Diffamation : décision du 1 février 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 21/02531

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Diffamation : décision du 1 février 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 21/02531

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 1er FEVRIER 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02531 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDK3K

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Janvier 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/11354

APPELANTE

Madame [R] [K]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Olivier GOZLAN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0668

INTIMÉE

S.A.S.U. CENTRE DE MANAGEMENT HOTELIER (CMH) anciennement INSTITUT EUROPÉEN DE TOURISME ET D’HÔTELLERIE (IETH)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Delphine MENGEOT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1878

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre

Madame Sandrine MOISAN, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [R] [K] a été engagée à compter du 1er octobre 2015 par la société Institut Européen de Tourisme et d’Hôtellerie, par contrat à durée indéterminée à temps partiel, en qualité d’enseignante, statut technicien niveau 7, échelon A de la classification des emplois définie par la convention collective nationale de l’enseignement privé indépendant (ou hors contrat) du 27 novembre 2007.

Par avenant prenant effet au 30 août 2016, elle a été affectée au poste de ‘ professeur principal European Bachelor’ et a bénéficié d’une augmentation de salaire.

Par lettre du 18 juillet 2019, la société Institut Européen de Tourisme et d’Hôtellerie l’a convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 31 juillet 2019, et par courrier recommandé du 5 août 2019, lui a notifié son licenciement pour faute simple, lui reprochant notamment d’avoir harcelé une de ses étudiantes.

Dénonçant la nullité de son licenciement, Madame [K] a saisi le 20 décembre 2019 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 21 janvier 2021, a :

– dit que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse,

– condamné la société Institut Européen de Tourisme et d’Hôtellerie à verser à Madame [R] [K] :

– 640 euros au titre d’un complément d’indemnité de licenciement légale,

– 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné la remise d’un bulletin de paie conforme à la présente décision,

– débouté Madame [K] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Institut Européen de Tourisme et d’Hôtellerie de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Institut Européen de Tourisme et d’Hôtellerie aux dépens.

Par déclaration du 8 mars 2021, Madame [K] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 31 octobre 2023, Madame [K] demande à la cour de :

– infirmer le jugement rendu le 21 janvier 2021 par le conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a dit que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse et en ce qu’il l’a déboutée du surplus de ses demandes,

statuant à nouveau,

à titre principal :

– prononcer la nullité du licenciement notifié le 5 août 2019,

– condamner la société Centre de Mangement Hôtelier – nouvelle dénomination de l’Institut Européen de Tourisme et d’Hôtellerie – à verser à Madame [K] la somme de 30 720 euros, correspondant à 12 mois de salaire, à titre d’indemnité pour licenciement nul,

à titre subsidiaire :

– condamner à titre principal le CMH à verser à Madame [K] la somme de 30 720 euros, correspondant à 12 mois de salaire, à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner à titre subsidiaire le CMH à verser à Madame [K] la somme de 12 800 euros, correspondant à 5 mois de salaire, à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause :

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné le CMH à verser à Madame [K] 640 euros à titre de solde d’indemnité de licenciement,

– condamner le CMH à verser à Madame [K] les sommes suivantes :

– 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

– 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

– 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement prononcé dans des conditions brutales et vexatoires,

– 1 673,84 euros à titre de solde d’indemnité compensatrice de congés payés,

– 2 560 euros à titre de solde d’indemnité compensatrice de préavis,

– 256 euros à titre de solde de congés payés afférents au préavis,

– ordonner la remise des documents qui suivent, de manière rectifiée, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à savoir : les bulletins de paie, le certificat de travail et l’attestation Pôle Emploi,

– assortir l’ensemble des condamnations de l’intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit à compter du 27 décembre 2019,

– ordonner la capitalisation des intérêts,

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné le CMH à verser à Madame [K] la somme de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles de première instance,

– condamner le CMH à verser à Madame [K] la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles de l’appel,

– condamner le CMH aux entiers dépens,

– condamner le CMH à rembourser au Pôle Emploi les sommes versées au titre de l’indemnisation chômage perçue par Madame [K], du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, en application de l’article L.1235-4 du code du travail.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 3 août 2021, la société Institut Européen de Tourisme et d’Hôtellerie , devenue le Centre de Management Hôtelier, demande à la cour de :

– déclarer mal fondé l’appel interjeté par Madame [R] [K],

– déclarer la société Centre de Management Hôtelier recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,

y faisant droit,

à titre principal :

– infirmer le jugement uniquement en ce qu’il a condamné la société Centre de Management Hôtelier à régler la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens, et l’a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles,

statuant à nouveau sur ces points,

– débouter Madame [R] [K] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Madame [R] [K] à la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– confirmer le jugement sur le surplus,

à titre subsidiaire :

si par extraordinaire la cour venait à considérer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, il conviendrait de fixer le montant de l’indemnité à la somme de 7 860 euros conformément au barème légal,

en tout état de cause :

– débouter Madame [R] [K] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner Madame [R] [K] au paiement de la somme de 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Madame [R] [K] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 novembre 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 5 décembre 2023.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur le harcèlement moral :

Madame [K] soutient avoir été victime de méthodes de gestion violentes et agressives de la part de sa nouvelle supérieure hiérarchique, Madame [V], directrice académique, à compter d’octobre 2018, avoir été mise à l’écart en n’étant plus convoquée aux réunions pédagogiques, en ne recevant plus de directives et en étant privée de son bureau et de sa qualification de professeur principal. Elle considère donc que ce harcèlement moral, qui a provoqué chez elle un important stress et des crises d’urticaire chronique rendant nécessaire un traitement anti-histaminique lourd, doit être réparé à hauteur de 20’000 €.

La société Institut Européen de Tourisme et d’Hôtellerie, devenue Centre de Management Hôtelier, nie tout harcèlement moral.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ‘lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’

Au soutien du harcèlement moral qu’elle dénonce, Madame [K] verse aux débats l’attestation d’une assistante administrative et pédagogique, ancienne salariée du CMH, évoquant ‘le ton sec et agressif’ de Mme [V] reprochant à Mme [K] ‘ce n’est pas à vous de décider de l’objet de la réunion!’, ‘J’ai entendu Mme [V] crier sur Mme [K] qu’elle n’avait pas à soupirer suite à un ordre donné par sa supérieure, or je peux attester que Mme [K] n’était pas en train de « soupirer » mais était bel et bien en larmes suite à l’inconfort de la situation ainsi qu’à la violence du ton de Mme [V] envers nous deux’, ‘nous avons échangé à plusieurs reprises avec Mme [K] sur cette situation, à propos de l’attitude de Mme [V], qui devenait intenable et qui était très douloureuse pour nous deux’, ‘ Mme [K] est venue me demander du travail et si je n’avais pas besoin d’un coup de main. Elle semblait très embarrassée de me demander du travail mais elle m’a confié qu’elle n’avait pas de directives. J’ai pu aussi constater par la suite que Mme [K] n’était plus convoquée aux réunions importantes’ , ‘lors d’un de ses passages dans les locaux, j’ai entendu M. [I] ( Président du groupe) à Mme [J] (salariée du IETH) de prendre le bureau de Mme [K] puisqu’elle n’en aurait plus besoin. Je me souviens également avoir entendu Mme [V] dire que Mme [K] ne serait plus professeure principale'(sic) .

