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9 juin 2023
Cour d’appel de Colmar
RG n°
21/01971
MINUTE N° 284/2023
Copie exécutoire à
– Me Valérie PRIEUR
– la SELARL LEXAVOUE COLMAR
Le 9 juin 2023
La Greffière,
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 09 JUIN 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/01971 –
N° Portalis DBVW-V-B7F-HR5H
Décision déférée à la cour : 18 Février 2021 par le tribunal judiciaire de Strasbourg
APPELANTES et INTIMÉES SUR APPEL INCIDENT :
Madame [M] [X]
demeurant [Adresse 2] à [Localité 4]
S.À.R.L. E-MEDDIA
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 2] à [Localité 4]
représentées par Me Valérie PRIEUR, Avocat à la cour
INTIMÉE et APPELANTE SUR APPEL INCIDENT :
S.A. BIOSYNEX, prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Guillaume HARTER de la SELARL LEXAVOUE COLMAR, Avocat à la cour
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 03 Février 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre
Madame Myriam DENORT, Conseiller
Madame Nathalie HERY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH, faisant fonction
ARRÊT contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [M] [X], docteur en biologie moléculaire et biochimie, a été inspectrice au sein de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de 2002 à janvier 2014. Depuis 2011, elle était experte auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) où elle assumait des fonctions dans le cadre de la mise en place de programmes d’audit sur site pour la pré-qualification des tests de diagnostic.
En janvier 2014, elle a créé une société d’expert-conseil, la société E-Meddia, ayant pour objet le conseil et l’assistance aux entreprises, par le biais de laquelle elle a, notamment, été consultante pour la société AAZ Productions – le matériel biomédical (ci-après désignée par ‘la société AAZ productions’), spécialisée dans la fabrication et la distribution de tests de diagnostics in vitro, qui avait développé un autotest de diagnostic du VIH vendu en pharmacie en France depuis septembre 2015.
La société Biosynex qui a pour activité le développement, la production, et la distribution de tests de diagnostic en médecine humaine et vétérinaire, en France et à l’international, a obtenu en février 2016 le marquage CE pour son nouveau test rapide sérologique de l’infection par le VIH dénommé « Exacto Pro Test VIH » à l’usage des professionnels, qu’elle envisageait de moduler en une version autotest destinée à la vente en pharmacie pour les particuliers.
La société Biosynex sous-traitait la fabrication de son test de diagnostic du VIH professionnel à la société chinoise [Localité 5] Biotest Biotech Co.LTD (ci-après désignée par ‘la société Biotest’) .
Cette société qui commercialisait elle-même, pour son propre compte, une gamme équivalente de dispositifs de diagnostic in vitro pour lesquels elle avait obtenu un marquage CE, et qui avait sollicité une pré-qualification de l’OMS afin de commercialiser ses produits au niveau international sous son propre nom, a fait l’objet d’une inspection diligentée par l’OMS réalisée en deux temps.
En janvier 2016, lors de la deuxième visite d’inspection qui était destinée à vérifier si les actions correctives demandées lors de la première visite d’août 2015 avaient été mises en oeuvre, l’auditeur principal était Mme [M] [X].
Les conclusions défavorables de ces inspections n’ont pas permis à la société Biotest d’obtenir sa pré-qualification, ce qui a conduit au retrait de plusieurs millions de tests fabriqués par cette société.
Les 2 et 4 mai 2016, l’ANSM a procédé à une mission d’inspection au sein de la société Biosynex suite à un signalement de nature confidentielle de l’OMS. Des non-conformités ayant été relevées, la société Biosynex décidait de retirer momentanément du marché son test professionnel VIH « Exacto Pro Test VIH », et de renoncer au lancement de la nouvelle version de ce test pour laquelle elle venait d’obtenir le marquage CE.
Le 28 juin 2016, la société Biosynex a saisi le président du tribunal de commerce de Paris d’une requête aux fins de désignation d’un huissier de justice chargé de procéder à des mesures d’instruction au siège de la société AAZ Productions – le matériel biomédical, ainsi qu’au domicile de Mme [X] où la société E-Meddia exploitait son activité, en vue de rechercher des éléments de preuve de faits de concurrence déloyale commis par la société AAZ productions à son préjudice avec le concours de Mme [X].
Par ordonnance du 11 juillet 2016, le président du tribunal de commerce de Paris a accueilli cette demande en limitant le périmètre des constatations. Les opérations ont été menées le 29 juillet 2016, par Me [C] [J], huissier de justice, assisté d’un huissier audiencier et d’un expert informatique de la société Expertis Lab.
Par ordonnance de référé prononcée en formation collégiale le 21 février 2017, le tribunal de commerce de Paris a rejeté la demande de rétraction de l’ordonnance sur requête formée par les sociétés AAZ productions et E-Meddia, et par Mme [X].
Par ordonnance du 31 octobre 2017, le président du même tribunal a refusé la communication des pièces appréhendées à la société Biosynex au motif qu’aucune de ces pièces n’était relative à la relation entre la société E-Meddia et la société AAZ productions, ou l’ANSM ou encore l’OMS, et a ordonné la levée du séquestre et la restitution des documents saisis.
Estimant avoir fait l’objet d’une procédure abusive de la part de la société Biosynex qui avait porté atteinte à leur honneur et avait gravement entravé le développement de leur activité économique, Mme [M] [X] et la SARL E-Meddia ont assigné la SA Biosynex devant le tribunal judiciaire de Strasbourg, par exploit délivré le 7 février 2020.
Par jugement en date du 18 février 2021, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :
– rejeté les demandes formulées par Mme [M] [X] et la SARL E-Meddia,
– condamné Mme [M] [X] et la SARL E-Meddia aux dépens,
– condamné Mme [M] [X] et la SARL E-Meddia à payer à la société Biosynex la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les autres demandes.
Le tribunal a relevé d’une part que la seconde inspection de l’OMS dirigée par Mme [X] dans les locaux de la société chinoise [Localité 5] Biotest était destinée à vérifier si les actions correctives qui avaient été demandées suite à une précédente inspection à laquelle Mme [X] n’avait pas participé, avaient été appliquées, et qu’elle portait bien sur les tests VIH dont la société Biosynex sous-traitait la production à la société Biotest, et d’autre part que les conclusions défavorables de ce contrôle et la publication du rapport de l’OMS avaient conduit au retrait de millions de tests fabriqués par la société Biotest, ce qui avait nécessairement eu un impact sur la société Biosynex qui n’avait pu mettre sur le marché les nouveaux tests qu’elle souhaitait faire produire par cette société chinoise.
Il a ensuite relevé que quatre mois plus tard, la société Biosynex avait fait l’objet d’une inspection de l’ANSM, le contrôle portant sur l’ensemble de ses produits, et notamment sur le nouvel autotest VIH devant être produit en Chine, et qu’il était apparu que cette inspection avait été diligentée sur un ‘signal obtenu de l’OMS’, et qu’avait déjà été évoqué par un responsable de la société Biosynex un potentiel conflit d’intérêts avec l’auditeur leader de l’OMS, Mme [X].
Le tribunal en a conclu que dans un tel contexte, la société Biosynex pouvait raisonnablement et légitimement penser que l’inspection dont elle faisait l’objet en France de la part de l’ANSM était la conséquence directe de celle menée en Chine par l’OMS et dirigée en partie par Mme [X] et la société E-Meddia.
Sur la faute alléguée de la société Biosynex résultant d’une volonté de cette dernière d’obtenir les secrets de production de la société AAZ Production dans le cadre de la réalisation des autotests, le tribunal a retenu que Mme [X] et la société E-Meddia ne rapportaient pas la preuve de l’existence d’un abus de droit imputable à la société
Biosynex, et que l’action en justice menée par cette dernière ne pouvait pas être considérée comme abusive. Sur ce point, le tribunal a considéré qu’il ressortait de la lecture de l’ordonnance autorisant la ‘saisie conservatoire’ rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 11 juillet 2016, et des débats qui avaient eu lieu en référé, que la motivation de la société Biosynex était de vérifier l’absence de collusion entre Mme [M] [X], la société E-Meddia et la société AAZ productions, par l’intermédiaire de la société E-Meddia, sur le marché des autotests du VIH dans un contexte de concurrence exacerbée entre AAZ productions, en situation monopolistique, et la société Biosynex qui souhaitait développer un produit concurrent.
Il a considéré que la société Biosynex n’avait pas entretenu de confusion entre les fonctions de Mme [X] au sein de l’OMS et celle de gérante de la société E-Meddia afin de permettre la saisie de documents personnels et confidentiels, les seuls documents appréhendés l’ayant été dans les locaux de la société E-Meddia, dans le cadre d’une mission limitée, au moyen d’une recherche par mots-clés, les documents objets de la mesure d’instruction devant permettre de définir la nature des relations entre la société E-Meddia, et sa cliente, la société AAZ productions, et éventuellement la nature des relations entre Mme [X] avec l’OMS et ex-inspectrice de l’ANSM.
Le tribunal a par ailleurs jugé qu’il convenait d’écarter la demande d’amende civile pour action dilatoire en ce qu’il ne ressortait pas de l’étude du dossier que la demande des requérantes ait été abusive.
Par déclaration électronique faite au greffe le 10 avril 2021, Mme [M] [X] et la SARL E-Meddia ont interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 5 avril 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 janvier 2022, la société E-Meddia et Mme [M] [X] demandent à la cour de :
– déclarer l’appel incident formé par la société Biosynex mal fondé et de le rejeter,
– déclarer leur appel principal recevable et bien fondé, infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 18 février 2021 en ce qu’il :
* rejette les demandes formulées par Mme [M] [X] et la SARL E-Meddia ;
* condamne Mme [M] [X] et la SARL E-Meddia aux dépens ;
* condamne Mme [M] [X] et la SARL E-Meddia à payer à la société Biosynex une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– confirmer le jugement pour le surplus,
– déclarer recevables et bien fondées les demandes de la société E-Meddia et de Mme [M] [X],
– dire et juger que la société Biosynex a commis une faute intentionnelle à l’encontre de la société E-Meddia et de Mme [M] [X],
– dire et juger que la société Biosynex est entièrement responsable des préjudices subis par la société E-Meddia et Mme [M] [X],
– condamner la société Biosynex à verser à la société E-Meddia les sommes de :
*110 975 euros au titre de sa perte de chiffre d’affaires, sauf à parfaire ;
* 20 000 euros au titre de son préjudice d’image et de notoriété, sauf à parfaire ;
* 25 000 euros au titre de son préjudice moral et de réputation, sauf à parfaire ;
* 1 685 387 euros au titre de sa perte de chance, sauf à parfaire ;
– condamner la société Biosynex à verser à Mme [M] [X] les sommes de 20 000 euros au titre de son préjudice d’image et de notoriété, sauf à parfaire et 25 000 euros au titre de son préjudice moral et de carrière, sauf à parfaire,
– débouter la société Biosynex de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
– condamner la société Biosynex à verser à la société E-Meddia et à Mme [M] [X] la somme de 15 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel, y compris l’intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de l’arrêt à intervenir par voie d’huissier, et en particulier tous les droits de recouvrement ou d’encaissement visés par le Décret n° 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice, sans exclusion des droits de recouvrement ou d’encaissement à la charge du créancier.
Au soutien de leurs prétentions les appelantes font valoir que la société Biosynex a sciemment engagé une procédure judiciaire non pour dénoncer des faits de concurrence déloyale, mais pour obtenir les secrets de fabrication de la société AAZ productions dans le cadre de la réalisation des autotests, à son propre avantage, et que pour ce faire elle a opéré, de façon volontaire, une confusion entre les différentes fonctions de Mme [X] de façon à obtenir la saisie des documents propres, personnels et confidentiels de cette dernière.
Les appelantes soutiennent en outre que la société Biosynex a par ailleurs tenté de jeter le discrédit sur Mme [X] en tentant de démontrer, tant dans le cadre de sa requête que dans le cadre de son assignation, que celle-ci aurait, par le biais de ses contacts au sein de l’ANSM et de l’OMS, fait en sorte de bloquer la production des autotests, et qu’en privilégiant certains de ses clients elle aurait empêché les concurrents de se développer, mettant ainsi en cause de manière diffamatoire sa probité.
Sur le préjudice subi, Mme [X] et la société E-Meddia, invoquent une perte de chiffre d’affaires, dans la mesure où l’OMS appliquant un principe de précaution du fait des suspicions de partialité et de manque de professionnalisme imputées à Mme [X], a préféré cesser tout contact avec l’appelante à compter du 11 juillet 2016, et ne lui a plus confié de missions de pré-qualifications, ce qui a généré une perte de chiffre d’affaires pour la société E-Meddia qui a également perdu des clients importants, dont la société AAZ productions et la société Sunstar qui représentaient une part importante de son chiffre d’affaires.
Concernant le préjudice d’image et de notoriété, les appelantes font valoir que la société E-Meddia qui était alors en pleine expansion n’a pas pu se développer comme elle l’envisageait, et qu’un projet en cours de développement entre Mme [X] et l’OMS n’a pas pu être réalisé. En outre, Mme [X] qui avait une réputation et une renommée considérable et internationale n’ayant plus été invitée à participer aux conférences, réunions ou séminaires de l’OMS, a ainsi perdu la possibilité de retourner vers une carrière administrative ou vers une institution internationale.
Mme [X] invoque également un préjudice moral, faisant valoir qu’elle avait travaillé durant 12 ans auprès de l’ANSM et 5 ans avec l’OMS, et que les personnes avec lesquelles elle avait noué des relations proches lors de ces activités se sont vu enjoindre de cesser définitivement de la contacter, soulignant qu’elle a dû être suivie régulièrement par un
médecin en raison du traumatisme lié à cette affaire. La société E-Meddia évqoue également un préjudice moral et de réputation, ainsi qu’une perte de chance de progression de son chiffre d’affaires, se fondant à cet égard sur une estimation de la Société Paris Est audit.
Les appelantes estiment qu’il est incontestable que l’action malveillante menée par la société Biosynex a été l’élément déclencheur des préjudices invoqués.
Elles reprochent au tribunal de ne pas avoir répondu concernant la plainte pénale pour faux, usage de faux, trafic d’influence, et corruption, diligentée par la société Biosynex à l’encontre de Mme [X] et la société E-Meddia, en avril 2018, après que le président du tribunal de commerce ait ordonné la restitution des pièces séquestrées, qui témoigne d’un acharnement de la part de l’intimée, et de n’avoir pas non plus pris en compte le fait que des défauts de conformité nécessitant des actions correctives avaient été constatés lors d’une première inspection.
Elles soutiennent enfin que la société Biosynex a également entretenu une confusion sur les produits, à savoir l’autotest développé et commercialisé par la société AAZ productions et le test professionnel qu’elle entendait développer, et que n’arrivant manifestement pas à développer un autotest, elle a prétendu être une société concurrente de la société AAZ productions pour légitimer sa requête portant sur des suspicions d’actes de concurrence déloyale, alors que son unique but était d’obtenir des secrets de fabrication de l’autotest.
Sur l’appel incident formé par la société Biosynex, les appelantes soutiennent que le tribunal judiciaire est compétent pour se prononcer sur le caractère abusif d’une procédure, qu’elles ont démontré la faute, le préjudice et le lien de causalité, et que les man’uvres de la société Biosynex leur ayant causé de nombreux préjudices tant sur le plan moral que financier, la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par cette dernière doit être rejetées.
Par ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 octobre 2021, la société Biosynex demande à la cour de :
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a rejeté l’ensemble des moyens, fins et prétentions de la société E-Meddia et de Mme [X],
– rejeter l’ensemble des moyens, fins et prétentions de la société E-Meddia et de Mme [X],
– réformer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de la société Biosynex ;
Statuant à nouveau,
– condamner la s ociété E-Meddia et Mme [X] à payer une amende civile de 10 000 euros sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile ;
En tout état de cause,
– condamner à titre reconventionnel la société E-Meddia et Mme [X] à payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions l’intimée fait valoir, que la légitimité de la procédure sur requête qu’elle avait engagée a été reconnue par le président du tribunal de commerce de Paris qui a ordonné la mesure sollicitée sur le fondement de par l’article 145 du code de procédure civile, puis par le tribunal de commerce de Paris qui a rejeté la demande en rétractation de l’ordonnance, à l’issue d’un débat contradictoire dans le cadre duquel ont été soulevés les mêmes arguments. Elle en déduit que la procédure ne peut dès lors être considérée comme abusive.
Elle soutient que seul le juge saisi d’une action en justice peut juger si celle-ci est ou non abusive, et que la cour de céans n’est pas compétente pour juger qu’une action diligentée devant une autre juridiction serait ou non abusive, invoquant l’autorité de chose jugée sur ce point de la décision du juge des référés qui a rejeté la demande de rétractation, et le principe non bis in idem.
De surcroît, les appelantes n’apportent pas la preuve de circonstances de nature à faire dégénérer en faute l’exercice du droit d’ester en justice.
La société Biosynex conteste avoir entretenu une confusion afin de permettre la saisie des documents propres personnels et confidentiels de Mme [X] alors que l’adresse du siège social de la société E-Meddia était une boîte aux lettres et que Mme [X] travaillait à partir de son domicile. Sur l’étendue de la mesure d’instruction, l’intimée s’interroge sur la qualité à agir des appelantes pour défendre le savoir-faire de la société AAZ productions et fait valoir que cette prétention a déjà été débattue devant le juge de la rétraction qui a rejeté toute éventualité d’appréhension du savoir-faire du concurrent, et approuve le tribunal qui a retenu que l’ordonnance sur requête avait pris soin de faire procéder à des recherches sur les ordinateurs via des mots-clefs et de limiter l’appréhension de documents sur une période temporelle définie afin de n’appréhender que des documents qui permettaient de faire la lumière sur la nature des relations entre la société E-Meddia avec sa cliente la société AAZ productions et la nature de ses relations avec l’OMS et l’ANSM.
L’intimée soutient encore que la procédure engagée à son encontre était fondée sur des éléments concrets et tangibles ce qui exclut toute intention de nuire. Elle indique que Mme [X] travaillait à travers sa société de consulting E-Meddia, pour le compte de la société AAZ productions, concurrent direct de la société Biosynex, or le monopole de cette société sur les autotests du VIH était menacé par le fait que la société Biosynex s’apprêtait à commercialiser à moindre coût une version de son test « Exacto Pro Test VIH » destinée à l’autodiagnostic. Elle relève le caractère troublant de la réalisation d’un inspection au sein de la société Biosynex juste après l’inspection de son sous-traitant menée par Mme [X] pour le compte de l’OMS, alors que Mme [X] était informée de cete relation de sous-traitance. Elle considère que la situation de conflit existant entre la société Biosynex et sa cliente AAZ productions aurait dû conduire Mme [X], en raison de ce conflit d’intérêt, à refuser la mission d’inspection qui lui avait été proposée par l’OMS. Elle ajoute qu’elle démontre que Mme [X] a continué à entretenir des relations avec ses anciens collègues de l’ANSM, au profit de ses clients en octobre 2014 au mépris des règles de la fonction publique qui lui interdisent tout contact professionnel avec ses anciens collègues pendant une période de trois ans.
La société Biosynex estime que la présente procédure serait une réaction à la plainte pénale qu’elle a déposée le 12 avril 2018, suite à la découverte de nouvelles pièces faisant état de liens entre Mme [X] et ses anciens collègues de l’ANSM, postérieurement à la décision du président du tribunal de commerce.
Elle conteste enfin toute intention de nuire, soulignant que c’est Mme [X] qui a elle-même informé l’OMS de la présente procédure.
Sur le préjudice allégué par les appelantes, l’intimée affirme qu’elle ne saurait être tenue pour responsable de l’éventuel préjudice lié à la perte par Mme [X] de ses contrats auprès de l’OMS, qui n’est étayée par aucune preuve, et qu’au contraire c’est la société
Biosynex qui a été victime des conflits d’intérêts engendrés par la nature des relations que l’appelante entretenait avec ses clients, que la société E-Meddia ne saurait prétendre à réparation d’un prétendu préjudice découlant de la perte de clients, que, par ailleurs, le préjudice invoqué au titre de la perte de chance de progression du chiffre d’affaires est un préjudice incertain et donc non indemnisable, et qu’enfin, le préjudice d’image et de notoriété évoqué par Mme [X] et la société E-Meddia est infondé et fictif.
L’intimée soutient enfin que l’action des appelantes relève d’un abus du droit d’ester en justice, que les moyens évoqués aux termes de la présente action ayant déjà été évoqués et rejetés dans le cadre de la procédure de référé-rétractation ce qui démontre que Mme [X] aurait dû avoir conscience que la présente action, engagée tardivement, était manifestement vouée à l’échec et donc que sa procédure était abusive, ce qui justifie le prononcé d’une amende civile.
Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
À titre liminaire, il convient de constater que si dans les motifs de ses conclusions, la société Biosynex soutient d’une part que la cour de céans n’est pas compétente pour juger qu’une action diligentée devant une autre juridiction serait ou non abusive, soulevant ainsi en réalité une fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir de la juridiction saisie pour connaître de la demande et d’autre part que l’action se heurterait à l’autorité de chose jugée de l’ordonnance du 21 février 2017, elle ne conclut toutefois pas dans le dispositif de ses conclusions à l’irrecevabilité des demandes.
1- Sur les fautes reprochées à la société Biosynex
Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Les appelantes reprochent à la société Biosynex d’avoir, de mauvaise foi, saisi le juge des requêtes d’une demande de mesure d’instruction en opérant de façon volontaire une confusion entre les fonctions exercées par Mme [X] afin d’appréhender les recherches et le savoir-faire technologique, scientifique et commercial de sociétés concurrentes, les sociétés AAZ productions et Nephrotek, clientes de la société E-Meddia dont Mme [X] est la dirigeante.
À cet égard, la société Biosynex relève à bon droit que seules les sociétés AAZ productions et Nephrotek pourraient, le cas échéant, reprocher à la société Biosynex un éventuel détournement de procédure à leur détriment afin de s’accaparer leur savoir-faire, Mme [X] et la société E-Meddia ne subissant en effet aucun préjudice en relation causale directe avec cette faute à la supposer démontrée.
En outre, dès lors que la requête présentée par la société Biosynex a été accueillie par le président du tribunal de commerce de Paris qui a considéré que la requérante justifiait d’un intérêt légitime à voir ordonner la mesure d’instruction qu’elle sollicitait conformément à l’article 145 du code de procédure civile, et que ce même tribunal, statuant en formation collégiale, a rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance présentée par les appelantes,
la procédure engagée sur requête ne peut être considérée comme abusive, sauf à ce que les appelantes démontrent l’existence de circonstances particulière susceptibles de faire dégénérer en abus le droit de la société Biosynex d’agir en justice.
A cet égard, il ne résulte pas des termes de la requête que la société Biosynex ait volontairement opéré une confusion entre les différentes fonctions occupées par Mme [X]. En effet, après avoir rappelé que Mme [X] avait été inspectrice pour le compte de l’ANSM, qu’elle avait créé sa propre société de consultante en février 2014, et qu’elle avait dirigé la deuxième inspection menée en mars 2016 dans les locaux de son sous-traitant pour son test de diagnostic in vitro, la société Biotest, ayant abouti à un rapport défavorable le 31 mai 2016, et souligné la concomitance de l’inspection de l’ANSM dont elle-même avait fait l’objet, alors que Mme [X] travaillait, à travers la société E-Meddia, comme consultante, pour la société AAZ productions, concurrente directe de la société Biosynex, qui détenait un monopole sur le marché de l’autotest de diagnostic in vitro du VIH, cette dernière s’interrogeait sur la chronologie de ces inspections et sur le rôle qu’elle qualifiait de ‘ des plus troublant’ qu’avait pu jouer Mme [X] dans le déroulement des inspections sanitaires menées, ainsi que sur un potentiel conflit d’intérêt.
De même, comme l’a retenu le tribunal, la requête visait à obtenir la saisie de documents au domicile de Mme [X], en tant qu’il était le siège de l’activité de la société E-Meddia, ainsi que dans les locaux de la société AAZ productions. Lors des opérations de constat, Mme [X] a en effet admis assurer la gestion de la société E-Meddia dans une dépendance de sa maison installée au fond de son jardin, sur la façade de laquelle se trouvait d’ailleurs un écriteau avec le nom et le logo de la société, locaux dans lesquels ont eu lieu les investigations, et reconnu que l’adresse parisienne du siège social de la société n’était qu’une simple boîte aux lettres.
De même, les appelants ne peuvent tirer argument de la généralité de la mesure d’instruction sollicitée sur requête dont la portée a été réduite et encadrée par le juge des requêtes qui a précisé la nature des documents à rechercher, défini la période temporelle des recherches, et strictement limité les mots-clés à utiliser à des combinaisons très ciblées : ‘BIOSYNEX et autotest’, ‘BIOSYNEX et biotest’, ‘BYOSYNEX et HIV’ et ‘BIOSYNEX et VIH’. Enfin, aucun des documents saisis n’a été porté à la connaissance
de la société Biosynex, l’ordonnance ayant en effet prévu que les pièces fassent l’objet d’un séquestre jusqu’à ce qu’il soit statué en référé sur leur communication, laquelle a été refusée par ordonnance du 31 octobre 2017.
Enfin, il ne résulte pas des termes de la requête que la société Biosynex ait opéré une confusion sur les produits s’agissant du test VIH professionnel qu’elle commercialisait, et les autotests commercialisés en pharmacie par la société AAZ productions.
Mme [X] et la société E-Meddia ne rapportent ainsi la preuve d’aucune circonstance particulière tenant à une présentation fallacieuse ou volontairement trompeuse des faits invoqués au soutien de la requête ayant pu faire dégénérer en abus la procédure engagée par la société Biosynex dont le bien fondé a été admis tant par le juge des requêtes, que par le juge de la rétractation statuant en formation collégiale, le seul fait que les investigations ordonnées n’aient en définitive pas permis de recueillir d’éléments en faveur d’actes de concurrence déloyale ne suffisant pas à caractériser un tel abus.
Mme [X] reproche également à l’intimée d’avoir formulé des imputations diffamatoires et calomnieuses à son encontre mettant en cause son professionnalisme et sa probité dans l’intention de jeter le discrédit sur elle.
Force est toutefois de constater qu’elle n’indique pas précisément quels sont les passages qu’elle qualifie de diffamatoires.
Par ailleurs, si la requête met en exergue une suspicion de partialité de Mme [X], elle avait justement pour objet de vérifier ces allégations et de recueillir des éléments permettant, le cas échéant, de caractériser une faute de l’appelante susceptible d’engager sa responsabilité, cette demande reposant sur des éléments concrets dont le président du tribunal de commerce a estimé qu’ils pouvaient effectivement être en faveur d’un conflit d’intérêt et étaient de nature à légitimer la mesure sollicitée.
Il sera en effet relevé à cet égard, que si l’inspection diligentée du 2 au 4 mai 2016 par l’ANSM au sein de la société Biosynex portait sur différents produits fabriqués par cette société, il ressort toutefois d’un document intitulé ‘relevé de décisions : Réunion avec la la société Biosynex 10 juin 2016″ émanant de l’ANSM que les représentants de cette autorité avaient précisé que ‘l’inspection avait été diligentée suite à un signal obtenu de l’OMS’, et qu’un possible conflit d’intérêt avec l’auditeur leader de l’OMS avait déjà été évoqué au cours de cette réunion par un dirigeant de la société Biosynex.
En outre, à l’appui de sa requête, la société Biosynex produisait le témoignage d’un de ses salariés, ancien salarié de la société AAZ productions, décrivant le rôle actif et l’implication de Mme [X] dans l’obtention du marquage CE pour l’autotest VIH développé par son ancien employeur, ainsi que sa présence sur site lors de l’inspection de l’ANSM qui avait été diligentée concernant ce test.
La société Biosynex produit également à hauteur de cour des échanges de courriels entre l’appelante et ses anciens collègues de l’ANSM, en septembre 2014, concernant les tests relatifs aux tests VIH commercialisés par les sociétés AAZ et Nephrotek, sociétés soeurs, de nature à accréditer un maintien officieux des relations entre Mme [X] et ses anciens collègues après qu’elle ait quitté cette agence.
En l’état de ces seules constatations, la preuve n’est pas rapportée d’une intention malveillante de la société Biosynex à l’égard de Mme [X] et d’une volonté de jeter le discrédit sur elle.
Enfin, le fait que le 12 avril 2018, postérieurement à l’ordonnance du 31 octobre 2017, la société Biosynex a déposé une plainte pénale au soutien de laquelle elle produit d’autres éléments de preuve, dont l’issue n’est au demeurant pas connue, est dépourvu de lien de causalité avec les préjudices allégués qui concernent tous la période antérieure à cette plainte. En effet, la société E-Meddia évoque notamment une perte de chiffre d’affaires en 2016 et 2017, étant observé que son chiffre d’affaires a par contre fortement augmenté en 2018, et Mme [X] se prévaut des conséquences de la cessation des missions confiées à l’appelante par l’OMS à partir de juillet 2016 et de l’impossibilité de mener à bien un projet qui était, à l’époque, en cours avec cette organisation, ce dont au demeurant elle ne justifie pas.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu’il a rejeté les demandes indemnitaires de Mme [X] et la société E-Meddia.
2- Sur la demande de la société Biosynex de condamnation à une amende civile
Pour solliciter la condamnation de Mme [X] et de la SARL E-Meddia au paiement d’une amende civile sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile, la société Biosynex fait valoir que la présente action particulièrement tardive constitue un abus du droit d’ester en justice puisqu’elle est entièrement fondée sur des moyens et motifs fallacieux empreints d’une mauvaise foi totale.
L’article 32-1 du code de procédure civile énonce : ‘ celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés .
L’intimée ne sollicitant pas l’allocation de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice qu’elle subirait du fait de l’abus de droit qu’elle impute aux appelantes, mais d’une amende civile qu’elle n’a pas qualité à solliciter, seule la juridiction saisie pouvant prendre l’initiative de prononcer une telle sanction, le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
3 – Sur les dépens et les frais exclus des dépens
Le jugement entrepris sera également confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais exclus des dépens.
Mme [X] et la société E-Meddia qui succombent en leur appel supporteront les entiers d’appel, et seront déboutées de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. En revanche, il sera alloué sur ce fondement à la société Biosynex la somme de 4 000 euros en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 18 février 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [M] [X] et la SARL E-Meddia aux entiers dépens d’appel ainsi qu’à payer à la SA Biosynex la somme de 4 000 euros (quatre milles euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
REJETTE la demande de Mme [M] [X] et de la SARL E-Meddia présentée sur ce fondement en cause d’appel.
La greffière, La présidente,