Diffamation : décision du 25 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/02002

·

·

Diffamation : décision du 25 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/02002

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

————————–

ARRÊT DU : 25 JANVIER 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 22/02002 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MVJH

S.A. ORANGE

c/

Madame [P] [D]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 octobre 2021 (R.G. n°F 20/00083) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BERGERAC, Section Commerce, suivant déclaration d’appel du 18 octobre 2021,

APPELANTE :

SA Orange, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social, [Adresse 1]

assistée de Me Audrey FRECHET de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de BORDEAUX, et représentée par Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

Madame [P] [D]

née le 20 Mars 1967 à [Localité 2] (LIBAN) de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Elise VALADE, avocat au barreau de BERGERAC

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 décembre 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d’instruire l’affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [D] [P], née en 1967, a été engagée en qualité de chargée de clientèle au sein de l’agence de [Localité 4] par la SA Orange, par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à compter du 1er novembre 2003.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des télécommunications.

En avril 2016, le comité d’entreprise a été consulté sur un projet de changement des horaires d’ouverture de la boutique de Sarlat générant une modification des horaires de travail des salariés.

Lors de la visite médicale du 3 mai 2016, le médecin du travail a préconisé que Mme [D] conserve ses anciens horaires de travail pendant une durée de six mois.

Puis, en octobre 2016, le médecin du travail a préconisé le maintien des anciens horaires de travail pour Mme [D], sans limitation de durée.

La salariée a adressé divers courriers à la société, l’un le 13 octobre 2016 se plaignant d’une situation de harcèlement, l’autre le 28 décembre 2016 concernant la prise de ses congés.

Le 11 janvier 2017, Mme [D] a été placée en arrêt de travail pour maladie, prolongé jusqu’à la fin de la relation contractuelle.

Le 3 mai 2017, Mme [D] a écrit à Mme [N], membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et lui a transmis les courriers précédemment visés.

Un entretien a eu lieu le 30 mai 2017 entre Mme [D] et des membres du CHSCT.

Suite à la visite médicale de reprise du 4 novembre 2019, Mme [D] a été déclarée inapte en ces termes : “inaptitude en une seule visite avec dispense de reclassement car tout maintien de la salariée à un poste dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé”.

Par lettre datée du 21 novembre 2019, Mme [D] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 2 décembre 2019 auquel elle ne s’est pas présentée.

Mme [D] a ensuite été licenciée pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement par lettre datée du 20 décembre 2019.

A la date du licenciement, Mme [D] avait une ancienneté de 13 ans et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Par courrier du 10 juin 2020, Mme [D] a réclamé à la société le paiement de diverses sommes en raison notamment de la nullité de son licenciement consécutive à une situation de harcèlement moral ainsi que des indemnités en lien avec le caractère professionnel de sa maladie.

Le 14 décembre 2020, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Bergerac qui, par jugement rendu le 4 octobre 2021, a :

– prononcé la nullité du licenciement,

– condamné la société Orange à lui verser les sommes suivantes :

* 531,12 euros bruts au titre de complément d’indemnité de licenciement au titre des articles L. 1234-9 et R. 1234-1 et suivants du code du travail,

* 6.276,28 euros bruts au titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 627,62 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

* 10.983,49 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés suivant les articles L. 3141-24 à L. 3141-28 du code du travail,

* 80.000 euros bruts au titre de l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3-1 et subsidiairement L. 1235-3 du code du travail,

– ordonné la remise des bulletins de salaires rectifiés et des documents de rupture sous astreinte de 30 euros par jours de retard à compter d’un délai de 15 jours suivant la notification du jugement,

– condamné la société Orange au versement de la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté la société Orange de l’intégralité de ses demandes,

– dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire du jugement en application de l’article 515 du code de procédure civile,

– condamné la société Orange aux dépens de l’instance y compris les éventuels frais d’exécution.

Par déclaration du 18 octobre 2021, la société Orange a relevé appel de cette décision.

Par conclusions du 15 décembre 2021, Mme [D] a saisi le conseiller de la mise en état d’une demande de radiation de l’affaire au visa de l’article 524 du code de procédure civile, pour défaut d’exécution du jugement de première instance assorti de l’exécution

provisoire.

Par ordonnance rendue le 26 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné la radiation de la procédure et condamné la société Orange aux dépens ainsi qu’à payer à Mme [D] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 22 avril 2022, la société Orange a fait une demande de réinscription au rôle, justifiant du paiement des condamnations exécutoires prononcées à son encontre en première instance.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 1er juillet 2022, la société Orange demande à la cour de réformer dans son intégralité le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bergerac le 4 octobre 2021 et, statuant à nouveau, de :

* dire que Mme [D] n’a subi aucune situation de harcèlement moral,

* rejeter par conséquent sa demande en dommages et intérêts pour licenciement nul,

* constater le caractère injustifié en droit de la demande de Mme [D] en indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et rejeter en conséquence ses demandes indemnitaires à ce titre,

* dire que l’inaptitude de Mme [D] n’est pas d’origine professionnelle,

* rejeter en conséquence sa demande en indemnité de préavis et doublement de l’indemnité de licenciement,

* constater que Mme [D] a perçu l’indemnité compensatrice de congés payés à laquelle elle avait droit dans le cadre de son solde de tout compte,

Y ajoutant ,

– condamner Mme [D] à la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 août 2022, Mme [D] demande à la cour de dire la société Orange recevable mais mal fondée en son appel, de débouter la société Orange de l’intégralité de ses demandes, de dire qu’elle est recevable et bien fondée en ses demandes et, y faisant droit, de :

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bergerac en date du 4octobre 2021 en ce qu’il a :

* prononcé la nullité de son licenciement,

* condamné la société Orange à lui verser les sommes suivantes :

– 531,12 euros bruts au titre de complément d’indemnité de licenciement,

– 6.276,28 euros bruts au titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 627,62 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

– 10.983,49 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

– 80.000 euros au titre de l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3-1 et L. 1235-3 du code du travail,

* ordonné la remise des bulletins de salaires rectifiés et des documents de rupture sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter d’un délai de 15 jours suivant la notification du jugement,

* condamné la société Orange au versement de la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* débouté la société Orange de l’intégralité de ses demandes,

* dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire du jugement en application de l’article 515 du code de procédure civile,

* condamné la société Orange aux dépens de l’instance y compris les frais éventuels d’exécution,

– dire que les sommes ayant le caractère de créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes (indemnités de préavis, congés payés sur préavis, solde des congés payés, indemnité légale de licenciement) et que les autres sommes porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, le taux d’intérêt légal applicable étant celui entre un particulier et un professionnel,

– dire que les intérêts seront capitalisés annuellement,

– ordonner la remise sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter d’un délai de 15 jours suivant la notification de l’arrêt des bulletins de salaire rectifiés et des documents de rupture (attestation destinée à Pôle Emploi, certificat de travail et reçu pour solde de tout compte),

– condamner la société Orange à lui verser la somme 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Orange aux dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 novembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 5 décembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Pour voir infirmer la décision déférée, la société considère que Mme [D] invoque à tort la nullité de son licenciement pour inaptitude ensuite d’agissements de harcèlement moral dont elle aurait été victime.

De son côté, Mme [D] soutient à titre principal que son inaptitude trouve son origine dans le harcèlement moral dont elle a été victime de sorte que son licenciement est nul et, à titre subsidiaire, qu’il est dépourvu de réelle et sérieuse.

Sur le harcèlement moral

Selon les dispositions de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En outre, l’article L. 1152-2 du code du travail dispose qu’aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En vertu de l’article L.1152-2 du code du travail, le licenciement intervenu en méconnaissance de ces dispositions est nul.

Par ailleurs, l’article L. 1154-1 prévoit, qu’en cas de litige, si le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il incombe à Mme [D] qui se prétend victime de harcèlement de soumettre au juge des éléments de faits laissant supposer, dès lors qu’ils sont vérifiés et pris dans leur ensemble, l’existence de la situation ainsi dénoncée.

Ce n’est que dans un second temps qu’il incombe à l’employeur de prouver que les faits ainsi établis sont étrangers à toute situation de harcèlement.

***

Mme [D] soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral ayant occasionné une dégradation de ses conditions de travail et altéré son état de santé de la part de son supérieur hiérarchique, M. [O], à compter de 2008 puis de la part de M. [H], à partir de 2014.

Elle invoque en premier lieu les éléments suivants : des pressions pour travailler davantage, modifier ses horaires et venir travailler plus régulièrement le samedi malgré les contre-indications médicales et un avis médical du 3 mai 2016, l’existence de pressions pour qu’elle vienne travailler durant ses jours de repos, une absence de promotion professionnelle, des pressions pendant son arrêt de travail afin qu’elle démissionne, des difficultés pour récupérer les heures supplémentaires, sans toutefois verser le moindre élément justifiant ces affirmations.

Aucun des faits ci-dessus sériés ne sont établis.

En revanche au vu des pièces versées aux débats, la cour retient comme établis les éléments suivants :

– des reproches incessants, un dénigrement de la part du supérieur hiérarchique de Mme [D] ayant conduit certains salariés ;

– Mme [D] verse de nombreuses attestations qui font état de ses compétences et de son investissements professionnels et produit également les attestations de :

* Mme [Y], une de ses anciennes collègues, qui témoigne avoir constaté le harcèlement moral évoqué, en ces termes : « ‘ l’arrivée d’un vendeur très ambitieux’ voulant tout changer, très influent sur notre responsable et ses collègues, a totalement changé l’ambiance de l’agence. L’ambiance est devenue diffamatoire, pesante, négative, injuste surtout pour [P] qui a subi des vexations devant des clients, devant l’équipe: tout ce qu’elle faisait était dévalorisé, critiqué. Elle a été plusieurs fois convoquée dans le bureau et en est revenue dévastée. [P] a subi une évolution très négative de ses relations avec notre hiérarchie mais pratiquement aussi avec l’ensemble de ses collègues qui ont formé une coalition contre elle sans réaction de la part du manager malgré ses interpellations. Je l’ai vue pleurer, avoir de violentes diarrhées, vomir, trembler fortement, perdre énormément de poids. Personne ne s’en souciait, pas un mot d’encouragement, de soutien, d’humanité, ni de solidarité d’aucun niveau hiérarchique malgré ses appels au secours. [P] continuait à assumer les tâches logistiques, même sur son temps de repas, même si ce n’était pas son tour, elle a accepté de changer de place car elle avait, soi-disant, la meilleure place pour accueillir les clients; trois collègues ne changeaient pas de place… »,

* Mme [W], cliente de l’agence, relatant le dénigrement d’une certaine [P] par une de ses collègues en des termes qui l’ont choquée de telle sorte qu’elle a fait part de son mécontentement dans un courrier qu’elle a adressé le 29 septembre 2015 au responsable de l’agence ainsi rédigé : « Après une visite à votre agence fin août, où j’ai été reçu avec ma fille par une personne de votre agence se prénommant [X]. Cette personne, en interrogeant ma fille sur qui lui avait fait ce contrat, dès qu’elle a entendu que cette personne s’appelait [P] s’est permis de dénigrer violemment sa collègue avec des propos qui nous ont choqué toutes les deux tel que : ça ne m’étonne pas d’elle, elle n’est pas là en ce moment et c’est tant mieux tous les dossiers qu’elle a traité, il n’y a que des problèmes, etc…!!!.Une autre fois, je me suis rendu le samedi 26 septembre à l’agence pour un petit souci sur le portable de ma fille. J’avais RDV avec [P] donné le matin même car il y avait trop de monde à ce moment là. Je devais revenir pour 15h15, je suis arrivée à l’heure du RDV, j’ai été accueilli par un monsieur se prénommant [R] , après lui avoir dit mon nom , il ne me trouvait pas sur la liste et lorsque j’ai insisté en disant que j’avais un RDV avec [P], il est rentré dans une colère devant tout le monde en tenant de propos désobligeant sur sa collègue. Je me suis permis de dire à ce monsieur que ce qu’il disait à sa collègue devant tout le monde n’était pas correct, désobligeant et irrespectueux…nous ressentons beaucoup de stress et agressivité venant de votre équipe… »,

