Diffamation : décision du 17 septembre 2019 Cour de cassation Pourvoi n° 18-86.261

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Diffamation : décision du 17 septembre 2019 Cour de cassation Pourvoi n° 18-86.261

N° J 18-86.261 F-D

N° 1533

SM12
17 SEPTEMBRE 2019

REJET

Mme DURIN-KARSENTY, conseiller le plus ancien faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

La Cour de cassation statue sur le pourvoi formé par :


M. O… B…, partie civile,

contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de COLMAR, en date du 27 septembre 2018, qui a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction refusant d’informer sur sa plainte du chef de diffamation.

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 18 juin 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : Mme Durin-Karsenty, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Ricard, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lavaud ;

Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LEMOINE ;

Un mémoire a été produit.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit. Le 30 juin 2017, le conseil de l’Eurométropole de Strasbourg a pris une délibération pour l’apurement périodique des comptes entre l’ordonnateur et le comptable, en admettant en non-valeur un certain nombre de créances détenues par l’Eurométropole sur des débiteurs dont l’insolvabilité ou la disparition était établie et en prévoyant, notamment, une remise gracieuse au bénéfice de M. B…, ainsi libellée : “agent contractuel dont le contrat n’a pas été renouvelé, [il] bénéficie actuellement de l’allocation retour à l’emploi (ARE), versée par la collectivité et de l’aide à la reprise ou la création d’entreprise (ARCE). Après versement d’un acompte au titre de cette allocation, l’intéressé à été informé par courrier du 31 novembre 2016 qu’il était redevable du solde des cotisations sociales rattachées à cette aide d’un montant de 78,21 euros. Or, à cette date l’intéressé ne relevait plus du régime général de sécurité sociale mais du régime social des indépendants. Aussi, est sollicitée la remise gracieuse de cette créance d’un montant de 78,21 euros”.

2. Ayant découvert, le 29 août 2017, en inscrivant son nom dans un moteur de recherches, que cette délibération était en ligne, l’intéressé, estimant que ce texte, aussi affiché, selon lui, depuis le 4 juillet 2017 au centre administratif de l’Eurométropole, portait atteinte à son image, puisqu’il n’était ni insolvable ni disparu, et après avoir tenté, sans succès, de régler le litige à l’amiable, a déposé une plainte simple, le 6 septembre 2017, du chef de diffamation publique envers un particulier, complétée le 10 novembre suivant par une déclaration ayant pour objet de signaler que le texte en cause était toujours en ligne.

3. Après que la plainte a été classée sans suite par le procureur de la République, aux motifs que, si les faits constituaient bien une infraction, le délai fixé par la loi pour pouvoir les poursuivre était expiré, M. B… a porté plainte et s’est constitué partie civile, le 29 novembre 2017, du chef de diffamation, en joignant à cette plainte celle qu’il avait déposée les 6 septembre et 10 novembre 2017, ainsi que l’avis de classement sans suite.

4. Conformément aux réquisitions du ministère public, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de refus d’informer.

5. Sur l’appel de M. B…, la chambre de l’instruction a confirmé la décision du premier juge.

Sur le moyen unique

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 29 al. 1er, 32 al. 1er, 50, 65 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 6, 86, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi, contradiction de motifs, insuffisance de motifs.

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué “en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à informer,

1°/ alors que « procède d’un formalisme excessif et porte une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge le constat d’irrégularité d’un acte de procédure, ayant pour effet de priver le justiciable d’un recours disponible, fondé sur l’interprétation par la juridiction d’une loi de procédure, destinée à permettre l’identification de l’objet et du fondement juridique d’une action en justice, comme imposant le respect d’une formalité non prévue par le texte de loi et alors que les autres mentions de l’acte de procédure émanant du justiciable, sans l’assistance d’un professionnel, établissent sans aucune équivoque son objet et son fondement juridique ; que l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que si le ministère public requiert une information, il sera tenu, dans son réquisitoire, d’articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l’application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite ; qu’en retenant, pour confirmer l’ordonnance de refus d’informer, qu’en application de l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881, la plainte avec constitution de partie civile en matière d’infraction de presse doit articuler les faits, les qualifier précisément et viser les articles de loi correspondant à cette qualification et que celle déposée par l’exposant manquait à ces exigences et qu’irrégulière, elle n’avait pas interrompu la prescription, lorsqu’il s’infère des mentions de cette plainte ainsi que de ses annexes, constituées de la plainte simple du 6 septembre 2017 et du complément de plainte du 10 novembre 2017 auxquelles elle renvoie expressément, que M. B… a dénoncé des faits de diffamation publique envers un particulier, a précisé les propos litigieux en énonçant « En date du 30 juin 2017, le conseil de l’eurométropole de Strasbourg a voté avec sa délibération n°6 une remise gracieuse pour moi-même que je n’avais pas demandé. Le texte de la délibération voté, précise que « dans le cadre de l’apurement périodique des comptes entre l’ordonnateur et le comptable, le receveur des finances de l’eurométropole de Strasbourg a proposé l’admission en non-valeur d’un certain nombre de créances détenues par l’eurométropole de Strasbourg sur des débiteurs dont l’insolvabilité ou la disparition sont établies. Suite à ce préambule de délibération, une liste de noms, dont le mien, a été publié. Je précise que je ne suis insolvable, ni porté disparu » et a fait état d’un affichage public de la délibération au centre administratif de l’Eurométropole dès le 4 juillet 2017 ainsi que d’une reproduction sur internet dont il n’avait pris connaissance que le 29 août 2017, de sorte qu’il n’existait aucune équivoque quant à l’objet et au fondement juridique de la plainte avec constitution de partie civile déposée par l’exposant, la chambre de l’instruction a violé l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme » ;

2°/ alors que « y compris en matière d’infraction de presse, les faits dénoncés dans une plainte avec constitution de partie civile incluent nécessairement les éléments auxquels celle-ci renvoie expressément et qui y sont annexés ; qu’en se bornant à relever que la plainte avec constitution de partie civile ne mentionnait que le mot « diffamation » sans indiquer si la diffamation était publique ou non et sans préciser les termes diffamateurs lorsque dans le corps de la plainte avec constitution de partie civile, il était renvoyé expressément à la plainte simple du 6 septembre 2017 et au complément de plainte du 10 novembre 2017 déposés par l’exposant dénonçant une diffamation publique envers un particulier, par voie d’affichage et de publication sur internet, à raison des propos contenus dans la délibération n° 6 du conseil de l’Eurométropole de Strasbourg qui a précisé que le receveur des finances « a proposé l’admission en non-valeur d’un certain nombre de créances détenues par l’eurométropole de Strasbourg sur des débiteurs dont l’insolvabilité ou la disparition sont établies » puis a mentionné le nom de M. B… comme ayant sollicité la remise gracieuse d’une dette lorsque celui-ci n’était débiteur d’aucune dette, n’avait sollicité aucune remise gracieuse et n’était ni insolvable ni disparu, de sorte qu’il n’existait aucune équivoque quant à l’objet et au fondement juridique de la plainte avec constitution de partie civile, la chambre de l’instruction a méconnu le sens et la portée de l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 » ;

3°/ alors que « y compris en matière d’infraction de presse, les faits dénoncés dans une plainte avec constitution de partie civile incluent nécessairement les éléments auxquels celle-ci renvoie expressément et qui y sont annexés ; que la contradiction de motifs équivaut à l’absence de motifs ; que l’arrêt attaqué mentionne « Par courrier reçu le 29 novembre 2017, M. B…, a déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Strasbourg, contre l’Eurométropole de Strasbourg pour des faits de diffamation ; qu’il ressort de la plainte les éléments suivants ; que le 30 juin 2017, le conseil de l’Eurométropole de Strasbourg votait une délibération relative à une remise gracieuse pour M. B… ; que cette délibération précisait que « Dans le cadre de l’apurement périodique des comptes entre l’ordonnateur et le comptable, le Receveur des Finances de l’Eurométropole de Strasbourg a proposé l’admission en non-valeur d’un certain nombre de créances détenues par l’Eurométropole de Strasbourg sur des débiteurs dont l’insolvabilité ou la disparition sont établies. (…). Remises gracieuses : M. B…, agent contractuel dont le contrat n’a pas été renouvelé, bénéficie actuellement de l’allocation retour à l’emploi (ARE), versée par la collectivité et de l’aide à la reprise ou la création d’entreprise (ARCE) ; qu’après versement d’un acompte au titre de cette allocation, l’intéressé a été informé par courrier du 31 novembre 2016 qu’il était redevable du solde des cotisations sociales rattachées à cette aide d’un montant de 78,21 euros ; qu’or, à cette date l’intéressé ne relevait plus du régime général de sécurité sociale mais du régime social des indépendants ; qu’aussi, est sollicitée la remise gracieuse de cette créance d’un montant de 78,21 euros ; que le 29 août 2017, en tapant son nom dans le moteur de recherche GOOGLE, M. B… prenait connaissance de la délibération votée et publiée sur internet, le désignant comme un débiteur insolvable ou disparu » (arrêt p. 2-3) ; qu’en examinant si la plainte avec constitution de partie civile répondait aux exigences de l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 au regard exclusivement des termes de cette plainte, qui ne préciserait pas les propos diffamatoires et le caractère public ou non de la diffamation (arrêt p. 5), tout en mentionnant dans ses motifs comme « ressortant de la plainte » avec constitution de la partie civile le contenu précis de la délibération du conseil de l’Eurométropole de Strasbourg, la présentation diffamatoire de l’exposant comme débiteur insolvable ou disparu et la publication de cette délibération sur internet, découverte le 29 août 2017 par l’exposant (arrêt p. 2-3), éléments qui résultaient de la plainte initiale et du complément de plainte visés dans la plainte avec constitution de partie civile et annexés à celle-ci, la chambre de l’instruction a entaché sa décision d’une contradiction de motifs » ;

4°/ alors que « l’insuffisance de motifs équivaut à l’absence de motifs ; qu’en constatant l’irrégularité de la plainte avec constitution de partie civile de l’exposant, pour confirmer l’ordonnance de refus d’informer, lorsqu’il ressort de l’avis de classement sans suite du 2 octobre 2017 cité dans ses motifs que le ministère public avait estimé non pas que l’infraction était insuffisamment caractérisée mais que les faits dénoncés étaient bien une infraction, ce dont il résultait qu’il n’existait aucune incertitude sur les propos litigieux et sur leur qualification juridique, la chambre de l’instruction n’a pas justifié légalement sa décision ».

Réponse de la Cour

8. Pour confirmer l’ordonnance du premier juge, après avoir rappelé les termes des articles 86 du code de procédure pénale et 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et indiqué que, selon le conseil du plaignant, en plus d’un affichage au centre administratif le 4 juillet 2017, cette délibération a été mise en ligne courant août 2017, le plaignant l’ayant lui-même constaté à la date du 29 août 2017, l’arrêt relève que la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. B… ne mentionne que le mot diffamation, sans indiquer si celle-ci est publique ou non, ni reprendre les propos considérés comme diffamatoires ni mentionner le texte applicable et la sanction encourue.

9. Les juges en déduisent que cet acte étant irrégulier, il n’a pu interrompre la prescription de l’action publique.

10. En l’état de ces énonciations et constatations, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître les stipulations conventionnelles et les dispositions légales invoquées.

11. D’une part, pour pouvoir mettre l’action publique en mouvement dans le cas des infractions à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la plainte avec constitution de partie civile, qui fixe irrévocablement l’objet, la nature et l’étendue de la poursuite, doit répondre aux exigences de l’article 50 de la même loi, lequel assure un juste équilibre entre les droits des victimes d’infractions de presse et les droits de la défense.

12. D’autre part, les juges saisis d’une plainte avec constitution de partie civile ne contenant pas les mentions prescrites par ce texte, dont les insuffisances ne sont réparées ni par une plainte simple préalable ni par le réquisitoire de refus d’informer du ministère public, n’ont d’autre pouvoir que d’en constater l’irrégularité et sont fondés à refuser d’informer, les faits dénoncés ne pouvant comporter légalement une poursuite pour une cause affectant l’action publique.

13. Ainsi, le moyen doit-il être écarté.

14. Par ailleurs l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept septembre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

 


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