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délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 14 JUIN 2022
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/00089 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OO2K
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 02 DECEMBRE 2019
TRIBUNAL DE COMMERCE DE BEZIERS
N° RG 2019 00384
APPELANTE :
SARL ACTION IMMOBILIERE GROUPE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Laurent FERRACCI, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
SAS AB GESTION 34 à l’enseigne AGENCE VERSION IMMOBILIER représentée par Monsieur [T] [P] et Monsieur [G] [I], domiciliés
La Montagnette
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Philippe SENMARTIN, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Frédéric SIMON de la SCP SIMON FREDERIC, avocat au barreau de BEZIERS
Ordonnance de clôture du 22 Mars 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 AVRIL 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller
Mme Marianne ROCHETTE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Audrey VALERO
ARRET :
– Contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.
*
**
FAITS, PROCEDURE – PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
La SAS AB Gestion 34, exerçant, sous l’enseigne Version immobilier gestion, a été désignée en qualité de syndic de la copropriété la Résidence « les Cigalines » à [Localité 3] le 22 juillet 2016.
L’assemblée générale de la copropriété en date du 9 août 2019 avait, notamment, pour objet le renouvellement du mandat du syndic et la mise en concurrence de celui-ci avec la SARL Action immobilière Groupe, exerçant sous l’enseigne Action immobilière.
Le 8 juillet 2019, la société Action immobilière a adressé à chaque copropriétaire le courrier ainsi rédigé :
« Objet : l’assemblée générale de la copropriété
Mesdames, Messieurs,
Une partie du conseil syndical nous a demandé de nous présenter en concurrence de votre syndic actuel et nous a informés de la situation très particulière de votre copropriété, par les faits suivants :
Votre syndic actuel a été choisi par le concierge de la résidence, il a choisi un syndic basé loin de la copropriété ([Localité 4]) alors qu’il y a de nombreux syndics à proximité, pourquoi ‘
Par là même, le syndic est redevable au concierge de cette nomination et ne peut pas s’opposer aux desiderata du concierge et aux dérapages financiers liés à la conciergerie, par exemple : frais d’essence faramineux, juste pour quelques aller-retours à la déchèterie, prime d’assurance voiture payée en totalité par vous pour une utilisation au service de la copropriété très partielle.
Nous, Action immobilière, privilégions une gestion de proximité, présents au quotidien dans la résidence, nous anticipons les problèmes et sommes attentifs aux travaux et, remarques de la conciergerie et des artisans afin de réduire des dépenses de la copropriété à qualité égale.
Votre concierge va partir à la retraite, le coût de la conciergerie est supérieur à 55 500 euros par an, sans compter les primes dues pour la retraite,
C’est un coût énorme pour un service qui peut vous être proposé par une société en service de conciergerie adapté aux besoins de votre résidence pour un montant inférieur d’au moins 20 000 euros.
Nous avons fait l’analyse de vos dépenses et nous sommes certains de vous faire bénéficier d’une réduction d’au moins 25% des charges communes générales (…).
Par lettre recommandée du 24 juillet 2019 (avis de réception signé), le conseil de la société AB Gestion 34 a mis en demeure la société Action immobilière Groupe d’adresser à l’ensemble des copropriétaires une lettre indiquant qu’elle revenait sur les propos contenus dans le courrier du 8 juillet 2019, qui sont erronés, imputant à l’égard de sa cliente des assertions mensongères (avoir été choisie par le concierge, être soumise à ses desiderata et autoriser des dérapages financiers indus), constitutives d’un acte diffamatoire.
Le 31 juillet suivant, la société Action immobilière Groupe adressait un nouveau courrier à l’ensemble des copropriétaires indiquant notamment :
« Par la présente, notre société précise qu’elle n’a jamais eu l’intention de froisser personne, et si c’est le cas, nous présentons nos excuses aux personnes ou sociétés mentionnées dans notre première lettre.
Les propos exposés dans ce premier courrier de présentation nous avaient été rapportés par certains copropriétaires et en l’état nous ne pouvons effectivement pas savoir s’ils reflètent ou non la réalité.
C’est sur la base de ce constat que nous regrettons ces propos.
Il n’en reste pas moins vrai que nous sommes parfaitement habilités à vous proposer un service différent et à des conditions tarifaires nettement moindres que celui du syndic actuel. »
Saisi par acte d’huissier en date du 7 août 2019 délivré par la société AB Gestion 34 en indemnisation au titre d’actes de concurrence déloyale par dénigrement, le tribunal de commerce de Béziers a, par jugement du 2 décembre 2019 :
‘- vu l’article 1240 du code civil (…),
– Dit et jugé que la sté Action immobilière s’est livrée à un acte de concurrence déloyale par dénigrement induisant un préjudice avéré à la sté AB Gestion,
– Condamné la sté Action immobilière à payer la société AB Gestion une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– Condamné la sté Action immobilière à payer à la sté AB Gestion une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’art. 700 du code de procédure civile,
– Condamné la sté Action immobilière aux entiers dépens de la présente décision,
– Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires tenues pour injustes ou mal fondées.’
Par déclaration reçue le 7 janvier 2020, la société Action immobilière Groupe a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Elle demande à la cour, en l’état de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 28 mai 2020, de :
«- vu les dispositions de l’article 1240 du code civil,
– réformer l’intégralité du jugement (…),
– A titre principal, dire et juger que la démonstration d’une faute n’est pas rapportée, que la société AB Gestion 34 ne rapporte pas plus la preuve d’un préjudice et ce d’autant moins puisque son mandat de syndic a été renouvelé par les copropriétaires de la Résidences les Cigalines, le 9 août 2019, c’est à dire postérieurement aux deux lettres (…),
– Débouter la société AB Gestion 34 de sa demande de condamnation,
– A titre subsidiaire, la condamner à lui verser 1 euro symbolique,
– La condamner à verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile (sic) et aux dépens.»
Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :
– l’intimée a elle-même abandonné la qualification de diffamation,
– le dénigrement suppose une faute, un préjudice et un lien de causalité ; il n’y a aucun préjudice puisque la société AB Gestion 34 a été choisie lors de l’assemblée générale concernée comme syndic,
– la lettre du 8 juillet 2019 contient des vérités sur un plan factuel, financier et géographique, à savoir le coût de la conciergerie et celui, moindre, de prestations similaires (par un prestataire extérieur) ainsi que la proximité géographique du syndic et le coût, moindre, dans ce cas,
– elle était en droit de donner ces informations aux copropriétaires dans le cadre de la procédure de mise en concurrence mise en place par la loi Alur,
– il n’y a aucun lien de causalité ; le second courrier a mis un terme au différend.
Formant appel incident, la société AB Gestion 34 sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 10 juillet 2020 :
«- Confirmant sur le principe de la faute et réformant sur le quantum du préjudice,
– Condamner la société Action immobilière au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi qu’à la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et y ajoutant en appel les dépens.»
Elle expose en substance que :
– la lettre du 8 juillet jetait publiquement le discrédit sur elle en indiquant qu’elle avait été choisie par le concierge et en insinuant une collusion avec celui-ci pour couvrir son coût et des frais abusifs,
– le concierge était présent avant son arrivée et sa suppression nécessitait un vote à la double majorité, qui n’a jamais été atteint,
– un préjudice s’infère de tout acte de concurrence déloyale, elle a subi une atteinte à sa réputation commerciale et à son honneur, même si ce dénigrement n’a pas réussi à tromper les copropriétaires.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 22 mars 2022.
MOTIFS de la DECISION :
1 – L’article 21 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965, dans sa rédaction issue de la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018, applicable en l’espèce, fait obligation au conseil syndical de mettre en concurrence les projets de contrat de syndic avant la tenue de la prochaine assemblée générale appelée à se prononcer sur la désignation d’un syndic tous les trois ans.
En vertu du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, principe à valeur constitutionnelle, toute personne peut accéder au marché de son choix et y exercer l’activité économique choisie afin de développer une clientèle, quand bien même celle-ci serait déjà exploitée par un concurrent.
L’action en concurrence déloyale, fondée sur l’article 1240 du code civil, vise à sanctionner un comportement violant cette règle en raison d’actes illicites, tels que des agissements traduisant un dénigrement, à charge pour celui qui s’en prévaut de faire la démonstration des actes fautifs de son concurrent et d’un lien de causalité entre ceux-ci et le préjudice qu’il invoque.
Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique admissible dans la mesure où il émane d’un acteur économique qui cherche à bénéficier d’un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou les produits de ce dernier.
La divulgation par l’un des concurrents d’une information de nature à jeter le discrédit commercial sur l’autre constitue un acte de dénigrement, même si, comme en l’espèce, elle est exprimée sans démesure et que les éléments relatifs au coût d’une conciergerie, notamment par le biais d’un prestataire extérieur, et au coût des services d’un syndic plus proche géographiquement reposent sur une base factuelle.
Les propos contenus dans le courrier du 8 juillet 2019, qui dénoncent un lien de subordination et une collusion entre la société AB Gestion 34 et le concierge de la copropriété ainsi que la responsabilité du syndic dans l’existence de dépenses excessives et incontrôlées liées à la conciergerie portent atteinte à son image et à sa réputation auprès des copropriétaires dans le but de les détourner de celle-ci pour acquérir un avantage concurrentiel, et s’analysent en un dénigrement, qui revêt un caractère fautif au sens de l’article 1240 du code civil, sans que leur qualification, ou pas, de faits diffamatoires relevant de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse n’ait une quelconque incidence.
Au demeurant, la société AB Gestion 34 établit que la résolution tendant à la suppression du poste de gardiennage n’a pas été votée (majorité qualifiée) par la copropriété lors de l’assemblée générale du 9 août 2019, l’ayant renouvelée en qualité de syndic pour les trois années suivantes et ayant rejeté la candidature de la société Action immobilière (aucun vote en sa faveur).
Si la société AB Gestion 34 a été maintenue en qualité de syndic et si la société Action immobilière a reconnu dans un courrier postérieur avoir tenu des propos, dont elle ‘ne pouvait effectivement pas savoir s’ils reflètent ou non la réalité’, précisant les regretter, il s’infère nécessairement un trouble commercial d’un acte de dénigrement ; la somme de 2 000 euros allouée par le premier juge à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’image subi, permet, au vu des éléments dont dispose la cour, la réparation intégrale du dommage et la demande de la société AB Gestion 34 tendant à l’octroi d’une somme plus élevée sera rejetée.
Par ces motifs, le jugement entrepris sera confirmé dans toutes ses dispositions.
2- Succombant sur son appel, la société Action immobilière sera condamnée aux dépens et au vu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 2 000 euros, sa demande sur ce fondement étant rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Béziers en date du 2 décembre 2019,
Condamne la SARL Action immobilière Groupe à payer à la SAS AB Gestion 34 la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de la SARL Action immobilière Groupe fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL Action immobilière Groupe aux dépens d’appel.
le greffier, le président,