* Mme [M] [G], cliente, qui confirme les qualité professionnelles de Mme [D] et précise : « nous avons pris l’habitude de nous voir à chacune de nos visites à Sarlat. A partir de 2015, nous avons vu [P] maigrir terriblement et devenir dépressive. Elle nous décrivait l’ambiance de travail chez Orange et les mesures vexatoires continues dont elle faisait l’objet… »,

* Mme [C], cliente, selon laquelle : « Cette personne m’a toujours bien accueillie sur son lieu de travail, souriante…Mais au fur et à mesure, je l’ai vue très mal, elle maigrissait, le visage éteint. Durant ces années, je l’écoutais me parler de son harcèlement qu’elle vivait au sein de son travail »,

* Mme [F], en ces termes : « en tant que cliente, j’ai été séduite par son dynamisme et son professionnalisme et nous sommes devenues amies. Quelques mois plus tard au cours d’une visite à son domicile j’ai été témoin de sa rencontre avec un assistant social de chez Orange, [S] [A]. Là, j’ai entendu son témoignage de souffrance morale… »,

– les difficultés pour la prise de ses congés payés, la moitié de ses demandes de congés ayant été refusée sans motif valable, la validation de certains de ses congés intervenue

la veille de ceux-ci ressortent de deux courriers :

* l’un adressé le 28 décembre 2016 à M. [H] ainsi libellé : « ‘ ces dernières années toutefois l’angoisse m’a gagnée et je me présente au travail minée par un problème récurrent qui se trouve être celui de mes congés. Cela peut, certes vous paraître anodin cependant la dégradation de ma santé : insomnies perte de poids, vomissements en sont la conséquence. Après discussions avec vous et le directeur des ressources humaines, je pensais que ces difficultés quant à la validation de mes congés dans les délais réglementaires de notre entreprise étaient réglées. Il n’en et rien. Mes congés de novembre, déposés électroniquement en septembre, n’ont été validés que la veille de la date demandée. Les congés de décembre, déposés en juin n’ont été validés et ce que partiellement le 19 décembre. Si les délais réglementaires étaient respectés, je retrouverais une quiétude d’esprit qui me permettrait de me sentir bien dans mon travail et une santé satisfaisante… »,

* l’autre adressé à Mme [N], présidente du CHSCT le 29 avril 2017 pour dénoncer notamment ces difficultés,

* ces faits sont corroborés par l’attestation de Mme [E], une de ses amies qui relate qu’en 2015, elles avaient décidé de partir le week-end de l’Ascension : « et cela était programmé depuis plus de 6 mois sachant que depuis plusieurs années, elle rencontrait des difficultés quand elle posait des congés. Donc le jeudi de l’ascension nous étions en voiture quant elle a reçu un SMS de son chef lui disant qu’elle devait être présente le lendemain matin à Sarlat…elle était contrariée de plus que ces congés avaient été validés. Par contre ce texto ne fut pas le seul, il n’a pas arrêté de lui en envoyer toute la journée… » .