Elle produit également l’attestation de Madame [J], disant avoir ‘été témoin du mal-être et de la souffrance de Mme [K] au sein de l’entreprise à compter de l’arrivée de Mme [V] en octobre 2018’, ‘elle m’a confié plusieurs fois entre mi-avril et fin juillet 2019 qu’elle n’avait pas de directives de la part de Mme [V] qui était pourtant sa supérieure hiérarchique. Mme [K] parlait souvent tout doucement, comme si elle avait honte de la situation. Elle m’a dit plusieurs fois « Mme [V] ne me donne jamais rien à faire ». Je me souviens que durant toute cette période, j’ai vu Mme [K] beaucoup souffrir de sa situation au CMH, aussi bien psychologiquement que physiquement. Tout a commencé lorsque j’ai vu Mme [K] se gratter frénétiquement, ses bras et sa poitrine étaient rouges. Je la voyais très agacée par ces démangeaisons. Elle m’a alors confié avoir un problème de peau et qu’elle avait été diagnostiquée d’un urticaire chronique pour lequel elle devait suivre un traitement’, ‘quand j’ai demandé au président du groupe, M. [I], quel bureau je devais prendre, il m’a dit que je pouvais choisir entre les deux bureaux du fond. Je lui ai dit que je ne pouvais pas prendre celui de droite car Mme [K] y était. Il m’a alors répondu que Mme [K] «n’avait plus besoin de bureau puisqu’elle ne serait plus professeur principale ». Cette réponse m’a vraiment choquée. M.[I] a ensuite expliqué que M. [N] avait besoin de mon bureau car il était entièrement vitré, ce qui permettrait aux étudiants de le voir puisqu’ il deviendrait leur seul référent, remplaçant donc le professeur principal. J’ai été très surprise de cette réponse et me suis immédiatement interrogée sur la répartition des missions avec Mme [K]. Je savais qu’elle ignorait qu’elle serait certainement remplacée’, ‘je ne comprenais pas pourquoi Mme [K] était ainsi mise de côté par la nouvelle direction’, ‘début juillet, Mme [K] m’a indiqué que le travail était devenu « un enfer » et qu’elle ressentait une véritable « fatigue physique et morale » à force d’avoir travaillé « 9 mois sans aucune directive ni sens »’.

Elle verse également aux débats des prescriptions médicamenteuses datant de janvier, avril, mai, juillet et novembre 2019, ainsi qu’une demande de rendez-vous en date du 27 mars 2019 à laquelle Monsieur [I] a répondu ‘pouvez-vous me téléphoner pour en parler !’ ajoutant son numéro de téléphone portable, sans autre commentaire.

L’appelante verse ainsi différents éléments caractérisant, outre l’autoritarisme et l’agressivité de sa nouvelle supérieure hiérarchique adoptant à son encontre une attitude vexatoire, diverses brimades, l’absence de directives, une mise à l’écart des réunions pédagogiques, un projet de changement de bureau à son insu, ainsi qu’une activité moindre et son remplacement annoncé en qualité de professeure principale, faits qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer un harcèlement moral à son encontre.

La société Institut Européen de Tourisme et d’Hôtellerie , devenue CMH, critique les pièces versées aux débats par l’appelante qui ne se fonde que sur des attestations vagues et imprécises d’anciennes salariées et sur un mail unique de la direction alors qu’aucun motif de rendez-vous n’était indiqué dans la requête de l’appelante. Elle souligne que les ordonnances médicales produites sont sans valeur, les médicaments prescrits correspondant à de nombreuses indications, que le lien entre l’état de santé de Madame [K] et ses conditions de travail n’est pas démontré, que cette dernière ne s’est jamais manifestée pour se plaindre d’un éventuel harcèlement moral et que sa demande doit donc être rejetée, comme l’a justement apprécié la juridiction de première instance.

La société intimée invoque les pièces adverses pour les critiquer mais ne produit aucun document permettant de vérifier que les faits établis par l’appelante étaient induits par des décisions prises dans l’intérêt de l’entreprise et étrangères à tout harcèlement moral à son encontre.

Il convient donc, en l’état des éléments de préjudice démontrés, d’accueillir la demande d’indemnisation du harcèlement moral de Madame [K] à hauteur de 5 000 €.

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement adressée le 5 août 2019 à Madame [K] contient les motifs suivants, strictement reproduits :

[…] ‘vous avez menacé de redoublement une de nos étudiantes pour obtenir des justificatifs d’absence alors que celle-ci était hospitalisée à deux reprises, vous avez fait preuve d’acharnement envers cette étudiante, la mère de cette étudiante a qualifié votre comportement d’harcèlement envers sa fille.

Vous-même êtes parent, comment pourriez-vous supporter un tel acharnement alors que votre enfant est hospitalisé ‘

Ensuite, vous venez de faire parvenir à votre supérieur hiérarchique deux documents récapitulatifs dans lesquels vous mentionnez des absences tout au long de l’année scolaire 2018-2019 et pour lesquels il n’y a pas eu de déduction sur salaire. C’est inadmissible d’apprendre en juillet 2019 qu’une de nos salariées était régulièrement absente tous les mois et ce depuis octobre 2018.

De plus, vous avez également piloté la pétition de plusieurs salariés envers la nouvelle Directrice Pédagogique pour essayer de la faire licencier alors que le seul élément que vous ayez contre elle est le fait qu’elle essaye de donner un cadre et des missions à tous les salariés pour pouvoir avancer dans le sens du CMH.

Enfin, nous vous rappelons que vous êtes intervenante au CMH et avez une part également d’activité administrative au sein de notre établissement. Vous avez demandé à mettre en place des cours en « co-animation », aboutissant au paiement d’un intervenant chargé de délivrer le cours, et également au paiement simultané de votre salaire au taux horaire plein, comme si c’était vous qui animiez le cours. C’est inadmissible alors que vous êtes professeur et que vous êtes rémunérée pour cela.

Ces faits sont constitutifs d’une faute.

En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement.’

Madame [K] affirme que son licenciement lui a été notifié dans le contexte de harcèlement moral qu’elle subissait, que la lettre de licenciement démontre la nullité de la rupture qui est intervenue au motif qu’elle aurait piloté la pétition envers la nouvelle directrice académique, Madame [V], le CMH la licenciant donc pour avoir refusé de subir les agissements répétés de harcèlement moral ainsi relatés. Elle considère en tout état de cause que le motif de son licenciement est lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression et sollicite réparation de ce licenciement nul à hauteur de 30’720 €.

À titre subsidiaire, elle souligne que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, contestant le grief qui lui est fait puisqu’elle n’a jamais accueilli dans sa classe l’élève [U], ne l’a jamais appelée et encore moins menacée de redoublement. Elle invoque également la prescription de ce grief dont l’employeur -en la personne de Madame [V]- a eu connaissance dès le 4 avril 2019 et pour lequel il l’a convoquée à un entretien préalable le 18 juillet 2019 seulement. Invoquant le préjudice qu’elle a subi, elle sollicite que le plafonnement de l’indemnisation prévue à l’article L.1235-3 du code du travail, portant une atteinte disproportionnée à ses droits, soit écarté par application de l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail et de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne.

Contestant tout harcèlement moral et partant, la nullité du licenciement intervenu pour des motifs vérifiables, la société Centre de Management Hôtelier soutient que Madame [K], ayant pris pour cible une de ses élèves, s’est rendue coupable d’un harcèlement moral à son encontre, ses demandes répétées et insistantes ayant entraîné de graves répercussions sur l’étudiante, pourtant déjà atteinte d’une maladie grave nécessitant des hospitalisations régulières. Elle fait état également des absences répétées de l’appelante (plus de 20 entre octobre 2019 et avril 2020), dont elle n’était pas informée préalablement et pour lesquelles elle ne recevait aucun justificatif, de la pétition qu’elle a pilotée contre la directrice pédagogique, sa responsable hiérarchique, acte grave portant atteinte à la réputation de cette dernière.

Elle conclut donc à la confirmation du jugement entrepris.

À titre subsidiaire, la société intimée rappelle que l’indemnisation du licenciement ne pourrait dépasser trois mois de salaire, soit la somme de 7 860 €.

La société Centre de Management Hôtelier verse aux débats le courriel de [C] [U], étudiante, adressé à Madame [K] relativement à des absences et à leur justification et celui de Madame [U] mère, en date du 11 avril 2019 donnant des nouvelles médicales de sa fille et communiquant une capture d’écran ‘d’un mail qu’a reçu [C] ce matin à 10 heures. Je n’exprimerai aucun commentaire à ce sujet mais constate encore une fois de plus cet acharnement à produire des documents médicaux. Cela relève de l’incroyable !!!!’.

Toutefois, alors que le premier courriel, émanant de l’étudiante, explique seulement les circonstances de son absence et contient la promesse de justificatifs, ce dernier courriel ne formule aucune plainte à l’encontre de Madame [K], ne contient aucune référence à son intervention et ne saurait, pas plus que le premier, constituer la preuve d’un harcèlement moral de la part de l’enseignante.

En ce qui concerne les absences reprochées à Madame [K], le récapitulatif de ses heures travaillées et non travaillées ainsi que le relevé de ses horaires du mois de ‘juin’ (sans mention de l’année correspondante) ne contiennent aucun entête, aucune signature et ne sont corroborés par aucun élément objectif permettant de les considérer comme probants, et ce, alors que l’appelante verse aux débats plusieurs documents prévenant sa hiérarchie de ses absences notamment pour des problèmes médicaux rencontrés par sa fille.

En outre, aucun élément n’est versé aux débats par l’employeur relativement à la pétition qui aurait été pilotée par Madame [K], alors que Madame [J], ancienne salariée de la société CMH, a témoigné que l’appelante n’avait ‘ jamais été à l’initiative d’une pétition à l’encontre de Madame [V]’.

Enfin, le quatrième grief, à savoir une demande de ‘co-animation’ aux frais de l’employeur, non seulement n’est pas démontré dans sa réalité, mais encore ne saurait être valablement reproché à une salariée dans la mesure où il appartient à l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, de refuser un projet s’il l’estime contraire aux intérêts de l’entreprise.

En revanche, les éléments recueillis par Madame [K] à l’occasion du harcèlement moral qu’elle invoque montrent que la rupture est intervenue dans le cadre de l’ostracisation déjà mise en ‘uvre à son encontre, depuis l’arrivée de la nouvelle directrice pédagogique, constituant même le point ultime de ce harcèlement.

Par ailleurs, il convient de rappeler que toute personne a droit à la liberté d’expression, selon la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et que l’article L.2281-1 du code du travail dans sa version applicable au litige dispose que ‘les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail.

L’accès de chacun au droit d’expression collective peut être assuré par le recours aux outils numériques sans que l’exercice de ce droit ne puisse méconnaître les droits et obligations des salariés dans l’entreprise.’

De même, aux termes de l’article L.2281-3 du code du travail, ‘les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.’

Par conséquent, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules les restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

En l’espèce, la pétition invoquée par l’employeur à l’encontre de la directrice pédagogique manifeste le ressenti des salariés, exprimé par ce moyen.

Dans la mesure où aucun contenu injurieux, diffamatoire, excessif ou portant atteinte à la dignité de la personne critiquée n’est invoqué de la part de l’employeur relativement à cette pétition, ce dernier ne pouvait valablement sanctionner un salarié à ce titre.

Or, ce reproche est fait à Madame [K], motivant son licenciement.

La rupture du contrat de travail de l’espèce est donc atteinte de nullité.

Tenant compte de l’âge de la salariée (46 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté (4 ans), de son salaire moyen mensuel brut (soit 2 560 €, comme revendiqué par l’intéressée), des justificatifs produits de sa situation de bénéficiaire d’une allocation d’aide au retour à l’emploi de décembre 2019 à mai 2021, il y a lieu de fixer à 18 000 € les dommages-intérêts réparant ce licenciement nul.

Sur le caractère brutal et vexatoire du licenciement :

Invoquant le licenciement pour faute intervenu de manière brusque et intempestive durant les vacances estivales, alors qu’elle n’avait jamais fait l’objet de la moindre sanction auparavant et n’a pas été en mesure d’exécuter son préavis, puisqu’elle en a été dispensée sans aucun fondement, Madame [K] affirme avoir été ainsi discréditée notamment auprès de ses collègues. Elle invoque les circonstances de la rupture et le comportement fautif de l’employeur qui avait annoncé qu’elle n’avait plus besoin de bureau et qu’elle ne serait plus professeure principale, avant même le déclenchement de la procédure de licenciement. Elle réclame la somme de 20’000 € à titre de dommages-intérêts pour réparer le préjudice distinct ainsi subi.

La société Centre de Management Hôtelier soutient pour sa part que la demande ne repose que sur deux attestations se bornant à rapporter les paroles de la salariée, laquelle n’explique pas en quoi son licenciement aurait été brutal, ni la raison du montant qu’elle réclame. Elle conclut au rejet de la demande.

Toute demande d’indemnisation suppose, pour être accueillie, la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre eux.

Force est de constater que le discrédit de Madame [K] par son employeur a d’ores et déjà été pris en compte, comme d’ailleurs l’annonce relative à son bureau et à son statut de professeur principal, au titre du harcèlement moral.

Par ailleurs, le fait que le licenciement soit intervenu en période estivale n’est pas démontré comme vexatoire, pas plus que la dispense d’exécuter le préavis, alors que la salariée en a reçu contrepartie financière et dénonçait son mal-être au travail.

Enfin, la réalité de circonstances décrites comme brusques et intempestives entourant le licenciement n’est pas démontrée.

En tout état de cause, la preuve d’un préjudice distinct de celui d’ores et déjà réparé dans le cadre du licenciement nul n’est pas rapportée.

La demande doit donc être rejetée par confirmation de ce chef.

Sur le solde d’indemnité de licenciement :

Madame [K] expose que son employeur, de façon inexpliquée et en sa défaveur, a calculé son ancienneté à compter du 30 août 2016, alors que la relation de travail a débuté le 1er octobre 2015 et réclame 640 € à titre de solde d’indemnité de licenciement.

La société Centre de Management Hôtelier conclut au rejet de la demande.

Alors qu’il est justifié d’un contrat de travail à durée indéterminée liant les parties à compter du 1er octobre 2015, l’attestation destinée à Pôle Emploi et le certificat de travail remis à la salariée font mention d’une ancienneté remontant au 30 août 2016.

Dans la mesure où le versement d’une indemnité de licenciement d’un montant de 1 920 euros n’est pas démenti par l’employeur, il y a lieu d’accueillir la demande à hauteur du montant réclamé, calculé conformément aux dispositions de l’article R.1234-1 du code du travail.

Le jugement de première instance doit donc être confirmé de ce chef.

Sur le solde d’indemnité compensatrice de congés payés :

L’appelante fait valoir que, bénéficiant de 41 jours ouvrables de congés payés acquis au jour de la rupture, elle aurait dû percevoir la somme de 4 036,92 € à ce titre. N’ayant perçu que

2 363,08 euros – comme indiqué dans l’attestation Pôle Emploi renseignée par l’employeur -, elle réclame la somme de 1 673,84 € en complément.

La société CMH conclut au rejet de la demande.

La lecture des pièces produites permet de vérifier qu’un solde d’indemnité compensatrice de congés payés est dû à Madame [K], à hauteur de la somme réclamée, correspondant à ses droits.

Sur le solde d’indemnité compensatrice de préavis :

Invoquant son statut de ‘professeur principal’ et donc de cadre, ainsi que l’article 3.9 de la convention collective applicable, Madame [K] estime devoir bénéficier d’un préavis de trois mois et réclame la somme de 2 560 € en complément de la somme déjà perçue à ce titre, ainsi que les congés payés y afférents.

La société Centre de Management Hôtelier conclut au rejet de la demande qui est, selon elle, incompréhensible, puisque la salariée a déjà perçu une indemnité de préavis de 5 120 €.

L’article 3.6.2.1 de la convention collective nationale de l’enseignement privé indépendant (ou hors contrat) du 27 novembre 2007 prévoit une durée de préavis de trois mois pour les cadres.

Selon l’article 6.5.1 de ce texte conventionnel, ‘dans l’enseignement secondaire, technique et supérieur tels que définis dans le champ d’application de la présente convention collective, l’enseignant cadre est un salarié qui, par sa formation, ses compétences et son expérience confirmées, exerce des responsabilités réelles.

