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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 10
ARRÊT DU 23 JUIN 2022
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/18690 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAYDW
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Juillet 2019 -Tribunal de Grande Instance de Sens – RG n° 15/01182
APPELANTE
Madame [C] [N]
née le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 6] (Espagne)
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Carole BAZZANELLA, avocat au barreau de PARIS, toque : B0206
Assisté de Me Denis EVRARD, avocat au barreau de SENS
INTIMÉ
Monsieur [I], [L] [M]
né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 4]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Patricia CROCI de la SCP REVEST-LEQUIN-NOGARET-DE METZ-CROCI-RLNDC, avocat au barreau de SENS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été appelée le 10 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Florence PAPIN, Présidente
Madame Patricia LEFEVRE, Conseillère
Monsieur Laurent NAJEM, Conseiller, chargé du rapport
qui en ont délibéré dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Dorothée RABITA
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Florence PAPIN, Présidente et par Dorothée RABITA, greffier présent lors de la mise à disposition.
***
M. [I] [M] et Mme [C] [N] ont vécu en union libre durant plusieurs années, le couple résidant alors sur le Domaine de Vaudouard sis à [Localité 4], propriété de M. [M], qui y a à la fois son habitation et son exploitation d’élevage bovin.
Au cours de la période de vie commune, M. [M] a accepté que Mme [N] puisse avoir à titre personnel des bovins élevés sur l’exploitation et rattachés administrativement à celle-ci. Ainsi, le cheptel enregistré au titre de cette exploitation auprès de l’Etablissement départemental de l’élevage, s’est réparti entre deux lots, les bêtes appartenant à M. [M] étant regroupées dans un Atelier 1 et celles de Mme [N] dans l`Atelier 2.
A la suite de la séparation du couple, dont il n’est pas donné de date certaine, Mme [N] a définitivement quitté le Domaine de Vaudouard au cours de l’année 2014, y laissant la totalité des bêtes dont elle était alors propriétaire, lesquelles se sont trouvées de fait confiées aux soins de son ex-compagnon, resté sur le site.
Par acte d’huissier en date du 7 mai 2015, Mme [N] a fait assigner M. [M] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Sens, afin d’être autorisée à récupérer sur l’exploitation les bêtes listées comme lui appartenant; elle a également, en cours d’instance, sollicité la condamnation de la partie adverse à lui restituer ces mêmes bêtes sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir.
Il a été fait intégralement droit à ces prétentions par ordonnance rendue le 9 juin 2015. La restitution ordonnée par cette décision n’a pu immédiatement se concrétiser, les parties s’étant rapprochées en vue d’une transaction qui devait permettre à M. [M] de faire l’acquisition des bêtes de Mme [N], sans préjudice des sommes que cette dernière restait lui devoir au tire de la pension et autres frais exposés pour la prise en charge dudit cheptel, mais la tentative n’a pu aboutir. Aux termes d`une ordonnance rendue le l5 septembre 2015 par le président du tribunal de grande instance de Sens, M. [M] a été autorisé à pratiquer toute mesure de saisie conservatoire sur les bêtes appartenant à Mme [N], au titre des pensions et frais allégués à la charge de cette dernière.
Par acte d’huissier en date du 28 octobre 2015, M. [M] a fait assigner Mme [N] devant le tribunal de grande instance de Sens, aux fins de la voir condamner à lui payer diverses sommes au titre de la prise en charge des bêtes.
Par jugement du 24 juillet 2019, ce tribunal a :
– dit n’y avoir lieu à expertise pour déterminer le nombre des bêtes appartenant à Mme [N] nées postérieurement à sa séparation d’avec M. [M] et à son départ de l’exploitation tenue par ce dernier;
– condamné M. [M] à restituer à Mme [N] les bêtes identifiées sous les numéros suivants: 5379, 5382, 5384, 5390, 6433, 644l, 6445, 6446, 6482, 7496, 7507, 7509, 7533, 7535, 8537, 8547, 8563, 8565, 8566, 8567, 8569;
– dit que la restitution des bêtes s’effectuera après complet paiement par Mme [N] des sommes dont elle reste redevable à M. [M] au titre de la prise en charge de son cheptel, comme il est dit ci-dessous, et ce sans préjudice des mesures conservatoires que le demandeur jugerait utile de prendre pour garantir le recouvrement de son dû, en vertu de l’autorisation qu’il tient de l’ordonnance rendue le 15 septembre 2015 par le président du tribunal de grande instance de Sens;
– condamné Mme [N] à payer à M. [M] la somme de 77 459,57 euros au titre des frais de pension, de garde, d`entretien, de soins, de vétérinaire afférents à son cheptel pour la période de l’été 2010 à mars 2017;
– condamné Mme [N] à payer à M. [M], sur production des justificatifs utiles, les frais de même nature que ceux énumérés ci-dessus pour la période non visée et non couverte par la présente décision;
– débouté Mme [N] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour préjudice financier;
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile ;
– débouté les parties des demandes formées réciproquement sur le fondement des articles 696 et 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 8 octobre 2019, Mme [N] a interjeté appel de cette décision.
