Diffamation : décision du 25 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/02582

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Diffamation : décision du 25 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/02582

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 25 JANVIER 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02582 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBYSV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Janvier 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 17/07679

APPELANTE

SARL L’ATELIER Agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie-catherine VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

INTIME

Monsieur [R] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Laurent MORET, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 427

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS Présidente de la chambre

Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

M. [R] [T] a été engagé par la société à responsabilité limitée (SARL) L’Atelier, suivant contrat à durée indéterminée en date du 17 juillet 2008, en qualité de boulanger.

La SARL L’Atelier a pour activité la boulangerie-pâtisserie industrielle et ses produits sont vendus sous le nom commercial “Moisan”.

Par avenant du 1er décembre 2013, le salarié a été promu Responsable des Boulangers au statut cadre CA1 de la convention nationale de la boulangerie et de la pâtisserie industrielle et soumis à un forfait en jours de 218 jours annuels.

Dans le dernier état des relations contractuelles, le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 4 569,65 euros sur 13 mois.

Le 9 mars 2017, les services de l’hygiène de la Direction Départementale de la Protection des Populations ont effectué une visite de contrôle qui a donné lieu à un rapport, en date du 14 mars 2017, faisant pré-injonction de mise en conformité concernant les règles d’hygiène de l’établissement.

Le 11 mai 2017, le salarié s’est vu notifier un licenciement pour faute grave, libellé dans les termes suivants :

“Lors du dernier contrôle en date du 9 mars 2017 de l’établissement par la Direction

Départementale de la Protection des Populations – les services d’hygiène – ayant eu lieu en présence de Monsieur [K], responsable de site, et de Mme [P], responsable ADV, il a été constaté un nombre important de manquements et infractions aux règles précitées,

notamment :

‘ Des réserves ont été émises sur l’état de propreté du fournil

‘ Les chambres froides et chambres de pousse ne sont pas correctement nettoyées et dégivrées

‘ Les locaux et certains équipements ne sont pas correctement nettoyés et mal entretenus

(plafonds, sols, VMC, vestiaires et salle de repos, échelles) et présentent des taches noires

et des moisissures par endroit

Vous étiez le premier concerné et le premier responsable de ces manquements en qualité de responsable boulanger en poste au moment du contrôle.

L’entreprise a pour l’instant fait l’objet d’un rapport de contrôle en date du 14 mars 2017 (Pré-injonction) et des sanctions pouvant aller jusqu’à une fermeture administrative sont envisagées si rien n’est fait, ce qui serait dramatique pour la société.

Le préjudice d’image est également loin d’être négligeable vis-à-vis de l’administration et à l’égard des consommateurs.

Nous vous reprochons d’avoir failli au respect des règles essentielles d’hygiène et de sécurité alimentaire, ce qui n’est pas acceptable.

Lors de l’entretien préalable, vous n’avez donné aucune explication à ces manquements et vous vous êtes une nouvelle fois contenté de vous décharger de votre responsabilité sur le personnel en place.

Vous êtes cependant bien responsable de l’état déplorable dans lequel se trouvait L’Atelier au moment du contrôle.

Nous regrettons que vous ne vous remettiez jamais en cause et un manque de sensibilisation des équipes en place sur l’importance du respect des règles d’hygiène élémentaires.

Nous ne pouvons par ailleurs accepter la manière dont vous avez réagi à la suite de votre

convocation et les propos grossiers et peu courtois tenus dans votre e-mail du 24 avril 2017 à l’égard de la Direction et de certains de vos collègues de travail, notamment [F] [N] et [L] [Z], que vous mettez une nouvelle fois en cause de manière injustifiée et infondée.

Votre manque d’implication dans votre travail est manifeste depuis maintenant plusieurs

semaines ; vos horaires de travail sont très irréguliers et les règles d’hygiène seraient sûrement mieux respectées si vous étiez au moins présent 35 heures par semaine, ce que vous ne faites même pas.

En conséquence, les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien n’ayant pas permis de modifier notre appréciation des faits, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave, votre maintien dans l’entreprise s’avérant impossible même pendant la durée du préavis”.

Le 21 septembre 2017, M. [R] [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour contester son licenciement et solliciter des dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de formation, non-respect de l’obligation de sécurité, défaut de visite médicale et exécution déloyale du contrat de travail.

