Diffamation : décision du 12 avril 2016 Cour de cassation Pourvoi n° 14-87.607

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Diffamation : décision du 12 avril 2016 Cour de cassation Pourvoi n° 14-87.607

N° Q 14-87.607 F-D

N° 1320

FAR
12 AVRIL 2016

REJET

M. GUÉRIN président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


M. [F] [K],

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 23 octobre 2014, qui, pour diffamation publique envers un particulier, l’a condamné à 1 500 euros d’amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 1er mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Finidori, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Hervé ;

Sur le rapport de M. le conseiller FINIDORI, les observations de Me BOUTHORS, de la société civile professionnelle SEVAUX et MATHONNET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LAGAUCHE ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, 23, 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 2, 10, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

“en ce que la cour a retenu le requérant dans les liens de la prévention de diffamation publique envers un particulier et a statué sur les intérêts civils ;

“aux motifs, sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis, que le prévenu soutient que les propos tenus à l’égard de M. [P] [Q], docteur, s’inscrivent dans le cadre de l’activité syndicale de son auteur comme dans celle des personnes qui en sont les destinataires et s’appuient sur des principes et des manquements déontologiques ; que les parties civiles ont dénaturé le courriel incriminé qui n’affirme pas que M. [Q] ne gagne pas honnêtement sa vie et que les références faites à « l’honnêteté » s’inscrivent dans le cadre d’une opinion émise par M. [K], docteur, et non d’une imputation ; qu’en affirmant qu’« oeuvres d’art et tableaux de plaisance sont effectivement pour M. [Q] le résultat obscène de conflit d’intérêts dans un contexte sans transparence », après avoir souligné l’opacité de la gestion de l’association française de morpho-esthétique (AFME) présidée par M. [Q] et les liens étroits existant avec la société Iteicom gérée par son épouse et précisé qu’il n’avait pas «la même conception de ce qu’est gagner honnêtement de l’argent », M. [K] a tenu des propos qui portent sur des faits suffisamment précis pour pouvoir faire l’objet d’un débat contradictoire et sont de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération de M. [Q], en ce qu’ils lui imputent de manquer à la déontologie médicale et à la morale en profitant pour s’enrichir personnellement de conflit d’intérêts délibérément entretenus en raison des diverses fonctions et qualités qui sont les siennes ; que la cour confirmera les premiers juges en ce qu’ils ont retenu le caractère diffamatoire à l’égard de M. [Q] des propos litigieux ; que, sur la bonne foi, les imputations diffamatoires peuvent être justifiées lorsqu’il est démontré que leur auteur a agi de bonne foi, et notamment qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression ; que ces critères s’apprécient différemment selon le genre de propos en cause et la qualité de la personne qui les tient et, notamment, avec une moindre rigueur lorsque leur auteur n’est pas un journaliste qui fait profession d’informer, mais une personne elle-même impliquée dans les faits sur lesquels elle s’exprime ; que le prévenu qui affirme ne pas imputer un enrichissement personnel direct à M. [Q] mais simplement un mélange des genres répréhensible au regard des exigences déontologiques relatives à la profession de médecin esthétique et de responsables d’une société savante, invoque l’exception de bonne foi en soulignant l’absence d’animosité personnelle, la poursuite d’un but légitime dans la mesure où son propos s’inscrit dans le cadre de la défense de la profession de médecin esthétique et fait valoir qu’il ne comporte pas d’outrance inutilement blessante, ayant lui-même répondu à un mail incisif de Mme [O] [Q] ; que les éléments factuels qu’il produit dont il convient d’apprécier s’ils sont suffisamment sérieux pour le faire bénéficier de l’excuse de bonne foi sont fondés sur les dispositions du code de la santé publique et du code de déontologie du Conseil national de l’Ordre des médecins sur le cumul d’activités, qui rentrent en contradiction avec le procès-verbal de décision extraordinaire de l’associé unique de la société Iteicom ; qu’il produit également les documents sociaux provenant du greffe du tribunal de commerce : statuts, bilans d’activité et comptes de ladite société qui prouvent, d’après lui, qu’il existe un conflit d’intérêt entre les membres de l’AFME et le président dirigeant à vie de l’association, dont l’intérêt est de bénéficier au travers de son épouse des revenus de la société Iteicom qui commercialise ses prestations ; que la partie civile affirme quant à elle que M. [K] nourrit une animosité à son l’égard, que ses accusations ne reposent sur aucun élément tangible et ne sont que l’expression d’un souhait de vengeance et d’une volonté de le discréditer dans leur milieu professionnel ; que les propos diffamatoires incriminés s’inscrivent dans le cadre d’un échange de mails entre M. [K] et Mme [Q], envoyés en copie à des tiers, au travers desquels transparaît un ressentiment réciproque ; qu’il ressort du seul mail dont est saisie la cour que M. [K] a manqué de prudence dans l’expression en faisant un lien entre l’opacité de la gestion de l’AFME et du caractère non démocratique de ses institutions et l’existence des conflits d’intérêts, en utilisant la négation sur « la conception de ce qu’est gagner honnêtement de l’argent » suivi d’accusation d’enrichissement personnel, insinuant que l’acquisition d’oeuvres d’art et de bateaux de plaisance était « effectivement pour M. [Q] le résultat obscène de conflit d’intérêts dans un contexte sans transparence » ; que s’il se présente comme un lanceur d’alerte et produit différents documents comptables concernant la gestion de la société Iteicom, comme l’a souligné justement le tribunal, il ne justifie aucunement avoir saisi le conseil de l’ordre des médecins du conflit d’intérêts et du manquement à la déontologie ; qu’ainsi il ne peut produire aucun avis négatif d’une instance ordinale sur le mode de fonctionnement qu’il dénonce, aucune plainte ou procédure judiciaire n’étant en cours ; qu’il indique lui-même qu’il a confié, le 28 mars 2012, à des étudiants stagiaires une recherche pour asseoir ses critiques ; qu’ il ne disposait donc pas au moment où il a envoyé le mail litigieux, le 26 avril 2012, d’éléments suffisants pour exprimer les imputations ci-dessus énoncées dans les ternies utilisés ; qu’en conséquence l’excuse de bonne foi n’étant pas admise par la cour, le jugement sera confirmée sur la culpabilité de M. [K] ; qu’eu égard aux circonstances des faits mais aussi à la personnalité du prévenu n’ayant aucun antécédent, le tribunal a fait une juste appréciation de la peine, qui sera confirmée par la cour » ; que, sur la demande de requalification, le prévenu soutient que les destinataires du mail incriminés sont liés par une communauté d’intérêts, qu’ils sont tous soit médecin esthétique, à l’exception de Mme [Q], membre d’une société savante ou du syndicat oeuvrant au service de la profession de médecin esthétique, soit membre d’un comité de normalisation, CEN ou AFNOR dans le domaine esthétique, soit membre de l’AFME ; qu’il a fourni en appel les identités et qualités des quatre destinataires qui manquaient en première instance, précisant qu’ils sont médecins esthétiques, membres de syndicats, qu’ils relèvent tous d’un groupe de normalisation concerné par l’état de la représentation de la médecine esthétique en France, et soucieux d’obtenir l’adoption d’une norme européenne adaptée à cette profession, en l’occurrence d’une norme élaborée par la commission AFNOR du comité européen de normalisation, à propos de laquelle existent des antagonismes importants ; que le seul destinataire extérieur à la profession est une avocate du barreau de Paris, qui est l’avocat de M. [K] ; qu’ainsi il convient de requalifier la prévention en contravention de diffamation non publique et, le cas échéant, d’appliquer la peine prévue par l’article R. 621 1 du code pénal ; que si les nouvelles pièces communiquées en appel par le prévenu ont levé le doute sur l’identité de certains destinataires et si les 21 destinataires en copie du courrier électronique poursuivi peuvent avoir des intérêts communs, en ce qu’ils apparaissent bien concernés par l’exercice de la médecine esthétique, il n’en reste pas moins que seuls huit d’entre eux sont membres de l’AFME et que les douze autres, appartiennent soit à diverses organisations syndicales, soit à diverses sociétés savantes, soit à des établissements de soins esthétiques, entités distinctes ; que le fait d’exercer la médecine esthétique et d’être concerné par l’établissement d’une norme européenne dans la profession, qui n’est pas directement le sujet du mail en l’occurrence, ne permet pas d’affirmer qu’ils partagent nécessairement les mêmes objectifs et les mêmes domaines d’activité et d’action ; que Me [Y] [B], également destinataire du mail , n’est pas le conseil du prévenu dans la présente affaire, quand bien même elle serait tenue au secret professionnel ; que le caractère public du courriel incriminé est en conséquence établi ;

“1°) alors que la polémique syndicale est libre ; qu’en l’état de la dénonciation d’un conflit d’intérêts intéressant la gouvernance d’une association en charge d’une profession, les propos litigieux, ayant trait à une question d’intérêt général, s’autorisaient d’une base factuelle suffisante à raison de leur objet polémique et ne pouvaient dès lors être incriminés sur le terrain de la diffamation sans méconnaître des exigences de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

“2°) alors que la référence accessoire dans le propos incriminé aux effets lucratifs d’un conflit d’intérêts relève de la loi du genre polémique et n’a pas dépassé la limite admissible de cette catégorie de discours ; qu’en refusant de retenir la bonne foi du requérant, la cour a derechef méconnu les exigences de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

“3°) alors, subsidiairement, qu’il ne saurait y avoir de diffamation publique quand les propos litigieux n’ont été communiqués qu’à un cercle restreint de destinataires liés par une communauté d’intérêts ; que pareille « communauté » s’entend de façon fonctionnelle par référence aux intérêts (en l’espèce professionnels et syndicaux) partagés par les destinataires du propos incriminé ; qu’il importe peu qu’ils appartiennent à la même association ; qu’en décidant le contraire, la cour a derechef violé les textes visés au moyen” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme, et l’examen des pièces de la procédure mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés et, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées, a, à bon droit, refusé au prévenu le bénéfice de la bonne foi, après avoir retenu que ces propos caractérisent des faits de diffamation publique ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 000 euros la somme globale que M. [K] devra payer à M. [Q] et à l’AFME en application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze avril deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

 


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