Par ses dernières conclusions en réponse notifiées par voie électronique, le 15 février 2022, Mme [N], appelante, demande de :
Infirmer le jugement rendu le 24 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Sens en ce qu’il a :
– dit n’y avoir lieu à expertise pour déterminer le nombre des bêtes appartenant à Mme [N] nées postérieurement à la séparation d’avec M. [M] et à son départ de l’exploitation tenue par ce dernier;
– dit que la restitution des bêtes s’effectuera après complet paiement par Mme [N] des sommes dont elle reste redevable à M. [M] au titre de la prise en charge de son cheptel, comme il est dit ci-dessous, et ce sans préjudice des mesures conservatoires que le demandeur jugerait utile de prendre pour garantir le recouvrement de son dû, en vertu de l’autorisation qu’il tient de l’ordonnance rendue le 15 septembre 2015 par le président du tribunal de grande instance de Sens ;
– condamné Mme [N] à payer à M. [M] la somme de 77.459,57 euros au titre des frais de pension, de garde, d’entretien, de soins, de vétérinaire afférents à son cheptel pour la période de l’été 2010 à mars 2017 ;
– condamné Mme [N] à payer à M. [M], sur production des justificatifs utiles, les frais de même nature que ceux énumérés ci-dessus pour la période non visée et non couverte par la présente décision ;
– débouté Mme [N] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour préjudice financier ;
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile ; et
Statuant à nouveau,
* débouter M. [M] de son appel incident ainsi que de sa demande additionnelle en cause d’appel;
* désigner un expert en matière agricole lequel aura pour mission :
– de refaire l’historique du troupeau de bovins appartenant à Mme [N] en partant de l’inventaire établi contradictoirement par l’Huissier de Justice le 6 mars 2015 approuvé par M. [M]
– contrôles les naissances, les ventes et les éventuels décès depuis la même date
– faire un inventaire complet du cheptel appartenant à Mme [N] à la date de son expertise
– établir le montant des primes vaches allaitantes encaissé par M. [M] pour le compte de M. [M] depuis 1998 jusqu’au jour de son expertise
– établir la liste des ventes réalisées par M. [M] pour le compte de Mme [N] depuis le 6 mars 2015, et le montant de ces ventes
– donner son avis sur l’état sanitaire des animaux appartenant à Mme [N] à la date de son expertise
– donner son avis sur la valeur du troupeau appartenant à Mme [N], à la même date
– assister à la remise des animaux à Mme [N] ou à toutes personnes qu’elle désignera en présence d’un Huissier de Justice qui dressera un procès-verbal contradictoire ;
* dire et juger que le rapport d’expertise sera déposé au greffe du tribunal judiciaire de Sens devant lequel la cause sera renvoyée pour qu’il soit statué le cas échéant sur une demande de dommages-intérêts
complémentaires par Mme [N] ;
* dire et juger qu’en vertu de l’adage nemo auditur, M. [M] est irrecevable et à tout le moins mal fondé à réclamer des frais de pension ou de vétérinaire à Mme [N] depuis le jour où il l’a expulsé de son domicile en violation de ses engagements ;
* dire et juger en tant que de besoin que ces frais resteront à la charge de M. [M] à titre de dommages-intérêts complémentaires ;
* condamner M. [M] à payer à Mme [N] la somme de 5.700 euros de dommages intérêts pour saisie-conservatoire déloyale et abusive ;
* condamner M. [M] à payer à Mme [N] une somme de 2.125 euros en réparation de son préjudice financier comme il est déterminé ci-dessus ;
* donner acte à Mme [N] de ce qu’elle reconnaît rester devoir à M. [M] une somme de 2.001,56 euros à la date de son départ imposé par M. [M];
* ordonner la compensation ;
* débouter M. [M] de son appel incident et de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
* condamner M. [M] à indemniser Mme [N] de ses frais irrépétibles à hauteur de 3.000 euros pour ceux de première instance et à hauteur de 5.000 euros pour ceux d’appel ; et
* condamner M. [M] aux dépens de première instance qui comprendront les frais de constat d’Huissier de Justice du 6 mars 2015 et aux dépens d’appel en ce compris les frais de l’expertise à intervenir dont Mme [N] fera l’avance et ceux du procès-verbal de constat par Huissier de Justice lors de la remise des bovins.
