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ARRÊT DU
21 Octobre 2022
N° 1724/22
N° RG 21/00088 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TMOW
PS/GL/SST
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DOUAI
en date du
17 Décembre 2020
(RG F 19/00078 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 21 Octobre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [I] [T]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Pierre NOEL, avocat au barreau de DOUAI
INTIMÉE :
Association AUBYGEOISE D’ANIMATION SOCIALE ET CULTURELLLE (ASC )
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Antoine BIGHINATTI, avocat au barreau de VALENCIENNES
DÉBATS : à l’audience publique du 06 Septembre 2022
Tenue par Patrick SENDRAL
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Nadine BERLY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 21 Octobre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Angelique AZZOLINI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 25 janvier 2022
FAITS ET PROCEDURE
le 31 mars 2016 M.[T] a été engagé par l’Association aubygeoise d’animation sociale et culturelle (l’ASC) en qualité de directeur du centre social d'[Localité 3] comportant une trentaine de salariés.
Le 26 avril 2018 il a été licencié pour cause disciplinaire et dispensé d’exécuter le préavis.
Par jugement ci-dessus référencé auquel il est renvoyé pour plus ample connaissance de la procédure les premiers juges, saisis par M.[T] de réclamations indemnitaires au titre de son licenciement à ses dires nul ou à défaut dénué de cause réelle et sérieuse, ont condamné l’ASC à lui verser, avec capitalisation des intérêts, 13 370,34 euros d’indemnité compensatrice de préavis ainsi que l’indemnité de congés payés afférente mais l’ont débouté du reste de ses demandes.
Vu l’appel formé par M.[T] contre ce jugement et ses conclusions du 20/9/2021 par lesquelles il demande son infirmation sauf sur les sommes allouées au titre du préavis et :
-à titre principal l’annulation de son licenciement, sa réintégration et la condamnation de l’ASC à lui payer ses salaires jusqu’à sa réintégration effective, outre 36 614 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral et 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
-à titre subsidiaire la condamnation de l’ASC au paiement de 75 995,50 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 36 614 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral et 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions du 21/6/2021 par lesquelles l’ASC conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamnée au paiement des sommes y figurant, pour le surplus à sa confirmation, au rejet des demandes du salarié et à l’octroi d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Vu l’article 455 du code de procédure civile et l’ordonnance de clôture
MOTIFS
La demande d’annulation du licenciement
Au soutien de sa demande M.[T] fait en substance valoir qu’il a été licencié pour avoir en sa qualité de directeur ouvertement critiqué certaines des décisions prises par son employeur ce qui selon lui constitue une atteinte injustifiée à sa liberté d’expression. L’ASC rétorque que M.[T] a fait un usage abusif de sa liberté d’expression, qu’il a agi déloyalement et que son licenciement est la résultante de son comportement nuisant au bon fonctionnement de l’association.
Sur ce,
il résulte de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et du Code du travail que sauf abus les salariés jouissent dans l’entreprise d’une liberté d’expression leur permettant de s’exprimer et notamment de critiquer leurs conditions de travail voire les choix de gestion de l’employeur. Il est cependant de règle que cette liberté ne justifie pas l’emploi de termes injurieux, excessifs ou diffamatoires. L’employeur ne peut pour sa part sanctionner l’exercice par le salarié de sa liberté d’expression ce sous peine de nullité de la sanction prononcée.
En l’espèce, la lettre de licenciement fixant les limites du litige est ainsi rédigée :
«Monsieur
vous avez été embauché par contrat de travail à durée indéterminée en date du 31 mars 2016, en qualité de Directeur de l’ Association, A ce titre, vous devez mettre en ‘uvre les mesures décidées tant par le Conseil d’ Administration que par le Président de l’Association. Depuis plusieurs mois, nous constatons que vous remettez systématiquement en cause les Directives qui vous sont données par les organes de 1 ‘Association, Cette remise en cause s’est exprimée à maintes reprises tant par courriers que par mails dont vous assurez une large diffusion et de nature à semer le trouble vis-à-vis des collaborateurs. La remise en cause de la légitimité tant du Conseil d’Administration que du Président cause un trouble objectif au bon fonctionnement de la structure. A titre d’exemple, vous avez diffusé un mail en date du 26 février 2018 en ces termes:
« Je constate, encore une fois, que malgré les arguments professionnels et « extra professionnels que j’ai développés dans ma proposition, vous nous imposez un autre choix, dicté certainement par des contingences « partisanes » et/ou de copinage ».
Vous avez par ailleurs affirmé remettre fortement en doute la possibilité d’une collaboration en bonne intelligence, dans le respect et la confiance pour l’avenir. Dans un courrier en date du 31 juillet 2017 vous avez également affirmé au Président de l’Association:
«aujourd ‘hui, malgré les efforts consentis pour faire revivre le centre social, dans un climat de confiance et de sérénité, je considère que certaines de vos prises de position et décisions, appuyées par une partie des membres du Conseil d’Administration, vont à l’encontre des légitimes valeurs citées ci-avant et mettent en péril la probité et l’impartialité qui doivent éclairer et rejaillir d ‘une instance de gouvernance telle que celle que vous dirige., De ce fait, ne pouvant plus « cautionner» ce fonctionnement incompatible avec le projet que nous souhaitons engager pour les années futures. les légitimes valeurs que j’ai toujours défendues et l’éthique et le militantisme désintéressés dont j’ai toujours fait preuve, je me vois dans l’obligation de demander au Conseil d Administration que vous présidez la possibilité de bénéficier d’une rupture conventionnelle de mon contrat de travail ».
A l’ époque, nous avions espéré un ressaisissement de votre part et avions différé notre décision quant à une éventuelle rupture conventionnelle. Nous vous avons ensuite fait part de notre acceptation sur le principe d’une telle rupture mais vous n’avez pas souhaité confirmer votre volonté. Depuis, le comportement de défiance que vous avez adopté vis-à-vis des organes de l’Association n’ a eu de cesse de s’accentuer et vous avez même pris des initiatives telle que 1′ embauche de collaborateurs sans même une quelconque autorisation de la gouvernance ni même d’ ailleurs d’information à ce titre. Nous vous avons alors donné instruction de mettre fin à la période d’essai de la salariée embauchée mais vous n’ avez pas voulu vous conformer à cette instruction.
Votre comportement, qui trouble de manière objective le bon fonctionnement de l’Association a conduit la Caisse d’Allocation Familiales à envisager un retrait d’agrément. Dans ces conditions, votre défiance permanente ne nous permet pas la poursuite sereine de notre collaboration. Votre licenciement prendra effet à la date de première présentation du présent courrier qui marquera le point de départ de votre préavis dont nous vous dispensons d’exécution.. »
Il ressort de la lettre recommandée adressée le 31 juillet 2017 par l’appelant au président de l’association, exactement retranscrite dans la lettre de licenciement, qu’il lui a reproché, ainsi qu’à des membres du conseil d’administration, un manque de probité.
Par ailleurs, M.[T] lui a adressé un courriel le 26 février 2018 l’accusant de copinage et d’être la proie à des « contingences partisanes ». La probité se définissant comme une qualité de droiture, de bonne foi et d’honnêteté les termes utilisés par le salarié n’ont pu que porter atteinte à la dignité et à la réputation du président et du conseil d’administration.
Pour toute explication le salarié se borne à faire état de tensions au sein de la structure et d’une gestion associative à ses yeux contraire aux intérêts du centre social mais il n’indique pas quels agissements de sa direction seraient contraires à la probité et a fortiori il ne fournit aucun justificatif permettant de s’en convaincre.
Il ne ressort d’aucune pièce que l’employeur ait manqué à l’obligation de probité dans ses rapports avec le salarié et les tiers.
Les témoignages au dossier de M.[T] sont établis en des termes généraux et imprécis, ce qui ne permet pas de corroborer les griefs sans autre élément établissant que le directeur aurait été poussé à bout et qu’il avait des raisons de ne pas exécuter les ordres de son employeur. Les témoins, dont l’une est l’ancienne compagne de M.[T], font état d’une « confusion des fonctions entre le directeur et le président de l’association » mais statutairement la direction de l’association et du centre social incombait non pas au directeur mais au président.
Du reste, la Cour n’a pas à porter d’appréciation sur les orientations de l’association et les recrutements décidés par ses organes de gouvernance même contre l’avis du directeur. Si une certaine tension a pu régner entre les protagonistes l’insinuation de malhonnêteté et de copinage est diffamatoire et elle ne saurait être légitimée par les dispositions protégeant la liberté d’expression du salarié ni rétroactivement validée par la perte de l’agrément CAF postérieurement au licenciement puisqu’elle n’a pas de lien avéré avec les faits litigieux.
