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7 septembre 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
19/04359
N° RG 19/04359 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MN7O
Décision du Tribunal de Commerce de LYON du 16 mai 2019
RG : 2018j00585
[Z]
SARL JRL
Société VISIOPTIS
C/
S.A.S. OPAL
S.A.S. OPALFI
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 07 Septembre 2023
APPELANTS :
M. [C] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 6]
S.A.R.L. JRL au capital de 19.056 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de GRASSE sous le numéro 414 248 880, représentée par son gérant en exercice, Monsieur [C] [Z] domicilié ès-qualités au siège social
[Adresse 4]
[Localité 1]
S.A.S. VISIOPTIS au capital de 550.000 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de GRASSE sous le numéro 317 219 558, représentée par son président en exercice, Monsieur [C] [Z] domicilié ès-qualités au siège social
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, postulant et par Me Jean-Louis RAMPONNEAU de la SELARL RAMPONNEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de GRASSE, substitué et plaidant par Me SEBAOUI, avocat au barreau de LYON
INTIMEES :
S.A.S. OPAL au capital de 1.181.858,00 euros, immatriculée au RCS de LYON sous le numéro 964 506 687, prise en Ia personne de son représentant légal en exercice domicilié de droit audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
S.A.S. OPALFI au capital de 1.060.000,00 euros, immatriculée au RCS de LYON sous le numéro 484 957 006, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié de droit audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentées par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Marie DUVERNE-HANACHOWICZ de la société LAMY LEXEL AVOCATS ASSOCIES, avcoat au barreau de LYON
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 01 Juillet 2021
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 25 Mai 2023
Date de mise à disposition : 07 Septembre 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
– Patricia GONZALEZ, présidente
– Marianne LA-MESTA, conseillère
– Aurore JULLIEN, conseillère
assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière
A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
La SA Visioptis est spécialisée dans la fabrication et la création de lunettes optiques et solaires, masques solaires et accessoires de lunetterie et leur distribution en gros, demi-gros et détail. Elle est détenue à 99% par la SARL JRL qui dispose des droits de propriété intellectuelle nécessaires à l’exploitation. M. [C] [Z] est le représentant légal de ces deux sociétés.
La SAS Opalfi a pour activité la détention de participations dans d’autres sociétés et la réalisation de prestations de services au profit de ses filiations. Elle détient notamment la SAS Opal qui est spécialisée dans la création et la distribution de lunettes pour enfants et adolescents. M. [W] [F] est le représentant légal de ces deux sociétés.
En janvier 2017, les sociétés Opalfi et JRL se sont rapprochées en vue du rachat par la société Opalfi de 60% des titres détenus par la société JRL dans la société Visioptis.
Le 14 novembre 2017, un acte de cession sous 7 conditions suspensives a été signé entre les sociétés JRL et Opalfi. La date de cession définitive était fixée au 31 décembre 2017.
Par courriel officiel du 19 décembre 2017, la société Opalfi a indiqué à la société JRL sa volonté de mettre fin au protocole d’accord et qu’elle refusait de réitérer la cession.
Par courriel officiel du 20 décembre 2017, la société JRL a mis en demeure la société Opalfi de réitérer la cession. Par courrier officiel du 29 décembre 2017, la société Opalfi a maintenu son refus.
Par acte d’huissier du 29 mars 2018, la société JRL, la société Visioptis et M. [Z] ont assigné les sociétés Opalfi et Opal devant le tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement contradictoire du 16 mai 2019, le tribunal de commerce de Lyon a :
– rejeté les demande de mise hors de cause de la société Opal,
– condamné les sociétés Opal et Opalfi in solidum à payer à la société Visioptis la somme de 80.000 euros,
– débouté la société JRL de ses demandes d’indemnisation,
condamné les sociétés Opal et Opalfi in solidum à payer à M. [Z] la somme de 15.000 euros,
– ordonné la publication des condamnations prononcées à l’encontre des sociétés Opalfi et Opal dans cinq revues professionnelles du choix de la société JRL,
– rejeté l’ensemble des demandes des sociétés Opal et Opalfi,
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans constitution de garanties,
– condamné les sociétés Opal et Opalfi in solidum à payer à la société JRL, à la société Visioptis et M. [Z] une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné les sociétés Opal et Opalfi aux entiers dépens.
M. [Z], la société JRL et la société Visioptis ont interjeté appel par acte du 21 juin 2019.
Par ordonnance du 6 décembre 2019, le conseiller de la mise en état a ordonné l’organisation d’une médiation. Les parties n’ont pas pu aboutir à un accord.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 22 mars 2021 fondées sur les articles 1112 et 1304-2 du code civil, M. [Z], la société JRL et la société Visioptis ont demandé à la cour de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande de mise hors de cause de la société Opal et condamné les sociétés Opal et Opalfi, reconnu que ces sociétés avaient refusé d’exécuter l’ace de cession sous conditions suspensives du 14 novembre 2017 la rupture fautive de ces sociétés de la cession d’actions,
y ajoutant,
– rectifier pour le surplus le quantum des condamnations,
– les juger recevables et bien fondés en leurs demandes,
– rejeter toutes les demandes, fins et conclusions des sociétés Opal et Opalfi,
– les débouter de leurs demandes incidentes ou reconventionnelles,
– constater que la société Opal a été déterminante dans les négociations entreprises,
– rejeter la demande infondée de mise hors de cause de la société Opal,
– juger que la cession d’actions objet de l’acte de cessions sous conditions suspensives du 14 novembre 2017 était parfaite,
– juger que les sociétés Opal et Opalfi ont refusé d’exécuter l’acte de cession d’action du 14 novembre 2017,
– constater que la société Visioptis a été contrainte d’engager des frais et de se plier aux desiderata des acquéreurs,
en conséquence,
– condamner les sociétés Opal et Opalfi in solidum à payer à la société Visioptis la somme de 638.216 euros,
– condamner les sociétés Opal et Opalfi in solidum à payer à la société JRL la somme de 412.395 euros,
– condamner les sociétés Opal et Opalfi in solidum à payer à M. [Z] la somme de 100.000 euros,
– condamner les sociétés Opal et Opalfi in solidum à leur payer à chacun la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner la publication des condamnations prononcées à l’encontre des sociétés Opal et Opalfi dans cinq revues professionnelles du choix de la société JRL dont les coûts seront supportés solidairement par les sociétés Opal et Opalfi,
– condamner les sociétés Opal et Opalfi in solidum aux entiers dépens de première instance et d’appel avec droit de recouvrement pour ceux d’appel.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 18 mars 2021 fondées sur les articles 1103, 1104, 1304-2, 1231-1 et 1231-4 du code civil et les articles 122 et 123 du code de procédure civile, les sociétés Opal et Opalfi demandent à la cour de :
sur la fin de non-recevoir,
– réformer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré l’action de la société JRL, de la société Visioptis et de M. [Z] à l’encontre de la société Opal recevable,
– déclarer irrecevable l’action des appelants à l’encontre de la société Opal pour défaut de qualité du défendeur,
sur l’absence de responsabilité de la société Opalfi dans la rupture des négociations,
– réformer le jugement déféré en ce qu’il l’a jugé responsable de la rupture des négociations,
à titre subsidiaire, sur la réduction des demandes des sociétés JRL et Visioptis et de M. [Z] à juste proportion,
– réformer le jugement déféré en ce qu’il les a condamnés in solidum à payer à la société Visioptis la somme de 80.000 euros et à M. [Z] la somme de 15.000 euros,
– réduire le préjudice de la société Visioptis au montant de 12.715,87 euros, sous réserve que la société Visioptis produise tout élément justifiant du coût supporté au titre des deux réunions qu’elle a organisées relativement à la conclusion du contrat de cession des titres et au coût de transformation en SAS,
– débouter M. [Z] de sa demande indemnitaire,
– débouter la société JRL de sa demande de publication à leurs frais,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société JRL de ses demandes,
sur les demandes reconventionnelles de la société Opalfi,
– réformer le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice subi du fait des fautes commises par les appelants dans la levée des conditions suspensives,
– condamner in solidum les sociétés JRL et Visioptis à lui payer la somme de 28.264,97 euros en réparation du préjudice qu’elle subit du fait de ses défaillances dans le processus d’acquisition de la société Visioptis,
en tout état de cause,
– condamner les sociétés JRL, Visioptis et M. [Z] in solidum à leur payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à chacune,
– ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 1 juillet 2021, les débats étant fixés au 25 mai 2023.
Pour un plus ample exposé des moyens et motifs des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de Procédure Civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des demandes à l’encontre de la société Opal
Sur ce point, la société Opal a fait valoir’:
– la signature du contrat de cession entre la société JRL et la société Opalfi avec l’intervention de la société Visioptis et de M. [Z], en l’absence de la société Opal
– l’autonomie des personnes morales même en présence de liens capitalistiques
– l’absence de salariés de la société Opal lors des négociations, le management de la société Opalfi étant salarié
– l’absence de preuve que la société Opal bénéficiait de l’arrêt de la cession au prétexte du lancement d’une collection pour adultes alors qu’aucun nouveau lancement n’est intervenu et que la collection 2018 est identique à celle de 2017
– l’existence depuis plus de 20 ans à travers la gamme Opal Direct d’une collection adultes en marques propres.
Pour leur part, M. [Z], la société JRL et la société Visioptis ont fait valoir’:
– la tenue de la plupart des négociations par des salariés de la société Opal, étant rappelé que cette dernière était la véritable bénéficiaire de la cession de parts, étant donné qu’elle ne disposait pas de lignes de lunettes pour adultes
– les échanges de mails qui indiquent la présence de salariés Opal, aucun courriel ne provenant d’Opalfi
– la réception par le responsable informatique de la société Opal des données sensibles de la société Visioptis
– le suivi par la directrice de la création de la société Opal de septembre à décembre 2017 du travail de la société Visioptis avec la société Banana Moon outre la présence de M. [X], directeur commercial de la société Opal à toutes les réunions
– la communication commune entre la société Visioptis et la société Opal sur le rapprochement des deux sociétés
– le profit retiré par la société Opal de la rupture des négociations
Sur ce,
L’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En l’espèce, les appelants estiment que la société Opal ne saurait être mise hors la cause au prétexte qu’elle aurait tiré profit de la rupture des pourparlers, mais aussi en s’appuyant sur le fait que toutes les personnes ayant participé aux négociations travaillaient pour la société Opal.
Il ressort des pièces versées aux débats que si les salariés suivants Mme [Y], M. [G] et Mme [D], ont participé aux négociations, et font usage d’adresses mails indiquant leur nom avec «’@opal.fr’», ce seul élément ne peut suffire à estimer qu’ils ont engagé la société Opal, d’autant plus que les contrats de travail les concernant sont conclus avec la société Opalfi.
Par ailleurs, si pendant la période des pourparlers, les appelants, et notamment la société Visioptis, ont pu solliciter des salariés de la société Opal, concernant des éléments relatifs le design ou la préparation de collections, cela ne signifie pas pour autant que la société Opal était partie aux négociations.
En outre, il sera relevé que la société Opal n’intervenait pas au projet de cession, les sociétés concernées par ce projet étant la société JRL et la société Opalfi avec l’intervention de la société Visioptis et de M. [Z], en l’absence de la société Opal.
L’existence de liens capitalistiques ne permet pas en outre d’impliquer la société Opal en raison du principe d’autonomie des personnes morales.
Enfin, les appelants n’ont pas démontré en quoi la société Opal bénéficiait de l’arrêt de la cession de titres, puisque les éléments versés aux débats démontrent une antériorité de cette société dans le domaine de collections de lunettes pour adultes, sans compter que la collection 2018 est identique à celle de 2017 ce qui exclut tout détournement d’un savoir qui aurait été obtenu pendant la période de négociations puis d’exécution du protocole.
Par ailleurs, le courriel de M. [Z], qui date de juin 2018 adressé à ses équipes, ne saurait établir un quelconque lien avec la société Opal.
Dès lors, il convient de mettre la société Opal hors la cause et d’infirmer la décision déférée.
Sur l’imputation de la responsabilité de l’inexécution du protocole
À ce titre, M. [Z], la société JRL et la société Visioptis ont fait valoir’;
– l’inexécution du contrat par les sociétés intimées en dépit de la levée des conditions suspensives par les appelants
– l’existence des échanges nécessaires entre les co-contractants au vu des nombreux courriels, avec une loyauté des échanges et une remise des données sollicitées, notamment concernant les chiffres d’affaires mensuels, avec organisation d’une réunion avec les commerciaux de la société Visioptis en octobre 2017
– la communication aux experts-comptables en charge de l’audit et des responsables informatiques, de la totalité des fichiers commerciaux de la société Visioptis avec in fine une captation des clients, et l’usage délibéré des designs déjà réalisés pour des nouvelles collections de la société Opal et donc le détournement d’un savoir-faire
– la prise en charge, en raison de la future cession, par des salariés d’Opal des projets en cours qui devaient être clos en 2018, le détournement de la licence adulte Bérénice
– la pleine connaissance par la société Opalfi de la variation des comptes avec une information dès septembre 2017 du directeur financier d’Opal et de l’auditeur des variations en terme de comptabilité soit avant la signature du compromis
– l’absence de difficultés concernant la signature d’une garantie d’actif et de passif par M. [Z] qui en a accepté le principe dans le compromis
– l’absence de plainte des experts de Cap Office concernant la communication des éléments comptables, outre la proposition à ceux-ci et à Opal de participer à la clôture des comptes de la société Visioptis, sans suite
– la clôture des comptes au 30 septembre 2017, ce qui laissait un délai fiscal de dépôt des comptes de trois mois et un délai d’approbation de six mois
– la communication du bilan le 11 décembre 2017, avec avis du commissaire aux comptes, soit une mise en possession des informations avant la date de signature
– la réalisation des licenciements demandés par Opal par la société Visioptis avant la signature du compromis
– l’information en date du 18 décembre 2017 adressée par la société JRL à la société Opalfi qui ne demandait pas un plan de trésorerie mais attirait l’attention de l’acquéreur sur la situation après application des dispositions du protocole
– la connaissance par l’acquéreur de l’état de la trésorerie mais aussi des sommes qui devaient être versées, notamment de dividendes après clôture des comptes fin septembre 2017 ainsi que le remboursement du compte-courant d’associé de la société JRL somme identifiée au passif du bilan au 30 septembre 2017 ainsi que la somme de 50.000 euros devant être payée à JRL au titre de la cession de contrats de marques et de licences soit la somme de 564.470 euros à prélever sur la trésorerie outre les charges et dettes courantes
la réalisation par conséquent, de l’audit avant la signature même du protocole de cession, condition suspensive déjà réalisée puisque la société d’audit était en possession de tous les éléments et l’absence de nouvel audit postérieurement au protocole,
– la qualification de cette condition comme potestative puisqu’il appartenait à la société Opalfi de faire réaliser un nouvel audit
– la certification des comptes par le commissaire aux comptes le 11 décembre 2017
– l’annexion au protocole de cession de tous les actes juridiques qui devaient être signés au 31 décembre 2017 dont la garantie de passif, le pacte d’associés et la convention de prestations de service
– la régularité de l’avenant au contrat de cession avec la société Banana Moon, puisque M. [Z] était confirmé dans le protocole de cession à l’article 5.9 comme directeur général
l’attestation par M. [E], propriétaire de la marque Banana Moon de ce que lors de la réunion du 24 octobre 2017 avec Messieurs [F] et [Z], il avait indiqué n’accepter la poursuite du contrat que si M. [Z] était maintenu comme dirigeants des sociétés Visioptis et JRL
– la cession des contrats de licence entre la société JRL et la société Visioptis à la date du 14 décembre 2017, soit une date la plus proche de la cession de parts.
Sur ce point, la société Opalfi a fait valoir’;
– Sur la première condition suspensive’:
– l’absence de transmission d’informations de la part des sociétés Visioptis et JRL rendant impossible la levée de la condition suspensive n°1 eu égard aux refus récurrents de fournir les informations financières et comptables de la société Visioptis, le refus de transmettre les informations relatives aux achats de marchandises à la société Visoptis LTD [Localité 8] dont M. [Z] était associé à hauteur de 33%, l’absence de réponses concernant les balances comptables et l’absence de réalisation par la société Cap Office de l’audit de la société Visioptis en raison de l’absence d’établissement des comptes à la fin octobre 2017 et d’informations relatives aux contrats de marques et de brevets non exhaustives et contradictoires
– le rappel à plusieurs reprises à M. [Z] des difficultés rencontrées pour obtenir les informations et l’impossibilité in fine d’obtenir l’audit prévu à la condition suspensive n°1
– l’impossibilité de qualifier cette clause de condition potestative puisqu’elle ne dépendait pas uniquement de la volonté de la société Opalfi mais bien de la transmission par la société Visioptis dans le délai imparti des documents nécessaires
– s’agissant du prétendu détournement de fichiers de la société Visioptis par la société Opal, l’absence de preuves en ce sens, outre le fait que M. [Z] avait demandé à M. [F] de faire travailler l’équipe design d’Opal sur de nouveaux concepts banana moon, étant rappelé que la société Visioptis n’a pas de designer en interne et a demandé à la société Opal de gérer la passation des commandes et le suivi des commandes auprès des fournisseurs
– l’absence de preuve en matière de propriété intellectuelle par la société Visioptis et – l’absence de portée d’un mail rédigé par M. [Z] à ses équipes pour accuser la société Opal de détournement (mail daté de juin 2018 soit six mois après la fin des négociations)
– la mise en ‘uvre d’une nouvelle ligne adulte deux ans après l’échec du rachat par la société Opal, étant rappelé que dans le cadre du projet d’acquisition la société Visioptis devait être centrée sur les lignes adultes et la société Opal sur les lignes enfants, avec la marque Bérénice (cf. mail relatif à la licence).
– Sur la condition concernant la licence de la marque Banana Moon contraire aux dispositions du protocole de cession imposant à l’acquéreur de justifier de l’accord des tiers en relation avec la réalisation de l’opération
– l’existence d’un contrat de licence entre la société Visioptis et la marque Banana Moon avec laquelle elle réalise 50 à 60% de son chiffre d’affaires
– la signature entre la société Banana Moon et la société Visioptis d’un avenant indiquant l’acceptation de la cession à la condition expresse que M. [Z] soit maintenu en qualité de directeur général de la société Visioptis, avec à défaut une résiliation du contrat de licence dans l’hypothèse d’un affaiblissement ou de la disparition d’un intuitu personae
– l’imposition à la société Opalfi par cet avenant du maintien de M. [Z] comme directeur général ce qui l’empêchait de nommer toute autre personne à la tête de la société Visioptis
– l’ajout par cette convention d’une condition à la cession de manière unilatérale sans consultation de la société Opalfi en contradiction avec l’article 5.9 du protocole de cession qui prévoit que M. [Z] s’engageait à quitter ses fonctions de directeur général à la date de cession
– Sur la condition relative à la survenance d’éléments affectant défavorablement et de façon significative la situation financière, commerciale ou juridique de la société Visioptis
– la dégradation de la trésorerie de la société Visioptis en décembre 2017 en raison de versements de dividendes et de paiements de dettes contraires à l’accord trouvé entre les sociétés si bien que la trésorerie s’en trouvait affaiblie avec uniquement 180 k€
– l’absence d’explication concernant les écarts puisque les premiers chiffres indiquaient 800 k€, et les derniers 420 k€, ce qui ne pouvait que remettre en cause l’équilibre de la cession
– le défaut de caractère probatoire du compte de résultat concernant l’exercice clos au 30 septembre 2017 qui ne montrait pas une dégradation de la trésorerie puisque lors de la revue des comptes provisoires, celle-ci affichait 800 k€
– le courriel adressé par M. [Z] à la société Opalfi le 15 décembre 2017 dans lequel il indique que la trésorerie de la société Visioptis est négative
– la remise du rapport du commissaire aux comptes uniquement le 13 décembre 2017 soit peu de temps avant la cession et la remise en cause de la véracité du contenu puisque le rapport a été signé par M. [V] domicilié à [Localité 9] alors que la garantie d’actifs et de passifs mentionnait Mme [G] domiciliée à [Localité 7] comme commissaire aux comptes
– l’absence de dépôt des comptes au greffe
– l’absence, sur les trois derniers bilans, d’indication de tensions de trésorerie, avec un montant systématiquement supérieur à 400 k€, et l’absence de difficultés avec une trésorerie indiquée à 800 k€ si un prélèvement de 564.469 euros devait être fait
– l’absence de cession par la société JRL à la société Visioptis de marques et de brevets, les différents contrats versés aux débats n’étant toujours pas signalés, deux ans après sur le site de l’INPI malgré leur signature
– l’existence en conséquence d’une sérieuse alerte 8 jours avant la réitération de la cession et en conséquence la caducité du protocole de cession.
Sur ce,
L’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L’article 1104 du même code dispose que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
S’agissant de la première condition suspensive, il est relevé que si les équipes de la société Opalfi ont pu mener un audit sur la période entre la signature du protocole et la date butoir, celles-ci n’ont pu disposer de tous les éléments comptables sur cette période. En effet, il ressort des éléments chronologiques que seul un compte de résultat provisoire a été communiqué le 30 septembre 2017 avec un résultat net de 800.000 euros concernant la trésorerie et que par la suite, des prélèvements sont intervenus, certains étant prévus comme la distribution de dividendes, pour parvenir in fine à des échanges par courriel entre M. [Z] et la société Opalfi indiquant la nécessité de trouver de la trésorerie rapidement puisqu’elle serait négative une fois tous les paiements effectués en fin d’année.
Il convient de rappeler qu’était prévu à l’article 5.4 du protocole le versement de dividendes à hauteur de 200.000 euros postérieurement au bilan et l’absence de toute autre paiement.
Concernant le prétendu détournement de fichiers, il est constaté que la société Visioptis et M. [Z] ont demandé à la société Opal de travailler sur la gestion des commandes à venir et que les documents nécessaires avaient été transmis à ce titre, outre différentes transmissions en raison de l’exécution du protocole, ce dont il ne peut être fait grief à la société Opalfi.
Enfin, une difficulté est relevée avec l’absence de cession des marques, les documents versés aux débats indiquant la cession des marques et brevets le 14 décembre 2017 sans pour autant que leur enregistrement n’ait été réalisé.
Dès lors, la première condition suspensive n’était que partiellement levée en raison des retards des appelants dans la transmission des éléments financiers et de la non-exécution de la cession des marques dans le délai imparti, le défaut d’enregistrement à l’INPI démontrant l’absence d’exécution totale de cette condition suspensive.
S’agissant de la seconde condition suspensive, et du contrat avec la société Banana Moon, l’article 5.9 du protocole indique qu’à l’issue de la cession, M. [Z] sera nommé DG de la société sous forme de SAS, sans rémunération, la société Visioptis étant auparavant une SARL.
De fait, le protocole signé avec la société Banana Moon n’ajoutait pas de conditions nouvelles à la cession, d’autant plus que la présence de M. [Z] dans la future structure était prévue.
Cette condition était donc levée.
S’agissant de la troisième condition suspensive portant sur la survenance d’éléments affectant défavorablement et de façon significative la situation financière, commerciale ou juridique de la société Visioptis, plusieurs éléments doivent être examinés.
Il sera rappelé dans un premier temps que la société Opalfi n’a pu disposer du bilan et du rapport du commissaire aux comptes qu’à la date du 13 décembre 2017, soit 18 jours avant la date de réitération.
L’analyse du bilan révèle de nombreuses problématiques’:
– une augmentation entre 2016 et 2017 de l’endettement notamment au titre des emprunts et dettes auprès des établissements de crédit (passage de 76 à 999),
– une augmentation des dettes fournisseurs, passage de 838.636 à 997.930 euros
– l’existence d’une dette fiscale et sociale, certes en baisse mais qui pose difficulté quant à l’état de santé réel de l’entreprise, sans compter qu’aucune explication n’est donnée quant à la raison de cette dette fiscale et sociale qui semble ancienne, puisque existant l’année précédente
– l’existence de provisions pour risques à hauteur de 33.432 euros au bilan 2017 contre 785 au terme de l’année 2016 sans aucune explication sur cette augmentation, ou l’existence de litiges en particulier
– l’existence de créances sur des clients non recouvrées, depuis plus d’un an à hauteur de 276.938 euros, étant rappelé que la société JRL fait partie de ces créances, ce qui interroge sur l’absence de recouvrement ou bien le défaut de traitement, cette somme n’étant pas reprise au titre des clients douteux ou litigieux.
De fait, il est constaté qu’entre la date de signature du protocole et le 31 décembre 2017, la société Opalfi n’a obtenu que tardivement des éléments financiers clairs sur la société Visioptis dont une partie des parts devait être rachetées. L’existence de dettes en augmentation, leur ancienneté, le défaut de recouvrement des créances de plus d’un an, et enfin la présence de dettes fiscales et sociales montrent une santé financière préoccupante de la société.
S’agissant de la trésorerie, si lors de la signature du protocole, était évoquée l’existence d’une trésorerie à hauteur de 800.000 euros, celle-ci est indiquée comme étant à 400.000 euros postérieurement à la remise du rapport du commissaire aux comptes.
Dans un courriel du 18 mars 2017, il est indiqué qu’il est nécessaire de construire un plan pour que la situation soit mise en conformité a minimal avec le protocole, ce qui implique la limitation des paiements à la distribution des dividendes sur la trésorerie, et la mise en attente du paiement du compte-courant de la société JRL, soit une autre dette de la société Visioptis, de même que d’une partie de son compte fournisseur pour la somme de 49.468,75 euros.
Le rapport du commissaire aux comptes est également une source de confusion. En effet, ce dernier ne lance aucune alerte sur l’état de la trésorerie et de l’endettement qui augmente sur un an, et ne donne aucune indication sur les solutions à envisager.
Il est noté que sur les trois derniers bilans, aucune indication n’est donnée sur les tensions de trésorerie, alors même qu’elle est évidente.
In fine, la société Opalfi, en cas de rachat, ne disposait que d’une trésorerie de 180.000 euros, soit une trésorerie insuffisante et loin des prévisions présentées, alors qu’un paiement de 564.469 euros devait être fait. Le courriel du 18 décembre 2017 intervenait dans ce contexte et pointait la nécessité de l’obtention de trésorerie à bref délai, soit une situation radicalement différente de celle présentée lors de la signature du protocole.
De fait, des éléments affectant défavorablement et de façon significative la situation financière de la société Visioptis sont caractérisés, et ce, juste avant le terme prévu au protocole de cessions de parts.
En conséquence, eu égard à la levée uniquement partielle de la première condition suspensive, et à l’existence d’éléments affectant défavorablement et de façon significative la situation financière de la société Visioptis, la société Opalfi pouvait rompre les négociations et ne pas exécuter le protocole signé entre les parties sans pour autant que sa responsabilité ne soit engagée.
Il convient dès lors d’infirmer la décision déférée dans sa totalité sauf en ce qu’elle avait rejeté la demande d’indemnisation de la société JRL.
Sur les demandes indemnitaires des appelants
Sur ce point, M. [Z], la société JRL et la société Visioptis ont fait valoir’:
– les agissements fautifs de la société Opal qui a pris des décisions en matière de gestion comme l’annonce de licenciement, de résiliation par anticipation du bail en raison du transfert de salariés, l’arrêt des relations avec Visibilia et le licenciement de deux commerciaux, ainsi que le dénigrement de la société Visioptis par les équipes de la société Opal
– pour la société Visioptis, la perte de chiffre d’affaires de 350.000 euros par an et le licenciement de deux commerciaux pour 46.000 euros, les frais de transformation de la société Visioptis en SAS pour la somme de 4.215,87 euros ainsi qu’un préjudice d’image à prendre en compte, soit in fine une perte de marge brute sur les deux années de 534.000 euros en raison de la perte de chiffre d’affaires ainsi qu’une atteinte à l’image pour 100.000 euros
– pour la société JRL, les coûts engagés au titre des conseils, et la perte de la perception d’une rémunération sur 5 ans au titre de la convention de prestation de services qui devait être signée au 31 décembre 2017 pour 127.000 euros par an, outre le prix de la cession de la totalité des actions, ainsi que la perte des dividendes pour 200.000 euros par an, ainsi qu’une cession ultérieure à un moindre coût, soit une perte in fine de 412.395 euros
– concernant M. [Z], l’atteinte à sa crédibilité et l’échec des négociations qui ont mené à l’échec des opérations projetées, ce qui a remis en cause son travail depuis 20 ans dans le même secteur
– la nécessaire condamnation des deux sociétés intimées qui ont commis les fautes de manière concomitante et dans le même intérêt.
Sur ce point, la société Opalfi a fait valoir’:
– s’agissant de la société Visioptis, l’absence de preuve de tout dénigrement par les commerciaux d’Opal à son encontre et de démission de salariés en raison de la cession envisagée
– le départ de deux des meilleurs commerciaux de la société Visioptis dès juillet 2017, ce que confirme M. [Z] dans un courriel
– l’absence d’interférence de la société Opal dans la gestion de la société Visioptis comme demandé par M. [Z], alors que ce dernier questionnait régulièrement la société Opal
– l’absence de preuve d’un préjudice concernant la perte de chiffre d’affaires liée à la commercialisation de la marque Visibilia alors qu’elle commercialise toujours deux gammes de cette marque (Betty Barclay et Tom Tailors), et l’absence de preuve d’une atteinte à son image, aucun élément objectif ne venant attester des frais avancés
– l’absence de preuve de paiement des changements liés au changement de forme sociale par la société Visioptis
– l’estimation des frais engagés par la société Visioptis dans le cadre des négociations à la somme de 12.715,87 euros soit 8.500 euros pour les réunions et sous réserve de preuve, 4.215,87 euros au titre du la transformation en SAS
– concernant les demandes de la société JRL, le rappel de l’existence d’un aléa propre à toute négociation étant rappelé qu’elle ne peut prétendre obtenir le prix qu’elle aurait reçu en cas de réalisation de la cession, étant rappelé que seuls 60% des parts étaient acquis, outre l’absence de signature d’une convention de prestation de services pendant 5 ans ce qui ne lui permet pas de demander de rémunération à ce titre
– concernant M. [Z], l’absence de preuve qu’une atteinte a été portée à son image ou à sa crédibilité en tant que dirigeant d’entreprise.
Sur ce,
L’article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
L’article 1231-4 du code civil dispose que dans le cas même où l’inexécution du contrat résulte d’une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution.
Aucune faute n’étant imputable à la société Opalfi dans le cadre de la rupture des relations entre les parties, sa responsabilité ne peut donc être engagée.
Dès lors, il convient de rejeter toute demande de M. [Z], de la société JRL et de la société Visioptis concernant l’obtention d’une indemnisation, la décision déférée étant infirmée sauf en ce qu’elle avait rejeté la demande d’indemnisation de la société JRL.
Sur les demandes d’indemnisation formées par la société Opalfi
À l’appui de ses demandes, la société Opalfi a fait valoir’:
– le montant des frais engagés dans le cadre du processus de négociations’: conseils juridiques, frais d’audit, frais de conseil en matière de droit social, frais de déplacement, d’hébergement et de restauration soit la somme de 28.264,97 euros TTC
– l’engagement de ces frais en vue de parvenir à la réalisation de la cession de parts alors que la société JRL et la société Visioptis n’ont pas respecté leurs obligations contractuelles
Sur ce,
L’article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
L’article 1231-4 du code civil dispose que dans le cas même où l’inexécution du contrat résulte d’une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution.
En l’espèce, la société Opalfi justifie des frais engagés dans le cadre des négociations avec M. [Z], la société JRL et la société Visioptis, et peut prétendre, en raison de la faute commise par les appelants dans le cadre de l’exécution du protocole de cession, à une indemnisation.
Elle verse aux débats les factures concernant les frais de déplacements et d’hébergement mais aussi des tiers engagés à titre de conseils.
Dès lors, il convient de condamner in solidum la société Visioptis et la société JRL à payer à la société Opalfi la somme de 28.264,97 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires
M. [Z], la société JRL et la société Visioptis échouant en leurs prétentions, il convient de les condamner in solidum à supporter les entiers dépens de l’instance.
L’équité commande d’accorder à la société Opalfi une indemnisation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [Z], la société JRL et la société Visioptis seront condamnés in solidum à lui verser la somme de 8.000 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, dans les limites de l’appel
Infirme la décision déférée dans son intégralité sauf en ce qu’elle a rejeté la demande d’indemnisation de la société JRL,
Statuant à nouveau
Condamne in solidum la SARL JRL et la SAS Visioptis à payer à la SAS Opal la somme de 28.264,97 euros à titre de dommages et intérêts,
Condamne in solidum la SARL JRL, la SAS Visioptis et M. [C] [Z] à supporter les entiers dépens de l’instance,
Condamne in solidum la SARL JRL, la SAS Visioptis et M. [C] [Z] à payer à la SAS Opal la somme de 8.000 euros à titre d’indemnisation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE