Diffamation : décision du 13 septembre 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 21-84.416

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Diffamation : décision du 13 septembre 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 21-84.416
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N° R 21-84.416 F-D

N° 01079

ECF
13 SEPTEMBRE 2022

CASSATION

M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2022

Mme [B], dite [U], [V], partie civile, a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 2-7, en date du 19 mai 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 11 décembre 2018, n° 17-84.899), l’a déboutée de ses demandes après relaxe de Mme [S] [E] du chef de diffamation publique envers un particulier.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Le Griel, avocat de Mme [B], dite [U], [V], les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [S] [E], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l’audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. A la suite de la publication, dans l’édition du 11 décembre 2014 de l’hebdomadaire L’Obs, d’un article intitulé « Le magot caché de Mme [V] », portant sur l’enquête judiciaire relative au financement de la campagne du Front national pour les élections législatives de 2012, Mme [B], dite [U], [V] a fait citer devant le tribunal correctionnel Mme [S] [E], directrice de la publication du journal, du chef susvisé, à raison des passages suivants : « pour les seules législatives de 2012, le détournement pourrait dépasser 6 000 000 d’euros » ; « la justice se demande si la présidente du Front national n’est pas la bénéficiaire d’un système conçu pour détourner de l’argent public ».

3. Le tribunal, par jugement du 28 juin 2016, a déclaré Mme [E] coupable du délit poursuivi, l’a condamnée à une amende de 500 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils, décision dont elle a relevé appel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a débouté Mme [V] de ses demandes indemnitaires en conséquence de la relaxe de Mme [E] des fins de la poursuite du chef de diffamation publique envers un particulier, alors :

« 1°/ que la cour d’appel a elle-même constaté dans son arrêt que les deux phrases incriminées imputent à Mme [V] d’avoir « couvert ou organisé un détournement de fonds publics afin d’assurer le financement du Front National » et que ces phrases sont diffamatoires à l’égard de celle-ci ; que pour retenir qu’eu égard au droit à la liberté d’expression, aucune faute pénale ne pouvait néanmoins être retenue à l’encontre de Mme [E], la cour a ensuite notamment relevé que les propos reposaient sur une base factuelle suffisante « pour permettre à un journaliste de s’interroger sur le rôle du micro-parti Jeanne dans le financement du Front National », cette base factuelle consistant en quatre éléments mettant tous en cause ce micro-parti et qu’en se fondant ainsi sur des éléments de fait relatifs au micro-parti Jeanne pour reconnaître une base factuelle à des imputations diffamatoires relatives à Mme [V], en l’absence de tout élément de nature à démontrer que Mme [V] aurait la mainmise sur ce micro-parti, la cour d’appel a entaché sa décision d’une contradiction de motifs, violant par là l’article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu’en toute hypothèse, en s’abstenant de relever l’existence d’un quelconque élément de nature à conférer une base factuelle à l’imputation diffamatoire faite à Mme [V] d’avoir couvert ou organisé un détournement de fonds publics afin d’assurer le financement du Front National, condition essentielle pour faire prévaloir la liberté d’expression sur le droit au respect de la réputation d’autrui et accorder à Mme [E] le bénéfice de la bonne foi, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 10, paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et 29, alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 593 du code de procédure pénale :

5. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

6. L’arrêt attaqué retient que les propos poursuivis imputent à la partie civile, en sa qualité de présidente du Front National, d’avoir couvert ou organisé, par le biais de l’association « Jeanne », un détournement de fonds publics afin d’assurer le financement du Front National et qu’ils présentent, donc, un caractère diffamatoire.

7. Pour débouter Mme [V] de ses demandes, après relaxe de Mme [E] au bénéfice de la bonne foi, les juges énoncent, d’une part, que ces propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général, c’est-à-dire le financement d’un des principaux partis politiques français, d’autre part, qu’ils reposent sur une base factuelle suffisante, en raison, tout d’abord, de l’existence, en 2013, d’une enquête puis de l’ouverture, en 2014, d’une information judiciaire des chefs d’escroquerie en bande organisée et faux et usage de faux relative à l’association « Jeanne », ensuite, du faible montant des cotisations des adhérents et des dons reçus en 2012 en comparaison des recettes de plus de 9 000 000 euros encaissées au cours de la même période.

8. Ils ajoutent qu’il n’est pas justifié d’animosité personnelle imputable à l’auteur de l’article et que le ton est mesuré, Mme [V] n’ayant pas donné suite aux multiples sollicitations de son auteur.

9. En se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

10. En effet, si les éléments retenus apparaissent suffisants pour s’interroger sur le rôle de l’association « Jeanne » dans le financement du Front National, ils ne constituent pas, en revanche, une base factuelle suffisante de nature à établir l’existence de liens, à cette fin, entre la partie civile et ladite association.

11. La cassation est donc encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Paris, en date du 19 mai 2021, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille vingt-deux.

 


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