Diffamation : décision du 12 avril 2016 Cour de cassation Pourvoi n° 14-87.606

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Diffamation : décision du 12 avril 2016 Cour de cassation Pourvoi n° 14-87.606

N° P 14-87.606 FS-D

N° 1416

ND
12 AVRIL 2016

REJET

M. GUÉRIN président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


La société éditrice Médiapart, partie civile,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 23 octobre 2014, qui, dans la procédure suivie contre M. [R] [I] du chef de diffamation publique envers particulier, a prononcé sur les arrêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 1er mars 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Finidori, Monfort, Buisson, Larmanjat, Ricard, Parlos, Bonnal, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Valat ;

Greffier de chambre : Mme Hervé ;

Sur le rapport de Mme le conseiller DURIN-KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général VALAT ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la société éditrice Médiapart a publié, entre le 16 juin et le 21 juin 2010, plusieurs articles reproduisant, notamment, des extraits d’enregistrements de conversations tenues par Mme [L] à son domicile avec différents interlocuteurs, ainsi que, le 6 juillet 2010, une interview de son ancienne comptable ; que, ce même jour, M. [R] [I], alors secrétaire général de l’UMP, questionné par des journalistes au sujet de l’évolution de l’affaire dite « [H] [L] », en marge d’une réunion publique sur la réforme des retraites, a tenu les propos suivants : « Ce sont des méthodes, des méthodes d’un autre temps. Et quand certains médias, et notamment, un site utilisant des méthodes fascistes à partir, notamment, je le dis, d’écoutes qui sont totalement illégales, avec justement des rumeurs, l’un des responsables de ce site dit : « Ah écoutez, on n’a pas de preuve mais c’est plausible », non mais attendez, dans quel monde on est ! Ah parce que c’est plausible, on se permet de mettre en accusation un ministre de la République et le Président de la République. C’est pas comme ça que fonctionne la démocratie française. Et je vous le dis, je vous le dis, on a conscience de la charge qu’est la nôtre, de la responsabilité qu’est la nôtre. Mais une chose est certaine, on n’est pas décidé à laisser s’implanter dans notre pays des méthodes d’un autre temps » ; que la société Mediapart s’étant constituée partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier, en raison des propos précités, M. [I] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de ce chef, et a été relaxé ; que la société éditrice Médiapart a seule relevé appel de cette décision ;

En cet état ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 23, 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, 6, 10 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement en ce qu’il a débouté la société Mediapart de toutes ses demandes en raison de la relaxe intervenue du chef de diffamation ;

« aux motifs que s’agissant du contexte dans lequel les propos ont été tenus, il doit être rappelé que la publication Mediapart a mis en ligne du 16 juin au 6 juillet 2010, cinq articles à propos de ce qu’elle appelle dans ses écritures l’affaire « [H]/[L] » ; que le premier article cite, en effet, M. [W] [H], à l’époque ministre, comme impliqué avec le président de la République dans des faits de fraudes fiscales ; que les articles mis en ligne les 16, 17, 18 et 21 juin reprennent des extraits de conversations de Mme [L] avec son entourage, enregistrés à son insu ; qu’enfin, le 6 juillet est mis en ligne un cinquième article reprenant les déclarations de l’ancienne comptable de Mme [L], Mme [U] [A], qui formule l’accusation qu’il lui avait été demandé de retirer « de grosses sommes d’argent destinées à des hommes politiques dont M. [H], pour financer la campagne de M. [K] [F] » ; que sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis, la formulation des expressions « méthodes d’un autre temps » et « méthodes fascistes » ne renferment en elles-mêmes l’expression d’aucun fait précis en ce que :
– l’expression « méthodes d’un autre temps » est l’appréciation subjective du caractère suranné d’une façon d’agir ;
– l’expression « méthodes fascistes » ne revêt son caractère de précision en droit de la diffamation qu’à la condition de renfermer l’imputation de faits précis ; que par l’emploi de la locution « à partir de », un lien de dépendance est établi entre ces « méthodes fascistes » et les « écoutes totalement illégales » ; qu’ainsi que le tribunal l’a exactement jugé, ces écoutes illégales et les rumeurs illustrent ces « méthodes fascistes » ; que cette articulation en ce qu’elle impute à la partie civile d’utiliser des « écoutes illégales » est diffamatoire car il lui est précisément reproché de commettre les infractions pénales des articles 226-1 et 226-2 du code pénal ; que le jugement sera pour ce motif réformé sur ce point de la poursuite ; qu’en revanche, l’emploi du mot « rumeur », même appliqué aux méthodes fascistes est trop vague pour caractériser un fait précis de diffamation ; que la phrase « Ah écoutez, on n’a pas de preuves mais c’est plausible » qui est la reprise d’une réponse qu’aurait faite l’un des responsables du site, auteur de l’article mis en ligne, n’apparaît viser directement que ce dernier et non pas la partie civile, Mediapart, et ne peut donc s’appliquer aux « méthodes fascistes » précisément évoquées ; qu’il demeure à se prononcer sur l’élément dit de bonne foi à propos de la seule imputation retenue par la cour comme diffamatoire ; que la partie civile, contrairement à ce qu’elle mentionne dans ses conclusions, est impliquée dans une polémique politique portant sur les conditions du financement de la campagne présidentielle de 2007 ; qu’il suffit de constater que dans ses écritures d’appel, la partie civile revendique elle-même, ce qui est contradictoire, avoir eu un « rôle majeur » dans la révélation du contenu des écoutes pratiquées au détriment de Mme [L] et de son entourage ; que ce constat d’une implication de la partie civile dans la controverse opposant partisans et adversaires de M. [F] doit donc être fait ; qu’il est tout aussi constant que l’intimé s’est exprimé en sa qualité d’homme politique et comptait le 6 juillet comme partisan de M. [F] ; que c’est en fonction de ces constantes que l’élément de bonne foi doit être apprécié ; qu’il en résulte, sur la légitimité du but poursuivi qu’en sa qualité de secrétaire général du parti politique UMP, il ne peut être sérieusement contesté que M. [R] [I] était fondé à réagir à une nouvelle mise en cause du président de la République et de l’un de ses ministres par Mediapart ; que la cour rappelle que ces deux personnes étaient visées par Mme [A] comme ayant abusé de la faiblesse de Mme [L] pour obtenir des sommes d’argent en espèces ; qu’il incombe ensuite de se prononcer sur la pertinence et la mesure de la réplique de l’intimé ; que sur sa pertinence, il doit être rappelé que les propos de la partie civile portaient sur des enregistrements de conversations qui, selon le droit applicable, sont illégaux ; que sont en effet prohibés, selon l’article 226-1 du code pénal, l’enregistrement, sans son consentement, des conversations téléphoniques d’une personne se trouvant dans un lieu privé, et leur diffusion sans l’accord de la personne de la sorte entendue ; qu’il n’est pas contesté que ces enregistrements ont été le fait du majordome de Mme [L], au domicile de celle-ci et en lui ayant dissimulé ce procédé ; qu’ont ainsi été écoutées les conversations de Mme [L] avec son gestionnaire de fortune, M. [P], son notaire, Me [O] et deux avocats, Mes [S] et [Y] ; que Mme [X] est ensuite entrée en leur possession et les a confiés à un service de police chargé d’enquêter sur les faits d’abus de faiblesse présumés avoir été commis au préjudice de Mme [L], mère de Mme [X] ; que la partie civile Mediapart, tierce par rapport à cette enquête, ne comptait pas parmi les personnes concernées par ces investigations de police, mais a su entrer en leur possession et a décidé d’en publier des extraits, ce qui a eu pour effet immédiat de provoquer, à partir du 12 juin 2012, « un considérable écho médiatique », selon l’expression du tribunal ; que qualifier dans ce contexte ces enregistrements « d’écoutes totalement illégales » est admissible en droit de la presse, car cette expression, nonobstant l’emploi du mot « écoutes », qui équivaut à une maladresse dans l’expression, veut dire non que la partie civile Mediapart a écouté Mme [L], mais que c’est cette dernière qui a été écoutée par ceux qui ont effectué ces enregistrements et ceux qui y ont eu accès ; que ce fait double, écoutes des conversations par celui qui les a enregistrées et par ceux qui ont eu accès, est conforme à la réalité ; qu’en conséquence, au temps de sa communication, l’intimé M. [I] a exprimé un point de vue qui est fondé sur un support factuel et juridique suffisant, la cour observant qu’aucune des personnes de la sorte « écoutées » n’a été d’accord pour que ces « écoutes » fussent mises en ligne par la partie civile ; qu’il demeure à se prononcer sur la mesure de l’expression « méthodes fascistes » utilisée par l’intimé comme illustration de la pratique illégale ayant consisté pour la partie civile à mettre en ligne des extraits des conversations illicitement obtenues ; qu’il sera rappelé le contexte ayant entouré et suivi la communication au public de ces enregistrements, celui d’une polémique politique opposant partisans et adversaires de l’ancien président de la République M. [F], mis en cause pour son implication personnelle dans des prétendus faits d’abus de faiblesse au préjudice de Mme [L] ; que comme il a déjà été évoqué, M. [I], qui a exercé des fonctions politiques au sein du mouvement ayant soutenu la campagne électorale de M. [F] puis des fonctions ministérielles au temps où celui-ci était président de la République, comptait parmi ses partisans ; qu’il sera en conséquence rappelé qu’en droit de la diffamation, tout homme politique se situant sur le plan de la réplique n’est pas astreint à l’impartialité et a le droit de recourir à l’emphase et à l’exagération ; que par ailleurs, sur le sens de l’expression « méthodes fascistes », qui pour la partie civile renvoie aux « périodes les plus hideuses du XXe siècle », et dès lors, est révélatrice de l’animosité de l’intimé envers elle, que la cour ne partagera pas cette appréciation car, ainsi que le fait valoir l’intimé, le sens de l’adjectif « fasciste » tend à se banaliser dans le langage actuel et tend en politique, sinon à « diaboliser » l’opposant par une formule devenue aussi radicale que commune, à désigner l’adversaire avec lequel on est en totale opposition ; que sur ce point, la cour fait référence à la pièce numéro cinq du dossier de la partie civile qui confirme cette banalisation de l’emploi du terme « fasciste » ; que l’intimé s’est en réalité exprimé par hyperbole dans la seule intention, dans un contexte médiatique marqué par de multiples interventions, de manifester son indignation sur des événements ressentis comme des attaques de nature politique ; que la partie civile Mediapart, devenue du fait de ces mises en ligne l’un des acteurs de cette polémique opposant partisans et adversaires de M. [F], il est admissible en droit de la diffamation qu’un opposant comme l’était l’intimé, s’en prenne aux qualités professionnelles de la personne morale à laquelle il s’opposait, même en recourant à l’emploi de l’adjectif « fasciste », qui doit être compris dans le sens précisé ci-dessus ; qu’enfin le caractère impromptu de l’intervention de M. [I] suscitée par des journalistes venus à sa rencontre alors qu’il allait participer dans la commune du Raincy à une réunion publique sur le régime des retraites, et dont il n’est nullement établi qu’elle ait été préméditée dans le but de nuire à la partie civile, conduit également à lui accorder le bénéfice de la bonne foi pour des propos qui, certes, peuvent être qualifiés d’excessifs et inappropriés, mais restent néanmoins dans les limites admises dans le débat politique et médiatique ; que pour ces motifs qui se substituent à ceux du tribunal, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Mediapart de ses demandes ;

« 1°) alors que l’imputation ou l’allégation d’un fait précis et déterminé portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne entre dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, même si elle est présentée sous forme déguisée ou par voie d’insinuation ; qu’en imputant au site Mediapart d’avoir recours à des « méthodes d’un autre temps » tout en ajoutant que « certains médias, et, notamment, un site, utilisent des méthodes fascistes à partir d’écoutes qui sont totalement illégales, avec justement des rumeurs (…) », M. [I] a fait état de faits précis et déterminés qui doivent être appréciés en fonction de leur contexte ; qu’ainsi, l’affirmation contenue dans le texte, selon laquelle Mediapart aurait recours à des « méthodes d’un autre temps », est explicitée par la suite de ce texte faisant expressément référence à des « méthodes fascistes à partir notamment d’écoutes qui sont totalement illégales, avec justement des rumeurs (…) » ; qu’éclairées par l’ensemble du texte et par leur contexte, les expressions « méthodes d’un autre temps », « méthodes fascistes » et « avec justement des rumeurs », reliées au membre de phrase qui suit immédiatement « à partir d’écoutes qui sont totalement illégales », constituent donc bien des faits suffisamment précis de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération de la partie civile ; qu’en refusant de considérer certains passages comme diffamatoires lors même qu’ils s’inscrivaient dans un contexte et renvoyaient à des éléments extrinsèques qui devaient être pris en compte, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

« 2°) alors que la bonne foi suppose la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, l’existence d’une enquête sérieuse préalable et la prudence et la mesure dans l’expression de la pensée ; qu’il appartient à celui qui s’en prévaut de démontrer la réunion de ces éléments ; qu’en l’espèce, la cour d’appel n’a pas légalement justifié de l’absence d’animosité et de la prudence dans l’expression de la part de M. [I] ; que même lorsque le débat est de nature politique en ce qu’il porte sur un sujet d’intérêt général, les juges doivent rechercher s’il a été satisfait aux exigences de la prudence et si les propos sont dépourvus d’animosité personnelle ; qu’en justifiant les propos virulents tenus par M. [I] par la banalisation de l’emploi du terme « fascistes » et par le contexte de polémique politique dans lequel ils ont été tenus, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

« 3°) alors que lorsque les propos diffamatoires dépassent l’analyse critique et procèdent par voie d’affirmation, voire d’exagération, sans élément précis et sérieux de nature à les justifier, et qu’ils sont ainsi dépourvus d’une base factuelle suffisante, ils excèdent les limites de la liberté d’expression et de la polémique politique ; qu’en l’espèce, les propos reprochés à M. [I], même s’ils pouvaient être reliés à un sujet d’intérêt général, renferment des imputations diffamatoires sur les méthodes journalistiques de Mediapart, qualifiées de « fascistes » car fondées sur des « écoutes totalement illégales » et sur des « rumeurs », laissant penser que ce site a lui-même procédé à de telles écoutes au mépris de toute règle, commettant un délit pénalement sanctionné ,et de toute déontologie, et qu’il ne vérifie pas ses sources, se contentant de faits « plausibles », imputations qui sont parfaitement étrangères au débat public instauré quant à la mise en cause d’un ancien président de la République dans une affaire d’abus de faiblesse et qui ne présentent aucune utilité dans ce débat, pas plus qu’elles ne reposent sur une base factuelle suffisante relative à des pratiques de Mediapart prétendument illicites, du moins contraires à la déontologie journalistique ; que ces propos dépassent par conséquent les limites admissibles en matière de liberté d’expression, même dans le cadre d’une polémique politique, et qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les textes et principes susvisés ;

« 4°) alors que c’est seulement dans le domaine de la polémique politique portant sur les opinions et les doctrines relatives au rôle et au fonctionnement des institutions fondamentales de l’Etat que le fait justificatif de la bonne foi propre à la diffamation n’est pas nécessairement subordonné à la prudence dans l’expression de la pensée ; que la caractérisation de la prudence et du sérieux de l’enquête est impérative quand les propos ne sont pas en rapport avec la polémique et comportent des attaques personnelles, voire l’imputation d’un délit pénalement sanctionné ; qu’en l’espèce, en imputant à Mediapart de recourir à des méthodes que la loi et la morale réprouvent en assimilant ces méthodes à celles d’un régime totalitaire et au retour à une époque trouble de l’histoire, propos tout à fait étrangers au débat public relatif à la polémique politique entre partisans et adversaires de l’ancien président de la République M. [F], qui ne présentent aucune utilité dans ce débat, la cour d’appel a violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble les textes susvisés ;

« 5°) alors que si l’intention de répondre à une mise en cause dans le cadre d’un débat politique peut justifier certains propos, c’est à la condition qu’ils soient en rapport avec la polémique ; qu’en l’espèce, les propos litigieux dépassaient la simple polémique politique et constituaient une charge directe à l’encontre d’un média, lui attribuant des « méthodes d’un autre temps », des méthodes « fascistes », à partir d’écoutes totalement illégales et de « rumeurs », une absence de « preuves » ; qu’en refusant de sanctionner des propos dont elle constate elle-même qu’ils portent atteinte à l’honneur et à la considération sous prétexte d’une banalisation du terme « fascistes », d’une intention de M. [I] de manifester son « indignation » par des propos pouvant être, selon la cour, « qualifiés d’excessifs et inappropriés », lors même que de tels propos n’étaient manifestement d’aucune utilité dans le débat portant sur l’entourage de Mme [L] et sur la façon dont sa fortune était sollicitée, et visaient uniquement à discréditer un organe de presse qui visiblement dérange, en révélant des éléments susceptibles de rejaillir sur un ancien président de la République et à le déstabiliser en portant atteinte à sa liberté de parole et de ton, la cour d’appel a statué par des motifs inappropriés, inexactement apprécié la balance entre les libertés en présence, et méconnu les textes susvisés, notamment, l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme » ;

Sur le moyen, pris en sa première branche :

Attendu que l’arrêt attaqué, après avoir rappelé le contexte dans lequel ont été tenus les propos litigieux, énonce que l’expression « méthodes d’un autre temps » constitue une appréciation subjective et que l’emploi du mot « rumeur » est trop vague pour caractériser un fait précis ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés et a, à bon droit, retenu que les passages susvisés ne comportaient pas d’ imputation diffamatoire ;

D’où il suit que le grief allégué n’est pas encouru ;

Sur le moyen, pris en ses autres branches :

Attendu que, pour justifier l’admission au profit de M. [I] de la bonne foi, s’agissant des seuls propos retenus comme diffamatoires, l’arrêt attaqué énonce en substance que la société Médiapart a revendiqué un rôle majeur dans la révélation du contenu des écoutes au détriment de Mme [L] et de son entourage et est impliquée dans une polémique politique portant sur les conditions de financement de la campagne présidentielle de 2007 ; qu’il retient que la bonne foi doit être appréciée compte tenu de cette implication et du fait que M. [I] s’est exprimé en sa qualité d’homme politique et partisan de [K] [F] ; que les juges relèvent, sur la légitimité du but poursuivi, que, secrétaire général de l’UMP, il était fondé à réagir à la mise en cause du Président de la République et de l’un de ses ministres par la société Médiapart ; qu’ils ajoutent que ses propos, en dépit du mot « écoutes » qui constitue une maladresse, portaient sur des enregistrements de conversations illégaux, prohibés par l’article 226-1 du code pénal et reposaient sur un support factuel et juridique suffisant, aucune des personnes écoutées n’ayant été d’accord pour que ces enregistrements fussent mis en ligne par la société Médiapart ;

Attendu que les juges ajoutent que l’expression « fasciste » tend à se banaliser en désignant l’adversaire avec lequel on est en totale opposition ; que M. [I], dont l’intervention avait un caractère impromptu, s’est exprimé par hyperbole dans la seule intention de manifester son indignation sur des événements ressentis comme des attaques de nature politique ; qu’ils en concluent que le bénéfice de la bonne foi doit lui être accordé, en sa qualité d’homme politique pouvant recourir à l’exagération, en raison de propos qui peuvent être qualifiés d’excessifs et inappropriés mais qui restent dans les limites admises du débat politique et médiatique ;

Attendu qu’en cet état, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence d’un débat d’intérêt général et relevé que l’auteur des propos, lequel au demeurant n’est pas un professionnel de l’information, disposait d’une base factuelle suffisante, a justifié sa décision au regard de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze avril deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la société éditrice Médiapart a publié, entre le 16 juin et le 21 juin 2010, plusieurs articles reproduisant, notamment, des extraits d’enregistrements de conversations tenues par Mme [L] à son domicile avec différents interlocuteurs, ainsi que, le 6 juillet 2010, une interview de son ancienne comptable ; que, ce même jour, M. [R] [I], alors secrétaire général de l’UMP, questionné par des journalistes au sujet de l’évolution de l’affaire dite « [H] [L] », en marge d’une réunion publique sur la réforme des retraites, a tenu les propos suivants : « Ce sont des méthodes, des méthodes d’un autre temps. Et quand certains médias, et notamment, un site utilisant des méthodes fascistes à partir, notamment, je le dis, d’écoutes qui sont totalement illégales, avec justement des rumeurs, l’un des responsables de ce site dit : « Ah écoutez, on n’a pas de preuve mais c’est plausible », non mais attendez, dans quel monde on est ! Ah parce que c’est plausible, on se permet de mettre en accusation un ministre de la République et le Président de la République. C’est pas comme ça que fonctionne la démocratie française. Et je vous le dis, je vous le dis, on a conscience de la charge qu’est la nôtre, de la responsabilité qu’est la nôtre. Mais une chose est certaine, on n’est pas décidé à laisser s’implanter dans notre pays des méthodes d’un autre temps » ; que la société Mediapart s’étant constituée partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier, en raison des propos précités, M. [I] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de ce chef, et a été relaxé ; que la société éditrice Médiapart a seule relevé appel de cette décision ;

En cet état ;

 


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