– une dégradation de son état de santé dont Mme [D] justifie non seulement par de nombreuses attestations de membres de sa famille, de plusieurs de ses amis ainsi que de sa femme de ménage, sa coiffeuse et son masseur-kinésithérapeute, qui tous ont constaté la dégradation physique et psychologique de Mme [D] se traduisant par une perte de poids importante ; une forte anxiété et un stress permanent, mais également par des éléments médicaux dont :

* une fiche d’aptitude médicale établie le 9 septembre 2015 par le médecin du travail préconisant un changement de poste hors boutique afin d’améliorer son état de santé,

* des éléments de l’expertise réalisée le 29 août 2017 par le Docteur [Z], psychiatre, selon lequel : « à compter du 11 janvier 2017, son médecin traitant… l’a mise en congé maladie pour dépression réactionnelle à un harcèlement professionnel qui en fait évoluait depuis plus d’un an…. »,

* un certificat complété le 1er décembre 2020, à la demande de la caisse primaire d’assurance maladie, par le médecin traitant faisant état d’un « burn-out par pression professionnelle »,

* un certificat établi le 17 février 2021 par son médecin traitant indiquant donner des soins réguliers à Mme [D] depuis 2008 et avoir constaté que, tout au long de ces années, elle a présenté une altération dépressive progressive en relation avec des difficultés au travail.,

– une alerte de la direction sur sa situation en vain avec quatre courriers versés aux débats que Mme [D] aurait adressés à :

* M. [T], son responsable, le 15 mars 2008 pour réclamer le paiement d’arriérés de salaire ainsi que des heures supplémentaires,

* M. [V], le 3 mai 2010 ainsi libellé : « cette lettre est un cri d’alerte que je vous supplie de prendre en compte. Je n’en peux plus de l’ambiance détestable qui règne dans mon agence de Sarlat, de la pression excessive que l’on me fait supporter du manque de considération voire de la désinvolture dont on fait preuve à mon égard. ‘ un reproche incessant de la part de mon chef d’agence quant à la réaction des clients qui préfèrent être conseillés par moi et non par mes collègues !!..Les clients se sont plaints de la façon assez cavalière de ma collègue, propos sur lequel j’ai enchéri en leur expliquant qu’elle était coutumière du fait. Cette dernière m’ayant entendue a fait un véritable scandale en m’insultant publiquement… le chef d’agence l’a soutenue contre toute attente…merci de prendre en considération mon désarroi, cette pression négative incessante nuit à mon équilibre. »,

* un courrier adressé le 13 octobre 2016, produit par l’employeur, ainsi rédigé : « Je travaille dans cette agence depuis 14 ans, jamais on ne m’a vue dépérir aussi bien physiquement (perte de poids considérable) que moralement depuis que l’on ne cesse de me harceler. Je suis littéralement épuisée chaque fin de semaine…mes arrêts de travail successifs sont la conséquence de ce besoin de sommeil, d’oubli dans lequel je me plonge sitôt rentrée chez moi. Toutes les personnes qui me suivent médicalement (médecin généraliste, psy) ou mon entourage familial et amical sont en alerte et pourront, si nécessaire, témoigner de ma situation… »

* M. [H], le 28 décembre 2016 au sujet des congés payés,

* Mme [N], présidente du CHSCT le 29 avril 2017, faisant état d’années de souffrances morales et de dégradation physique liées à ses conditions de travail qualifiées d’insupportables constituées de persécution professionnelle, de difficultés liées à la prise de ses congés, d”absence de promotion interne, d”absence de versement de primes, d”absence de nettoyage de ses vêtements professionnels ; Mme [D] y évoque : « état dépressif, tentative de suicide, fatigue extrême due à une perte de poids de 28 kg, vomissements quotidiens et autre symptôme dégradant de mon organisme, voilà dans quel état je me trouve aujourd’hui. J’ai tout enduré, j’ai essayé de surmonter mon désespoir, mon désarroi, mon stress… et puis finalement j’ai décidé de ne plus me battre au sein de l’agence. Mes différents courriers sont remontés dans la hiérarchie supérieure de l’entreprise mais personne n’a rien fait pour moi. Seule une responsable syndicale CGT a suivi mon triste parcours et m’a accompagnée dans mes nombreuses démarches pour alerter mes supérieurs … ».

Pour s’en défendre, l’employeur soutient que s’agissant du grief relatif aux congés payés, ce point a fait l’objet d’un rappel au cours d’un entretien à l’issue duquel la salariée s’est engagée le 22 juillet 2016 à respecter les règles de dépôt des congés.

Il ajoute que les procédures internes ont toujours été respectées et que des explications ont à chaque fois été fournies à la salariée lors des refus.

S’agissant de la demande de congés pour le week-end de l’Ascension dont il est fait état, elle n’avait pas été validée ce dont il justifie par le courriel que M. [H] a adressé le 18 mai 2015 à son supérieur pour l’aviser de l’absence de Mme [D].

Il relève dans le dossier médical de la salariée que le 24 janvier 2017, cette dernière s’est certes plainte d’une réponse tardive à ses demandes de congés mais a admis que toutes ont été satisfaites contrairement à ses collègues.

Concernant les brimades et dénigrements, la société affirme que les représentants du personnel n’ont jamais relevé de difficultés quant au comportement de M. [H] ou d’un autre salarié à l’égard de Mme [D] ; il soutient qu’à l’inverse, les organisations syndicales ont été sollicitées du fait du comportement ingérable de celle-ci.

Est versé en ce sens, un courriel de M. [I], délégué syndical, adressé le 19 janvier 2017 à la présidente du CHSCT évoquant les difficultés managériales rencontrées par M. [H] avec Mme [D] et sollicitant une action au titre des risques psycho-sociaux encourus par l’ensemble de l’équipe du fait de cette situation.

L’employeur conteste les attestations produites par la salariée, considérant leur contenu trop flou et imprécis pour y apporter une réponse.

S’agissant des alertes infructueuses de la salariée, la société soutient n’avoir reçu que deux courriers en 2016 de cette dernière ce qui l’avait incitée à solliciter en janvier 2017 le médecin du travail afin qu’il la reçoive. Elle prétend, sans en justifier, avoir également mis en contact la salariée avec l’assistante sociale pour l’orienter vers des soins spécialisés.

Pour contester les affirmations de la salariée selon lesquelles elle n’avait pas donné suite à ses alertes, elle souligne qu’entre septembre 2015 et janvier 2017, la salariée a été reçue à cinq reprises par le médecin du travail. Elle ajoute n’avoir jamais reçu de courrier d’alerte en avril 2017 et communique néanmoins le courriel adressé à Mme [D] le 5 mai 2017 par Mme [N], directrice de l’agence de distribution Sud Ouest, lui indiquant qu’en sa qualité de présidente du CHSCT, elle n’avait pas reçu le courrier qu’elle aurait adressé au CHSCT, puis la prie de le lui envoyer et lui fixe un rendez-vous dans son bureau : « les courriers que vous m’adressez en pièces jointes m’inquiètent sérieusement à la fois dans leur contenu, le fait aussi qu’ils soient datés de plusieurs mois et 2016, ainsi que dans la forme de votre mail ».

La cour constate qu’aucune suite n’a été réservée à la préconisation du médecin du travail en date du 9 septembre 2015 conseillant un changement de poste hors boutique afin d’améliorer l’état de santé de Mme [D] pas plus qu’aux courriers de cette dernière qui, certes a été reçue en entretien le 30 mai 2017 par Mme [N], sans cependant qu’il soit justifié d’une quelconque mesure concrète mise en oeuvre pour prendre en compte la souffrance de cette salariée.

Quant à la dégradation de l’état de santé de Mme [D], l’employeur ne la conteste pas mais fait valoir qu’elle ne peut lui être imputable, relevant d’importants problèmes de santé mentale à l’examen du dossier médical de Mme [D]. Selon lui, son inaptitude est d’origine non professionnelle et ni les représentants du personnel ni l’inspection du travail n’ont été saisis.

Hormis le grief relatif aux congés payés, la cour relève que la société échoue à démontrer que les faits invoqués par Mme [D], pris dans leur ensemble, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Il résulte des éléments développés ci-dessus, que l’altération de l’état de santé de Mme [D] ayant conduit à son inaptitude est liée au moins pour partie aux dégradations de ses conditions de travail constitutives de harcèlement de sorte que son licenciement est nul.

