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27 avril 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
21/05005
N° RG 21/05005 – N° Portalis DBVM-V-B7F-LEI3
C1
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
Me Magalie RIBEIRO
la SELARL JURISTIA – AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 27 AVRIL 2023
Appel d’un jugement (N° RG 2019J276)
rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE
en date du 05 novembre 2021
suivant déclaration d’appel du 02 décembre 2021
APPELANTS :
M. [Z] [T]
né le 05 Février 1956 à [Localité 15]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 4]
S.A.R.L. KINESIO Nom commercial : École de Kinésiologie et Méthodes Associées (EKMA) société à responsabilité limitée, au capital de 8.080,13 €, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés d’EVRY sous le numéro 429 507 460, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domiciliée es qualité audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentées par Me Magalie RIBEIRO, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me MAK, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A.S.U. [Adresse 13] immatriculée au RCS de GRENOBLE sous le n° 792 450 348, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège, exerçant sous l’enseigne commerciale ‘EKTC’.
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée et plaidant par Me Jean Damien MERMILLOD-BLONDIN de la SELARL JURISTIA – AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière
DÉBATS :
A l’audience publique du 30 novembre 2022, Mme BLANCHARD, conseillère, a été entendue en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré
EXPOSE DU LITIGE :
La SARL Kinesio a été immatriculée le 31 janvier 2000 et exploite à l’enseigne Ecole de Kinésiologie et Méthodes Associées (EKMA), une activité de formation à la pratique de la kinésiologie.
M. [Z] [T] est associé et formateur au sein de la société Kinesio.
La SAS [Adresse 14] a été immatriculée le 15 avril 2013 et exerce les activités de kinésiologie, sophrologie, yoga, felkendrais, modelage, de formation et de coaching. Elle dispense des formations en kinésiologie au travers d’une Ecole de [10] (EKTC).
Son gérant, M.[B] [O] a suivi des enseignements de l’EKMA entre 2009 et 2015.
Par courrier du 19 novembre 2018, la société Kinesio a mis en demeure la société [Adresse 14] de cesser de :
– dispenser des formations en se servant des méthodes et des supports développés par elle et ses collaborateurs,
– utiliser des supports de cours identiques ou similaires aux siens,
– toute activité de concurrence déloyale, parasitaire ou contrefaisant ses droits ou ceux de ses collaborateurs,
et lui a réclamé l’indemnisation de ses préjudices.
La société [Adresse 14] a répondu le 28 décembre 2018 par une fin de non recevoir.
Sur l’assignation délivrée le 5 juillet 2019 par la société Kinesio et par jugement du 5 novembre 2021, le tribunal de commerce de Grenoble a :
– jugé recevable l’intervention volontaire de M. [Z] [T],
– rejeté la demande de nullité de l’assignation,
– rejeté la demande d’irrecevabilité des actions engagées par la SARL Kinesio,
– débouté la SARL Kinesio de toutes ses demandes fondées sur l’allégation de concurrence déloyale ou parasitaire,
– rejeté toutes demandes des parties contraires à la motivation,
– condamné la SARL Kinesio à payer à la société [Adresse 14] la somme de 3000 euros au titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SARL Kinesio aux dépens et les a liquidés.
Suivant déclaration au greffe du 2 décembre 2021, la société Kinesio et M. [T] ont relevé appel de cette décision, en ce qu’elle a :
. débouté la SARL Kinesio de toutes ses demandes fondées sur l’allégation de concurrence déloyale ou parasitaire,
. rejeté toutes demandes des parties contraires à la motivation,
. condamné la SARL Kinesio à payer à la société [Adresse 13] Être la somme de 3000 euros au titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
. condamné la SARL Kinesio aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile et les a liquidés.
Prétentions et moyens de la société Kinesio et M. [T] :
Au terme de leurs dernières écritures notifiées le 2 août 2022, la société Kinesio et M. [T] demandent à la cour de :
– dire recevable l’appel interjeté par la SARL Kinesio ;
– infirmer le jugement en ce qu’il a :
. débouté la SARL Kinesio de toutes ses demandes fondées sur l’allégation de concurrence déloyale ou parasitaire,
. rejeté toutes demandes des parties contraires à la motivation ,
. condamné la SARL Kinesio à payer à la société [Adresse 13] Être la somme de 3000 euros au titred’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
. condamné la SARL Kinesio aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile et les a liquidés,
– statuant à nouveau,
– débouter la société [Adresse 13] Être de l’ensemble de ses demandes, fins ou prétentions, y compris reconventionnelles et incidentes,
– dire recevable et bien fondée l’ensemble des demandes, fins et prétentions de la SARL Kinesio,
– sur les mesures de cessation :
– enjoindre à la société [Adresse 13] Être de cesser toute formation relative à la kinésiologie reprenant les formations, supports, cours, dessins, photos, textes ou toute autre méthode de la société Kinesio développée par elle et/ou ses collaborateurs,
– enjoindre à la société [Adresse 13] Être de cesser d’utiliser ces supports de cours identiques ou similaires à ceux de la société Kinesio,
– condamner la société [Adresse 13] Être à cesser sans délai toute activité de concurrence déloyale, parasitaire préjudiciable aux droits de la société Kinesio et/ou ses collaborateurs sur ses contenus (textes, photos, dessins, supports, cours),
– sur les mesures réparatrices :
– condamner la société [Adresse 13] à payer à la société Kinesio la somme de 40.000 euros à titre de provision, à parfaire, au titre des préjudices subis correspondant à :
. 5.000 euros pour la perte de chance d’augmenter le chiffre d’affaires et de conclure de nouveaux contrats depuis 2017,
. 15.000 euros au titre de la perte subie du fait des investissements réalisés à fonds perdus,
. 5.000 euros, pour la perte de chance de maintenir ou d’augmenter son chiffre d’affaires sur les trois prochains exercices ,
. 7.500 euros pour l’atteinte manifeste à l’image de l’EKMA, école gérée par la société Kinesio,
. 7.500 euros pour le préjudice moral subi par l’EKMA du fait des actes de parasitisme et des faits de concurrence déloyale,
– dire que les intérêts au taux légal sur ces sommes courent à compter du 23 novembre 2018, date de réception de la mise en demeure adressée au Président de la société [Adresse 13] Être,
– prononcer l’anatocisme,
– ordonner à la société [Adresse 13] Être, sous astreinte, de communiquer les éléments comptables dont sommation a été réalisée par la présente assignation (bilans comptables détaillés depuis 2017),
– surseoir à statuer pour les préjudices matériels dans l’attente de cette communication,
– dire que les comptes entre les parties seront réalisés une fois la communication intervenue et qu’à défaut, la présente juridiction sera à nouveau saisie par la partie la plus diligente aux fins de liquidation des préjudices non encore indemnisés,
– ordonner à la société [Adresse 13] Être, sous astreinte, à titre de réparation complémentaire, et à ses frais avancés, la publication sur la page d’accueil de son site internet, accessible à l’adresse «https://www.ecole-Kinesiologie.fr», pendant une durée d’un mois à compter de la première mise en ligne l’extrait suivant du jugement à intervenir :
«Par décision en date du —–, la Cour d’Appel de Grenoble a notamment jugé que la société [Adresse 13] Être en charge de l’EKTC (École de [10] complémentaires) est auteur de faits de concurrence déloyale et/ou de parasitisme et qu’elle l’a condamnée à indemniser la société Kinesio, en charge de L’EKMA (École de Kinésiologie et Méthodes Associées), en réparation des préjudices subis de ce fait»,
– dire qu’il sera procédé à cette publication en partie supérieure et centrée de la page d’accueil du site https://www.ecole-Kinesiologie.fr/ de façon visible et en toute hypothèse au-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères «arial», de taille «12», droits, de couleur noire et sur fond blanc, dans un encadré de 468×120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre COMMUNICATION JUDICIAIRE en lettres capitales de taille 14, aux seuls frais de la société [Adresse 13],
– dire que le présent arrêt devra être directement accessible en intégralité par un lien figurant en page d’accueil du site de la société [Adresse 13] Être ainsi libellé en caractères de taille 14 : «Arrêt portant condamnation de la société [Adresse 13] Être en charge de l’EKTC (École de [10] complémentaires) pour des faits de concurrence déloyale et parasitisme à l’encontre de la société Kinesio, en charge de l’EKMA (École de Kinésiologie et Méthodes Associées)»,
– sur l’astreinte :
– dire que l’ensemble des obligations de faire précitées seront prononcées sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai de huit (8) jours suivant la signification de la décision à intervenir dans la présente instance et/ou de 1.000 euros par infraction constatée ;
– dire que la cour de céans se réserve la liquidation de cette astreinte,
– condamner la société [Adresse 13] à payer à la société Kinesio la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société [Adresse 13] Être aux entiers dépens de l’instance ;
– dire qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir, dans l’hypothèse où l’exécution devrait être forcée par l’intermédiaire d’un huissier, les sommes retenues en application des articles A 444-10 à A 444-33 nouveaux du code de commerce, devront être entièrement supportées par les débiteurs, en sus de l’application de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Les appelants font valoir que les sociétés Kinesio et [Adresse 13] Être se trouvent dans une situation de concurrence directe pour dispenser toutes les deux des formations en kinésiologie, partageant ainsi le même secteur d’activité, le même marché et partant la même clientèle, que leurs dénominations sont très similaires renforçant le risque de confusion.
Ils rappellent que la reprise d’un procédé d’un concurrent ou de ses moyens techniques d’exploitation d’une activité commerciale est constitutive d’une faute au titre du parasitisme et que la copie servile d’un support sans autorisation peut également constituer un acte de parasitisme.
Ils soutiennent que l’EKTC a repris à l’identique les supports de formation et les modules de l’EKMA et se les est appropriés en y apposant son logo ; que M [O], gérant de la société [Adresse 13] Être a suivi les enseignement de l’EKMA entre 2009 et 2015 ; qu’il a eu accès aux modules de formation contenant le savoir-faire de l’EKMA, dans le cadre de cette relation contractuelle antérieure ; qu’il est indifférent que ces supports soient protégés par un droit de propriété intellectuelle ; que certaines reproductions laissent même figurer la référence à l’EKMA démontrant qu’il s’agit de copies serviles, que ces documents renferment le savoir-faire de la société Kinesio et constituent des investissements exploités de manière indue par sa concurrente, que leur utilisation caractérise un acte de parasitisme ayant permis à M [O] la réalisation d’importantes économies.
Ils relèvent que l’EKTC exploite et reproduit sans autorisation l’image de M. [T] et de sa famille dans des photos de démonstration illustrant les supports de formation litigieux, entretenant la confusion entre les deux écoles et démontrant le caractère grossier et servile des reproductions.
Les appelants considèrent qu’il est indifférent que l’EKMA ne soit pas à l’origine du dépôt des supports s’agissant de cours qui lui ont été apportés par un de ses associés M. [T], leur créateur et rédacteur.
Ils contestent vouloir s’approprier l’exclusivité des principes et de la pratique de la kinésiologie comme la force probante des témoignages produits en ce sens en ce qu’ils procèdent de généralités, d’inexactitudes et de tromperie.
Concernant les préjudices subis, ils font valoir que la détermination du préjudice économique nécessite la communication par l’EKTC de ses bilans, que la reprise servile des modules d’enseignement porte atteinte aux investissements que la société Kinesio a supportés et génère une perte à la mesure du partage imposé de leurs retombées économiques, que l’EKMA a perdu une chance de conclure des contrats avec de nouveaux clients captés par l’EKTC et d’augmenter ainsi son chiffre d’affaires.
Ils ajoutent que la reproduction servile de ses supports de formation porte atteinte à son image et à sa réputation, sa concurrente s’appropriant leur qualité sans disposer des compétences lui permettant de dispenser des formations à la hauteur de leur contenu et en rendant possible la croyance que c’est l’EKMA qui copie la formation proposée par l’EKTC.
Prétentions et moyens de la société [Adresse 14] :
Selon ses dernières conclusions notifiées le 22 septembre 2022, la société [Adresse 14] entend voir :
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
. débouté la SARL Kinesio de toutes ses demandes fondées sur l’allégation de concurrence déloyale ou parasitaire,
. rejeté toutes demandes des parties contraires à la motivation,
. condamné la SARL Kinesio à payer à la SASU [Adresse 13] Être la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
. condamné la SARL Kinesio aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la SASU [Adresse 13] Être de sa demande d’indemnité pour procédure abusive d’un montant de 10.000 euros,
– statuant à nouveau,
– condamner la SARL Kinesio à une indemnité pour procédure abusive d’un montant de 10.000 euros,
– en tout état de cause,
– débouter la SARL Kinesio de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions contraires,
– condamner la SARL Kinesio à verser à la SASU [Adresse 13] Être une indemnité d’un montant de 6.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SARL Kinesio aux entiers dépens de l’instance.
La société [Adresse 13] Être fait valoir que la société Kinesio échoue à rapporter la preuve des fautes invoquées à son encontre et notamment que :
– si M [O] a suivi des formations dispensées par l’EKMA entre 2009 et 2011, il n’a pas reçu de support pour chacune d’entre elles, qu’aucune convention d’exclusivité ne régissait les supports de formation reçus et que ce n’est que plusieurs années après qu’il a créé une structure d’enseignement de la kinésiologie,
– la plupart des structures de kinésiologie adoptent des dénominations et acronymes proches les unes des autres,
– la Fédération des Ecoles de Kinésiologie recommandant un cursus identique, les structures d’enseignement proposent des formations aux contenus identiques, fondés sur des principes anciens issus d’autres pratiques et réutilisés.
L’intimée conteste tout risque de confusion ainsi que toute captation ou détournement de clientèle et soutient que si le contenu technique est identique, ses supports de cours sont différents de ceux utilisés par l’EKMA, que pour leur élaboration, la société Kinesio se sert de documents tirés d’autres sources qu’elle copie, que ses supports ne présentent pas de caractéristiques techniques originales, que la société Kinesio ne justifie d’aucun dépôt de ses supports dont elle ne prouve pas être l’auteur ou l’inventeur, qu’à défaut d’oeuvre protégée, il ne peut en conséquence en exister de copie servile, qu’en outre, les supports prétendument copiés portent des dates postérieures à la période de formation de M. [O] qui n’a donc pu en être destinataire.
Elle ajoute que la formation qu’elle dispense s’appuie sur d’autres éléments que des supports écrits et réfute l’utilisation de photographies de personnes affiliées à la société Kinesio, comme les pratiques douteuses dont l’accuse son adversaire.
Elle estime que la demande de communication de ses bilans doit être rejetée aux motifs que la preuve du préjudice économique invoqué incombe à la société Kinesio, qui n’est pas en mesure de prouver l’impact financier des faits qu’elle lui impute ; que la démonstration de l’existence d’un détournement de chiffre d’affaires de la société Kinesio ne peut résulter de l’examen de ses bilans dont la production est dépourvue de pertinence, alors que le critère déterminant du choix des stagiaires est la proximité géographique de la structure de formation et non la comparaison entre des supports pédagogiques.
Elle relève que sur la période incriminée, le chiffre d’affaires de sa concurrente a en réalité augmenté et que la société Kinesio ne peut se prévaloir d’une perte de clientèle.
Elle considère que la société Kinesio ne justifie pas d’une perte liée à des investissements alors que les supports de formation sont différents, qu’elle-même a investi dans la création de ses propres supports pédagogiques et l’élaboration de ses enseignements ; qu’elle ne peut invoquer une perte de chance de conclure de nouveaux contrats alors qu’il existe une multitude d’écoles de kinésiologie, que la société Kinesio ne dispose d’aucun monopole en la matière et que les clients de la société [Adresse 13] Être n’étaient pas destinés à être ceux de son adversaire, qu’il n’existe aucune atteinte à l’image de la société Kinesio qui a formé et diplomé M. [O], lui reconnaissant donc les compétences nécessaires à la pratique de la kinésiologie.
Elle conteste tout lien de causalité entre les fautes et les préjudices invoqués.
Elle se prévaut du caractère abusif de la procédure poursuivie à son encontre soulignant que l’imputation de pratiques douteuses sans vérification préalable est de nature diffamatoire et que la société Kinesio se livre à des actes de dénigrement constitutif de concurrence déloyale.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 20 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°) sur l’existence d’acte de concurrence déloyale :
Le principe de la liberté du commerce autorise le commerçant à gérer à sa convenance son entreprise sur un marché concurrentiel et lui confère la liberté d’attirer la clientèle, y compris de ses concurrents, sans engager sa responsabilité.
A l’aune de ces principes, ne peut être constitutif de concurrence déloyale, que l’exercice fautif de ces libertés, conduisant à détourner la clientèle d’un concurrent, à nuire à ses intérêts par des moyens contraires à la loi, aux usages loyaux du commerce ou à l’honnêteté professionnelle.
Ainsi, les agents économiques se doivent de distinguer leurs produits ou services de ceux proposés par leurs concurrents et s’abstenir de toute reproduction non autorisée de la création d’autrui.
Il en résulte que constitue un acte de concurrence déloyale, le parasitisme par lequel un opérateur économique se place dans le sillage d’un tiers afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
La société Kinesio exerce depuis 2000 une activité d’enseignement de la kinésiologie et il résulte des pièces versées aux débats qu’elle dispose de plusieurs sites en région parisienne, nantaise et à [Localité 8] où elle propose, sous l’enseigne EKMA, des stages de formation sous forme de modules.
Il n’est pas contesté qu’elle utilise comme support de formation des fascicules imprimés qui comportent des exposés théoriques, des schémas, croquis et photographies mettant en scène un exercice ou une technique exécuté(e) par un praticien sur un patient(e).
La société [Adresse 14] exploite elle-aussi depuis avril 2013 une activité d’enseignement de la kinésiologie, sous le nom commercial d’EKTC pour Ecole de [10] et sur différents sites : [Localité 11], [Localité 12], [Localité 16], [Localité 7], [Localité 17] et [Localité 18].
Il est constant et attesté par Mmes [U], [V] et [A] qu’elle utilise également des supports de cours sous forme de fascicules, dont elle verse certains aux débats, édités en fichiers informatiques sur clés USB.
Le contenu de l’enseignement dispensé par ces deux écoles ne présente manifestement aucune originalité, la kinésiologie étant décrite par les pièces produites comme une discipline de santé non conventionnelle constituée d’un ensemble de méthodes et de techniques empruntées à d’autres pratiques de santé, et, à défaut d’encadrement réglementaire de ces pratiques, elles peuvent être «enseignées» librement.
En l’occurence, la société Kinesio ne reproche pas à sa contradictrice son activité d’enseignement de la kinésiologie mais d’avoir, pour développer cette activité, copier et utiliser des supports de cours élaborés par elle-même pour sa propre école EKMA.
A ce titre, suivant acte authentique du 7 octobre 2009, publié au bureau des hypothèques, M. [T] a déposé en l’étude de M [S], notaire, un document de 72 pages intitulé «Arkagym niveau 1» contenant un cours sur les réflexes primitifs ou archaïques et posturaux de l’homme.
Les attestations de Mmes [L], [Y], [W], [C] et de M. [R] établissent en outre que les photographies illustrant les fascicules de formation de l’EKMA ont été réalisées par des membres de la famille de M. [T], des associés et des formateurs de l’EKMA.
Ces éléments sont de nature à confirmer que les supports de formation utilisés par cette école ont bien été élaborés par elle et/ou ses membres.
La comparaison des quatre fascicules produits par la société Kinesio : «La santé par le toucher», «Edu-kinésiologie niveau 1-2-3», «Les 7 dimensions de l’intelligence niveau avancé» et «Arkagym niveau I» avec les supports d’enseignement correspondants portant la référence de l’EKTC : «Santé par le toucher», «Edu-kinésiologie niveau 1 et 2», «Edu-kinésiologie (7 dimensions)» et «Les réflexes archaïques 1» permet de constater que sans être des copies serviles intégrales, les supports d’enseignement de la société [Adresse 14] sont très largement inspirés dans leur présentation par ceux de la société Kinesio, qu’ils en reprennent le contenu à l’identique dans une très large part, ces reprises représentant jusqu’à 60 et 96 % de pages entières incluant textes, schémas et illustrations, pour deux d’entre eux (Les réflexes archaïques 1 et Santé par le toucher).
S’il résulte des attestations qu’elle produit que la société [Adresse 14] a pu élaborer elle-même d’autres supports d’enseignement réalisés avec la contribution de ses enseignants, cette circonstance est inopérante.
Dans une prestation d’enseignement, l’existence d’un support à la transmission comme à l’acquisition des connaissances, dont l’élaboration intellectuelle et matérielle correspond bien à un investissement, constitue indéniablement un avantage qui permet au prestataire de se distinguer de ses concurrents et doit être considérée comme une valeur économique individualisée.
La reproduction intégrale ou partielle, servile ou non de ces éléments propres à l’activité considérée fait gagner du temps à celui qui s’en inspire ou s’en sert directement et réduit notablement ses investissements tant matériels qu’intellectuels.
Le fait que le corpus de connaissance objet du support d’enseignement soit commun, accessible à tous et donc dépourvu d’originalité n’enlève rien à la spécificité de l’outil conçu pour le transmettre qui conserve sa totale originalité dès lors qu’il nécessite une réflexion sur la présentation, l’articulation et la méthode de transmission des savoirs.
En outre, l’existence de droits privatifs sur un travail intellectuel n’est pas une condition requise à l’existence d’actes de concurrence déloyale fondés sur le parasistisme et il est donc indifférent que les supports de cours en litige aient été élaborés et rédigés par M. [T] et non par la société Kinesio dès lors que cette dernière les utilisent pour son enseignement et qu’ils peuvent participer à la réputation de son enseignement.
En conséquence, il est établi que la société [Adresse 13] utilise à des fins commerciales des supports d’enseignement de la société Kinesio ce qui constitue, indépendamment de la preuve d’un risque de confusion, un agissement parasitaire fautif engageant sa responsabilité.
Le jugement qui a débouté la société Kinesio de toutes ses demandes fondées sur les faits de concurrence déloyale sera en conséquence infirmé.
2°) sur la cessation des actes de parasitisme :
Afin de faire cesser les agissements constitutifs de parasitisme et de concurrence déloyale, il y aura lieu d’enjoindre à la société [Adresse 13] de cesser l’utilisation pour son enseignement de la kinésiologie de supports d’enseignement constitués de reprises des supports élaborés par la société Kinesio ou ses collaborateurs et afin d’assurer le respect de cette injonction de l’assortir d’une astreinte provisoire de 1000 euros par infraction constatée passé un délai de deux mois à compter du présent arrêt.
La société Kinesio ne rapportant pas la preuve de l’originalité de ses méthodes d’enseignement, est mal fondée à demander qu’il soit enjoint à la société [Adresse 13] de cesser toute formation à la kinésiologie reprenant les méthodes développées par elle.
3°) sur l’indemnisation :
S’il s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale constaté, un trouble commercial constitutif de préjudice, fût-il seulement moral, ce principe ne dispense pas le demandeur à la réparation de l’obligation de rapporter la preuve de l’étendue de son préjudice.
Outre un préjudice moral et d’image, la société Kinesio se prévaut de préjudices économiques, au titre de la perte des investissements réalisés pour la création de modules d’enseignement, de la perte de clientèle et du gain manqué en résultant.
Ainsi qu’il a été précédemment rappelé, l’enseignement de la kinésiologie ne présente aucune originalité et ne bénéficie d’aucun encadrement règlementaire qui puisse en limiter l’exercice.
Si l’élaboration d’une méthodologie et de supports d’enseignement constitue un avantage économique, la société Kinesio ne fournit aucun élément permettant d’établir que la spécificité des siens gouverne le choix de sa clientèle de recourir à ses services plutôt qu’à ceux de ses nombreux concurrents, alors qu’il ressort des échanges extraits de listes de discussion produits aux débats que le choix d’une école de formation relèvent de critères prioritairement géographiques, ce que confirme la stratégie de multiplication de leurs sites de formation mise en ‘uvre tant par l'[9].
La société Kinesio ne produit pas non plus d’éléments comptables ou financiers permettant d’appréhender l’importance et l’évolution de son activité commerciale et elle ne saurait en pareil cas exiger la production des comptes de sa concurrente sans justification préalable de répercussions sur son activité pouvant être directement imputées aux actes de parasitisme de sa concurrente. Au contraire, il résulte des pièces produites par la société [Adresse 13] que le chiffre d’affaires de la société Kinesio n’a, en réalité, jamais cessé d’augmenter entre 2015 et 2018 ce qui démontre que les investissements qu’elle a pu réaliser dans l’élaboration de ses programmes et supports d’enseignement n’ont pas été faits à fonds perdus ainsi qu’elle le soutient.
Il doit cependant être pris en compte que la reproduction des supports de formation de la société Kinesio a favorisé l’activité de la société [Adresse 13] en lui permettant d’offrir plus rapidement à la clientèle un support d’enseignement qualitativement éprouvé, ce qui lui a permis de capter une partie de cette clientèle qui, à défaut, aurait profité à l’EKMA, privant ainsi sa concurrente d’une part de chiffre d’affaires et donc de marge brute.
La société Kinesio ne fait pas la démonstration d’une atteinte portée à l’image de son école, par l’utilisation de ses supports de formation au sein de l'[10].
En conséquence, le préjudice de la société Kinesio sera indemnisé à hauteur de 10.000 euros au titre de son préjudice économique et de 7500 euros au titre de son préjudice moral et la société [Adresse 13] sera condamnée à lui verser la somme totale de 17.500 euros.
4°) sur la publicité :
La cour considère que les actes de parasitisme commis par la société [Adresse 13] justifie qu’il soit procédé à la publication de sa décision sur son site internet dans les conditions qui seront précisées au dispositif de l’arrêt.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Grenoble en date du 5 novembre 2021 en ses chefs de dispositif soumis à la cour,
statuant à nouveau,
DECLARE la SAS [Adresse 13] responsable d’actes de concurrence déloyale par parasitisme à l’égard de la SARL Kinesio,
ENJOINT à la SAS [Adresse 13] de cesser l’utilisation pour son enseignement de la kinésiologie de supports d’enseignement constitués de reprises des supports élaborés par la société Kinesio ou ses collaborateurs, ce sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée passé un délai de deux mois à compter de cet arrêt,
CONDAMNE la SAS [Adresse 13] à payer à la SARL Kinesio la somme de17.500 euros à titre de dommages-intérêts,
ORDONNE à la SAS [Adresse 13] Être de publier, à ses frais, sur la page d’accueil de son site internet à l’adresse «https://www.ecole-Kinesiologie.fr», pendant une durée d’un mois à compter de la première mise en ligne l’extrait suivant du jugement à intervenir :
«Par décision en date du 27 avril 2023, la cour d’appel de Grenoble a déclaré la SAS [Adresse 13] responsable d’actes de concurrence déloyale à l’égard de la SARL Kinesio dans le cadre de l’activité de l’École de [10] complémentaires et l’a condamnée à indemniser la SARL Kinesio, exploitant l’École de [10], de ses préjudices»,
DIT que cette publication sera mentionnée en partie supérieure et centrée de la page d’accueil du site https://www.ecole-Kinesiologie.fr/ de façon visible et en toute hypothèse au-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères «arial», de taille «12», droits, de couleur noire sur fond blanc, dans un encadré de 468×120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre COMMUNICATION JUDICIAIRE en lettres capitales de taille 14, aux frais de la SAS [Adresse 13],
DIT que le présent arrêt devra être directement accessible en intégralité par un lien figurant en page d’accueil du site de la SAS [Adresse 13] Être ainsi libellé en caractères de taille 14 : «Arrêt portant condamnation de la SAS [Adresse 13] (EKTC) pour des faits de concurrence déloyale par parasitisme à l’encontre de la SARL Kinesio, exploitante de l’École de Kinésiologie et Méthodes Associées (EKMA)»,
ASSORTIT cette obligation de publication d’une astreinte de 300 euros par jour de retard passé un délai de deux mois à compter de cet arrêt,
y ajoutant,
CONDAMNE la SAS [Adresse 13] à payer à la SARL Kinesio la somme de 4000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SAS [Adresse 13] aux dépens de première instance et d’appel.
SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente