Détournement de Savoir-faire : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/04499

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Détournement de Savoir-faire : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/04499
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19 octobre 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/04499

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 39H

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 OCTOBRE 2023

N° RG 21/04499 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UUOD

AFFAIRE :

S.A.S. SYMATESE AESTHETICS

C/

S.A.S. GROUPE SEBBIN

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Mai 2021 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

N° Chambre : 4

N° RG : 2020F00272

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Christophe DEBRAY

Me Denis SOLANET

TC PONTOISE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.S. SYMATESE AESTHETICS

RCS Beauvais n° 532 987 658

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me Frank SAUNIER-PLUMAZ de la SELARL NS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1142

APPELANTE

****************

S.A.S. GROUPE SEBBIN

RCS Pontoise n° 519 665 467

[Adresse 1]

[Localité 3]

S.A.R.L. 4U MEDICAL

RCS Pontoise n° 477 569 453

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentées par Me Denis SOLANET, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 384 et Me Fanny COLIN de la SELARL Versini – Campinchi, Merveille & Colin, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0454

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 02 Février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Symatese Aesthetics (ci-après Symatese), créée en mai 2011, a pour activité principale « la fabrication de dispositifs pour la médecine et la chirurgie esthétique et réparatrice, prothèses » ainsi que le mentionne son extrait Kbis.

La SAS Groupe Sebbin, créée en janvier 2010 par suite du rachat de la société Laboratoires Sebbin spécialisée dans les implants mammaires, a pour activité « le commerce, la fabrication, la réparation, la location, l’installation, l’entretien de toute marchandise et matériel médico-chirurgical » ainsi que le mentionne son extrait Kbis.

La SARL 4U Médical, filiale de la société Groupe Sebbin créée en avril 2013, exerce une activité d’ « achat, vente en gros, demi-gros d’appareils, de produits à usage esthétique et médical » ainsi que le mentionne son extrait Kbis.

Mme [B] [K] a travaillé pour la société Symatese du 7 janvier 2013 au 6 novembre 2015 en tant que chargée industrialisation et R&D. Le 1er décembre 2015, elle a été engagée par la société 4U Médical en qualité de responsable projet « instruments et lipo feeling » puis son contrat de travail a été transféré le 1er avril 2016 à la société Groupe Sebbin.

Le 9 décembre 2017, la société Symatese a fait procéder à un constat d’huissier au siège social des sociétés 4U Médical et Groupe Sebbin, suivant ordonnance rendue le 23 octobre 2017 par le président du tribunal de commerce de Pontoise.

Par ordonnance de référé du 4 janvier 2018, Mme [H] [D] s’est vue confier une mission d’expertise judiciaire des documents saisis.

Son rapport a été déposé le 25 janvier 2019.

La société Symatese reproche aux sociétés 4U Médical et Groupe Sebbin, d’avoir, par des man’uvres déloyales, embauché Mme [K], tenue envers la société Symatese à un engagement de non-concurrence et à un engagement de confidentialité, afin de lui voler ses savoir-faire et technologies au profit de la société Groupe Sebbin, dont elle soutient qu’elle est son concurrent direct dans le domaine de la conception et de la fabrication d’implants mammaires.

Par actes délivrés le 5 juin 2020, la société Symatese Aesthetics a fait assigner la société Groupe Sebbin et la société 4U Médical devant le tribunal de commerce de Pontoise en concurrence déloyale.

Par jugement contradictoire du 26 mai 2021, le tribunal de commerce de Pontoise a :

– Débouté la société Symatese Aesthetics de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– Débouté les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical de leur demande en paiement de la somme de 50.000 € pour procédure abusive ;

– Condamné la société Symatese Aesthetics à verser aux sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical la somme de 20.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

– Débouté la société Symatese Aesthetics de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné la société Symatese Aesthetics aux entiers dépens de l’instance, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 99,52 € TTC ;

– Ordonné l’exécution provisoire du jugement.

Par déclaration reçue au greffe le 13 juillet 2021 et enregistrée le 15 juillet 2021, la société Symatese Aesthetics a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 19 décembre 2022, la société Symatese Aesthetics demande à la cour de :

Sur l’appel principal de la société Symatese Aesthetics :

– Juger recevable et bien fondé l’appel principal interjeté par la société Symatese Aesthetics à l’encontre du jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 26 mai 2021 (rôle n°2020F00272) ;

Et, infirmant cette décision et statuant à nouveau,

– Juger que la société Symatese Aesthetics agit sur la base de son savoir-faire propre ;

– Juger que la clause de confidentialité de l’article 9 du contrat de travail de Mme [B] [K] du 7 janvier 2013 qui a produit ses effets durant tout le temps de ce contrat, a continué de produire ses effets après son expiration ;

– Juger que les clauses de confidentialité et de non-concurrence des articles 9 et 10 du contrat de travail de Mme [K] du 7 janvier 2013 étaient parfaitement connues des sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical au moment de son recrutement par ces dernières ;

– Juger que l’acquisition de la connaissance de l’emploi d’une pompe péristaltique et d’une presse de découpe pour optimiser le processus de fabrication interne d’implants mammaires conformément à la pratique de la société Symatese Aesthetics, en parfaite connaissance des engagements antérieurs de confidentialité et de non-concurrence de Mme [K] envers cette dernière, engage la responsabilité civile des sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical sur la base de l’article 1240 du code civil et des articles L.151-1 et suivants du code de commerce sur la protection des secrets d’affaires ;

– Juger que les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical ont employé des man’uvres déloyales par l’emploi d’un faux contrat de travail auprès de la seconde pour dissimuler le travail de Mme [K] au profit de la première, et par la mise en place d’un système interne de signature et de communication électronique destiné à cacher son identité ;

– Juger que, par ces man’uvres déloyales, les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical ont embauché Mme [K] en violation de son engagement de non-concurrence et de son engagement distinct de confidentialité résultant de son contrat de travail du 7 janvier 2013 auprès de la société Symatese Aesthetics ;

– Juger que la société Groupe Sebbin s’est frauduleusement appropriée deux outils essentiels spécialement utilisés par la société Symatese Aesthetics dans la confection d’implants mammaires relevant de ses secrets d’affaires, en l’occurrence un outil de découpe des enveloppes et du « patch » et un outil de remplissage des implants mammaires ;

– Juger, sous la sanction d’une astreinte de 1.000 € par jour passé l’expiration d’un délai de deux semaines à compter de l’arrêt à intervenir :

– de faire interdiction à la société Groupe Sebbin de réitérer les faits litigieux consistant en l’emploi des deux outils essentiels que sont l’outil de découpe et l’outil de remplissage pour l’optimisation du processus de fabrication d’implants mammaires ;

– et de condamner la société Groupe Sebbin à la remise à ses frais et sans contrepartie financière des deux outils en question à la société Symatese Aesthetics, conformément à l’article L.152-3 I 3 du code de commerce ;

– Condamner in solidum les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical à payer à la société Symatese Aesthetics, à titre de dommages et intérêts, les sommes de :

– 88.026,55 €, en remboursement des dépenses supportées par la société Symatese Aesthetics dans le cadre des mesures in futurum avant la saisine au fond du tribunal de commerce de Pontoise (Cf. pièce 42),

– 100.000 €, en réparation du préjudice moral de la société Symatese Aesthetics,

– 580.000 €, pour tenir compte des droits qui auraient été dus si les intimées avaient demandé l’autorisation d’utiliser les secrets d’affaires de la société Symatese Aesthetics ;

– Ordonner que ces sommes seront productives d’intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir conformément au mécanisme de l’anatocisme, que ces intérêts légaux seront liquidés chaque année et capitalisés pour produire à nouveau intérêts au taux légal, et ainsi de suite chaque année jusqu’au paiement intégral desdites sommes ;

– Ordonner la publication de l’arrêt à intervenir par extraits dans trois (3) journaux ou périodiques du choix de la société Symatese Aesthetics, à concurrence de 5.000 € HT par insertion, aux frais in solidum des sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical, sur simple devis ou facture pro forma de manière à ce que la société Symatese Aesthetics n’ait pas à en faire l’avance, et ce sous une astreinte de 1.000 € par jour de retard commençant à courir à l’expiration d’un délai de deux (2) semaines après la signification de l’arrêt à intervenir ;

– Ordonner également la publication de l’arrêt à intervenir par extraits sur la page de présentation de la société Groupe Sebbin, figurant à l’adresse https://www.sebbin.com ou, en cas de modification de cette adresse pendant la procédure, à toute autre adresse présentant la société Groupe Sebbin, extraits accessibles par un lien hypertexte rédigés dans toutes les langues employées en l’occurrence, dans une police de caractères d’au moins 25 points, pendant une durée de six (6) mois, et ce sous une astreinte de 1.000 € par jour de retard commençant à courir à l’expiration d’un délai de deux (2) semaines après la signification de l’arrêt à intervenir ;

Sur l’appel incident des sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical :

– Juger non fondé l’appel incident interjeté par les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical à l’encontre du jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 26 mai 2021 (rôle n°2020F00272) qui les a déboutées de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, et confirmer sur ce point le jugement entrepris ;

– Débouter les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical de l’ensemble de leurs prétentions, fins et conclusions ;

Sur le reste :

– Condamner in solidum les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical aux entiers dépens du procès, incluant le coût des mesures intrusive et d’expertise de justice de première instance, avec distraction au profit de Me Christophe Debray, avocat postulant constitué, ce qui représente un montant total de 29.008,56 € TTC ainsi qu’il en est justifié par la production des factures des différents intervenants (Cf. pièces 43) ;

– Condamner in solidum les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical :

– au remboursement à la société Symatese Aesthetics de la somme de 20.000 € réglée par elle au titre des frais irrépétibles de première instance en raison de l’exécution provisoire ;

– et au paiement d’une somme de 25.000 € au titre des frais irrépétibles de l’instance d’appel, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2023, les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical demandent à la cour de :

– Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 26 mai 2021 en ce qu’il a débouté la société Symatese Aesthetics de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 26 mai 2021 en ce qu’il a débouté les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical de leur demande sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile ;

Et statuant de nouveau,

– Condamner la société Symatese Aesthetics à verser aux sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical la somme de 50.000 € sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile en réparation de leur comparution injustifiée devant le tribunal de commerce de Pontoise et l’atteinte à leur image qui en a résulté ;

– Condamner la société Symatese Aesthetics à verser aux sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical la somme de 20.000 € sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile en réparation de leur comparution injustifiée devant la cour d’appel de céans et l’atteinte à leur image qui en a de nouveau résulté ;

En tout état de cause,

– Confirmer le jugement du 26 mai 2021 s’agissant de la condamnation de la société Symatese Aesthetics au titre de l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens ;

– Condamner la société Symatese Aesthetics à verser aux sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical la somme de 30.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant des frais irrépétibles engagés en cause d’appel et aux entiers dépens de la procédure.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l’appropriation frauduleuse du savoir-faire de la société Symatese

La société Symatese se dit hautement spécialisée dans la conception et la production d’implants mammaires qui constituent, soutient-elle, son unique activité. Elle prétend qu’elle détient, à ce titre, un savoir-faire très confidentiel, à base de connaissances, de techniques, d’outillages et de méthodes de production ; que ce savoir-faire lui est propre et qu’elle ne l’a pas acquis auprès d’un tiers, en particulier de la société Pérouse Plastie ; qu’il réside dans deux outils essentiels dans la confection d’implants mammaires et utilisés par la société Symatese durant le temps où Mme [K] y était salariée, à savoir :

– un certain outil de découpe, déterminant de la qualité de la jonction entre le « patch » (la partie haute de l’implant, une sorte de bouchon) et le bord de l’ouverture de l’enveloppe ;

– et un certain outil de remplissage de l’implant, déterminant de la qualité de la prothèse elle-même qui est introduite dans le corps des patientes ;

permettant tous deux de garantir l’intégrité de l’implant (absence de rupture autour du « patch » et limitation maximale de la quantité de bulles introduites) pour éviter que le gel ne se diffuse dans le corps humain, et donc d’assurer du mieux possible la sécurité des patientes.

Elle reproche aux sociétés 4U Médical et Groupe Sebbin, d’avoir, par des man’uvres déloyales, embauché Mme [K], qui a travaillé pour la société Symatese de janvier 2013 à novembre 2015 et qui était tenue envers elle à un engagement de non-concurrence et à un engagement de confidentialité, afin de lui voler ses savoir-faire et technologies au profit de la société Groupe Sebbin, dont elle soutient qu’elle est son concurrent direct dans le domaine de la conception et de la fabrication d’implants mammaires. Elle ajoute que les clauses de confidentialité et de non-concurrence du contrat de travail de Mme [K] étaient parfaitement connues des sociétés 4U Médical et Groupe Sebbin au moment de son recrutement par ces dernières ; que la société Groupe Sebbin s’est frauduleusement appropriée les deux outils susvisés relevant de ses secrets d’affaires, qui ne seraient que « la partie émergée de l’iceberg » et qu’il est probable que bien d’autres secrets d’affaires de la société Symatese ont été « piratés » depuis l’arrivée de Mme [K] dans le groupe Sebbin ; que l’acquisition des deux outils de découpe et de remplissage par les sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical, en parfaite connaissance des engagements antérieurs de confidentialité et de non-concurrence de Mme [K], engage leur responsabilité civile sur la base de l’article 1240 du code civil et des articles L.151-1 et suivants du code de commerce sur la protection des secrets d’affaires.

Les intimées font observer en premier lieu que les articles L.151-1 et suivants du code de commerce sur lesquels se fonde l’action de la société Symatese sont issus de la loi n°2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, laquelle est postérieure aux faits litigieux.

Elles soulignent en second lieu que les « outils » supposément détournés par la société Groupe Sebbin au préjudice de la société Symatese sont non seulement universellement connus mais encore accessibles pour les personnes familières de ce type d’information, telle Mme [K] qui avait une expérience de 20 ans dans le secteur des implants mammaires lors de son entrée au sein du groupe Sebbin, société ayant elle-même une antériorité de plus de 30 ans sur ce marché ; que ces « outils » non plus que leur utilisation ne revêtent aucune valeur commerciale, effective ou potentielle pour n’avoir aucun caractère secret et qu’ils n’ont pas fait l’objet de la moindre mesure de protection par la société Symatese. Elles font ainsi valoir que l’usage d’une presse à crémaillère est connu des personnes évoluant dans le domaine des implants médicaux ; que la société Groupe Sebbin avait déjà utilisé une presse à crémaillère dans une autre application en 2007 ; que la suggestion d’emploi de cet outil par Mme [K] pour la découpe des enveloppes et du patch des implants mammaires n’a pas été suivie par la société Groupe Sebbin, qui a continué de réaliser manuellement cette découpe. Elles énoncent ensuite que la technique de remplissage des implants mammaires au moyen d’une pompe péristaltique est connue et aisément accessible de tous les professionnels du domaine des implants mammaires depuis 2012.

Elles en concluent que la société Symatese ne peut se prévaloir d’aucun savoir-faire relevant du secret d’affaires, ni d’aucune appropriation frauduleuse de celui-ci par la société Groupe Sebbin, ce qui justifie la confirmation du jugement dont appel.

*****

A titre liminaire, il sera souligné que la décision du 12 décembre 2019 par laquelle le conseil de prud’hommes de Beauvais a jugé que Mme [K] avait violé la clause de confidentialité et la clause de non-concurrence de son contrat de travail avec la société Symatese et l’a condamnée au paiement de dommages-intérêts à son ancien employeur, ne lie pas la cour dans le cadre de l’examen de la responsabilité des sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical à l’égard de la société Symatese. En outre, Mme [K] n’a pas été attraite à la présente procédure.

La cour rappelle ensuite qu’en vertu des dispositions de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La société Symatese invoque la concurrence déloyale des sociétés Groupe Sebbin et 4U Médical sur le marché des prothèses mammaires, ce qui suppose qu’elle démontre tout d’abord l’existence d’une situation de concurrence avec les intimées sur ce marché. Or, elle n’en rapporte pas la preuve.

Ainsi, la société Symatese, créée en avril 2011, ne justifie ni n’allègue d’une quelconque commercialisation de prothèses mammaires à ce jour. Elle concède elle-même qu’elle n’en est qu’au stade de l’homologation, sans fournir au demeurant aucune pièce au soutien de ses dires.

La société Groupe Sebbin dispose quant à elle d’une longue expérience dans le domaine, pour être issue du rachat du fonds de commerce de fabrication d’implants médicaux et notamment mammaires exploité depuis 1986 par la société Laboratoires Sebbin. Dans un article de presse versé aux débats par l’appelante (L’Usine Nouvelle, 1er février 2016), la société Sebbin est d’ailleurs présentée comme l’un des « quelques grands fabricants de prothèses mammaires » implantés en France aux côtés des sociétés Arion et Eurosilicone, tandis que l’article se borne à qualifier la société Symatese de « spécialiste lyonnais des polymères ».

Si la société Symatese réfute avoir laissé entendre, en particulier à l’expert judiciaire, qu’elle était issue d’une suite d’opérations juridiques lui conférant la propriété de savoir-faire et de technologies provenant de la société Pérouse Plastie, fabricant d’implants mammaires, force est néanmoins de constater:

– qu’elle s’est présentée et continue de se présenter faussement dans ses écritures comme « issue d’une lignée d’entités » ayant « vu le jour en 1980 par la création des Laboratoires Pérouse », entités parmi lesquelles figure la société Pérouse Plastie (ex Laboratoires Pérouse Implants), qui serait « en quelque sorte l’ancêtre de Symatese » (page 6 de ses conclusions) ;

– qu’elle prétend que Mme [K] disposait d’une « grande ancienneté dans le groupe [Symatese] » (page 12 de ses conclusions) alors qu’elle a été salariée de la société Symatese de janvier 2013 à novembre 2015.

Quand bien même les sociétés appelante et intimées se trouveraient en situation de concurrence sur le marché des prothèses mammaires, il est essentiel de déterminer avant tout autre examen si l’emploi ou la connaissance des deux outils litigieux, à savoir l’outil de découpe et l’outil de remplissage, relevaient du secret des affaires ou présentaient à tout le moins un caractère confidentiel.

Aux termes de l’article L.151-1 du code de commerce :

« Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret;

3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »

Comme le relèvent justement les sociétés intimées, ce texte, issu de la loi n°2018-670 du 30 juillet 2018, a été introduit dans le code de commerce postérieurement aux faits objet du litige et n’a donc pas vocation à s’appliquer en l’espèce.

Il résulte des conclusions du rapport établi le 25 janvier 2019 par l’expert judiciaire, Mme [D], que celle-ci n’a « constaté que deux faits susceptibles d’être qualifiés d’atteinte aux secrets d’affaires, ces constatations [pouvant] aussi relever d’un manquement aux obligations de confidentialité.

La suggestion formulée par Madame [B] [K] :

– de remplir les implants au moyen d’une pompe péristaltique, et

– de mettre en place une presse de découpe à crémaillère pour le démoulage des enveloppes. »

Au cours de sa mission, Mme [D] a pu observer que « Ces deux équipements étaient employés par Symatese Aesthetics pour la même fonction et entraient dans le périmètre des responsabilités de Madame [K] au sein de Symatese Aesthetics », qu’en outre la suggestion de Mme [K] « a conduit Groupe Sebbin à acheter une pompe péristaltique d’un modèle identique à celui utilisé par Symatese Aesthetics et une presse de découpe à crémaillère d’un modèle similaire à celui employé par Symatese Aesthetics ».

Toutefois, l’expert a aussi mentionné en conclusion de son rapport que « le remplissage des implants mammaires au moyen d’une pompe péristaltique avait été divulgué au public avant 2015 par une société tierce ». En effet, toujours selon le rapport, « cette technique de remplissage d’implants mammaires a été rendue accessible au public par la société Eurosilicone au travers de communications vidéo en 2012 et 2014 », soit avant l’embauche de Mme [K] par le groupe Sebbin. Ainsi cette information, connue des professionnels du secteur, ne présente aucun caractère confidentiel, ni secret.

S’agissant de la suggestion de Mme [K] de mettre en place une presse de découpe à crémaillère pour le démoulage des enveloppes, l’expert a noté que l’outil proposé par la salariée n’était pas de la même marque que celui utilisé par la société Symatese et qu’au surplus, « cette demande de modification du protocole de fabrication proposée par Madame [K] n’a pas été suivie par Groupe Sebbin », la découpe des enveloppes continuant d’être réalisée manuellement, sachant au demeurant que la société Groupe Sebbin avait déjà utilisé une presse à crémaillère dans une autre application en 2007. Il ne s’agissait donc pas d’un savoir-faire qu’aurait détenu de façon exclusive la société Symatese, comme elle le prétend.

Il importe aussi de souligner que, selon les éléments versés aux débats, Mme [K] disposait de connaissances et compétences dans le domaine des implants mammaires, acquises de1992 à 2011, soit durant 19 ans, au sein de la société Pérouse Médical – en tant que technicienne de recherche puis responsable contrôle atelier silicone et chef d’équipe atelier silicone – puis de la société Pérouse Plastie – en tant que responsable atelier contrôle-qualité -, sociétés qui n’ont d’autre lien avec la société Symatese que le fait pour cette dernière d’occuper les locaux à [Localité 4] (60) où était installée en dernier lieu la société Pérouse Plastie, avant sa cession en 2007 à la société Mentor Corporation puis en 2009 à la société Johnson & Johnson, jusqu’à la fermeture de l’usine de [Localité 4] en janvier 2011. Mme [K] a ensuite travaillé pour la société Emsi Biomédical, également spécialisée dans la fabrication de prothèses mammaires. Elle pouvait donc se prévaloir d’une grande expérience en matière de conception, de fabrication et de contrôle d’implants mammaires, dont elle était libre de faire profiter le groupe Sebbin, son nouvel employeur, dès lors que son obligation de confidentialité et de non-concurrence ne valait que pour son emploi de chargée industrialisation et R&D au sein de la société Symatese, emploi qu’elle n’a occupé comme il a déjà été dit que de 2013 à 2015.

Il ressort ainsi de l’ensemble de ces constatations qu’à supposer même que les dispositions de l’article L.151-1 susvisées puissent s’appliquer au litige,la société Symatese ne peut se prévaloir d’aucun savoir-faire relevant du secret des affaires. Elle ne peut davantage revendiquer un quelconque savoir-faire de nature confidentiel, ni que la société Groupe Sebbin se l’est approprié de manière frauduleuse.

Il convient en conséquence, par confirmation du jugement entrepris, de débouter la société Symatese de l’intégralité de ses demandes, en ce compris la demande de publication judiciaire.

Sur les demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive

Dans le cadre d’un appel incident, les intimées font valoir que l’action de la société Symatese est dépourvue de sérieux et tend exclusivement à faire pression sur la société Groupe Sebbin en espérant « un accord amiable » qui couvrirait les frais qu’elle a engagés au titre de l’expertise judiciaire ; que cette action vise, sur la base de ce rapport, à faire sanctionner très lourdement la société Groupe Sebbin non seulement sur le plan financier mais également sur le plan de l’image. Elles considèrent que l’action de la société Symatese doit être qualifiée d’abusive et sollicitent de voir fixer la juste indemnisation de leur préjudice né de leur comparution injustifiée devant le tribunal de commerce à la somme de 50.000 €.

Elles ajoutent que l’appel formé par la société Symatese à l’encontre du jugement du 26 mai 2021, sans production en cause d’appel d’aucun élément nouveau censé démontrer l’existence du savoir-faire dont elle revendique la paternité et/ou la propriété, ni son supposé détournement par la société Groupe Sebbin, le tout en maintenant des demandes indemnitaires exorbitantes et injustifiées, quoique revues à la baisse – 580.000 € de dommages-intérêts pour tenir compte des droits qui lui auraient été dus en cas d’autorisation d’utiliser ses secrets d’affaires, quand elle demandait à ce titre en première instance 3.551.400 € – constitue un nouvel abus du droit d’ester en justice. Elles réclament en conséquence le versement de la somme de 20.000 € en réparation du préjudice né de leur comparution injustifiée devant la cour d’appel et de l’atteinte à leur image qui s’en infère.

La société Symatese s’oppose à ces demandes.

*****

L’exercice d’un droit ne dégénère en abus qu’en cas de faute équipollente au dol, qui n’est pas démontrée en l’espèce à l’encontre de la société Symatese. En conséquence, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a débouté les sociétés 4U Médical et Groupe Sebbin de leur demande indemnitaire au titre de la procédure abusive. Leur demande en réparation du préjudice allégué, né de leur comparution injustifiée devant la cour d’appel, sera également rejetée pour le même motif.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la société Symatese, qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens d’appel.

Elle sera en outre condamnée à verser aux sociétés 4U Médical et Groupe Sebbin la somme totale de 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 mai 2021 par le tribunal de commerce de Pontoise ;

Y ajoutant,

DÉBOUTE les sociétés 4U Médical et Groupe Sebbin de leur demande au titre de l’appel abusif ;

CONDAMNE la société Symatese Aesthetics aux dépens d’appel ;

CONDAMNE la société Symatese Aesthetics à verser aux sociétés 4U Médical et Groupe Sebbin la somme totale de 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société Symatese Aesthetics de sa demande de ce chef.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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