Diffamation : décision du 20 juin 2019 Cour de cassation Pourvoi n° 18-18.176

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Diffamation : décision du 20 juin 2019 Cour de cassation Pourvoi n° 18-18.176

CIV. 2

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 20 juin 2019

Rejet non spécialement motivé

M. PRÉTOT, conseiller doyen
faisant fonction de président

Décision n° 10513 F

Pourvoi n° D 18-18.176

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :

Vu le pourvoi formé par M. E… O…, domicilié […] ,

contre l’arrêt rendu le 11 avril 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 2, chambre 7), dans le litige l’opposant à la caisse d’allocations familiales de Paris, dont le siège est […] ,

défenderesse à la cassation ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l’audience publique du 22 mai 2019, où étaient présents : M. Prétot, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Decomble, conseiller rapporteur, M. Cadiot, conseiller, Mme Szirek, greffier de chambre ;

Vu les observations écrites de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. O…, de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la caisse d’allocations familiales de Paris ;

Sur le rapport de M. Decomble, conseiller, l’avis de M. de Monteynard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu l’article 1014 du code de procédure civile ;

Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l’encontre de la décision attaquée, n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Qu’il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. O… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. O… et le condamne à payer à la caisse d’allocations familiales de Paris la somme de 3 000 euros ;

Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt juin deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE à la présente décision

Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. O….

Il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir débouté M. O… de ses demandes en responsabilité civile à l’encontre de la Caisse d’Allocations Familiales de Paris ;

Aux motifs propres que « L’appelant principal rappelle que les poursuites dont il a été l’objet ont eu pour origine une dénonciation de la CAF et que cette poursuite s’est conclue par une relaxe définitive qui établit l’inexactitude des faits dénoncés. A ces éléments objectifs, non contestés, il ajoute que la CAF avait connaissance du caractère inexact des faits dénoncés, il se fonde sur un courrier de l’intimée en date du 9 juin 2009, adressé à Mme W… , indiquant qu’elle serait la seule allocataire des prestations sociales auxquelles elle pouvait prétendre. Ce point étant confirmé dans le courrier du 3 décembre 2013 adressé par la CAF à la CNIL, précisant que lui-même n’avait pas la qualité d’allocataire. Il affirme que si l’intimée s’est tournée vers lui, c’était pour s’épargner le coût et la complexité d’un recours contre une allocataire résidant à l’étranger.

Il était par ailleurs acquis qu’il ne pouvait être le bénéficiaire de l’intégralité des prestations sociales versées à son ex-concubine, puisqu’ils n’ont eu qu’un enfant commun.

Il ne cachait pas néanmoins que ces éléments survenaient dans le contexte d’une séparation difficile. L’appelant affirme que la CAF ne pouvait ignorer ce contexte, alors qu’il est par nature étranger aux prestations servies à différents titres.

Il rappelait encore que la dénonciation au Parquet de son escroquerie supposée est intervenue sans que l’intimée ait pris la peine de l’interroger.

C’est enfin la communication par la CAF à FOX NEWS qui lui a causé le principal préjudice, puisqu’il entraînait son licenciement.

L’intimée a décrit plus précisément l’historique des faits en rappelant que c’était le 15 avril 2009 qu’I… W… s’est enregistrée à nouveau comme allocataire auprès de ses services, qu’à cette occasion elle signalait que depuis 2006 elle vivait avec ses enfants en République Dominicaine, tandis que son compagnon résidait à New-York depuis 2004, et n’occupait qu’occasionnellement son appartement parisien.

C’est à partir de ces éléments que la CAF tentait d’une part de récupérer des sommes supposées indument versées et dénonçait les faits au Parquet. La cour pour relaxer définitivement E… O… relevait que le mensonge ne suffisait pas à constituer une escroquerie, faute de la démonstration de manoeuvres frauduleuses étayant celui-ci. Il n’en demeurait pas moins selon elle que c’était à juste titre qu’elle avait engagé une procédure de recouvrement des sommes qu’elle considérait comme indument perçues par l’appelant et ses ayants-droit, puis qu’elle déposait plainte notamment au vu des informations qu’elle recevait du fait de l’ex-concubine de celui-ci. Elle rappelait qu’à la suite de son signalement, puis de sa plainte, le renvoi de E… O… devant le tribunal intervenait à la requête du procureur de la République de Paris. L’analyse qui conduisait à la relaxe définitive du prévenu ne caractérisait en rien une volonté de sa part de nuire à ce dernier, ni même une connaissance a priori du mal fondé de sa plainte. La CAF faisait encore observer que l’appelant n’avait pas jugé utile de poursuivre son ancienne compagne dont les révélations sont à l’origine de sa propre plainte.

L’intimée fait encore valoir que la gestion de son dossier d’allocataire par E… O… est à tout le moins anormale, et aurait pu justifier devant la chambre pénale qui l’a relaxé une requalification en fausse déclaration à une administration publique, ce qui fonde encore sa bonne foi lors de sa déclaration initiale. Il sera à ce titre renvoyé aux explications de la CAF quant aux notions « d’allocataire » et « d’attributaire », qui auraient été en l’espèce méconnues par l’appelant, la cour n’étant néanmoins pas saisie de ce contentieux éventuel.

Elle rappelle encore et établit que si elle n’a pas recueilli les explications de l’appelant, c’est parce que celui-ci n’a jamais répondu à ses sollicitations en ce sens. Aucune faute ne saurait donc lui être imputée. La CAF relève encore que le préjudice revendiqué par l’appelant est sans relation avec les missions très ponctuelles qu’il aurait effectuées pour l’ONU, ainsi qu’avec ses revenus déclarés pour les années 2011 et 2012, infiniment plus modestes que les pertes alléguées. Surtout, elle relève qu’elle n’est nullement à l’origine des informations diffusées sur FOX NEWS, alors que celles-ci étaient connues principalement par I… W… et de la mère de celle-ci, après qu’elles ont sollicité la CNIL.

La cour constatera, qu’effectivement se trouvent à l’origine de l’action de la CAF, tant en répétition de sommes indues que d’une éventuelle escroquerie, les déclarations de l’ex-compagne de E… O…. Sans que la cour ait à trancher du bien fondé de ses demandes, il est pour le moins étonnant que E… O… ait sollicité en son nom des prestations qui ne lui étaient pas destinées, outre la question de la légitimité de son allocation logement parisienne. Ainsi l’enquête administrative, puis pénale dont E… O… a été l’objet, n’a rien d’illégitime. Par ailleurs, sans qu’il soit besoin d’apprécier le quantum du préjudice qu’a pu lui causer l’article de FOX NEWS, il n’est pas contestable que la CAF n’est pas à l’origine de cette information connue de la famille de l’appelant, à supposer qu’à l’initiative de cette chaîne de télévision l’intimée ait pu confirmer l’existence d’un contentieux l’opposant à l’appelant. »

Et aux motifs adoptés que « Attendu que E… O… expose avoir été poursuivi, sur plainte de la CAF, devant la juridiction pénale du chef d’escroquerie pour avoir indûment perçu un montant de 18 186,99 euros d’allocations familiales et d’allocations logement sans avoir déclaré qu’il n’habitait plus le logement, situé […] , ni que son ancienne concubine et les deux enfants de celle-ci, dont il n’est le père que de l’un d’eux, vivaient à l’étranger ; que le tribunal l’a relaxé par jugement en date du 7 avril 2011, jugement confirmé par arrêt en date du 4 juillet 2013 rendu par la cour de Paris sur appel de la CAF; ; qu’il indique que seule son ancienne concubine était allocataire de ces allocations ce que ne pouvait ignorer la CAF laquelle a agi de mauvaise foi et avec l’intention de lui nuire, que ce litige a été évoqué dans un article publié sur le site internet de FOX NEWS le 27 août 2009, sous le titre «France -Un fonctionnaire de l’ONU bien rémunéré s’est frauduleusement approprié des prestations sociales françaises», alors que le demandeur venait d’être engagé pour un contrat de deux ans auprès de l’ONU, contrat immédiatement résilié par l’organisation internationale ;

Attendu que E… O… soutient que la dénonciation dont il a fait l’objet auprès du ministère public par la CAF caractérise le délit de dénonciation calomnieuse dès lors que celle-ci ne pouvait ignorer qu’il n’était pas l’allocataire, alors surtout que ces allocations étaient, pour partie, versées pour un enfant qui n’était pas le sien ; qu’il invoque également la faute commise par la CAF qui manifeste son intention de lui nuire par la communication de son rapport d’enquête à la presse américaine qui s’en est fait l’écho ce qui a eu pour conséquence la rupture de ses relations contractuelles avec l’ONU ;

Attendu, en premier lieu, que le moyen d’irrecevabilité soulevé par la défenderesse, pris de l’autorité de la chose jugée par la cour d’appel rejetant la demande formée par E… O… en raison du caractère abusif de l’appel formé par la CAF du jugement de relaxe et sur le fondement de l’article 475-1 du Code de procédure, ne saurait être accueilli ; qu’en effet, ainsi qu’en dispose l’article 1351 du Code civil, l’autorité de la chose jugée suppose que la demande soit fondée sur la même cause ce qui n’est pas le cas en l’occurrence puisque la présente action invoque le caractère calomnieux de la dénonciation initiale ainsi que la faute commise dans la transmission de son rapport à la presse américaine, la juridiction pénale d’appel n’ayant pas été saisie de ces causes de la présente action ;

Attendu que l’article 226-10 du Code pénal définit la dénonciation calomnieuse comme « La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires (…) et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, (…) » ; que le second alinéa de ce texte prévoit que «La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non lieu, déclarant que le fait n ‘a pas été commis ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée»,

Attendu, qu’en l’espèce, les juridictions pénales ont relaxé E… O… des poursuites engagées du chef d’escroquerie sur dénonciation de la CAF ; que la cour d’appel a estimé que E… O…, malgré des courtes missions à l’étranger, habitait toujours dans l’appartement de la […] et que, bien qu’il ait rempli les dossiers de demande d’aides en 2006, l’allocataire des sommes versées était son ancienne concubine, I… W… , et qu’il ne pouvait être reproché à E… O… qu’une omission d’informer insusceptible de caractériser l’infraction poursuivie ;

Attendu que de ces décisions il peut être déduit la fausseté des faits imputés à E… O… par la CAF ;

Que cependant, cet élément est insuffisant pour caractériser la faute reprochée, en l’espèce, à la défenderesse, la dénonciation calomnieuse exigeant, non seulement que le fait dénoncé soit inexact, mais que cette dénonciation ait été faite en connaissant ce caractère inexact ; qu’il s’agit de l’application du principe de la responsabilité civile combinée avec le droit d’agir en justice qui conduit à considérer que ce droit d’agir en justice ne dégénère en faute que s’il est établi une malveillance ou une témérité coupable ;

Attendu qu’à cet égard, s’il peut être considéré que la CAF a manqué de vigilance et de prudence en procédant à cette dénonciation en se fondant sur les éléments invoqués par l’ancienne concubine de E… O… et sans prendre en considération la circonstance que celle-ci avait la qualité d’allocataire, il doit être relevé que le fait que le demandeur a rempli la demande d’aides en 2006 et que les versements ont été effectués sur son compte en banque, au moins à compter de 2007, ne permettent pas de considérer que la CAF de Paris en dénonçant ces faits aux services de police, savait que ces faits étaient inexacts ;

Qu’ainsi la responsabilité de la défenderesse ne peut être retenue de ce chef ;

Attendu que le demandeur fait également valoir le comportement fautif de la CAF pour avoir transmis son rapport à un journal américain ce qui a eu pour conséquence la publication d’un article mettant en cause son honnêteté, lequel a entraîné la résiliation immédiate du contrat de deux ans qu’il venait d’obtenir des Nations Unies et ne lui permet pas de retrouver un nouvel emploi ;

Attendu cependant qu’il n’est pas établi que la CAF soit à l’origine de la transmission de ce rapport à cet organe de presse, qu’en revanche, il est justifié que ce rapport a été communiqué à l’ancienne concubine du demandeur, I… W… , par l’intermédiaire de sa mère S… W… , ainsi qu’elle en a fait la demande par lettre du 30 mai 2009, la CNIL ayant estimé qu’en sa qualité d’allocataire, elle pouvait en obtenir communication (pièces n°16 de la CAF) ;

Qu’ainsi la preuve de la faute de la CAF n’étant pas rapportée, la demande de ce chef, sera également rejetée ;

Attendu, quant à la demande reconventionnelle de la CAF fondée sur son « préjudice moral, en terme d’image (…) eu égard au caractère diffamatoire des allégations portées contre elle dans la présente instance », que celle-ci ne peut qu’être rejetée du fait de l’immunité qui protège les discours et écrits produits devant les tribunaux afin de garantir le libre exercice du droit d’agir ou de se défendre en justice ; qu’en outre l’action engagée par E… O… ne présente aucun caractère abusif compte tenu de la relaxe dont il a bénéficié et de la légèreté dont la CAF a fait preuve ;

Attendu que l’équité ne commande pas l’application de l’article 700 du Code de procédure civile dans la présente affaire ;

Que la demande d’exécution provisoire est sans objet » ;

1. Alors que d’une part, la responsabilité civile peut résulter d’une négligence ou d’une imprudence ; qu’en l’espèce, en ne recherchant pas, ainsi qu’elle y était invitée, si le fait pour la CAF d’avoir motivé des poursuites du chef d’escroquerie à l’encontre de M. O…, sur déclarations de son ex-compagne, qui avaient débouché sur une relaxe, la diffusion d’un article de FOX NEWS intitulé « France – Un fonctionnaire de l’ONU bien rémunéré s’est frauduleusement approprié des prestations sociales françaises » et la perte consécutive de son emploi, n’avaient pas constitué une faute civile, même involontaire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 anciens, 1240 et 1241 nouveaux, du code civil ;

2. Alors qu’en tout état de cause, la responsabilité civile peut résulter d’une négligence ou d’une imprudence ; qu’en l’espèce, en énonçant, par motifs adoptés, que la CAF avait « manqué de vigilance et de prudence en procédant à cette dénonciation en se fondant sur les éléments invoqués par l’ancienne concubine de E… O… et sans prendre en considération que celle-ci avait la qualité d’allocataire », la cour d’appel, qui a débouté M. O… de sa demande en indemnisation sur le fondement de la responsabilité civile, n’a pas tiré les conséquences légales de ces constatations et a violé les articles 1382 et 1383 anciens, 1240 et 1241 nouveaux, du code civil ;

3. Alors que d’autre part, tout jugement ou arrêt doit être motivé à peine de nullité ; qu’en l’espèce, en se bornant à considérer que « l’enquête pénale puis administrative dont E… O… a été l’objet n’avait rien d’illégitime » et qu’« il n’est pas contestable que la CAF n’est pas à l’origine de cette information connue de la famille de l’appelant », sans répondre au moyen, péremptoire, de M. O… aux termes duquel la Caisse d’Allocations Familiales qui l’avait fait poursuivre, à tort, du chef d’escroquerie devant le tribunal correctionnel qui l’avait relaxé avait, à tout le moins, commis une faute procédant de la légèreté ou de la témérité de sa dénonciation, au sens de l’article 1382 ancien, 1240 nouveau, du code civil (conclusions d’appel récapitulatives, spéc. p. 7), la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;

4. Alors qu’enfin, le juge ne saurait dénaturer les documents de la procédure ; qu’en l’espèce, en affirmant, de manière péremptoire, qu’« il est pour le moins étonnant que E… O… ait sollicité en son nom des prestations qui ne lui étaient pas destinées » tandis qu’il résultait des pièces de la procédure, et notamment de l’arrêt définitif de la cour d’appel de Paris du 4 juillet 2013 l’ayant relaxé du chef d’escroquerie, que son ex-compagne était tout à la fois l’allocataire et la bénéficiaire des prestations sociales versées par la CAF, la cour d’appel a dénaturé ces documents et a violé les articles 1134 ancien, 1192 nouveau, du code civil.

 


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