Le 17 janvier 2020, le conseil de prud’hommes de Paris, dans sa section Encadrement, a statué comme suit :

– fixe à 4 569,65 euros le salaire de M. [R] [T]

– requalifie le licenciement de M. [R] [T] en licenciement sans cause réelle et sérieuse

– condamne la SARL L’Atelier à verser à M. [R] [T] les sommes suivantes :

* 41 127 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 4 500 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et d’adaptation

* 4 500 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité

* 500 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de visite médicale à la médecine du travail

Avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement

* 8 971,75 euros à titre d’indemnité de licenciement

* 13 708,95 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

* 1 370,89 euros à titre d’indemnité de congés sur préavis

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation du 8 décembre 2017

Rappelle qu’en vertu de l’article R. 1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire. Fixe cette moyenne à la somme de 4 569,65 euros bruts

* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– ordonne le remboursement par la société L’Atelier des indemnités de chômage perçues par

M. [R] [T] dans la limite de six mois

– déboute M. [R] [T] du surplus de ses demandes

– déboute la société L’Atelier de ses demandes reconventionnelles et la condamne aux dépens.

Par déclaration du 17 mars 2020, la SARL L’Atelier a relevé appel du jugement de première instance dont elle a reçu notification le 12 mars 2020.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 23 décembre 2020, aux termes desquelles la SARL L’Atelier demande à la cour d’appel de :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [T] et a condamné la société L’Atelier à lui verser :

“* 41 127 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 4 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et d’adaptation

* 4 500 euros à titre de dommages et intérêt pour non-respect de l’obligation de sécurité

* 500 euros de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale à la médecine du travail

* 8 971,75 euros à titre d’indemnité de licenciement

* 13 708,95 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

* 1 370,89 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis

* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens”

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a ordonné le remboursement par la société L’Atelier des indemnités de chômage perçues par M. [T] dans la limite de 6 mois

En conséquence et statuant à nouveau :

– débouter M. [T] de l’ensemble de ses demandes

En tout état cause :

– condamner M. [T] à verser à la société L’Atelier la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés par Me Marie-Catherine Vignes.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 6 septembre 2022, aux termes desquelles M. [R] [T] demande à la cour d’appel de :

– confirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Paris, section encadrement, du 17.01.2020, en ce qu’il a :

“* fixé le salaire de M. [T] à 4 569,65 euros

* requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

* condamné la société a’ verser a’ Monsieur [T] les sommes suivantes :

‘ dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) : 41 127 euros

‘ indemnité de licenciement : 8 971,75 euros

‘ indemnité compensatrice de préavis : 13 708,95 euros bruts (3 mois)

‘ indemnité de congés payés sur préavis : 1 370,89 euros bruts

‘ 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et les dépens

* prononcé la nullité de la convention de forfait jour

* ordonné le remboursement par la société L’Atelier des indemnités de chômage perçues par M. [T] dans la limite de 6 mois,

* débouté la Société L’Atelier de ses demandes reconventionnelles et l’a condamné aux dépens”

– infirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Paris, section encadrement du 17.01.2020, ou réévaluer le montant des condamnations, en ce qu’il a :

‘* condamné la société à verser au salarié les sommes suivantes :

‘ dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et d’adaptation : 4 500 euros

‘ dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité : 4 500 euros

‘ dommages et intérêts pour défaut de visite médicale a’ la médecine du travail: 500 euros

* débouté le salarié au titre de ses demandes liées à la nullité de la convention de forfait jour soit des demandes de:

‘ dommages et intérêts pour nullité’ de la convention de forfait jours et pour non-respect des obligations liées a’ la convention de forfait jours : 13 708,95 euros ( 3 mois)

‘ dommages et intérêts pour travail dissimulé sur le fondement des dispositions des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail: (6 mois) 27 417,90 euros

* débouté le salarié de sa demande d’exécution déloyale du contrat de travail

* débouté le salarié de sa demande de la remise de l’ensemble des documents relatifs a’ la décision a’ intervenir dont les documents de fin contrat (solde de tout compte, bulletin de paie, attestation pôle emploi) a’ compter de la décision a’ intervenir sous astreinte de 50 euros par jours de retard et par document, a’ partir de la décision a’ intervenir

