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Aux termes de l’article 41 alinéas 4 et 5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.
Ce texte pose le principe de l’immunité des écrits produits et propos tenus devant les tribunaux afin de garantir le libre exercice du droit d’agir ou de se défendre en justice, en interdisant que des actions ne soient exercées contre des personnes à raison du contenu de l’argumentation présentée au soutien de leur cause. Cette liberté connaît toutefois des limites lorsque les faits diffamatoires imputés sont étrangers à la cause. Cause d’irresponsabilité pénale fondée sur les droits de la défense, l’immunité des écrits édictée par les dispositions précitées suppose ainsi qu’il soit procédé à un examen, par le juge saisi, des conditions de publication de l’acte incriminé et de sa portée dans le débat judiciaire dans le cadre duquel il était produit le cas échéant, mais également du caractère extrinsèque ou non à la cause judiciaire débattue des propos poursuivis. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire concerne une action en diffamation intentée par la société CORHOFI. Les conclusions des parties demandent respectivement la déclaration d’irrecevabilité de l’action en diffamation, le rejet des demandes de la société CORHOFI, et des condamnations financières. L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 janvier 2024 et la décision finale a été annoncée pour le 3 avril 2024.
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→ Les points essentielsSur l’objet du litigeLa société CORHOFI, spécialisée dans l’achat, la vente et la location de biens d’équipements, a conclu plusieurs contrats de location de biens d’équipement médicaux et informatiques avec l’association DENTEXIA, créée en 2011 pour gérer des centres de santé dentaire. [I] [C]-[F], avocate, a représenté les intérêts du CNOCD, instance ordinale compétente pour les professionnels du secteur, dans plusieurs procédures opposant ces parties, notamment dans le cadre de la liquidation judiciaire de DENTEXIA ordonnée par jugement du 04 mars 2016. Sur l’expertise judiciaireUne expertise judiciaire a été ordonnée à la demande du liquidateur judiciaire par décision du juge des référés en date du 28 juillet 2017, confirmée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 08 novembre 2018 et par la Cour de cassation le 12 novembre 2020. Dans le cadre de cette expertise, plusieurs dires ont été échangés, dont le dire n°14 daté du 3 janvier 2022 signé par Maître [I] [C]-[F], que la société CORHOFI estime diffamatoire. Sur les propos litigieuxLa société CORHOFI poursuit quinze passages du dire n°14 pour diffamation non publique. Ces passages critiquent les relations financières entre CORHOFI et DENTEXIA, les contrats de location, et les flux financiers, accusant CORHOFI de soutien abusif et de crédit déguisé ruineux. CORHOFI conteste ces accusations, les considérant comme diffamatoires. Sur la recevabilité de l’action[I] [C]-[F] et le CNOCD demandent de déclarer irrecevable l’action engagée par CORHOFI, invoquant l’immunité judiciaire prévue par l’article 41 alinéa 4 de la loi du 29 juillet 1881. Ils soutiennent que les propos litigieux sont couverts par cette immunité car ils ont été produits dans le cadre d’une expertise judiciaire et ne sont pas étrangers aux débats. Sur l’immunité judiciaireL’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit l’immunité des écrits produits devant les tribunaux pour garantir le libre exercice du droit d’agir ou de se défendre en justice. Cette immunité ne s’applique pas si les faits diffamatoires sont étrangers à la cause. En l’espèce, les propos poursuivis par CORHOFI sont des observations critiques sur les éléments de l’expertise, répondant aux missions de l’expertise judiciaire. Sur l’extranéité des proposLes passages poursuivis par CORHOFI ne sont pas étrangers à la cause judiciaire. Ils constituent des observations sur les relations financières entre CORHOFI et DENTEXIA, les contrats de location, et les flux financiers, en réponse aux éléments de l’expertise. Le juge chargé du contrôle des expertises a rejeté la demande de CORHOFI d’écarter le dire litigieux, confirmant ainsi son caractère non extrinsèque. Sur la décision du tribunalLe tribunal considère que le dire en date du 3 janvier 2022 rédigé par [I] [C]-[F] est couvert par l’immunité de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881. En conséquence, l’action intentée par la société CORHOFI à l’égard de [I] [C]-[F] et du CNOCD est déclarée irrecevable. Sur les dépensL’article 696 du code de procédure civile stipule que la partie perdante est condamnée aux dépens. La société CORHOFI, ayant succombé à l’instance, est condamnée aux dépens. Sur les frais irrépétiblesL’article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer les frais exposés par l’autre partie. Il serait inéquitable de laisser aux défendeurs la charge des frais irrépétibles. La société CORHOFI est condamnée à payer à [I] [C]-[F] la somme de 4.000 euros et au CNOCD la somme de 3.000 euros. Sur l’exécution provisoireL’exécution provisoire est de droit en application de l’article 514 du code de procédure civile. Les montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicableVoici la liste des articles des Codes cités dans le texte fourni, ainsi que le texte de chaque article cité :
