Diffamation : décision du 24 novembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/07231

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Diffamation : décision du 24 novembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/07231
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7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°505/2022

N° RG 19/07231 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QHA3

M. [P] [C]

C/

SARL ANATELLE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 11 Octobre 2022 devant Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [S], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 24 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [P] [C]

né le 21 Octobre 1993 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Laurent PETIT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

SARL ANATELLE

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Nathalie PAQUIN-FERNANDEZ de la SELARL AVEL AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

La Sarl Anatelle dont le gérant est M.[X] exploite une boulangerie- pâtisserie à [Localité 5] et emploie un effectif de plus de 11 salariés.

M. [P] [C] a été engagé le 21 août 2012 par la société Anatelle dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, en qualité de préparateur de sandwiches, boulanger à temps partiel sur la base de 70 heures par mois. Il est passé à temps complet, soit 151h67 par mois, par avenant du 6 octobre 2012.

En dernier lieu, le salarié percevait un salaire moyen de 1 418,45 euros net par mois.

Par courrier du 16 janvier 2018 remis en main propre à son employeur, M. [C] lui a présenté sa démission précisant que le contrat devait expirer le 31 janvier 2018, à l’issue du préavis de 15 jours.

Par courrier recommandé du 24 janvier suivant, M. [C] a adressé à la société Anatelle une ‘mise en demeure avant saisine du conseil des prud’hommes ‘ ainsi libellée :

‘ Je constate que certaines sommes n’ont pas été versées. (..) À ce jour, je ne peux que constater le non-versement de mes heures supplémentaires.

Je me permets de vous écrire afin de vous signaler certains manquements. En effet, j’ai été victime des agissements suivants : j’ai été victime à de nombreuses reprises, à des critiques sur mon apparence physique ( mon surpoids en l’occurrence) que ce soit seul ou en public. J’ai été notamment choqué par certaines phrases tel ‘ Arrête de manger tu ne pourras plus monter l’escalier’ en 2013, à ‘ la vache tu as morflé’ à la suite de mon arrêt via mon opération des varices où j’ai pris 5 kg. Je ne pourrais pas toutes les citer mais je trouve inadmissible de la part de cet employeur qui pense avoir tout les droits avec ses employés!

Je vous rappelle que le code du travail interdit toutes mesures discriminatoires (..) . Par la présente, je vous mets en demeure de respecter vos obligations contractuelles et légales et de m’indemniser pour le préjudice subi. Vous trouverez ci-dessous le détail de mes demandes ainsi que les fondements de celles-ci:

1- 32 029 euros correspondant aux heures supplémentaires ( art L 3121-28 c.trav)

2- 15 000 euros au titre de discrimination ( art L 1132-1 et L 1132-2c.trav)

3- 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile .

A défaut de réponse de votre part, je me verrai dans l’obligation de saisir le conseil de prud’hommes de Rennes.’

Par courrier recommandé du 5 février 2018, la société Anatelle a répondu ainsi au salarié : ‘ Nous avons été extrêmement surpris par la teneur de ce courrier ( du 24 janvier 2018). En effet, jamais au cours des cinq dernières années, vous avez émis la moindre difficulté quant au respect des règles relatives à la durée du travail et quant à la qualité de vos conditions de travail. De la même manière, votre lettre de démission en date du 16 janvier 2018 est exempte de tout reproche à notre égard. Quoiqu’il en soit, nous contestons avoir manqué à nos obligations. Nous estimons en conséquence n’être à ce jour redevable d’aucune somme à votre égard.

Depuis votre départ effectif de l’entreprise, vous avez posté sur les pages Facebook de notre boulangerie et de la chocolaterie exploitée par notre fille des propos à caractère diffamatoire ( le 2 février 2018 ‘ Exploitation de personnel, à fuir’.) A réception de la présente, nous vous mettons en demeure de retirer ces commentaires.(..)’

M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Rennes par requête du 16 mai 2018 afin de voir : – Condamner la société Anatelle à lui payer les sommes suivantes:

– 21 485,06 € bruts à titre de rappel de salaire, congés payés afférents et droits à contrepartie obligatoire en repos

– 5 874,64 € bruts au titre de son indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,

– 16 659,26 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé

– 3 618,24 € à titre d’indemnité légale de licenciement

– 8 010,87 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

– Ordonner la publication du jugement dans les ateliers de l’entreprise, en un lieu visible par tous les salariés de l’entreprise, sous astreinte de 500 € par jour après un délai de quinze jours suivant notification du jugement.

