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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT AU FOND
DU 15 JUILLET 2022
N° 2022/ 257
Rôle N° RG 18/17574 – N° Portalis DBVB-V-B7C-BDJTF
[M] [W]
C/
Etablissement Public CHAMBRE DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE TERRITORIALE DU VAR
Copie exécutoire délivrée
le :15/07/2022
à :
Me Mélanie LAUER, avocat au barreau de TOULON
Me Clément LAMBERT, avocat au barreau de TOULON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULON en date du 25 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F17/00653.
APPELANTE
Madame [M] [W], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Mélanie LAUER de l’AARPI AUDRAN LAUER PALERM, avocat au barreau de TOULON substituée par Me Marjorie MEUNIER, avocat au barreau de TOULON
INTIMEE
Etablissement Public CHAMBRE DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE TERRITORIALE DU VAR, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Clément LAMBERT, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 17 Mai 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Monsieur Thierry CABALE, Conseiller , est chargé du rapport.
La Cour était composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Monsieur Thierry CABALE, Conseiller
M. Ange FIORITO, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Caroline POTTIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Juillet 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Juillet 2022,
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Le 20 septembre 2017, Madame [M] [W], salariée, a saisi le conseil de prud’hommes de Toulon de diverses demandes à l’encontre de son employeur, l’établissement public Chambre de Commerce et d’Industrie du Var, essentiellement afin d’obtenir sa condamnation au paiement d’un solde de supplément familial depuis le mois de janvier 2017.
Par jugement du 25 septembre 2018, le conseil de prud’hommes de Toulon a :
– débouté Madame [M] [W] de l’ensemble de ses demandes : paiement intégral du supplément familial, remises des bulletins de salaires rectifiés et préjudice moral;
– débouté la Chambre de Commerce et d’Industrie du Var de sa demande de restitution de la somme indument perçue par Madame [M] [W];
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile;
– condamné Madame [M] [W] aux entiers dépens.
Le 7 novembre 2018, dans le délai légal, la salariée a relevé appel de ce jugement qui lui a été notifié le 19 octobre 2018.
Par dernières conclusions du 24 janvier 2019, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la salariée demande à la cour de :
dire et juger recevable son appel;
infirmer le jugement rendu et statuant à nouveau,
– condamner la Chambre de Commerce et d’Industrie du Var à lui payer l’intégralité du supplément familial à savoir 38,38 euros à compter de janvier 2017 dont à déduire les sommes versées;
– enjoindre la Chambre de Commerce et d’Industrie du Var à lui remettre les bulletins de salaires rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir;
– sommer de communiquer les avenants des contrats de travail du personnel de son service;
– dire et juger que l’avenant n° 5 du 1er juin 2018 de l’accord collectif de 22 décembre 2014 lui est inopposable;
– constater les manoeuvres dilatoires et l’exécution déloyale du contrat de travail;
en conséquence,
– condamner la Chambre de Commerce et d’Industrie du Var à lui payer la somme de 4000 euros au titre du préjudice moral;
– condamner la Chambre de Commerce et d’Industrie du Var à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
La salariée fait valoir que :
– la pièce numéro 6 qui est une attestation établie par l’employeur pour lui-même doit être écartée des débats;
– elle a été embauchée en qualité d’assistante comptable et administrative Ports dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée de droit privé du 1er novembre 2012;
– la convention collective nationale des ports de plaisance applicable ne prévoit pas l’attribution du supplément familial mais précise que son application ne peut donner lieu à la suppression d’un avantage acquis au moment de sa signature; l’employeur ne peut donc s’en prévaloir alors que l’article 15 de l’accord collectif dispose : « Il est attribué aux salariés en CDI, un supplément familial pour un enfant équivalent à 4 points d’indice CCNPP, avec un minimum de 12 points (versé pour 3 enfants maximum ), jusqu’au 22ème anniversaire (certificat de scolarité obligatoire)» ;
– à compter de janvier 2017, elle n’a plus perçu que la moitié de la somme mensuelle de 38,38 euros au titre de ce supplément familial pour son enfant en garde alternée depuis 2010, ce qu’elle a contesté par courrier le mois suivant;
– la jurisprudence administrative en matière de supplément de traitement à laquelle se réfère l’employeur qui en fait de surcroît une mauvaise lecture, ne lui est pas applicable puisqu’elle a expressément renoncé à son statut et à ses droits d’agent public; de plus, le partage du supplément familial n’est jamais imposé quand l’autre parent a renoncé à le percevoir; le père de son enfant a expressément renoncé à le percevoir;
– l’avenant à l’accord collectif du 1er juin 2018 ne lui est pas applicable puisqu’il vise le supplément familial de traitement; cet avenant énonce : ‘pour les personnes divorcées séparées, qui assurent alternativement la charge effective d’un enfant, l’employeur verse le montant du SFT proratisé en fonction de la durée de la garde de l’enfant lui incombant »;
– après sa demande, l’employeur a adopté un comportement déloyal et a fait preuve de mauvaise foi à son égard; l’avenant procéde d’un tel comportement puisque ce dernier a retardé la procédure prud’homale afin de revenir sur l’accord initial.