A cet égard, le statut de cadre est attribué à un enseignant dès lors qu’il satisfait aux 4 critères cumulatifs ci-dessous :

1° La possession d’un diplôme ou d’un titre de niveau minimum bac + 4 ;

2° Une expérience d’enseignement d’au minimum 3 années scolaires complètes dans un ou plusieurs établissements relevant du champ d’application de la présente convention collective;

3° Une charge de travail dans l’établissement correspondant au minimum à 2/3 de la durée conventionnelle de sa catégorie ;

4° L’initiative et la liberté d’agir et de faire sont ainsi définies :

– avoir la possibilité d’adapter le programme des cours soit dans ses grandes lignes par une approche différente, soit d’après le niveau des élèves ou des étudiants ;

– avoir la possibilité de choisir les sujets, le rythme des contrôles de connaissances et des examens internes quand la structure le permet.’

Bénéficiant de l’expérience et de la durée de travail requises, ainsi que du statut de ‘professeur principal European Bachelor’ depuis l’avenant du 22 août 2016, Madame [K], qui a effectivement exercé les fonctions administratives, d’enseignement et d’encadrement correspondant à ce statut, avec l’autonomie et l’initiative inhérentes, doit bénéficier d’un préavis de trois mois et du solde d’indemnité compensatrice de préavis qu’elle réclame, et ce, nonobstant le statut de technicien contractualisé à l’embauche et maintenu en dépit de son accession au statut de professeur principal en cours de relation de travail.

Le jugement de première instance doit donc être infirmé de ce chef.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :

Madame [K] sollicite la somme de 20’000 € à ce titre, dans le dispositif de ses conclusions, sans toutefois expliciter, ni articuler en fait sa demande, ni même en énoncer le fondement dans le corps desdites conclusions.

Dans ces conditions, en l’absence de démonstration d’une exécution déloyale du contrat de travail et d’un préjudice en résultant distinct de ceux d’ores et déjà réparés, il y a lieu de rejeter la demande, par confirmation du jugement de première instance.

Sur les intérêts:

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil et R.1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi (rappels de salaire, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Sur la remise de documents:

La remise d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s’impose sans qu’il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance du Centre de Management Hôtelier n’étant versé au débat.

Sur le remboursement des indemnités de chômage:

Les dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d’espèce, le licenciement de Madame [K] étant nul, d’ordonner le remboursement par la société Centre de Management Hôtelier des indemnités chômage perçues par l’intéressée, dans la limite de six mois d’indemnités.

Le présent arrêt devra, pour assurer son effectivité, être porté à la connaissance de Pôle Emploi, conformément à l’article R.1235-2 alinéas 2 et 3 du code du travail.

Sur les dépens et les frais irrépétibles:

L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel.

L’équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile également en cause d’appel et d’allouer à ce titre la somme de 3 500 € en faveur de Madame [K].

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement dans les limites de l’appel, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives au complément d’indemnité de licenciement, au licenciement vexatoire et brutal, à l’exécution déloyale du contrat de travail, aux frais irrépétibles de l’employeur et aux dépens,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement de Madame [R] [K] est nul,

CONDAMNE la société Centre de Management Hôtelier à payer à Madame [K] les sommes de :

– 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

– 1 673,84 € à titre de solde d’indemnité compensatrice de congés payés,

– 2 560 € à titre de solde d’indemnité compensatrice de préavis,

– 256 € au titre des congés payés y afférents,

– 18 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

– 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation pour les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, à compter du jugement de première instance pour les sommes indemnitaires confirmées et à compter du présent arrêt pour le surplus,

ORDONNE la remise par la société Centre de Management Hôtelier à Mme [K] d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé,

ORDONNE le remboursement par la société Centre de Management Hôtelier aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à Mme [K] dans la limite de six mois,

ORDONNE l’envoi par le greffe d’une copie certifiée conforme du présent arrêt, par lettre simple, à la Direction Générale de Pôle Emploi,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société Centre de Management Hôtelier aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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