Diffamation : décision du 24 juin 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01683

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Diffamation : décision du 24 juin 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01683
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ARRÊT DU

24 Juin 2022

N° 1104/22

N° RG 20/01683 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TEIP

PS/CH

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE

en date du

02 Juillet 2020

(RG 18/00316 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 24 Juin 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

Mme [F] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Julie BABELAERE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Association RÉGIONALE DE CARDIOLOGIE ET DE PREVENTION DES MALA DIES CARDIAQUES NORD PAS DE CALAIS

Institut Coeur Poumon – service vasculaire et HTA [Adresse 1]

Professeur [E] [X]

[Localité 4]

représentée par Me Franck SPRIET, avocat au barreau de LILLE, assisté de Me Renaud RIALLAND, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS :à l’audience publique du 10 Mai 2022

Tenue par Patrick SENDRAL

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Monique DOUXAMI

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 19 avril 2022

FAITS ET PROCEDURE

En mars 2012 Mme [Y] a été engagée par l’association régionale de cardiologie et de prévention des maladies cardiaques (ci-après, l’association) en qualité de secrétaire administrative et comptable à hauteur de 30 heures par semaine. Par lettre recommandée du 29 novembre 2017 elle a écrit à la présidente de l’association une lettre ainsi rédigée :

«[K],

bien que je sois très attachée à mon travail à la FFC, je dois vous faire part, à nouveau, des difficultés professionnelles que je rencontre depuis trop longtemps. Je suis à présent dans une situation inextricable et c’est un appel au secours que je vous lance aujourd’hui ! J’ai le sentiment que vous me regardez sombrer, sans empathie ou considération pour moi, vous dites bien me connaître, vous voyez donc que je coule, sans vouloir entendre la raison du pourquoi ou encore sans vous poser la question !

Je suis dans une véritable souffrance psychologique depuis plusieurs mois, mes nuits se résument à quelques heures, je n’ai plus d’entrain, plus d’énergie, je néglige ma famille, je souffre psychologiquement et physiquement ! Le fait que je sois très attachée à la cause cardio-vasculaire de par mon histoire familiale a sans doute eu pour effet que je refuse d’écouter mon corps lorsque la pression, anormale, que l’on a exercé sur moi est devenue trop forte. Mais aussi belle soit la cause de la FFC, elle ne mérite néanmoins pas que j’y laisse ma santé et que je prive mon mari et mes enfants d’une femme et d’une maman en bonne santé physique et psychologique.

Vous ne pouvez pas vous contenter de me demander de, je vous cite, «fermer ma gueule et laisser pisser» lorsque je vous explique ma difficulté à travailler en équipe avec certains bénévoles ou encore, et ce malgré ma demande, de ne pas être intervenue lorsqu’un courrier a été envoyé à tous les clubs c’ur et santé pour les informer que plus rien ne devait m’être envoyé directement y compris les pièces comptables tout ceci faisant suite au contrôle URSSAF que nous avons eu en janvier 2016. Depuis, je ne peux plus assurer convenablement mon rôle de correspondant financier. Me demander de faire « la babache parce que je le fais très bien» pour obtenir des informations, me dire que «mon travail et mon investissement ne méritent pas plus que mon salaire actuel’, mettre en doute la véracité de mes heures complémentaires lorsqu’on évoque la possibilité pour moi de travailler à temps plein, mettre en doute mon honnêteté, refuser d’entendre ou de prendre au sérieux les difficultés que je rencontre sur mon lieu de travail, sont autant de violences qui n’ont eu comme effets que de me faire sombrer davantage.

Vous le savez, je n’ai jamais compté mes heures, j’ai toujours été prête à rendre service, à décaler mes congés si la situation l’exigeait, à transporter dans mon véhicule personnel des dizaines de cartons de brochures ou de documentation livrés chez moi, de les monter et de les ranger dans notre local au 4ème étage de I’ICP, de répondre aux mails ou aux appels téléphonique en dehors de mes heures de travail, d’effectuer des heures complémentaires sans contrepartie financière, de louer pour des événements de prévention des véhicules professionnels avec ma carte bleue personnelle engageant ainsi ma seule responsabilité en cas d’accident ! Vous attendez de moi une obéissance et une disponibilité sans faille parce que dites-vous, vous-même passez beaucoup de temps à la cause cardio-vasculaire mais vous ne pouvez pas me faire culpabiliser en arrivant le lundi parce que je n’ai pas répondu à vos mails envoyés le week-end parce que vous seriez «inquiète sur le fait que je vous fasse la tête» ou même m’envoyer un sms à 20 heures pour me demander de répondre aux mails envoyés dans la journée alors que

j’étais sur une action à l’extérieur, votre fonction de Présidente de la FFCNPC est bénévole et c’est tout à votre honneur mais la mienne est salariée ! Vous restez également très inquiète sur l’impossibilité pour vous de vérifier que je sois bien présente au bureau (je vous encourage à demander le relevé de mes connexions au réseau CHR) lorsque vous êtes à [Localité 5] mais beaucoup moins sur le fait que je travaille de chez moi sans comptabiliser ce temps pour répondre aux mails de la boîte Yahoo qui ne peut plus être activée au bureau pour des raisons de sécurité interne au CHR de [Localité 4] depuis juin 2017. Je présente à ce jour un compteur de plus de 140 heures complémentaires, qui, selon votre souhait, ne sont pas majorées ou payées et un solde de congés payés des années précédentes qui s’expliquent par le fait que je me trouvais dans l’obligation de poser des récupérations plutôt que des CP lors de mes périodes de vacances et là encore, vous n’y trouvez rien d’anormal ! Vous m’avez obligée à faire des choses illégales. Et maintenant, vous souhaitez que je demande une autorisation auprès des services du CHR pour étendre l’accès à la boîte mail interne, tout ceci pour que je puisse la consulter et répondre aux mails de chez moi en dehors de mes heures de travail, je ne sais pas à partir de quelle limite vous allez considérer que vous allez trop loin ! Mon médecin m’a alertée sur mon état de santé physique et psychologique et des risques que je prenais à continuer ainsi ! Aussi, compte-tenu de la situation d’épuisement dans laquelle je me trouve, Je ne vois pas d’autres solutions que de saisir le conseil des prud’hommes pour demander la résiliation judiciaire de mon contrat de travail…» 

Quelques jours après elle a été convoquée à l’entretien préalable, mise à pied à titre conservatoire et licenciée pour faute grave le 23 décembre 2017 par courrier dont la teneur est la suivante :

«Madame,

nous faisons suite à l’entretien préalable fixé au 18 décembre 2017 auquel vous ne vous êtes pas présentée, bien que régulièrement convoquée par lettre du 6 décembre courant et bien que les heures de sorties autorisées de votre arrêt maladie vous le permettaient. Vous nous avez adressé un email le 18 décembre courant pour indiquer que votre état de santé ne vous permettrait pas de vous y présenter sans demander de report. Aussi, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave aux motifs suivants. Vous m’avez adressé une lettre recommandée datée du 29 novembre 2017, en préambule de laquelle vous indiquez qu’il s’agit d’un «appel au secours que je vous lance aujourd’hui», puis que vous êtes confrontée à une «véritable souffrance psychologique depuis plusieurs mois» dont vous estimez que je serais à l’origine et pour laquelle je serais indifférente «en vous regardant sombrer sans empathie ou considération» et qui enfin vous obligerait à «saisir le conseil de prud’hommes pour demander la résiliation judiciaire» de votre contrat de travail. Dans cette lettre, vous me reprochez des manquements graves : insultes et grossièretés à votre encontre (

Je conteste la réalité des propos et comportements que vous me prêtez à tort qui, pour partie, porte atteinte à mon honneur. Si vous disposez d’une liberté d’expression dans votre travail, elle n’est pas absolue et ne peut justifier, pour quelque cause que ce soit, l’emploi de propos ou des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs. Cette situation caractérise un abus et un manquement grave à votre obligation de loyauté imposée par le code du travail et à la présomption d’exécution loyale du contrat de travail par l’employeur.

Bien que le début de votre lettre évoque un «appel au secours que je vous lance aujourd’hui» en réalité cette lettre n’est pas un appel au secours mais une véritable mise

en accusation injurieuse et diffamatoire puisque vous me prêtez, à tort, un langage injurieux et grossier, des attitudes ~ dénigrement, la commission d’actes illégaux outre la responsabilité de votre souffrance psychologique depuis plusieurs mois et l’atteinte à votre santé. Votre prétendue démarche d’appel au secours est enfin contredite par la fin de votre lettre dans laquelle vous m’informez n’avoir aucune autre solution que de saisir le conseil de prud’hommes pour rompre votre contrat de travail.

Je conteste les insultes et grossièretés que vous me prêtez au même titre que le prétendu dénigrement de vos fonctions ou de votre travail. Peut-être pensez-vous pouvoir assimiler abusivement dénigrement et observations légitimes de votre hiérarchie sur votre travail……comment pouvez-vous enfin me reprocher un manquement grave à ce titre, pour 140 heures complémentaires, à l’origine d’un épuisement professionnel ‘ ‘Enfin, vous m’imputez un comportement illégal sans l’expliciter : «vous m’avez obligée à faire des choses il/égales»… l’évocation au début de votre lettre d’un contrôle URSSAF en janvier 2016 tend à insinuer que nous aurions des choses illégales à dissimuler… Le contrôle URSSAF est intervenu en raison d’erreurs matérielles de déclaration et de dysfonctionnements datant du précédent délégué régional qui était également correspondant financier. Nous avons été à même de régulariser la situation à tel point que les pénalités et majorations ont été abandonnées.

Depuis votre convocation, j’ai également eu la désagréable surprise de constater que vous aviez effectué sur le compte bancaire Société Générale de l’association, un virement bancaire à votre profit de + 1 141,87 euros le 2 novembre 2017 avec la mention «[F] [Y]» alors que, une semaine plus tôt le 26 octobre 2017, un autre virement du même montant a été effectué avec le libellé «salaire octobre». Ce virement du 2 novembre 2017 a été effectué, sans aucune contrepartie et sans aucune autorisation. Je devine qu’il correspond à votre salaire théorique de novembre et j’espère qu’il n’a pas été versé à deux reprises, en début de mois le 2 et à la fin du mois le 30 novembre. Nous allons vérifier. Pourtant, vous avez effectué de votre propre chef ce virement… sans même m’en informer. Les avances sur salaire sont possibles mais encore faut-il préalablement les demander et les obtenir, non pas les imposer et les dissimuler de cette façon. Cet acte caractérise un manquement grave à votre obligation d’exécution loyale du contrat et est susceptible de recevoir une qualification pénale. Nous réserverons nos droits à ce titre. Enfin, je constate que de nombreux documents nous appartenant ne sont plus présents dans les locaux de l’association et notamment votre contrat de travail et les avenants, vos agendas annuels FFC dans lesquels ont été consignés vos déplacements et activités, justificatifs de vos frais de déplacement, pièces comptables et factures antérieures,… alors qu’ils doivent être archivés sur place. Ce manquement s’ajoute aux autres, à moins que vous ne soyez en mesure de nous les transmettre.

Vous estimez ne plus pouvoir poursuivre le contrat de travail en raison de manquements graves que vous m’imputez à tort. Nous estimons nous aussi, que la poursuite du contrat de travail n’est plus du tout envisageable mais de votre fait exclusif. En conclusion, votre comportement d’insubordination et de non-respect du lien hiérarchique, ainsi que la gravité des griefs rendent impossible la poursuite de votre travail, même pendant le préavis. Le contrat de travail sera rompu à la première présentation de la présente lettre recommandée. De même, compte tenu de la gravité des faits reprochés, votre mise à pied, entre la remise de la convocation à l’entretien préalable, ne sera pas rémunérée…»

Par jugement ci-dessus référencé auquel il est renvoyé pour plus ample connaissance de la procédure les premiers juges, saisis par Mme [Y] de réclamations salariales et indemnitaires au titre de son licenciement à ses dires nul ou à défaut dénué

de cause réelle et sérieuse, ont condamné l’association à lui verser diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents, indemnité de licenciement, dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et frais non compris dans les dépens.

Ayant été déboutée de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul, indemnité pour travail dissimulé et salaires de la mise à pied conservatoire Mme [Y] a formé appel de ce jugement et déposé le 24/9/2020 des conclusions tendant à la condamnation de son ancien employeur au paiement des sommes suivantes :

‘indemnité compensatrice de préavis : 3176 euros outre l’indemnité de congés payés

‘indemnité de licenciement : 2282,65 euros

‘salaires de la mise à pied conservatoire : 811,14 euros outre l’indemnité de congés payés afférente

‘heures complémentaires : 2189 euros outre l’indemnité de congés payés afférente

‘indemnité pour travail dissimulé : 9528 euros

‘dommages-intérêts pour licenciement nul ou à défaut dénué de cause réelle et sérieuse : 25 000 euros

‘dommages-intérêts pour manquements à l’obligation de sécurité : 5000 euros

‘dommages-intérêts pour remise tardive de l’attestation Pôle Emploi : 1000 euros

‘frais non compris dans les dépens : 2500 euros

Vu les conclusions par lesquelles l’association intimée demande le rejet des demandes adverses ainsi qu’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

Vu l’article 455 du code de procédure civile

Vu l’ordonnance de fixation de l’affaire et de clôture

MOTIFS

Les heures complémentaires

Aux termes de l’article L 3171-2 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées prétendument accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre en produisant ses propres éléments.

En l’espèce, la salariée verse un décompte des heures complémentaires effectuées selon elle en 38 semaines mais il ne comporte aucune information sur les heures de travail journalier. Elle produit également des copies d’agenda communiqués mensuellement à l’employeur, révélant des dépassements de l’horaire contractuel en semaine ainsi que l’attestation d’un collègue de travail relatant son important investissement. L’employeur conteste tout dépassement horaire et indique que les éléments versés par la salariée sont incohérents et sujets à caution.

Sur ce,

il ressort de divers échanges de courriels que la salariée a bénéficié de facilités de récupération de ses heures et qu’étant souvent amenée à travailler en dehors des locaux de l’association elle a bénéficié d’une certaine autonomie dans son emploi du temps et de récupérations ponctuelles. Il appert cependant qu’elle a travaillé, sous le régime des heures complémentaires, certains samedis et dimanches à l’occasion des manifestations de type «Parcours du c’ur» organisées dans la région, ce sous la subordination de son employeur et pour son compte. Il est sur ce point relevé que dans la convention d’objectifs conclue entre les parties le 4 janvier 2016 sa participation à ce type d’événements était prévue à hauteur d’au moins 3 par an. Les bulletins de paie ne mentionnant aucun paiement d’heures complémentaires il est justifié de lui allouer la somme de 1624,26 euros ainsi que l’indemnité de congés payés afférente.

La demande d’indemnité pour travail dissimulé

L’analyse des bulletins de paie révèle que toutes les rémunérations ont été assujetties aux cotisations sociales de sorte que n’est caractérisée aucune volonté de l’employeur d’échapper à ses obligations en la matière. Plus généralement, rien ne démontre une volonté de sa part de se soustraire à ses obligations alors même que la créance d’heures complémentaires est de faible importance et que la salariée a bénéficié ponctuellement de récupérations. Par ailleurs, il n’est ni établi ni même soutenu que l’emploi n’ait pas été régulièrement déclaré aux autorités compétentes ni que l’employeur ait méconnu ses obligations déclaratives. Il n’a du reste reçu de la part de la salariée aucune invitation à régulariser sa situation. L’article L 8223-1 du code du travail réservant le bénéfice de l’indemnité pour travail dissimulé aux seuls salariés auxquels l’employeur a eu recours en violation des articles L 8221-3 et L 8221-5 du code du travail, ce qui dans la présente affaire n’est pas avéré faute de dissimulation intentionnelle, la demande sera rejetée.

La demande d’annulation du licenciement

Il est de règle qu’un licenciement motivé même partiellement par l’action en justice d’un salarié, sauf abus ou mauvaise foi dans l’exercice de ce droit, constitue une atteinte à une liberté fondamentale entraînant la nullité du licenciement, peu important qu’il existe par ailleurs une cause réelle et sérieuse de licenciement. Il est par ailleurs de règle que le licenciement prononcé alors que le salarié a fait part à son employeur de son intention de saisir la justice en raison de faits présentés comme lui étant imputables est nul.

Présentement, quand bien même le licenciement est également motivé par des faits distincts prétendument fautifs il constitue essentiellement une mesure de rétorsion immédiate au signalement pressant effectué par la salariée à sa direction sur l’accomplissement d’heures impayées et les conséquences néfastes des exigences de sa directrice sur sa santé. Le courrier de Mme [Y] à sa supérieure hiérarchique, ayant pour le moins la nature d’un appel à corriger des dysfonctionnements, était argumenté et rédigé sur un ton mesuré. Il ne contenait au demeurant aucune expression injurieuse ou excessive. Ainsi qu’il vient d’être dit la salariée était pour le moins fondée de se plaindre du non-paiement de ses heures complémentaires. Dans ce contexte la rupture brutale du contrat de travail par l’employeur constitue une grave atteinte à ses droits fondamentaux, en particulier celui de protéger son intégrité physique et morale contre des agissements susceptibles de lui nuire, de mettre un terme à des faits potentiellement délictueux sans risquer de perdre son emploi et de saisir la justice en temps utile.

Les moyens soutenus par l’employeur, tendant à démontrer l’absence de harcèlement moral, sont inopérants, le litige portant sur la validité du licenciement consécutif à une

dénonciation de divers manquements de l’employeur et non sur la caractérisation d’un harcèlement moral. Quand bien même certaines des allégations de la salariée seraient dénuées de fondement l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité et d’un devoir de loyauté, ne pouvait rompre le contrat de travail à titre de mesure de rétorsion sans s’interroger sur les raisons de la dégradation relationnelle. Il soutient ne pas avoir apporté d’obstacle au droit de la salariée d’ester en justice mais en mettant fin immédiatement au contrat il l’a au contraire empêchée de solliciter à temps la résiliation du contrat de travail. Il n’importe que la lettre de licenciement ne contienne pas le reproche de l’avoir menacé d’engager une action judiciaire, le licenciement étant clairement consécutif à une telle menace.

Il résulte de l’ensemble de ces considérations que la dénonciation a été faite de bonne foi et que le licenciement est non pas dénué de cause réelle et sérieuse mais nul. Les barèmes prévus par l’article L 1235-3 du code du travail sont donc inapplicables.

Compte tenu de l’ancienneté de Mme [Y], de son âge (51 ans), du revenu dont elle a été privée (1466 euros bruts par mois avant revenus de remplacement de l’ordre de 800 euros), de ses qualifications, de ses difficultés à retrouver un emploi et des justificatifs produits sur sa situation postérieure à la rupture (perception d’allocations de Pôle Emploi jusqu’en novembre 2018 ), il y a lieu de lui allouer 16 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier lié à la perte d’emploi injustifiée et aux circonstances brutales du licenciement.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de paiement des salaires de la mise à pied conservatoire puisqu’il n’est justifié d’aucune retenue de salaire de ce chef. La décision sera également confirmée en ses dispositions relatives à l’indemnité compensatrice de préavis et à l’indemnité de licenciement justement calculées eu égard au salaire de référence.

La demande de dommages-intérêts pour manquements à l’obligation de sécurité

Mme [Y] soutient avoir travaillé au-delà de la durée contractuelle mais pour les motifs précités cette assertion n’est établie que pour une faible part. Elle indique par ailleurs avoir été dénigrée sans rapporter le moindre élément au soutien de cette allégation imprécise. Elle affirme ne pas avoir été vue par la médecine du travail ce que ne conteste pas l’employeur mais l’appelante ne justifie d’aucun lien avec la dégradation de son état de santé. Elle n’évoque aucun dépassement des durées maximales de travail et aucun manquement précis de sa direction à l’obligation de sécurité. Sans preuve d’une faute de l’employeur, ne pouvant à elle seule se déduire de l’absence de paiement des heures complémentaires, sa demande ne pourra être que rejetée.

La demande de dommages-intérêts pour remise tardive de l’attestation Pôle Emploi

Il sera rappelé que si l’employeur doit établir cette attestation il revient au salarié d’accomplir les démarches pour se le procurer. En l’espèce l’employeur a été confronté à des difficultés matérielles pour récupérer le document auprès de son comptable. Mme [Y] se l’est procuré un mois après la rupture et elle n’établit aucun préjudice. Sa demande sera donc rejetée.

Les frais

L’appel ayant engendré des frais qu’il serait inéquitable de laisser totalement à la charge de Mme [Y] l’intimée devra lui payer une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

CONFIRME le jugement sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul et d’heures complémentaires

statuant à nouveau sur les dispositions réformées et y ajoutant

DIT que le licenciement de Mme [Y] est nul

CONDAMNE l’association régionale de cardiologie et de prévention des maladies cardiaques à lui payer les sommes suivantes :

‘heures complémentaires : 1624,26 euros

‘indemnité de congés payés : 162,42 euros

‘dommages-intérêts pour licenciement nul : 16 000 euros

‘indemnité de procédure en cause d’appel : 2000 euros

DEBOUTE Mme [Y] du surplus de ses demandes

CONDAMNE l’association intimée aux dépens d’appel.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Monique DOUXAMI

 


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