La décision déférée sera confirmée de ce chef.

Sur les conséquences financières

Mme [D] sollicite l’allocation d’une somme de 6.276,28 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et celle de 627,62 euros au titre des congés payés afférents.

En application des dispositions de l’article L.1234-1 et L.1234-5 du code du travail, Mme [D] qui occupait un emploi depuis plus de deux ans au sein de la société Orange et dont le salaire brut était de 3.138,14 euros se verra allouer une somme de 6.276,28 euros au titre de l’indemnité de préavis outre la somme de 627,63 au titre des congés payés afférents.

La décision déférée sera confirmée sur ce point.

***

Pour solliciter un complément d’indemnité de licenciement ensuite du doublement de l’indemnité légale de licenciement, Mme [D] soutient que son inaptitude avait une origine professionnelle ce que ne pouvait ignorer son employeur qui avait eu connaissance du contexte et de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle avant d’engager la procédure de licenciement à son encontre.

Ainsi que le fait valoir la société, ces règles protectrices s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, aucune de ces deux conditions n’étant remplies au regard des éléments de la procédure, le médecin du travail n’ayant pas retenu une quelconque origine professionnelle alors même qu’il n’est pas démontré qu’une demande en reconnaissance de maladie professionnelle a été présentée à la CPAM par la salariée et que l’employeur en a connaissance avant l’engagement de la procédure de licenciement.

Par voie de conséquence, les demandes à ce titre seront rejetées et la décision des premiers juges, infirmée.

***

La nullité du licenciement ouvre droit pour la salariée à des dommages et intérêts qui ne peuvent être inférieurs à six mois de salaire en application des dispositions de l’article L.1235-3-1 du code du travail alors en vigueur.

La nullité du licenciement peut entraîner la réintégration du salarié et le versement de salaire, de la date du licenciement jusqu’à la date de réintégration du salarié si celle-ci est possible, ce qui n’est pas le cas en l’espèce du fait de l’inaptitude de la salariée.

Compte tenu de l’ancienneté de 13 ans, de l’âge et de la rémunération de la salariée à la date de la rupture, du fait que Mme [D] bénéficie d’une pension d’invalidité, il convient de lui allouer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

La décision déférée sera infirmée s’agissant du quantum de l’indemnité.

***

La salariée sollicite également l’allocation d’une somme de 10.983,49 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés concernant la période de son arrêt de travail comprise entre le 11 janvier 2017 et le 20 décembre 2019, sur le fondement des articles L.3141-24 à L3141-28 du code du travail.

L’employeur s’y oppose en soutenant à juste titre que le salarié n’acquiert des congés payés pendant son arrêt maladie que si son arrêt est consécutif à un accident du travail ou à une maladie professionnelle ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Par voie de conséquence, cette demande sera rejetée et la décision déférée sera infirmée de ce chef.

Sur les autres demandes

Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil des prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Les intérêts dus seront capitalisés année par année conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil, étant précisé que le taux d’intérêt légal est celui applicable aux personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels.

La société devra délivrer à Mme [D] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu’une attestation Pôle Emploi rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, la mesure d’astreinte sollicitée n’étant pas en l’état justifiée.

La société, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu’à verser à Mme [D] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, en sus de la somme allouée à ce titre par les premiers juges.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a prononcé la nullité du licenciement de Mme [P] [D] et en ce qui concerne les sommes allouées à celle-ci au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ainsi qu’au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

L’infirme pour le surplus,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Orange à verser à Mme [P] [D] les sommes suivantes :

– 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 2.000 euros au titres des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

Rappelle que les créances salariales produiront intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil des prud’hommes et les créances indemnitaires produiront intérêt au taux légal à compter du prononcé de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Dit que le taux légal est celui applicable aux personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels,

Dit que les intérêts dus seront capitalisés année par année conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

Dit que la société Orange devra délivrer à Mme [P] [D] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu’une attestation Pôle Emploi rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Orange aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x