Il appert par ailleurs que les mauvaises relations entre le directeur et son employeur se sont cristallisées du moment qu’il lui a à juste titre été demandé de valider son diplôme sous peine de perdre l’agrément de la CAF, ce à quoi il a opposé une certaine résistance.
Au surplus, le licenciement a été motivé par des faits qualifiés d’insubordination, ce qui ne relève pas du dispositif protégeant la liberté d’expression du salarié dans l’entreprise. La demande d’annulation du licenciement sera donc rejetée par confirmation du jugement.
La cause réelle et sérieuse de licenciement
M.[T] indique que l’auteur de la lettre de licenciement n’avait pas compétence pour le prononcer mais il ressort de l’article 4.1 des statuts que si l’association est administrée par un conseil d’administration le président est chargé de la représenter « dans les actes de la vie civile ». Il n’existe donc aucune ambiguïté sur les prérogatives du président de l’ACS ayant valablement signé la lettre de licenciement litigieuse, étant observé qu’aucune disposition n’attribuait expressément compétence au bureau ou au conseil d’administration pour y procéder. Ce moyen est donc infondé.
Sur les faits en eux-mêmes et en premier lieu l’employeur fait à juste titre valoir que M.[T] a commis un manquement à son devoir de loyauté en mettant en cause sa probité et celle de membres du conseil d’administration par écrit, hors toute justification.
M.[T] indique n’avoir fait que « contester… les décisions prises de manière injustifiée par le président et deux membres du bureau au mépris des règles de fonctionnement et des valeurs du centre social », mais ainsi qu’il a été dit il l’a fait en des termes excessifs et diffamatoires.
En deuxième lieu, il ressort du procès-verbal de réunion du bureau de l’association du 14 février 2017 que M.[T], régulièrement convoqué, a refusé d’y assister alors qu’en raison de ses fonctions il y était tenu. Ces faits constituent un manquement à ses obligations de directeur ainsi qu’une marque de défiance persistante. Le salarié se borne à indiquer, sans apporter le moindre élément, que l’authenticité de ce procès-verbal serait douteuse, qu’il aurait été verbalement agressé par le président et qu’il a «mûri une certaine méfiance attentive vis à vis de l’organe de gouvernance» mais il a fait preuve d’insubordination en refusant de se rendre devant le conseil d’administration ce qui a privé cet organe de la possibilité de dialoguer, de lui faire part de ses orientations et constitue pour un directeur de structure un manquement délibéré à son obligations de présence et de loyauté.
Il ressort enfin des débats que par courriel du 3 octobre 2017 l’appelant, qui évoquait sa «consternation» à la lecture d’un courriel de son employeur lui donnant ordre de mettre fin à la période d’essai d’une salariée, lui a fait savoir qu’il ne l’exécuterait pas. Son refus était d’autant plus problématique qu’il avait recruté cette salariée sans l’aval obligatoire du président. Ces faits non discutés constituent également des manquements à ses obligations contractuelles. Il est d’autre part avéré que l’intéressé a envoyé en copie à des tiers à la relation contractuelle, dont un membre de la CAF, des courriels contenant des récriminations acerbes envers son employeur.
Sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres griefs il s’en déduit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse. Le jugement sera donc confirmé y compris en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, l’employeur n’ayant en effet pas commis de faute en usant de son pouvoir de sanction.
La demande au titre du préavis
Le salarié soutient que ses trois mois de préavis ne lui ont pas été réglés. L’employeur prétend qu’il a «perçu sur cette période sa rémunération aux échéance normales» mais il lui incombe d’établir le paiement effectif des sommes dues suite à la dispense d’exécution du préavis. Pas plus en cause d’appel qu’en première instance il ne produit d’élément prouvant un tel paiement. Le jugement sera donc confirmé.
Les frais de procédure
Il serait inéquitable de condamner l’une ou l’autre des parties au paiement d’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné l’association aux dépens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
CONFIRME le jugement sauf en ce qu’il a condamné l’association ASC aux dépens
DIT n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens d’appel et de première instance.
LE GREFFIER
Angelique AZZOLINI
LE PRESIDENT
Marie LE BRAS