission des droits de propriété du défunt.
Le jugement doit, en conséquence, être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande tendant à valider les effets du testament du 22 avril 1974 et de son codicille et à dire que Madame [R], conjoint survivant, n’avait aucun droit dans la succession.
Sur la demande subsidiaire de partage judiciaire
Il est exact que Messieurs [U] sont nu-propriétaires des trois quarts de la succession de leur père, en indivision avec Madame [R], elle-même nue propriétaire d’un quart.
Compte tenu de la qualité d’usufruitière pour le tout de Madame [R], la vente de tout ou partie des biens immobiliers dépendant de la succession (et donc de l’indivision en nue propriété) ne pourra être ordonnée en vertu de l’article 815 al2 du code civil, ce qui limite de façon substantielle les possibilités de sortir de l’indivision.
Les documents produits aux débats révèlent, cependant, qu’indépendamment de la nature de l’indivision (nue propriété), les parties se sont opposées sur la consistance même de la masse successorale, laquelle intègre, outre les biens immobiliers, un certain nombre d’éléments mobiliers comprenant notamment des avoirs bancaires répartis en plusieurs comptes et d’éventuelles libéralités à rapporter. C’est la volonté des héritiers réservataires d’appréhender la masse successorale le plus précisément possible, qui a justifié qu’il ait été fait droit à leur demande de communication de divers documents par Madame [R], par ordonnance de référé en date du 12 mai 2017 (pièce 8 appelants).
Cette situation complexe en raison de l’importance de l’actif successoral et des difficultés inhérentes à sa détermination exacte justifie que le partage judiciaire soit ordonné.
Par application de l’article 1364al2 du code de procédure civile ‘le notaire est choisi par les copartageants et, à défaut d’accord, par le tribunal’.
Il apparaît en l’espèce qu’il existe un désaccord manifeste entre les parties sur le notaire devant être choisi pour régler la succession, puisque Messieurs [U] s’opposent fermement à la désignation de la SCP CASTIGLIONE, notaire à PARIS, choisie par Madame [R]. Si celle-ci soutient qu’en vertu de l’article 61 du règlement inter-cours des notaires (pièce 13 intimée), elle est libre, en qualité de conjoint survivant, de procéder au choix du notaire chargé de régler la succession, cette faculté n’a lieu d’être prise en compte qu’en dehors du cadre judiciaire.
Le contexte très litigieux du règlement de la succession de [K] [U] conduisant à la mise en oeuvre d’un partage judiciaire justifie que le Président de la Chambre des Notaires de PARIS soit désigné avec faculté de délégation pour procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage de la succession. Un juge sera, d’autre part, commis pour assurer le suivi des opérations de partage.
Contrairement à ce qui est soutenu par Messieurs [U], le rejet par les premiers juges de la demande de partage judiciaire et désignation d’un notaire n’aboutit pas à mettre en cause leur droit à un procès équitable puisque la voie de l’appel a justement permis de re-considérer l’ensemble des décisions adoptées en première instance, ce qui est précisément l’objet d’une voie de recours ordinaire.
Sur les prétentions indemnitaires de Messieurs [U]
Messieurs [P] et [V] [U] demandent que les paragraphes suivants des conclusions de Madame [R] (paragraphes rédigés en gras), soient écartés des débats comme injurieux ou excédant les limites d’une défense légitime :
‘ à titre préalable, il sera indiqué que les enfants de Monsieur [U], [P] et [V], appelants, nés de sa première union d’avec Madame [E], dont il a divorcé en 1980, tentent de faire échec aux dispositions prises par leur père au profit de leur belle-mère, Madame [W] [U], seconde épouse et conjoint survivant.
Ils cherchent ainsi vainement à se ‘venger’, en usant de propos diffamatoires et volontairement blessants à l’endroit de Madame [U] alors qu’ils ne se sont pas préoccupés de leur père de son vivant et que celui-ci n’a fait que protéger son épouse au moyen de l’outil juridique classique de la donation entre époux’.
Ces prétentions ne peuvent être déclarées irrecevables comme nouvelles, dès lors qu’elles ne constituent que l’accessoire ou le complément des prétentions afférentes au fond du litige opposant les parties.
Le premier paragraphe ne saurait être expurgé des conclusions, dès lors qu’il ne fait que retranscrire la réalité juridique consistant à remettre en cause la donation consentie en 1994 par [K] [U] à son épouse, pour le cas où elle lui survivrait.
Le second paragraphe revêt un caractère plus subjectif en raison, d’une part, de l’appréhension personnelle par Madame [R] de la situation qui lui est faite par les appelants à la suite du décès de leur père et, d’autre part, de son appréciation des relations ayant existé entre [K] [U] et ses deux enfants.
Madame [R] peut, toutefois, légitimement, se prétendre blessée par la remise en cause des droits qui lui ont été consentis par son époux en 1994. En prétendant que les appelants ne se seraient pas préoccupés de leur père de son vivant, elle ne fait qu’imputer une impression générale qui lui est personnelle mais aucun fait précis aux appelants, qui caractériserait un manquement effectif ou même un manque d’affection.
Dans le contexte des relations opposant les parties, ces propos figurant dans les conclusions ne sont, ni injurieux, ni ne dépassent les limites d’une défense légitime.
Les appelants doivent donc être déboutés de leurs prétentions tendant à écarter ces paragraphes des conclusions régularisées par l’intimée (conclusions page 9).
Pour les mêmes raisons ils doivent être déboutés de leurs prétentions indemnitaires.
Sur les prétentions accessoires
Messieurs [U] succombant dans leurs prétentions en principal, il est équitable de les condamner à payer à Madame [W] [R] une somme de 5000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté Messieurs [P] et [V] [U] de leur demande de partage judiciaire et de désignation d’un notaire;
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
ORDONNE le partage judiciaire de la succession de [K] [U],
DESIGNE en conséquence le Président de la chambre des notaires de PARIS, avec faculté de délégation, pour procéder aux opérations de comptes liquidation et partage de la succession de [K] [U] décédé le [Date décès 5] 2016 ;
COMMET tout juge de la deuxième chambre civile du tribunal judiciaire de PARIS pour surveiller ces opérations ;
DEBOUTE Messieurs [P] et [V] [U] de leurs prétentions tendant à expurger deux paragraphes (page 9) des conclusions de Madame [R] et des demandes indemnitaires afférentes ;
CONDAMNE Messieurs [P] et [V] [U] à payer à Madame [W] [R] une somme de 5000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Messieurs [P] et [V] [U] aux dépens avec distraction au profit de la SELARL TSV AVOCATS conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,