* débouté de salarié de sa demande de voir prononcer les intérêts aux taux légaux a’ compter de la saisine du conseil des prud’hommes, et les anatocismes’

Statuant de nouveau, il est demandé à votre Cour de statuer en ce sens :

– fixer le salaire de M. [T] à 4 569,65 euros bruts

– requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

– condamner la société à verser à Monsieur [T] les sommes suivantes :

* indemnité de licenciement : 8 971,75 euros

* indemnité compensatrice de Préavis : 13 708,95 euros bruts (3 mois)

* indemnité de congés payés sur préavis : 1 370,89 euros bruts

* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (article L. 1235-3 du code du travail applicable a’ l’époque des faits) : 41 127 euros

* dommages et intérêts pour non respect de l’obligation de formation et d’adaptation : (2 mois) : 9 139,30 euros

* dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et préjudice moral, psychologique et d’anxiété : 13 708,95 euros ( 3 mois)

* dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail (article L. 1222-1 code du travail) : (3 mois) 13 708,95 euros

* dommages et intérêts pour défaut de visite médicale à la médecine du travail : (1 mois) 4 569,65 euros

– prononcer la nullité de la convention de forfait-jour et par conséquent condamner la société à verser au salarié des:

* dommages et intérêts pour nullité de la convention de forfait jours et pour non respect des obligations liées à la convention de forfait jours : 13 708,95 euros ( 3 mois)

* dommages et intérêts pour travail dissimulé sur le fondement des dispositions des articles

L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail: (6 mois) 27 417,90 euros

– ordonner la remise de l’ensemble des documents relatifs a’ la décision a’ intervenir dont les documents de fin contrat (solde de tout compte, bulletin de paie, attestation pôle emploi) à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jours de retard et par document, à partir de la décision à intervenir

– condamner la société a’ verser au salarié au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 3 500 euros et les dépens

– ordonner l’exécution de la décision a’ intervenir sur l’ensemble des chefs de demandes précités et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard

– prononcer les intérêts aux taux légaux à compter de la saisine du conseil des prud’hommes

– prononcer les anatocismes.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 19 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ Sur le défaut de visite médicale

Le salarié prétend qu’il n’a pas bénéficié de visite médicale périodique ce qui n’a pas permis au médecin du travail d’évaluer si sa charge de travail était supportable à compter de son passage à un forfait en jours. En conséquence, il sollicite une somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts.

Mais, la cour retient que M. [R] [T] ne justifie pas de l’existence d’un préjudice occasionné par ce défaut de visite médicale périodique et, notamment, de ses éventuelles conséquences sur son état de santé, dont il ne ressort pas qu’il aurait été dégradé durant la relation contractuelle. Par ailleurs, et contrairement à ce qu’avance l’intimé, il n’est pas de la compétence du médecin de travail d’évaluer si sa charge du travail était supportable mais à l’employeur de procéder à cet examen dans le cadre des contrôles qu’il lui appartient de mettre en place pour le suivi des salariés soumis à une convention de forfait en jours. M. [R] [T] sera donc débouté de sa demande indemnitaire de ce chef et le jugement déféré infirmé.

2/ Sur le non-respect de l’obligation de formation et d’adaptation

M. [R] [T] fait grief à la société appelante de ne pas l’avoir fait bénéficier d’une formation lorsqu’il a été promu Responsable des boulangers et donc chef d’équipe, au statut de cadre. Il ajoute que la SARL L’Atelier ne justifie pas davantage lui avoir proposé un plan de formation en matière d’hygiène et de sécurité alors même qu’elle a été amenée à le licencier, par la suite, pour des manquements relatifs à ces questions.

M. [R] [T] revendique, donc, une somme de 4 500 euros en réparation du préjudice subi de ce chef.

L’employeur répond que M. [R] [T] a suivi une formation sur les bonnes pratiques en matière d’hygiène dans les ateliers de production de boulangerie et de viennoiserie (pièce 2) et que la taille de l’entreprise ne lui permet pas de disposer d’un service des Ressources Humaines chargé du suivi des formations. Elle relève, également, que le salarié ne justifie pas de l’existence d’un préjudice.

Cependant, la cour observe que la justification d’une seule formation, qui a duré 7 heures en avril 2013, en 9 ans de service auprès de la SARL L’Atelier est insuffisante à établir que l’employeur s’est acquitté de ses obligations légales en la matière et ce d’autant, qu’il n’est pas établi que la promotion du salarié au statut de chef d’équipe a été accompagnée d’une sensibilisation au management et aux responsabilités administratives et disciplinaires qu’entraînaient ce changement de fonction. Il s’en déduit que c’est à bon droit que les premiers juges ont alloué des dommages-intérêts au salarié, qui seront ramenés à une somme de 2 000 euros.

3/ Sur la nullité de la convention de forfait en jours

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail, des repos journaliers et hebdomadaires dont le suivi effectif et régulier par l’employeur permet de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

Le salarié intimé rappelle que la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie industrielle prévoit que ne sont éligibles à la mise en oeuvre d’une convention de forfait en jours que les cadres ayant une classification minimum de CA2. Or, il lui a été appliqué une convention de forfait en jours alors qu’il n’était classé qu’au grade de CA1. En outre, il souligne, qu’il avait un emploi du temps fixe et qu’il ne bénéficiait d’aucune autonomie dans la gestion de ses jours de travail ou de la liberté d’organiser ses horaires, ainsi qu’en attestent les plannings qu’il verse aux débats (pièce 21). L’employeur n’a pas d’avantage satisfait à l’obligation qui lui était faite d’organiser un entretien annuel destiné à vérifier l’adéquation de la charge de travail du salarié avec sa vie personnelle et familiale. En conséquence, M. [R] [T] demande à ce que la convention de forfait en jours soit dite nulle et à ce qu’il lui soit alloué une somme de 13 708,95 euros pour non-respect des obligations liées à cette convention de forfait.

L’employeur répond que le statut de cadre de M. [R] [T] et l’impossibilité pour l’employeur de contrôler ses horaires de travail lui permettait de recourir au forfait en jours, ce à quoi le salarié a consenti en signant son contrat de travail.

Néanmoins, dès lors qu’il est établi que la SARL L’Atelier a soumis à une convention de forfait un cadre qui ne disposait pas d’une classification suffisante pour prétendre à ce dispositif, en application des dispositions de l’article 55 de la convention collective applicable et qui ne présentait pas, au demeurant, une autonomie dans l’organisation de son travail qui aurait légitimé le recours à ce régime, la convention de forfait en jours sera dite nulle (ce que les premiers juges ont admis sans le mentionner dans le dispositif de leur décision). Le jugement entrepris sera, également, confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts au motif adopté que “le préjudice lié à cette nullité ne peut que résulter d’un dépassement du temps de travail applicable à M. [R] [T], dépassement qui ne ressort pas des pièces versées aux débats par le demandeur”.

4/ Sur le travail dissimulé

L’intimé fait valoir que la SARL L’Atelier l’a fait travailler en usant abusivement d’une convention de forfait en jours ce qui lui a permis de s’exonérer du paiement des heures supplémentaires, de la majoration du travail de nuit ainsi que pour les jours fériés et les dimanches, il revendique, donc, une somme de 27 417,90 euros (équivalente à 6 mois de salaire) pour travail dissimulé.

Mais, à défaut pour le salarié de produire des éléments permettant de considérer qu’il a accompli des heures supplémentaires et que l’employeur l’a, intentionnellement, privé des majorations auxquelles il pouvait prétendre pour les heures de nuit, les jours fériés et les dimanches travaillés, c’est à bon escient que les premiers juges l’ont débouté de sa demande de ce chef.

5/ Sur le manquement à l’obligation de sécurité

En vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L’article L. 4121-2 précise les principes généraux de prévention.

M. [R] [T] explique qu’alors qu’il subissait, fréquemment, des insultes de la part d’autres salariés, la Direction s’est abstenue d’intervenir alors qu’elle était parfaitement informée de cette situation (pièce 15). Le salarié intimé se plaint, également, d’avoir été soumis à une charge de travail excessive, dans des locaux sales. Il observe, également, qu’il n’a pas bénéficié d’une formation à la sécurité et que l’employeur est dans l’incapacité de produire le Document Unique d’Evaluation et de Prévention des Risques de la société.

La société appelante prétend que les allégations du salarié intimé ne sont pas étayées et qu’il ne se serait jamais plaint auprès d’elle d’une quelconque pénibilité du travail.

Cependant, la cour rappelle que c’est à l’employeur de justifier qu’il a pris les mesures adaptées lorsqu’un salarié se plaint de manière suffisamment précise de manquement à l’obligation de sécurité. En l’espèce, M. [R] [T] justifie au moyen des pièces versées aux débats que l’employeur avait connaissance du climat délétère qui régnait sur le lieu de travail. Il a été relevé par les premiers juges qu’il ressort de la visite de contrôle des services d’hygiène qu’il existait des moisissures aux murs et aux plafonds, que les aérations étaient obstruées et poussiéreuses et qu’aucun savon n’était mis à la disposition des salariés dans l’atelier de production et dans les vestiaires.

En l’état de ces observations, il est établi que l’employeur a failli à son obligation de sécurité et le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la SARL L’Atelier à verser au salarié une somme de 4 500 euros en réparation du préjudice subi.

6/ Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

M. [R] [T] constate que l’ensemble de la relation de travail a été empreinte de légéreté et d’une attitude blâmable de l’employeur dont il demande réparation à hauteur de 13 708,95 euros.

Toutefois, à défaut pour le salarié de justifier d’un préjudice distinct de ceux dont il a demandé la réparation pour chacun des griefs qu’il impute à l’employeur, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de sa demande de ce chef.

7/ Sur le licenciement pour faute grave

L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. Il incombe à l’employeur d’alléguer des faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il appartient à l’employeur d’en apporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché au salarié de ne pas avoir veillé au respect des règles d’hygiène dans les locaux dans lesquels il exerçait son activité de Responsable des boulangers, ce qui a abouti à une pré-injonction de mettre les lieux en conformité après une visite des services de l’hygiène de la Direction Départementale de la Protection des Populations. Il est, également, fait grief au salarié d’avoir réagi de manière très agressive dans un courriel adressé aux dirigeants de la société à la suite de sa convocation à l’entretien préalable au licenciement (pièce 3) et de ne pas avoir respecté ses horaires de travail durant la relation contractuelle ainsi qu’en témoigne les relevés informatiques de son temps de travail qui font état de moins de 35 heures par semaine, et parfois même seulement de 27 heures, en février et mars 2017 (pièce 5).

Le salarié réplique qu’il a été amené à travailler une journée après l’envoi de la lettre de licenciement ce qui suffit à priver celui-ci de cause réelle et sérieuse et il conteste l’intégralité des fautes qui lui sont reprochées. Tout d’abord, M. [R] [T] rappelle qu’en sa qualité de Responsable des boulangers, il n’était pas chargé de veiller à l’entretien des locaux, qu’il existait un Responsable de site (en présence duquel a été réalisé le contrôle d’hygiène) au sein de la société et que l’effectif de la société affecté au nettoyage des locaux avait été réduit de deux à une personne ce qui ne permettait pas d’assurer de manière satisfaisante l’entretien du site, ainsi que l’ont relevé les délégués du personnel, qui ont souligné, en outre que M. [R] [T] avait signalé à la Direction les nombreuses défaillances affectant le matériel destiné à l’entretien des locaux et aux préparations (pièce 12). Il est encore relevé que les principales constatations des services de l’hygiène de la Direction Départementale de la Protection des Populations ont porté sur un état de vétusté des locaux et des dégradations qui ne pouvaient être imputés au salarié.

S’agissant du grief relatif à l’attitude adoptée par le salarié après la réception de la convocation à entretien préalable, l’appelant rapporte que ce motif n’a pas été évoqué lors de l’entretien préalable, ainsi qu’en fait foi le compte rendu rédigé par le délégué du personnel et qu’il ne peut, dès lors, être retenu. Au demeurant, M. [R] [T] souligne que si dans le courriel litigieux il a fait état de son mécontentement, à la suite de la convocation à un entretien préalable à un licenciement qu’il estimait injustifié, ses propos ne présentaient pas un caractère injurieux et/ou excessif.

Concernant le grief relatif à son manque d’implication et à l’absence de respect de ses horaires de travail, le salarié objecte que l’employeur lui ayant appliqué une convention de forfait en jours, il ne peut valablement lui être reproché de ne pas avoir accompli 35 heures par semaine ou d’avoir manqué d’implication dans son travail, ce qui ne ressort ni d’observations qui auraient pu lui être adressées, ni de l’analyse des plannings de travail versés aux débats.

La cour retient que le dernier grief relatif au non-respect par le salarié de son temps de travail doit être écarté puisque l’employeur ne peut à la fois se prévaloir de l’existence d’une convention de forfait en jours signée par le salarié et le sanctionner pour une inobservance des 35 heures hebdomadaire, dont il ne justifie pas.

Par ailleurs, il n’est pas démontré par la société appelante que M. [R] [T] s’était vu consentir une délégation en terme d’hygiène et de sécurité ou que cela ressortait de ses missions, telles que prévues à son contrat de travail. D’ailleurs, il suffit de constater que la visite des services de l’hygiène de la Direction Départementale de la Protection des Populations ne s’est pas faite en sa présence, alors qu’il se trouvait dans les locaux de la société, mais avec l’assistance du Responsable de site pour comprendre que c’était à ce salarié qu’il appartenait de veiller à l’hygiène et à la sécurité des locaux. Il apparaît, d’ailleurs, que lorsque ce salarié a, lui-même, été licencié pour faute le 30 novembre 2017, l’employeur a indiqué dans sa lettre de licenciement qu’il lui revenait “dans le cadre de fonctions de maintenir les normes d’hygiènes et de suivre et contrôler les procédures” (pièce 6 employeur) ce qui, non seulement, correspond à l’intitulé de son poste mais, également, à ses missions qui consistaient à coordonner les six équipes présentes sur le site alors que M. [R] [T] ne dirigeait qu’une seule équipe. En conséquence, il ne peut être reproché au salarié d’avoir manqué au respect des règles d’hygiène sur le site.

La cour rappelle que l’absence de mention lors de l’entretien préalable d’un des griefs visé dans la lettre de licenciement constitue une irrégularité de forme qui n’empêche pas de le prendre en compte. Mais, force est de constater que les propos du salarié, certes exprimés dans un langage familier, qui était admis dans ses échanges antérieurs avec la Direction, ne présentent pas un caractère diffamatoire, injurieux ou excessif eu égard au contexte de licenciement injustifié dont il estimait être victime.

Il s’évince de ces éléments qu’aucun comportement fautif du salarié n’est caractérisé et que c’est à juste titre que les premiers juges ont dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

M. [R] [T] qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 46 ans, de son ancienneté de plus de 8 ans dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, il convient de lui allouer, en réparation de son entier préjudice la somme de 41 127 euros, conformément à sa demande. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef, ainsi qu’en ce qu’il a alloué au salarié les sommes suivantes :

– 8 971,75 euros à titre d’indemnité de licenciement

– 13 708,95 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 1 370,89 euros à titre d’indemnité de congés sur préavis.

Il sera ordonné à la SARL L’Atelier de délivrer à M. [R] [T], dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, les documents de fin de contrat (solde de tout compte, bulletin de paie, attestation Pôle emploi) conformes à la présente décision, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte.

8/ Sur les autres demandes

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a dit que les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la date à laquelle l’employeur a réceptionné sa convocation à l’audience du bureau de conciliation et d’orientation et dit que les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du jugement rendu le 17 janvier 2020.

Il sera ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

Il sera, également, confirmé en ce qu’il a ordonné le remboursement par la société L’Atelier des indemnités de chômage perçues par M. [R] [T] dans la limite de six mois.

L’arrêt étant rendu en dernier ressort, la demande d’exécution provisoire est sans objet.

La SARL L’Atelier supportera les dépens d’appel et sera condamnée à payer à M. [R] [T] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a condamné la SARL L’Atelier à payer à

M. [R] [T] les sommes suivantes :

– 4 500 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité

– 500 euros à titre de dommages-intérêts pour l’absence de visite médicale à la médecine du travail,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Prononce la nullité de la convention de forfait en jours appliquée à M. [R] [T],

Condamne la SARL L’Atelier à payer à M. [R] [T] les sommes suivantes :

– 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité

– 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,

Déboute M. [R] [T] de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de visite médicale et du surplus de ses demandes,

Ordonne la capitalisation des intérêts pourvu qu’ils soient dus pour une année entière,

Ordonne à la SARL L’Atelier de délivrer à M. [R] [T], dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, les documents de fin de contrat (solde de tout compte, bulletin de paie, attestation Pôle emploi) conformes à la présente décision,

Déboute la SARL L’Atelier du surplus de ses demandes,

Condamne la SARL L’Atelier aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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