Code de procédure civile – Article 73 : – Article 122 : – Article 696 : – Article 700 : – Article 514 : Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse – Article 41, alinéas 4 et 5 : Ces articles sont cités dans le contexte de la procédure judiciaire entre la société CORHOFI et l’association DENTEXIA, ainsi que les implications légales concernant les propos tenus et les écrits produits dans le cadre de cette procédure. |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Jean BARET de la SCP LYONNET BIGOT BARET ET ASSOCIES
– Maître Jean-christophe LUBAC de la SCP LONQUEUE – SAGALOVITSCH – EGLIE-RICHTERS & Associés – Maître Dominique DE LEUSSE DE SYON – Maître Philippe BOCQUILLON |
→ Mots clefs associés & définitions– Société CORHOFI
– Association DENTEXIA – Contrats de location – Expertise judiciaire – Diffamation – Immunité judiciaire – Code de procédure civile – Relations financières – Expertise judiciaire – Observations critiques – Flux financiers – Relations anormales – Dépens – Frais irrépétibles – Exécution provisoire – Société CORHOFI : Une entité commerciale constituée en personne morale pour mener des activités économiques.
– Association DENTEXIA : Une organisation à but non lucratif regroupant des individus partageant des intérêts communs dans le domaine dentaire. – Contrats de location : Accords légaux entre un propriétaire et un locataire pour la location d’un bien immobilier ou d’un équipement. – Expertise judiciaire : Évaluation technique ou scientifique réalisée par un expert dans le cadre d’une procédure judiciaire pour éclairer le tribunal. – Diffamation : Action de tenir des propos faux et préjudiciables à la réputation d’une personne ou d’une entité. – Immunité judiciaire : Protection légale accordée à certains individus ou entités les empêchant d’être poursuivis en justice dans certaines circonstances. – Code de procédure civile : Ensemble de règles régissant les procédures judiciaires en matière civile. – Relations financières : Interactions économiques et monétaires entre individus, entreprises ou entités. – Observations critiques : Commentaires ou analyses pointant les aspects négatifs ou à améliorer d’une situation, d’un document ou d’une action. – Flux financiers : Mouvements d’argent entrant et sortant d’une entité, reflétant ses activités économiques. – Relations anormales : Interactions ou liens entre individus ou entités considérés comme inhabituels, suspects ou illégaux. – Dépens : Frais engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire, tels que les honoraires d’avocat ou les frais de justice. – Frais irrépétibles : Frais supplémentaires non récupérables engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire. – Exécution provisoire : Mise en œuvre d’une décision judiciaire avant que tous les recours possibles aient été épuisés. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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MINUTE N°:
17ème Ch. Presse-civile
N° RG 22/03616 – N° Portalis 352J-W-B7G-CWMTC
JD
Assignations des :
16 et 31 Mars 2022
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
République française
Au nom du Peuple français
JUGEMENT
rendu le 03 Avril 2024
DEMANDERESSE
S.A.S. CORHOFI
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Jean BARET de la SCP LYONNET BIGOT BARET ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire P0458
DEFENDERESSES
Organisme CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTIS TES (CNOCD)
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Maître Jean-christophe LUBAC de la SCP LONQUEUE – SAGALOVITSCH – EGLIE-RICHTERS & Associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire P0482
[I] [L] [C]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Maître Dominique DE LEUSSE DE SYON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C2129, et par Maître Philippe BOCQUILLON de l’AARPI 2BV AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire E1085
MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS auquel l’assignation a été régulièrement dénoncée.
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Magistrats ayant participé aux débats et au délibéré :
Jean-François ASTRUC, Vice-président
Président de la formation
Amicie JULLIAND, Vice-présidente
Jeanne DOUJON, Juge
Assesseurs
Greffier :
Virginie REYNAUD, Greffier lors des débats et à la mise à disposition
DEBATS
A l’audience du 14 Février 2024
tenue publiquement
JUGEMENT
Mis à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Vu les assignations délivrées par la société CORHOFI, le 16 puis le 31 mars 2022, au CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES (ci-après le “CNOCD”) et à [I] [C]-[F] qui demandent au tribunal, au visa des articles 29 alinéa 1er, 41, 53 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 et l’article R.621-1 du code pénal, estimant quinze passages du dire n°14 communiqué par [I] [C]-[F] au nom de son client, le CNOCD, diffamatoires à l’encontre de la société CORHOFI, de :
– condamner solidairement [I] [C]-[F] et le CNOCD à verser à la société CORHOFI la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi, assortie des intérêts légaux et capitalisation à compter de la décision à intervenir ;
– condamner solidairement [I] [C]-[F] et le CNOCD à verser à la société CORHOFI la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner solidairement [I] [C]-[F] et le CNOCD aux entiers dépens de la présente instance et de ses suites ;
Vu la dénonciation desdits actes au procureur de la République en date du 18 mars 2022 puis du 1er avril 2022 ;
Vu l’ordonnance du juge de la mise en état en date du 15 mars 2023, suite à un incident soulevé par les défendeurs invoquant une fin de non-recevoir fondée sur l’immunité prévue par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, disant n’y avoir lieu à statuer sur le moyen présenté dès lors que l’immunité soulevée constitue un moyen de défense tendant à faire échec à l’action engagée au terme d’un examen du bien-fondé de celle-ci, relevant ainsi du fond du litige ;
Vu les dernières conclusions de la société CORHOFI, notifiées par voie électronique le 21 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, qui demandent, sur la fin de non-recevoir, de débouter [I] [C]-[F] de sa demande de voir juger l’immunité prévue à l’article 41 alinéa 4 de la loi du 29 juillet 1881 indépendamment du fond ainsi que de sa demande de voir renvoyer l’affaire devant le conseiller de la mise en état, et sur le fond, maintiennent les demandes initiales tout en portant à hauteur de 7.500 euros celle fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions du CNOCD, notifiées par voie électronique le 1er décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, qui demandent de :
– débouter la société CORHOFI de l’ensemble des demandes formulées ;
– condamner la société CORHOFI à lui verser une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 janvier 2024.
Les conseils ont été entendus en leurs observations à l’audience du 14 février 2024.
A l’issue de l’audience, il a été indiqué aux conseils des parties que la présente décision serait rendue le 3 avril 2024, par mise à disposition au greffe.
Sur l’objet du litige
La société CORHOFI est spécialisée dans l’achat, la vente et la location de biens d’équipements (pièce n°1.2 en demande). Elle indique avoir conclu avec l’association DENTEXIA, créée en 2011 pour constituer et gérer des centres de santé dentaire, plusieurs contrats de location de biens d’équipement médicaux et informatiques.
[I] [C]-[F], en sa qualité d’avocate, est intervenue pour représenter les intérêts du CNOCD, instance ordinale compétente pour les professionnels du secteur concerné en l’espèce, dans le cadre de plusieurs procédures opposant ces parties. Elle a notamment été mandatée par ce dernier dans le cadre de sa désignation comme contrôleur de droit des opérations de liquidation judiciaire de l’association DENTEXIA, ordonnée par jugement du 04 mars 2016 du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence (pièce n°2.1 en demande), la société CORHOFI étant partie à cette procédure en sa qualité de créancière.
A la demande du liquidateur judiciaire, une expertise judiciaire a été ordonnée par décision du juge des référés en date du 28 juillet 2017, confirmée par arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 08 novembre 2018 (pièces n°1 et 1.1 en demande), puis par décision de la Cour de cassation du 12 novembre 2020 (pièce n°2-6 en défense).
Dans le cadre de l’exécution de cette mesure, plusieurs dires ont été échangés parmi lesquels le dire n°14 daté du 3 janvier 2022 signé de Maître [I] [C]-[F] (pièce n°3 en demande), que la société demanderesse estime diffamatoire à son encontre, poursuivant plus précisément quinze passages, objet de la présente action intentée du chef de diffamation non publique.
Sont poursuivis les passages suivants (numérotés selon l’ordre chronologique, le graissage et le soulignement étant repris du texte initial) :
« Quelques rares contrats de location sont présents au dossier étudié (et détenus par DENTEXIA) et pourraient être examinés dans la perspective de « coller » mieux, si possible, aux locations longues durées, seules en compte au dossier puisque CORHOFI n’a jamais proposé de crédit-bail, le but des partenaires 7 à cette occasion étant de continuer à irriguer la trésorerie de DENTEXIA ce qui est, en toutes hypothèses, démontré. » (Propos n°1 en page 4).
« L’Ordre a donc tenté de procéder en suivant cette approche correspondant à la réalité économique.
Celle-ci donne une image fidèle de la situation d’ensemble et caractérise les flux anormaux et le soutien abusif accordé par CORHOFI au moyen d’un crédit déguisé et
ruineux mis en place, structurellement, depuis le début de l’activité de DENTEXIA et consorts, avec l’aide active de CORHOFI qui n’a rien contrôlé, bien au contraire, puisque les loyers attendus par CORHOFI étaient considérables, pour un matériel globalement inchangé, passant de contrats de 36 mois (soit devant s’achever aux alentours de 2015), ou de 42 mois au pire, à des contrats allant à 60 mois appliqués en sus, si bien que les locations débutant en janvier 2012 devaient finalement « s’achever »,
en prévision, fin 2019). » (Propos n°2 en page 4).
« L’Ordre estime ainsi que, s’il est pertinent d’opérer l’estimation du taux d’intérêt annuel, contrat après contrat, il convient cependant de ne pas exclure les contrats souscrits avec EFFICIENCES ODONTOLOGIQUES et LABOSCORE, ces sociétés étant aux mains des mêmes dirigeants, et n’étant interposées, artificiellement, par les partenaires que furent DENTEXIA et CORHOFI que pour organiser un flux de crédit ruineux et déguisé – sur la base d’acquisitions fictives opérées pour l’essentiel via
DIASTEM appartenant aux mêmes – permettant d’octroyer du cash, dès le début de l’activité de DENTEXIA, pour la maintenir à flot en vue d’une cession à des investisseurs. » (Propos n°3 en note de bas de page n°8 – page 4).
« Cet allongement caractérise le soutien anormal donné à l’activité de DENTEXIA qui, pendant plus d’un an au demeurant, a reçu via EFFICIENCES ODONTOLOGIQUES du cash (1.444.030,88 euros établis (Tableaux A et B et pièces associées) couvrant ainsi, par avance, sur cette période largement l’intégralité des loyers à verser à CORHOFI, ce que cette dernière ne pouvait pas ignorer car les remises sur matériels n’ont pas profité qu’à sa partenaire dès lors qu’elle facturait des loyers sur une quantité, évidemment excessive et non remisée, contre la pratique établie). » (Propos n°4 en page 5).
« Ainsi le prix de vente des matériels a, volontairement, été exagéré pour permettre de dégager, d’une part, des reversements déguisés permettant de constituer le cash financé par CORHOFI et, d’autre part, de faire naître des loyers durablement maintenus à un montant élevé – il suffit pour cela de se référer à la concurrence, évincée en grande partie, alors que les loyers appliqués par la concurrence étaient moins onéreux, et permettaient, quant à eux, l’acquisition à moindre coût dans le cadre de contrats de crédit-bail –. » (Propos n°5 en page 5).
« Il s’agit, en conséquence d’un calcul de loyers et de matériels concurrents établi sous un a minima : il démontre cependant avec certitude un excès avéré de matériels et le choix délibéré d’un partenaire évidemment plus coûteux que ce que pouvait offrir la
concurrence laquelle, contrairement à CORHOFI n’est pas suspectée d’avoir permis les dérives, ici constatées, en revanche, à l’encontre de CORHOFI. » (Propos n°6 en page 6).
« Il permet de tenter, ainsi, de mettre en rapport les redistributions de fonds encaissés, en provenance des fournisseurs, vers EFFICIENCES ODONTOLOGIQUES, reversements sur lesquels DENTEXIA, au final, va devoir payer un loyer – ce qui signe bien l’octroi d’un crédit déguisé ruineux –. » (Propos n°7 en page 9).
« Soit, uniquement en considérant la différence entre les loyers versés par EFFICIENCES ODONTOLOGIQUES et les reversements dégagés, un différentiel positif de 1.298.005,97 euros qui s’analyse en un crédit déguisé accordé par CORHOFI qui devait être remboursé à CORHOFI par DENTEXIA au travers de la succession des contrats, imbriqués les uns aux autres, consentis à des taux prohibitifs. » (Propos n° 8 en page 12 au sein de la note 27).
« – Ou, encore, pour autre illustration du mécanisme d’octroi de fonds déguisés, il pourrait résulter de loyers qui sont étrangement non comptabilisés par le propre commissaire aux comptes de CORHOFI, mais bien payés à celle-ci. Pour 642.966,56 euros de loyers manquants. » (Propos n°9 en page 12 au sein de la note 27).
« En définitive, le coût global de cette opération – qui s’analyse en un système de cavalerie et de soutien ruineux – était mis à la charge finale de DENTEXIA par le contrat n° 64269 qui augmentait, encore, le coût global au profit de CORHOFI. » (Propos n°10 en page 12 au sein de la note 27).
«- Tableau C : Caractérisation par contrat du soutien abusif de CORHOFI : augmentation des marges au fil des contrats, incluant la variation du périmètre du matériel acquis pour ESSENZA et les mensualités de loyer afférent payées, puis faisant lieu ultérieurement à un contrat supplémentaire avec ESSENZA et (pièces C-1 à C-15). » (Propos n°11 en page 15).
« Nous considérons que cette approche va permettre de ne pas évincer les anomalies établies et démontre le soutien ruineux apporté par CORHOFI au groupe informel constitué par DENTEXIA, dirigé par les mêmes personnes, lesquelles ont, globalement, accepté de souscrire des contrats successifs anormaux à tous les degrés. » (Propos n°12 en page 19).
« Dès lors, il est évidemment ruineux que CORHOFI et DENTEXIA aient décidé, ensemble, de poursuivre et d’augmenter la durée de location d’un matériel, qui sera inchangé, comme cela fut toujours le cas. Il est en effet patent que CORHOFI a ajouté à la charge de DENTEXIA des mois de loyers – qui viennent en sus de ce qui est déjà payé -, mais sans jamais permettre à DENTEXIA d’acquérir le matériel. Ce faisant CORHOFI a agi à son seul profit dès que sa partenaire a consommé les crédits qu’elle avait permis de mettre en place sous couvert de factures exagérées et douteuses – le tout dans un contexte dans lequel d’autres dispensateurs de crédits tels, FRANFINANCE et SOFEMO, vont concourir à verser, par avance et en intégralité, des crédits affectés, mais sans contrôle des soins non encore dispensés-.» (Propos n°13 en page 23 au sein de la note de bas de page 33).
« Mais DENTEXIA, visant le court terme et l’encaissement de cash, lors de sa première année de démarrage (et ensuite sans doute avec la très improbable facture émise par DIASTEM en date du 22/05/2013 – 13050074 – pour 591.519,58 €) ne le souhaitait pas.
Pas plus que CORHOFI qui escomptait recevoir de sa partenaire une marge, anormale, en contrepartie du soutien déguisé apporté. » (Propos n°14 en page 25).
« Par ce mécanisme de gonflement de factures, y compris sur des matériels et des tiers fantômes, CORHOFI a, en toute hypothèse, octroyé un crédit déguisé ruineux puisqu’il est avéré, qu’en contrepartie, DENTEXIA (tenant la direction exclusive de EFFICIENCES ODONTOLOGIQUES, dont la mission réelle était de permettre
l’opération déguisée de crédit), a pu dégager, déjà dès 2012, du cash à hauteur, avérée, de 1.444.030,88 euros. » ( Propos n°15 en page 25).
Sur la recevabilité de l’action engagée à l’encontre de [I] [C]-[F] et du CNOCD
L’article 73 du code de procédure civile définit l’exception de procédure comme tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours.
Selon les dispositions de l’article 122 du même code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
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[I] [C]-[F] et le CNOCD demandent de déclarer irrecevable l’action engagée à leur encontre par la société CORHOFI au motif que les propos litigieux sont contenus dans des observations écrites adressées à un expert judiciaire par le conseil de l’une des parties à l’expertise, en l’espèce Maître [I] [C]-[F] en sa qualité de conseil du CNOCD et seraient ainsi couverts par l’immunité judiciaire édictée par l’article 41 alinéa 4 de la loi du 29 juillet 1881. [I] [C]-[F] souligne que les deux conditions d’application de cette immunité sont réunies dès lors que l’acte litigieux constitue un dire produit dans le cadre d’une expertise judiciaire et qu’il doit être relevé l’absence d’extranéité des propos aux débats, objets de l’expertise.
La société CORHOFI soutient, pour sa part, que les propos en cause ne sont pas couverts par l’immunité de l’article 41 précité. Elle estime que l’immunité ne bénéficie pas aux expertises et, le cas échéant que doit être reconnue l’extranéité des propos litigieux puisque les missions de l’expertise sont techniques et visent à évaluer les relations financières entre les parties alors que les passages du dire poursuivis ont pour objet de faire état de la commission d’infractions par la société CORHOFI.
Aux termes de l’article 41 alinéas 4 et 5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.
Ce texte pose le principe de l’immunité des écrits produits et propos tenus devant les tribunaux afin de garantir le libre exercice du droit d’agir ou de se défendre en justice, en interdisant que des actions ne soient exercées contre des personnes à raison du contenu de l’argumentation présentée au soutien de leur cause.
Cette liberté connaît toutefois des limites lorsque les faits diffamatoires imputés sont étrangers à la cause.
Cause d’irresponsabilité pénale fondée sur les droits de la défense, l’immunité des écrits édictée par les dispositions précitées suppose ainsi qu’il soit procédé à un examen, par le juge saisi, des conditions de publication de l’acte incriminé et de sa portée dans le débat judiciaire dans le cadre duquel il était produit le cas échéant, mais également du caractère extrinsèque ou non à la cause judiciaire débattue des propos poursuivis.
En l’espèce, sont poursuivis au titre de la diffamation quinze passages d’un dire en date du 3 janvier 2022 rédigé par [I] [C]-[F], avocate et agissant en tant que telle, dans le cadre de l’expertise judiciaire réalisée en exécution de l’ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence du 28 juillet 2017 (confirmée par la cour d’appel et la Cour de cassation) aux fins notamment d’apporter des précisions concernant les crédits affectés et les relations financières entre la société DENTEXIA et la société CORHOFI, et notamment de “porter à la connaissance des parties et à la juridiction tous éléments de nature à qualifier les relations entre les parties de relations financières anormales”. (Pièce 1 en demande)
Ce dire, rédigé par une avocate dans le cadre d’une procédure judiciaire, plus précisément en réponse au pré-rapport d’une expertise judiciaire, et communiqué dans le cadre de la procédure à l’expert pour jonction au rapport (pièce D fournie par [I] [C]-[F] correspondant au mail adressé à l’expert pour jonction du dire à l’expertise et pièce 4 en demande constituée du pré-rapport d’expertise avec le dire annexé) constitue un acte produit devant les tribunaux couvert par l’immunité judiciaire.
Les passages poursuivis correspondent à des observations critiques, en réponse aux éléments de l’expertise, sur les rapports entre les parties (pour exemple : “CORHOFI n’a jamais proposé de crédit-bail”- issu du passage poursuivi n°1- , “ CORHOFI a agi à son seul profit dès que sa partenaire a consommé les crédits qu’elle avait permis de mettre en place sous couvert de factures exagérées et douteuses”- issu du passage poursuivi n°13) , mais également sur les contrats et leurs modalités (pour exemple : “crédit déguisé et ruineux”- issu du passage poursuivi n°2- , “faire naître des loyers durablement maintenus à un montant élevé”- issu du passage poursuivi n° 5 – , l’ensemble du passage poursuivi n°11, “accepté de souscrire des contrats successifs anormaux à tous les degrés” – issu du passage poursuivi n°12 – , propos n°14 dans son ensemble), ou encore sur les flux financiers existants entre les parties (pour exemple, “flux de crédit ruineux et déguisé”- issu du passage poursuivi n°3-, “mettre en rapport les redistributions de fonds encaissés, en provenance des fournisseurs”- issu des propos poursuivis n°7- , “soit, uniquement en considérant la différence entre les loyers versés par EFFICIENCES ODONTOLOGIQUES et les reversements dégagés” – issu du passage poursuivi n°8- , “ le coût global de cette opération qui s’analyse en un système de cavalerie et de soutien ruineux “ – issu des propos poursuivis n°10 – ou encore les propos n°15), répondant aux missions de l’expertise et plus spécifiquement à celle de “porter à la connaissance des parties et à la juridiction, tous éléments de nature à qualifier les relations entre les parties de relations financières anormales”.
Chaque passage poursuivi constitue ainsi des observations sur des éléments de l’expertise, sans qu’il ne soit caractérisé leur extranéité, comme le démontre par ailleurs le rejet de la demande de la société CORHOFI tendant à ce que soit écarté le dire litigieux par ordonnance du juge chargé du contrôle des expertises en date du 28 mars 2022 (Pièce E produite par [I] [C]-[F]).
En conséquence, le dire en date du 3 janvier 2022 rédigé par [I] [C]-[F] doit être considéré comme couvert par l’immunité de l’article 41 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 de sorte que l’action intentée par la société CORHOFI à l’égard de [I] [C]-[F] et du CNOCD doit être déclarée irrecevable.
Sur les autres demandes
L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a lieu en conséquence de condamner la société CORHOFI, qui succombe à l’instance, aux dépens.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.
Il serait inéquitable de laisser aux défendeurs la charge des frais irrépétibles qu’ils ont dû exposer pour la défense de leurs intérêts et il y a lieu de condamner la société CORHOFI à payer à [I] [C]-[F] la somme de 4.000 euros et au CNOCD la somme de 3.000 euros, dans la limite de sa demande, en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera rappelé que l’exécution provisoire, en application de l’article 514 du code de procédure civile, est de droit.
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement, et en premier ressort :
Déclare irrecevable l’action intentée par la société CORHOFI à l’égard de [I] [C]-[F] et du CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES ;
Condamne la société CORHOFI à payer à [I] [C]-[F] la somme de QUATRE MILLE euros (4.000 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société CORHOFI à payer au CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES CHIRURGIENS-DENTISTES la somme de TROIS MILLE euros (3.000 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société CORHOFI aux entiers dépens ;
Rappelle que l’exécution provisoire est de droit nonobstant appel.
Fait à Paris, le 3 avril 2024.
La greffière Le président