Par dernières conclusions du 28 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la Chambre de Commerce et d’Industrie Territoriale du Var demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
débouté Madame [M] [W] de l’ensemble de ses demandes : paiement intégral du supplément familial, remises des bulletins de salaires rectifiés et préjudice moral;
pour le surplus, et statuant à nouveau,
réformer partiellement le jugement entrepris en ce qu’il a :
débouté la Chambre de Commerce est d’Industrie du Var de sa demande de restitution de la somme indument perçue par Madame [M] [W];
statuant à nouveau,
– condamner Madame [M] [W] au paiement de la somme de 930,24 euros en remboursement des indemnités indûment perçues;
en tout état de cause,
– condamner à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
– la salariée a d’abord été recrutée en tant qu’agent public en 2008; la signature du contrat de travail à durée indéterminée du 22 octobre 2012 relatif à son emploi d’assistante comptable et administrative, l’a assujettie à la Convention collective nationale des personnels des ports de plaisance; un accord du 22 décembre 2014 prévoit le versement d’une indemnité dite de supplément familial afin de permettre aux agents, désormais placés sous statut de droit privé, de bénéficier, dans les mêmes conditions que les agents publics, de cette indemnité;
– après avoir appris l’existence de la garde alternée de son enfant, elle n’a plus versé que la moitié de ce supplément à la salariée;
– par attestation du 31 janvier 2018 produite en pièce n° 6, son directeur général et son trésorier énoncent :”[..]Non prévu dans les conventions collectives nationales, le versement du supplément familial a donc été étendu dans les accords collectifs correspondants. Son application s’est donc faite conformément à ce qui est précisé dans le statut. En conséquence la notion d’enfant à charge étant celle retenue par le Code de la Sécurité sociale en matière de prestations familiales, la moitié du supplément familial est versé lorsqu’il y a garde alternée, et ce, pour l’ensemble des personnels de la CCI du Var’;
– le versement de cette indemnité est apprécié dans les mêmes conditions pour l’ensemble du personnel auquel le droit au supplément familial de traitement a été étendu; le règlement intérieur du 15 juillet 2013 prévoit les règles de versement de ce supplément pour les agents titulaires, notamment la notion d’enfant à charge à retenir pour déterminer l’ouverture à ce droit qui est celle fixée par le code de la sécurité sociale en matière de prestations familiales; au visa de l’article L 521-2 du code de sécurité sociale, elle considère que le supplément de traitement n’est accordé qu’à l’un des deux parents si les deux peuvent y prétendre puisqu’en cas de garde alternée, la charge n’est plus effective et permanente mais partagée, ce qui entraîne la proratisation du supplément;
– pour clore le débat, il a été signé un avenant à l’accord précité le 1er juin 2018 qui prévoit cette proratisation;
– s’agissant des menaces, l’accusation est diffamatoire;
-la salariée a bénéficié d’une promotion au choix en 2016 et d’une prime en mars 2018; les primes ont été réparties suivant des critères objectifs;
– elle n’a eu connaissance de la situation devant entraîner le versement de la moitié du supplément familial qu’en janvier 2017; elle est donc fondée à solliciter la restitution de la part du supplément familial indûment perçue par la salariée avant cette date.
La clôture de l’instruction est intervenue le 29 avril 2022.
MOTIFS:
L’accord collectif signé le 22 décembre 2014 ayant ‘pour objet de se substituer à l’ancien accord dit ‘règlement intérieur’ et de ‘compléter la convention Plaisance et l’accord collectif national du 3 octobre 2013″, prévoit en son article 15 : ‘Il est attribué aux Salariés en CDI, un supplément familial pour un enfant équivalent à 4 points d’indice CCNPP, avec un maximum de 12 points (versé pour 3 enfants maximum), jusqu’au 22ème anniversaire (certificat de scolarité obligatoire).’
Au vu des éléments soumis à l’appréciation de la cour, cette version de l’accord a été applicable à la salariée jusqu’au 1er juin 2018, date à partir de laquelle un avenant numéro 5 est entré en vigueur, dès lors qu’elle a expressément renoncé à son statut d’agent public et au règlement intérieur associé par contrat de travail à durée indéterminée signé le 22 octobre 2012.
Or, jusqu’au 1er juin 2008, en l’absence de dispositions contraires et opposables, la salariée doit bénéficier automatiquement de l’avantage familial pécuniaire dit ‘supplément familial de traitement’ puisqu’elle réunit les conditions prévues par l’accord du 22 décembre 2014 relatives à la durée du contrat de travail et à l’âge de l’enfant concerné. L’employeur ne justifie d’aucune condition supplémentaire, réserve ou modalité d’application opposable à la salariée qui l’autoriserait à ne lui verser que la moitié du montant auquel elle peut prétendre au seul motif de l’existence d’une garde de l’enfant en résidence alternée, alors que la notion ‘d’enfant à charge’ comme celle de ‘garde’ sont absentes de l’accord et ne sont pas définies par celui-ci, pas même par référence à un autre texte, notamment le code de la sécurité sociale.
Il est surabondamment relevé, d’une part, que la salariée a bénéficié de cet avantage dans son entier durant plusieurs années quand il ne lui était pas demandé de préciser le mode de garde de son enfant, d’autre part, que la décision de l’autre parent est indifférente à la perception d’un avantage dont le bénéfice n’est reconnu par l’accord collectif qu’au salarié auquel il s’applique.
S’agissant de l’application de l’avenant numéro 5 à compter du 1er juin 2008, la salariée soutient qu’il ne lui est pas opposable en ce qu’il ne viserait que le supplément familial de traitement réservé aux fonctionnaires.
Toutefois, peu importe le nouvel intitulé de l’avantage et ses éventuelles incidences fiscales et sociales puisqu’il résulte clairement de cet accord que celui-ci a pour objectif de définir les modalités d’application du supplément familial de plaisance versé ‘en équivalence’ au supplément familial de traitement, l’article 15 de l’accord du 22 décembre 2014 étant repris in extenso.
Selon l’article 2 de cet avenant, ‘pour les personnes divorcées, séparées, qui assurent alternativement la charge effective d’un enfant, l’employeur verse le montant du SFT proratisé en fonction de la durée de la garde de l’enfant lui incombant’.
Or, la salariée ne justifie pas d’une situation lui permettant de percevoir plus de la moitié du montant du supplément familial calculé conformément à l’article 15 précité.
En conséquence, la demande de la salariée est fondée pour les mois de janvier 2017 à mai 2018 inclus. Les parties sont totalement défaillantes dans la production des éléments utiles permettant de calculer le montant effectivement dû. La salariée annonce des bulletins de salaire en pièce 2 de son bordereau qu’elle limite aux mois de décembre 2016 et janvier 2017. Suivant sa formulation, il y a lieu de condamner l’intimée à lui payer l’intégralité du supplément familial à savoir 38,38 euros de janvier 2017 à mai 2018 inclus dont à déduire les sommes versées. Les parties feront leur affaire personnelle d’une éventuelle difficulté d’exécution.
Sur la demande en paiement de dommages et intérêts au titre d’un préjudice moral consécutif à des manoeuvres dilatoires et à une exécution déloyale du contrat de travail :
La salariée affirme, sans offre de preuve, qu’à compter de sa demande, elle a été la cible de son employeur, que son responsable l’a convoquée dans son bureau et lui a indiqué que si elle maintenait sa procédure, il y aurait des conséquences sur sa carrière, qu’elle est mise à l’écart.
Le comportement déloyal et la mauvaise foi reprochés ne peuvent pas résulter de la signature d’un avenant qui de fait a été signé par l’employeur et une organisation syndicale, n’a fait l’objet d’aucune opposition ou contestation, surtout, ne vient que compléter et préciser l’accord collectif initial sur plusieurs points notamment sur la durée et les dates du versement du supplément familial, sur la notion d’enfant à charge, sur les règles de partage, sur l’interdiction de cumul et sur les justificatifs à produire, prévoyant notamment une variété de situations familiales au-delà d’une garde en résidence alternée.
Par ailleurs, elle ne présente aucun élément étayant ses allégations selon lesquelles elle aurait été la seule dans son service à ne pas avoir bénéficié d’une promotion et d’un changement de catégorie avec rétroactivité au 1er novembre 2017, quand l’employeur produit pour sa part des éléments, dont certains sont anonymisés, que la cour ne saurait d’emblée considérer comme étant suspects quand la salariée n’en critique utilement ni la sincérité ni la valeur probante, dont il résulte, d’une part, qu’à la demande de son responsable, celle-ci, à l’instar de ses deux collègues, a bénéficié du même type de prime en mars 2018, d’autre part, qu’elle a profité d’une promotion au choix à compter du 1er janvier 2016, alors que ses deux collègues ont bénéficié d’une promotion au choix respectivement en janvier 2015 et avril 2015.
Enfin, il ressort du certificat médical établi le 19 juillet 2018 par son psychiatre que ce dernier ne précise pas, au-delà des seuls dires de sa patiente, les données médicales et factuelles qui lui permettent de relier sa ‘souffrance psychologique avec éléments anxio dépressifs’ à des ‘contrariétés en rapport avec l’exercice de son travail’.
La salariée sera donc déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Sur la remise de documents:
La demande visant à la remise de bulletins de salaire conformes est justifiée dans les limites de ce qui est jugé fondé par le présent arrêt.
Eu égard aux circonstances de la cause, le prononcé d’une astreinte n’apparaît pas nécessaire.
Sur la demande reconventionnelle:
La demande reconventionnelle de l’employeur relative au remboursement de sommes indues au titre du supplément familial n’est pas fondée dès lors qu’il ne justifie pas avoir versé à tort le supplément familial dans son intégralité en amont du mois de janvier 2017. Cette demande sera en voie de rejet.
Sur les frais irrépétibles:
En équité, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice de la salariée à laquelle la somme de 1200 euros sera allouée de ce chef.
Sur les dépens:
Les entiers dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de l’employeur, partie succombante pour l’essentiel.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière prud’homale et par mise à disposition au greffe:
Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant,
Condamne la Chambre de Commerce et d’Industrie du Var à payer à Madame [M] [W] l’intégralité du supplément familial à savoir 38,38 euros par mois de janvier 2017 à mai 2018 inclus, dont à déduire les sommes versées.
Condamne la Chambre de Commerce et d’Industrie du Var à remette à Madame [M] [W] des bulletins de paie conformes au présent arrêt.
Condamne la Chambre de Commerce et d’Industrie du Var à payer à Madame [M] [W] la somme de 1200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties pour le surplus.
Condamne la Chambre de Commerce et d’Industrie du Var aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Le GreffierLe Président