– Dire que cette publication sera maintenue en continu pendant une durée d’un mois.

– Nommer la SCP Nedellec, huissier à [Localité 5], pour constater l’affichage les premier et dernier jours, ainsi qu’un jour choisi de façon aléatoire au cours du mois d’affichage.

– Dire que tout refus de constat entraînera l’application de l’astreinte, ainsi qu’un nouveau délai d’affichage d’un mois.

– Dire que l’huissier commis communiquera ses constats aux parties et au greffe du Conseil de Prud’hommes.

– Dire que les frais d’huissier seront supportés par la société Anatelle.

– Condamner la société Anatelle au paiement de la somme de 7 200 € à titre de frais irrépétibles.

– Ordonner l’exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions.

La SARL Anatelle a demandé au conseil de prud’hommes de:

– Dire que la prise d’acte produit les effets d’une démission.

– Débouter M.[C] de l’ensemble de ses demandes.

– Condamner M.[C] au paiement de la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 15 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Rennes a :

– Dit que les temps de pauses ont bien été respectés par la société Anatelle.

– Dit que M [C] a bien effectué des heures supplémentaires, que le conseil fixe à 2 838 euros à titre de rappel de salaire pour la période non prescrite de 2015, 2016, et 2017, outre 284 Euros au titre des congés payés y afférents.

– Dit que M [C] n’a jamais dépassé le contingent annuel d’heures supplémentaires fixé à 220 heures et le déboute de cette demande.

– Débouté M [C] de sa demande au titre du travail dissimulé.

– Débouté M [C] de sa demande sur les faits de harcèlement moral.

– Débouté M [C] de sa demande de prise d’acte de rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.

– Dit que l’affichage du jugement n’est plus d’utilité et débouté M [C] de cette demande.

– Condamné la SARL Anatelle à verser à M.[C] la somme de 2 838 € bruts à titre de rappel de salaire pour la période non prescrite, outre la somme de 284 € bruts au titre des congés payés y afférents.

– Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, soit le 16 mai 2018.

– Rappelé que l’exécution provisoire est de droit pour les sommes à caractère salarial.

– Dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire sur le surplus de la condamnation.

– Condamné la SARL Anatelle au paiement de la somme de 1500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

– Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

– Condamné la SARL Anatelle aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d’exécution du présent jugement.

M. [C] a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 29 octobre 2019.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 24 juillet 2020, M. [C] demande à la cour de :

– Réformant le jugement entrepris,

Condamner la société Anatelle à lui payer les sommes suivantes:

– 21 485,06 € bruts à titre de rappel de salaire, congés payés afférents et droits à contrepartie obligatoire en repos

– 5 874,64 € bruts au titre de son indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,

– 16 659,26 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé

– 3 618,24 € à titre d’indemnité légale de licenciement

– 8 010,87 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

– 3 600 € à titre de frais irrépétibles.

– Ordonner l’exécution provisoire ‘du jugement’ en toutes ses dispositions.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 13 juin 2022, la SARL Anatelle demande à la cour de :

– Confirmer le jugement en ce qu’il a :

‘ Dit que les temps de pause ont bien été respectés par la société Anatelle,

– Dit que M. [C] n’a jamais dépassé le contingent annuel d’heures supplémentaires fixé à 220 heures et l’a débouté de cette demande,

‘ Débouté M. [C] de sa demande au titre du travail dissimulé,

‘ Débouté M. [C] de sa demande sur les faits de harcèlement moral,

‘ Débouté M. [C] de sa demande de prise d’acte de rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur,

– Dit que l’affichage du jugement n’est plus d’utilité et débouté M. [C] de cette demande,

– Infirmer le jugement en ce qu’il a :

‘ Condamné la société Anatelle à verser à M. [C] la somme de 2.838 € bruts à titre de rappel de salaire pour la période non prescrite de 2015, 2016 et 2017, outre la somme de 284 € bruts au titre des congés payés y afférents,

‘ Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, soit le 16 mai 2018,

‘ Condamné la société Anatelle au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ Débouté la société Anatelle de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ Condamné la société Anatelle aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d’exécution du jugement.

– en conséquence,

– Ordonner le remboursement des sommes versées à M.[C] dans le cadre de l’exécution provisoire du jugement,

– débouter M.[C] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner M.[C] au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 28 juin 2022 avec fixation de l’affaire à l’audience du 11 octobre 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les heures supplémentaires

M.[C] conclut à l’infirmation du jugement qui a sous-évalué le nombre des heures supplémentaires accomplies en écartant les décomptes et les pièces produites par le salarié ‘ ne permettant pas d’établir la vérité’ et en mettant ainsi la preuve à la charge du salarié et en privilégiant les attestations fournies par l’employeur sans égard au lien de subordination des témoins. Le Conseil a par ailleurs considéré à tort que le salarié a été rémunéré de certaines heures supplémentaires grâce à des primes de Noël. Il évalue sa demande de rappel de salaires à la somme de 15 726,13 euros brut, outre les congés payés y afférents, au titre des heures supplémentaires non payées ni récupérées durant la période non prescrite de trois années avant la rupture de son contrat de travail (février 2015 à janvier 2018).

La société Anatelle s’oppose à la demande en paiement d’heures supplémentaires au motif que le salarié ne produit pas les éléments suffisamment précis quant aux horaires prétendument réalisés, s’agissant d’un cahier reconstitué pour les besoins de la cause au regard de la régularité de l’écriture,

comportant des incohérences durant les périodes d’absences pour maladie, congés, des retards réguliers à l’embauche. Elle fait valoir que le salarié rémunéré chaque mois sur la base de 2,5 heures supplémentaires a bénéficié en cas de période de forte activité soit d’une récupération soit d’une rémunération pour les autres heures supplémentaires et a ainsi été rempli de ses droits.

La preuve des horaires de travail effectués n’incombe spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de présenter préalablement au juge des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

En l’espèce, M. [C] prétend qu’il commençait chaque matin à 4 heures durant la période non prescrite ( 2015-2018) et terminait son service entre 12h30 et 14h30 en fonction des jours de la semaine et des périodes de l’année; qu’il a ainsi reconstitué a posteriori dans un cahier ses horaires de travail jour par jour.

Il verse aux débats :- un grand cahier manuscrit de 42 pages (pièce 5) sur lequel sont notées, depuis le 21 août 2012, date de son embauche à temps partiel, et jusqu’au 31 janvier 2018, les heures de début et de fin du travail, ainsi que le total de ses horaires de travail jour par jour, et par mois. Il comporte la mention de ses jours de congés, de ses arrêts de travail pour maladie,

– son courrier de mise en demeure du 24 janvier 2018 réclamant le paiement par son employeur d’un rappel de salaire de 32 229 euros au titre de ses heures supplémentaires impayées,

– ses bulletins de salaire d’août 2012 à janvier 2018, à l’exception de ceux d’avril et de juin 2015, faisant mention du paiement irrégulier d’heures supplémentaires et pour la période non prescrite, jusqu’à 12 heures supplémentaires par mois. Ils font apparaître à partir de l’année 2016 un compteur des heures supplémentaires, soit un cumul en 2016 de 119 heures et en 2017 de 123 heures (incluant les 10 heures de décembre 2017 figurant sur le bulletin de janvier 2018)

– des décomptes établis le 25 mai 2018 par un expert-comptable M.[Z] mandaté par le salarié( pièce 12) sous la forme de tableaux dactylographiés, reprenant les données du cahier manuscrit, celles des bulletins de salaire et les majorations ( 25 et 50 % applicables). Ils font apparaître un total de 1 151 heures supplémentaires (711+440) non payées ni récupérées entre février 2015 et janvier 2018, représentant la somme de 15 726,13 euros brut outre les congés payés y afférents.

Le salarié produit également les témoignages de quatre anciens collègues:

– M. [A] apprenti boulanger pâtissier puis ouvrier ( 2009-2015) expliquant que durant la dernière période ( 2012-2015), ses horaires étaient de 4 heures à 13 heures au minimum, parfois jusqu’à 14 heures, 5 jours par semaine. ‘M.[C] travaillait autant que moi sans pause’.

– M. [D], apprenti puis ouvrier entre 2012 et 2015, indique qu’il commençait chaque jour à 4h30 excepté Noël et Nouvel an à 3 heures, que [P] ( [C]) était en général déjà présent dans les locaux à travailler ou pour commencer en même temps. ‘La journée se poursuivait sans pause et nous finissions en général vers 13h30-14 heures’.

– M.[B], apprenti boulanger en alternance de 2011 à 2015, lorsqu’il était du matin de 4 heures jusqu’à 13 heures voire 14 heures sans pause, travaillait aux côtés de M.[C] et finissait avec lui. ‘Les horaires de travail affichés dans les vestiaires n’étaient jamais respectés’.

– M. [V], apprenti pâtissier d’octobre 2017 à août 2018, travaillait de 4h30 à 12h30 du mardi au vendredi et le samedi de 6 heures à 13h30 sans temps de pause obligatoire. ‘Lorsqu’il arrivait à son poste de travail, M.[C] était déjà en train d’effectuer son poste de cuisson. Avant le départ de M.[C] en janvier 2018, les heures supplémentaires n’étaient pas rémunérées et après son départ, le dirigeant a instauré une fiche d’heures signée par tous les salariés avec paiement des heures supplémentaires’.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en produisant ses propres éléments et ainsi justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié.

Nonobstant les critiques sur le cahier des horaires établi par le salarié pour les besoins de la procédure, la société Anatelle ne produit pour sa part aucun relevé des horaires de travail effectif de M.[C].

L’employeur se borne à fournir :

– un tableau comportant l’emploi du temps de 35 heures hebdomadaires, signé par M.[C] avec des horaires de travail allant de 4h30 à 11h30 du mardi au vendredi et de 4 heures à 11h00 le samedi, entrecoupés d’une pause quotidienne sans durée précise ( pièce 49).

– l’avenant du contrat de travail du 6 octobre 2012, prévoyant un rythme de travail à temps complet de 35 heures hebdomadaires, du mardi au vendredi de 4h30 à 12h30 et le samedi de 4h à 12 h, mais dont le cumul du temps de travail est égal à 40 heures par semaine.

L’avenant du contrat de travail, discordant avec le planning théorique, fait apparaître un cumul de 40 heures par semaine.

Si la société Anatelle dénonce des retards récurrents de M.[C] le matin à l’embauche, le salarié fait valoir sans être contredit qu’il a remédié à la situation après avoir déménagé de [Localité 4] à [Localité 5] au début de l’année 2015 de sorte que ses retards ponctuels ne s’étaient plus reproduits durant la période non prescrite. Le versement de la prime de ponctualité figurant sur ses bulletins de salaire (21 à 35 euros par mois) tend à confirmer la version du salarié sur ce point, l’avertissement délivré le 15 avril 2013 pour des retards à l’embauche concernant une période antérieure.

Le ‘calendrier des récupérations Noël 2016″ émanant de la société Anatelle ( pièce 25) faisant mention de 21 heures supplémentaires accomplies par M.[C] à charge pour ce dernier d’opter pour 3 jours de récupérations ou pour le versement d’une prime de 300 euros à Noël, confirme la réalisation d’un certain nombre d’heures supplémentaires dont le décompte précis n’est toutefois pas produit par l’employeur.

La prime de 300 euros figure sur le bulletin de salaire de M.[C] en décembre 2016 en méconnaissance des dispositions légales même si elle correspond au montant approximatif des heures supplémentaires majorées.

Sur le nombre d’heures supplémentaires, les décomptes de M. [C] dont les horaires de travail ont été ‘ reconstitués ‘ en fonction de ses souvenirs personnels sur une période de trois années, ne seront pas retenus dans leur intégralité en raison de leur caractère extrêmement fluctuant ( demande intiale de plus de 32 000 euros dans le courrier du 24 janvier 2018) et en ce qu’ils reposent sur les attestations de trois anciens collègues ayant quitté l’entreprise courant 2015, dénuées de pertinence sur l’amplitude horaire de travail de M.[C] durant la période non prescrite ( février 2015-janvier 2018). Enfin, le salarié a manifestement omis de tenir compte des pauses dont il bénéficiait selon son planning et la rémunération versée pour des heures supplémentaires non effectuées durant des périodes de congés et / ou d’arrêt maladie à la lecture de ses bulletins de salaire ( par exemple en novembre 2017).

Si la cour a la conviction que M. [C] a bien réalisé des heures supplémentaires au cours de la période allant de février 2015 à janvier 2018, les pièces produites permettent de limiter leur nombre au titre de la période non prescrite de février 2015 à janvier 2018 pour la somme globale de 4 125,68 euros brut, outre 412,56 euros pour les congés payés y afférents, par voie d’infirmation du jugement sur le quantum.

Sur la demande au titre des droits à contrepartie obligatoire en repos

M. [C] maintient la demande en paiement, dont il a été débouté, au titre des droits à contrepartie obligatoire en repos au titre des années 2015 à 2017 qu’il a évalués à la somme globale de 4 186,32 euros.

Toutefois, le nombre des heures supplémentaires accomplies étant inférieur au contingent annuel de 220 heures selon les développements exposés ci-dessus, il convient de rejeter la demande au titre des droits à contrepartie obligatoire en repos durant la période en litige, par voie de confirmation du jugement.

Sur le travail dissimulé

L’article L 8221-5 du code du travail dispose :

‘ Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

…2°- de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli (..)

3° – de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale.’

Selon l’article L 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l’employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l’article L 8221-5 du même code a droit à une indemnité égale à 6 mois de salaire.

Il n’est pas établi au vu des circonstances de la cause et des éléments produits que l’employeur ait intentionnellement omis de mentionner sur le bulletin de salaire de M. [C] les heures supplémentaires dont il vient d’obtenir la condamnation au paiement.

Le salarié doit être débouté de sa demande en paiement de l’indemnité pour travail dissimulé, par voie de confirmation du jugement.

Sur les dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

M.[C] demande l’infirmation du jugement qui a rejeté sa demande de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail fondée sur des faits de harcèlement moral en considérant à tort qu’il n’avait jamais depuis son embauche en 2012 exprimé de doléance sur ses conditions de travail soit par courrier soit devant le médecin du travail, alors qu’il établit au travers d’attestations avoir été confronté aux propos de M.[X], lesquels’ pris isolément peuvent être supportables bien que de mauvais goût mais qui, par leur caractère récurrent, ont dégradé ses conditions de travail et porté atteinte à sa dignité’. Il ajoute devant la cour à l’appui de sa demande indemnitaire qu’il ne bénéficiait pas des pauses de 20 minutes après 6 heures de travail.

La société Anatelle conteste de telles accusations, de pure opportunité à l’appui de sa prise d’acte, en observant que le salarié ne s’est jamais plaint durant l’exécution du contrat de travail près de 6 années; qu’il n’a pas invoqué une situation de harcèlement moral dans sa lettre de démission du 16 janvier 2018 ni devant le médecin du travail, qu’il ne s’en prévaut pas davantage dans sa requête devant la juridiction prud’homale et mentionne pour la première fois dans son courrier du 24 janvier 2018 des moqueries discriminatoires sur son apparence physique ; qu’enfin, il a toujours pris les pauses quotidiennes comme les autres membres de l’équipe.

Selon l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement . Il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L1152-1 du code civil. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, M.[C] invoquant des moqueries sur son apparence physique se fonde sur les attestations de trois anciens collègues, selon lesquels:

– M.[A] : ‘ (..) j’ai aussi constaté que M.[X] s’en prenait régulièrement au physique de M. [C] sur ses kilos en trop ou ses habitudes alimentaires. Avec des phrases du genre : ‘ Arrête de manger , tu vas finir par rouler’. ‘ J’ai constaté que M.[C] était parfois à bout de nerfs à force de subir les moqueries de M.[X].’

– M.[D] : ‘ pour [P], on pouvait voir souvent des réflexions anodines sur son physique qui faisaient rire les autres mais qui revenaient très fréquemment. Ex : ‘ n’essaie pas de remonter sur un vélo, il va se casser’. [P] riait devant nous mais il s’est plaint plusieurs fois qu’il commençait à en avoir marre et qu’il aimerait que ça cesse.’

– M.[B] : ‘ [P] [C] subissait plusieurs fois par semaine des plaisanteries sur son poids de la part de M.[X] ‘ Arrête de manger, si on te pousse, tu vas rouler.’ ‘ fais gaffe, tu finiras par ne plus passer la porte;’ [P] souriait sur le moment mais après coup, il s’en plaignait souvent.’

Toutefois, les trois attestants ayant quitté l’entreprise au cours de l’année 2015 et ne précisant ni la date ni les circonstances des propos tenus par M.[X], rien ne permet de conforter les allégations des témoins dont les liens d’amitié avec M.[C] sont établis notamment avec M.[A], ni que les moqueries ont perduré jusqu’à une période proche de la rupture du contrat de travail intervenue trois ans après le départ des témoins. M.[V], qui était ami de l’appelant lorsqu’il travaillait comme apprenti au cours des derniers mois du contrat de travail de M.[C] et qui ne peut pas être suspecté d’inimitié envers lui puisqu’il a trouvé du travail également à [Localité 6], est muet sur l’ambiance régnant au sein de la boulangerie avant le mois de janvier 2018.

L’employeur verse de son côté de nombreuses attestations émanant à la fois de salariés mais aussi d’anciens apprentis et salariés, dont l’impartialité ne peut pas sérieusement être remise en cause, lesquels n’ont constaté aucun agissement de harcèlement moral ou discriminant de la part du dirigeant

( M.[X]) et de son épouse décrits comme courtois, respectueux et témoignant de la bonne entente régnant au sein des équipes.

La situation de harcèlement moral dénoncée pour la première fois par M.[C] dans son courrier du 24 janvier 2018, est peu cohérente avec les déclarations de M. [L] ( pièce 42), dirigeant d’une boulangerie à [Localité 5] et favorable à une association avec M.[C] dans le cadre d’une ouverture d’un nouveau commerce en mars 2018, lorsque M.[C] lui a dit ‘qu’il ne souhaitait pas pénaliser M.[X] et partir pendant la période des fêtes’de 2017.

M.[C] qui a bénéficié des avis d’aptitude sans réserve du médecin du travail ne produit aucun compte-rendu des visites au cours desquelles il aurait pu se plaindre d’une dégradation de ses conditions de travail et /ou de l’altération de son état de santé. Il se déduit de ces éléments que l’appelant n’établit pas la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

A propos des conditions de travail, M.[C] se fonde sur les attestations de ses anciens collègues, messieurs [A], [D], [B] et [V], pour soutenir qu’ils travaillaient au sein de l’entreprise de 4 heures à 12h30 ‘sans temps de pause’. Toutefois, ces allégations sont contredites par les témoignages de salariés et d’anciens salariés produits par l’employeur, évoquant un temps de pause quotidien avec petit déjeuner offert vers 8 heures ( M.[R] ,M.[H], Mme [Y], Mme [W], Mme [U], Mme [F]). Il convient de constater que le planning signé par M.[C] ( pièce 49) comporte la mention d’une pause quotidienne vers 8 heures du matin. M.[C] n’établit donc pas la matérialité du grief concernant l’absence de pause après 6 heures consécutives de travail.

Dans ces conditions, M.[C] n’est pas fondé en sa demande de dommages-intérêts pour l’exécution fautive de son contrat de travail, dont il sera débouté par voie de confirmation du jugement.

Sur la demande de requalification de la démission en une prise d’acte

M.[C] demande l’infirmation du jugement qui a rejeté la requalification de sa démission en une prise d’acte au motif que, le doute profitant à l’employeur en matière de prise d’acte, le salarié a démissionné pour occuper un nouvel emploi à [Localité 6] et non pas en raison de manquements fautifs de l’employeur à son égard. Contestant l’analyse des premiers juges, l’appelant rappelle que si sa lettre de démission du 16 janvier 2018 n’est pas motivée, il a écrit de manière quasi simultanée un second courrier le 24 janvier 2018 en réclamant un rappel d’heures supplémentaire, doublé d’une demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral; que le montant important du rappel d’heures supplémentaires constitue déjà une circonstance de nature à rendre la démission équivoque; que les manquements imputables à l’employeur ne sont ni mineurs ni anciens et justifient la décision de rupture du contrat de travail par le salarié peu importe qu’il ait retrouvé rapidement un nouvel emploi.

La société Anatelle rétorque que les faits invoqués par le salarié qui n’a formalisé aucun reproche durant près de 6 ans, ne sont pas établis, et qu’ils sont en tout état de cause anciens pour justifier une prise d’acte; qu’il a saisi la juridiction en invoquant des prétendus manquements de son employeur par pure opportunité alors qu’il avait trouvé un nouvel emploi à [Localité 6].

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste la volonté claire et non équivoque de mettre fin à son contrat de travail. Le caractère clair et non équivoque de la démission peut être remis en cause lorsque le salarié invoque des manquements de l’employeur de nature à rendre équivoque sa démission soit lorsqu’elle est assortie de réserves soit a posteriori lorsqu’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque.

Même si le salarié n’a pas assorti de réserves dans sa lettre de démission le 16 janvier 2018, remise en main propre à son employeur, l’envoi en recommandé de son second courrier en date du 24 janvier 2018, exposant des griefs à l’encontre de la société Anatelle, est de nature à rendre la rupture de son contrat de travail équivoque au regard des circonstances contemporaines de son départ de l’entreprise. Compte tenu du montant non négligeable de la créance salariale, M. [C], dont les difficultés financières étaient connues de l’employeur au regard des saisies opérées sur son salaire, rapporte la preuve suffisante que l’absence de paiement régulier par l’employeur des heures supplémentaires accomplies était à l’origine d’un différend l’opposant à la même période à la société Anatelle et le conduisant à rompre son contrat de travail.

Le fait que M.[C] ait recherché un autre emploi près de [Localité 5] au cours de l’année 2017 et qu’il ait finalement quitté le territoire métropolitain dès le 2 février 2018, soit moins de 3 semaines avant sa démission, pour travailler à [Localité 6] ne permet pas d’exclure le lien de causalité préexistant entre le manquement de l’employeur à son obligation de régler les heures supplémentaires effectuées et non récupérées et la décision du salarié de quitter l’entreprise.

L’absence de régularisation de la créance salariale revêt un caractère de gravité qui ne permettait plus, du fait de l’employeur, la poursuite de la relation contractuelle et justifiait la prise d’acte de rupture de son contrat de travail par M. [C], laquelle doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, par voie d’infirmation du jugement.

En application des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail, il convient d’indemniser le salarié des conséquences de la rupture et de lui allouer, au regard de son ancienneté (5 ans), de son âge( 24 ans), de son salaire intégrant les heures supplémentaires (2 165,98 euros brut), les sommes suivantes:

– 4 331,96 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 433,19 euros pour les congés payés y afférents,

– 2 934,90 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 6 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

Sur les autres demandes et les dépens

Le salarié a retrouvé un emploi immédiatement à l’issue de la période de préavis effectué et il n’a pas perçu d’indemnités de chômage. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur le remboursement des indemnités chômage au profit de Pôle Emploi en application de l’article L 1235-4 du code du travail.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M.[C] les frais non compris dans les dépens en cause d’appel. Il lui sera alloué la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions relatives de l’article 700 du code de procédure civile

L’employeur qui sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles sera condamné aux entiers dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

– Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à la demande en paiement d’un rappel de salaires pour des heures supplémentaires sur la période non prescrite de févier 2015 à janvier 2018, qu’il a rejeté la demande de M.[C] au titre des droits à contrepartie obligatoire en repos, rejeté sa demande au titre de l’indemnité pour travail dissimulé, sa demande de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et a fait droit à sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

– Infirme les autres dispositions du jugement,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

– Requalifie la démission de M.[C] en prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur, devant produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Condamne la Sarl Anatelle à payer à M. [C] les sommes suivantes :

– 4 125,68 euros brut au titre du rappel de salaires pour les heures supplémentaires impayées et non récupérées entre le mois de février 2015 et le mois de janvier 2018,

– 412,56 euros pour les congés payés y afférents,

– 4 331,96 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 433,19 euros pour les congés payés y afférents,

– 2 934,90 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 6 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– 500 euros en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile .

– Rejette les autres demandes de M.[C],

– Déboute la société Anatelle de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ,

– Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail.

– Condamne la société Anatelle aux dépens de l’appel.

Le Greffier Le Président

 


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