Elle fait valoir que le dépôt dont M. [M] se prévaut est gratuit ; que le dépôt ne peut avoir pour objet que des choses mobilières, ce qui n’est pas le cas des êtres vivants doués de sensibilité que sont les animaux.
Elle souligne que l’intimé n’avait pas la garde juridique des animaux et n’en est devenu gardien qu’à la suite de son expulsion, et qu’il a refusé de lui remettre les animaux, nonobstant les injonctions judiciaires ; qu’elle n’est pas la personne par laquelle le dépôt a été fait, du fait de cette contrainte, de sorte que M. [M] ne peut invoquer sa propre turpitude pour réclamer une pension.
Elle considère qu’il y a prêt à usage, la gestion des veaux et vaches réformés lui appartenant était assurée par M. [M] qui avait seul la qualité de chef d’exploitation ; qu’en cette qualité, il encaissait et conservait les primes « vaches allaitantes » ; que ces accords ont été respectés pendant plus de 15 ans ; que la demande de frais de pension ignore lamentablement lesdits accords.
Elle soutient que l’intimé a décidé de la ruiner ; qu’il vend des veaux et vaches lui appartenant et ne rend aucun compte depuis 8 ans ; qu’il veut garder le troupeau et le produit de la vente et la dépouiller du prix de la vente des terres dont il est maintenant propriétaire, sachant qu’il a aussi conservé la totalité des meubles qu’il avait acquis à vil prix en 2018.
S’agissant de sa demande d’expertise, elle estime indispensable de contrôler l’état du troupeau et d’en faire l’inventaire, et de déterminer les sommes encaissées par l’intimé sur les ventes d’animaux lui appartenant, ainsi que les primes perçues indûment.
S’agissant des dommages et intérêts, elle allègue qu’elle est fondée à soutenir que M. [M] devra conserver à sa charge les frais de pension et de vétérinaire ; qu’elle a subi un préjudice au titre de la saisie conservatoire abusive. Elle formule des réserves pour un éventuel préjudice supplémentaire qui serait révélé par l’expertise.
Par ses dernières conclusions en réponse notifiées par voie électronique (RPVA), le 03 mars 2022, M. [M], intimé, demande notamment de :
* déclarer Mme [N] mal fondée en son appel et la débouter de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions, y compris de mise en ‘uvre, d’une mesure d’expertise.
* confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– dit n’y avoir lieu à expertise pour déterminer le nombre de bêtes appartenant à Mme [N] nées postérieurement à sa séparation d’avec M. [M] et à son départ de l’exploitation tenue par ce dernier
– dit que la restitution des bêtes s’effectuera après complet paiement par Mme [N] des somme dont elle reste redevable à M. [M] au titre de la prise en charge de son cheptel, comme il est dit ci-dessous, et ce sans préjudice des mesures conservatoires que le demandeur jugerait utile de prendre pour garantir le recouvrement de son dû, en vertu de l’autorisation qu’il tient de l’ordonnance rendue le 15 septembre 2015 par le président du tribunal de grande instance de Sens ;
– condamné Mme [N] à payer à M. [M] , la somme de 77.459,57 euros au titre des frais de pension, de garde, d’entretien, de soins, de vétérinaire afférents à son cheptel pour la période de l’été 2010 à mars 2017 ;
– condamné Mme [N] à payer à M. [M] sur production de justificatifs utiles, les frais de même nature que ceux énumérés ci-dessus pour la période non visée et non couverte par la présente décision ;
– débouté Mme [N] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour préjudice financier.
Et y ajoutant,
*condamner Mme [N] à payer à M. [M] en vertu de l’artic1e 1947 du code civil la somme de 49.073,50 euros au titre du solde restant dû sur les frais de pension, de garde, d’entretien, de soins et de frais vétérinaire exposés jusqu’au 31 décembre 2021 ;
*déclarer Mme [N] mal fondée en ce qui concerne l’intégralité de ses demandes présentées en appel et l’en débouter purement et simplement ;
*déclarer M. [M] recevable et bien fondé en son appel incident ;
*condamner Mme [N] à payer à M. [M] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel ;
*condamner Mme [N] aux entiers dépens de première instance et d’appel et dire qu’ils comprendront les frais de saisie conservatoire ainsi que le cas échéant les frais subséquents de conversion en saisie attribution et dire qu’ils pourront être recouvrés par Maître Patricia Croci, avocat associé de la SCP Revest Lequin Nogaret de Metz Croci en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Il soutient qu’il est constant que Mme [N] lui a confié en dépôt salarié – soit une convention de dépôt – les bêtes qui lui appartenaient, afin qu’il en assure la garde, l’hébergement, la nourriture, l’entretien et les soins ; qu’en qualité de déposant, l’appelante est tenue de lui rembourser le montant de la pension ainsi que les dépenses exposées – elle n’a pas au demeurant, contesté le principe de ce paiement.
Il souligne que le dépôt n’est pas forcément gratuit. Il expose que l’article 514-1 du code civil qui dispose que l’animal est un être doué de sensibilité, est inclus dans le régime des biens et peut faire l’objet d’un dépôt selon la jurisprudence.
Il détaille le montant des pensions et frais, précisant qu’une partie, pour les bêtes non récupérées, continue de courir, outre les pensions, entretien et soin des veaux nés des vaches du cheptel litigieux. Il considère que tant que la totalité des bêtes n’est pas récupérée, le coût des aliments achetés et les frais – notamment vétérinaires – sont dus.
Il allègue que Mme [N] ne démontre pas qu’il aurait accepté de garder le cheptel à titre gracieux ; que la somme de 150 euros ne concerne que le défraiement de l’achat de pulpes, soit les aliments.
Il conteste l’existence d’un prêt à usage et souligne que le fait que la prime « vaches allaitantes » n’est versée que pour un cheptel inférieur ou égal à 50 vaches, ce qui n’est pas son cas et qu’il n’avait pas besoin des bêtes litigieuses pour obtenir des primes. Il souligne le travail supplémentaire induit par le cheptel en cause.
Il expose que c’est Mme [N] qui n’a pas voulu reprendre les bêtes.
S’agissant de la demande reconventionnelle, il soutient que le témoignage de M. [X] est mensonger et diffamatoire ; que le cheptel n’a jamais été maltraité ainsi qu’il en justifie ; qu’il avait informé le 17 juin 2015, à la suite de l’ordonnance de référé, qu’il ne s’opposait pas à la reprise des bêtes ; que cependant, ce n’est que le 11 septembre 2015 que Mme [N] les a récupérées.
Il indique qu’il ne s’est pas davantage opposé à la restitution des veaux nés des vaches appartenant à l’appelante, mais sous réserve que les frais lui soient payés et il considère que l’astreinte à ce titre n’a pas lieu d’être.
S’agissant de son appel incident, il considère qu’il est inéquitable que sa demande au titre des frais irrépétibles ait été rejetée.
La clôture de l’instruction de l’affaire est intervenue le 23 mars 2022.
MOTIFS DE L’ARRÊT
A titre liminaire, il sera relevé que les parties ne critiquent pas le jugement en ce qu’il a condamné M. [M] à restituer les bêtes identifiées sous les numéros suivants : 5379, 5382, 5384, 5390, 6433, 644l, 6445, 6446, 6482, 7496, 7507, 7509, 7533, 7535, 8537, 8547, 8563, 8565, 8566, 8567, 8569. Mme [N] sollicite en revanche l’infirmation du jugement s’agissant de la demande d’expertise notamment pour déterminer le nombre de bêtes nées postérieurement à la séparation, et le fait que ladite restitution s’effectuera après paiement.
Aux termes de l’article 1915 du code civil, le dépôt est défini comme ‘un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature’.
L’article 515-4 du même code qui définit les animaux comme des êtres doués de sensibilité, précise que, sous réserve des lois qui les protègent, ils sont soumis au régime des biens.
Il en résulte que leur garde peut tout à fait être qualifiée de contrat de dépôt, contrairement à ce que soutient l’appelante.
Si l’article 1917 du code civil dispose que le dépôt proprement dit est un contrat essentiellement gratuit, rien n’interdit qu’il soit onéreux.
Aux termes de l’article 1947 du même code, la personne qui a fait le dépôt est tenue de rembourser au dépositaire les dépenses qu’il a faites pour la conservation de la chose déposée, et de l’indemniser de toutes les pertes que le dépôt peut lui avoir occasionnées.
Le jugement a relevé (page 6) que Mme [N] reconnaissait devoir une somme à son ancien compagnon mais contestait le décompte des sommes réclamées. Devant le juge des référés (ordonnance du 9 juin 2015 – pièce 16 de l’intimé), elle contestait également devoir la moindre somme, alléguant cependant avoir déjà réglé ces frais et produisant des décomptes rédigés par les deux parties. Il en résulte que le fait que Mme [N] était tenue de rembourser les frais afférents au dépôt n’était pas en réalité contesté. L’existence même du dépôt réside dans la constatation matérielle de ce que des bêtes dont elle est propriétaire sont prises en charge par l’intimé.
Mme [N] évoque désormais la procédure de liquidation judiciaire dont a fait l’objet M. [M]. Elle allègue que l’intimé aurait bénéficié de certaines largesses puisque la procédure aurait été clôturée, sans que son cheptel ne soit vendu, et ce, au détriment des créanciers.
Elle soutient que selon une règle définie entre eux, elle soignait les bovins dont elle était propriétaire et M. [M] mettait gratuitement à sa disposition des près qu’il avait en location, moyennant 150 euros par vache pour la nourriture l’hiver ; qu’elle lui rembourserait les frais de vétérinaire, le tout étant prélevé lors de la vente d’animaux.
Cependant, ce prêt à usage, qui n’est pas établi par les pièces versées, n’aurait pas pu perdurer, en tout état de cause, au-delà de la séparation du couple et du départ de l’appelante.
Outre que Mme [N] n’indique pas quelle conséquence juridique précise elle entend tirer de ces longs développements sur les relations ayant existé entre les parties, l’existence de tels accords n’est matérialisée par aucune pièce de nature à remettre en cause l’existence du contrat de dépôt et de son obligation corrélative et résultant de l’article 1947 précité de rembourser les frais y afférents.
Par des motifs que la cour adopte intégralement, il y a lieu de relever dans les décomptes versés par l’appelante que la mention « pension vaches » apparaît au moins 7 fois, contre 2 fois pour la mention « pension hiver » et qu’il ait peu vraisemblable que les parties aient pu s’accorder pour limiter la facturation de la pension des bêtes à la seule période d’hiver, comme elle le prétend.
De la même manière, ces décomptes, pour le moins complexes, surchargés et raturés, ne constituent, faute d’avoir été signés par les deux parties, que de simples document de travail, comme le premier juge l’a retenu. Rien ne permet pas de retenir un montant forfaitaire de 150 euros par bête, alors que certaines mentions sont contraires (« pension génisse hiver 100 € X2 ») et que les décomptes ne couvrent pas toute la période en cause.
Il y a lieu, par des motifs que la cour adopte, de retenir, en l’absence de convention, le « barème indicatif » fourni par la Chambre d’Agriculture (pièce 4 du demandeur – pension d’animaux), prévoyant un tarif « été » et un tarif « hiver ».
Ce barème constitue une source communément admise en cette matière.
Soit, pour le tarif « été »
bovin ‘ 18 mois : 88,74 euros
bovin de 18 à 24 mois : 115,26 euros
bovin + 2 ans : 135,66 euros
vache suitée : 215,22 euros
tarif « hiver »
bovin – 12 mois : 0,93 euros
bovin de 1 à 2 ans : 1,25 euros
bovin de + 2 ans : 1,59 euros
vache suitée : 2,04 euros
M. [M] produit les pièces justificatives (pièces 31 à 63) dont il résulte les pensions et frais suivants :
pensions et frais d’entretien, étés 2010 à 2013 : 20 576,45 euros
pensions et frais dus depuis l’été 2014 : 44 826,44 euros
pensions et entretien et soins des veaux nés des vaches du cheptel litigieux: 12 056,68 euros.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu une créance de 77 459,57 euros, arrêtée au 15 novembre 2018.
En cause d’appel, M. [M] fait état des sommes suivantes, calculées et justifiées selon la même méthode (ses pièces 73 à 79 et 87),
pensions pour le solde de 2018 au 31 décembre 2021 : 62 567,63 euros
pensions et entretien et soins des veaux nés des vaches du cheptel litigieux de 2018 à
2021 : 9 372,20 euros.
Soit un total de 71 939,83 euros.
Il reconnaît avoir vendu entre 2017 à 2021 certains animaux pour 22 866,33 euros (son décompte en pièce 80), somme qui sera déduite.
Mme [N] sera condamnée à payer la somme complémentaire de 49 073, 50 euros.
Compte tenu des justificatifs produits et des demandes suffisamment étayées, il n’y a pas lieu à expertise et la décision entreprise sera par ailleurs confirmée en ce qu’elle a conditionné la remise des animaux au complet paiement des sommes dont l’appelante est redevable.
Sur les dommages et intérêts reconventionnels au titre d’un manque à gagner (2 125 euros)
Mme [N] fait valoir que M. [M] n’a pris aucun soin des animaux qui lui étaient confiés. Elle verse en pièce 67, une facture de 3 975,20 euros émise par la SAS [X] pour l’acquisition de 8 bovins et en date du 11 septembre 2015, en regard de laquelle, elle a elle-même rédigé un décompte manuscrit dont il résulte qu’elle évalue à la somme de 6 100 euros la valeur des bovins s’ils avaient été nourris convenablement et n’étaient pas restés tout l’été très chaud dans un hangar.
Cette moins-value n’est pas étayée de documents, par exemple vétérinaires, qui viendraient démontrer l’état dégradé des bovins.
Le demandeur produit au contraire – pièces 37 et 38 – deux écrits émanant du Docteur [B] qui expose que « cet élevage a toujours présenté très peu de pathologies comme en témoignent les bilans sanitaires réalisés chaque année » – (courrier du24 mai 2016).
Par des motifs que la présente cour adopte, il convient de relever que l’attestation de M. [X] est insuffisante pour établir la réalité du préjudice. Elle émane de celui qui a acquis les bêtes et avait dès lors un intérêt à en minorer le prix et les conditions de la vente n’étant par ailleurs pas suffisamment établies, notamment le fait de savoir si Mme [N] était en capacité de conserver les animaux.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur les dommages et intérêts reconventionnels pour saisie-conservatoire déloyale et abusive (5 700 euros)
Mme [N] produit la copie du procès-verbal de saisie-conservatoire de créance, en date du 11 février 2021, en exécution du jugement déféré qui constitue un titre constatant une créance liquide, certaine et exigible (pièce 94).
En tout état de cause, la mainlevée de toute mesure d’exécution et la condamnation du créancier à des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie sont de la compétence exclusive du juge de l’exécution en vertu de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution. Les demandes à ce titre ne sont donc pas recevables.
Sur les demandes accessoires
Le premier juge a dit ne pas y avoir lieu à application des articles 696 du code de procédure civile et 700 du code de procédure civile. En réalité, il résulte des motifs de la décision qu’il a entendu laisser à chacune des parties la charge de ses dépens et de ses frais irrépétibles, ce qui constitue de fait, une application de ces dispositions.
La décision sera donc confirmée sur ce point.
A hauteur d’appel, Mme [N] sera condamnée aux dépens, avec distraction dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, mais l’équité commande de laisser à la charge des parties leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [N] à payer à M. [M] la somme de 49 073,50 euros au titre des frais de pension, garde, d’entretien, de soins et vétérinaires pour la période du 15 novembre 2018 au 31 décembre 2021 ;
Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts reconventionnelle au titre de la saisie-conservatoire ;
Condamne Mme [N] aux dépens de l’instance d’appel ;
Dit que les dépens pourront être recouvrés par la SCP REVEST LEQUIN NOGARET DE METZ CROCI, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes, y compris au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE