Détention irrégulière et principe de spécialité : enjeux et conséquences sur le contrôle judiciaire

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Détention irrégulière et principe de spécialité : enjeux et conséquences sur le contrôle judiciaire

Remise de M. [V] aux autorités belges

Le 30 juin 2022, M. [X] [V], un ressortissant français, a été remis par les autorités judiciaires espagnoles aux autorités judiciaires belges. Cette remise était fondée sur un mandat d’arrêt européen émis par la Belgique pour l’exécution d’une peine de quinze ans d’emprisonnement, prononcée le 4 mars 2021, en raison de vols aggravés.

Transfert et exécution de la peine

Le 3 janvier 2023, les autorités judiciaires belges ont sollicité la reconnaissance et l’exécution de la peine en France, M. [V] étant sous obligation de quitter le territoire belge et interdit d’entrée pour vingt ans après sa condamnation. Suite à une réponse favorable du procureur de la République de Paris, M. [V] a été transféré et écroué en France le 14 avril 2023.

Mandat d’arrêt européen pour d’autres infractions

Avant son transfert, le 9 novembre 2022, un mandat d’arrêt européen avait été décerné par les autorités judiciaires françaises à l’encontre de M. [V] pour des infractions liées à la législation sur les stupéfiants, l’association de malfaiteurs et le blanchiment. Cependant, le 1er mars 2023, les autorités belges ont refusé d’exécuter ce mandat en raison de l’absence d’une décision de consentement des autorités espagnoles.

Extension de remise et mise en examen

Le 17 avril 2023, les autorités espagnoles ont accordé l’extension de remise demandée par les autorités françaises. M. [V] a été mis en examen le 8 février 2024 pour les infractions mentionnées et placé en détention provisoire le même jour. La chambre de l’instruction a confirmé cette détention le 1er mars 2024.

Cassation de la détention

Le 28 mai 2024, la Cour de cassation a prononcé la cassation de l’arrêt de détention, constatant que M. [V] était détenu sans titre depuis le 8 février 2024. Par la suite, le juge d’instruction a ordonné le placement de M. [V] sous contrôle judiciaire le 7 juin 2024.

Appel de la décision de contrôle judiciaire

M. [V] a interjeté appel de l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire. L’appel critique l’arrêt qui a rejeté la demande d’annulation de cette ordonnance, arguant que la Cour de cassation aurait dû appliquer les dispositions du Code de procédure pénale concernant la remise en liberté et le contrôle judiciaire, en raison de l’irrégularité de sa détention.

Questions / Réponses juridiques :

 

Quelles sont les implications du principe de spécialité dans le cadre de la remise d’un individu entre États membres de l’UE ?

Le principe de spécialité est un principe fondamental en matière d’extradition et de remise d’individus entre États. Selon l’article 27 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, qui transpose le cadre juridique européen, ce principe stipule qu’une personne remise à un État membre ne peut être poursuivie que pour les faits ayant motivé sa remise, sauf accord préalable de l’État d’origine.

En l’espèce, M. [V] a été transféré de la Belgique vers la France pour purger une peine liée à des vols aggravés. Cependant, les autorités françaises ont ensuite engagé des poursuites pour des infractions distinctes, à savoir des infractions à la législation sur les stupéfiants, sans avoir obtenu le consentement des autorités belges.

Cela constitue une violation du principe de spécialité, qui est également renforcé par l’article 14 de la Convention européenne d’extradition. En conséquence, les poursuites engagées contre M. [V] en France sont considérées comme irrégulières, ce qui entraîne l’impossibilité d’appliquer des mesures de sûreté, telles que le contrôle judiciaire.

Quels sont les droits d’un individu en détention provisoire en vertu du Code de procédure pénale français ?

Le Code de procédure pénale français, notamment à travers ses articles 137 et 803-7, encadre les droits des personnes en détention provisoire. L’article 137 stipule que la détention provisoire ne peut être ordonnée que si elle est nécessaire à la manifestation de la vérité, à la protection des personnes, ou à la sauvegarde de l’ordre public.

De plus, l’article 803-7 précise que si la détention provisoire est jugée irrégulière, la juridiction peut ordonner la remise en liberté de la personne concernée, et éventuellement la placer sous contrôle judiciaire.

Dans le cas de M. [V], la Cour de cassation a constaté qu’il était détenu sans titre depuis le 8 février 2024, ce qui a conduit à l’annulation de son placement en détention provisoire. En conséquence, la décision de le placer sous contrôle judiciaire a été contestée, car les poursuites engagées contre lui étaient en violation du principe de spécialité.

Comment la Cour de cassation interprète-t-elle les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale dans le cadre d’un appel ?

Les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale régissent les conditions d’appel des décisions de justice. L’article 591 précise que l’appel est ouvert contre les décisions rendues en matière criminelle, tandis que l’article 593 énonce que l’appel peut être formé par toute personne ayant un intérêt à agir.

Dans le cas présent, M. [V] a interjeté appel de l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, arguant que la Cour d’appel avait mal interprété les articles 591 et 593 en ne tenant pas compte de l’irrégularité de sa détention.

La Cour de cassation a souligné que, bien qu’elle ne soit pas juge du fond, elle a le pouvoir de vérifier la légalité des décisions prises par les juridictions inférieures. En l’occurrence, la Cour a constaté que la détention de M. [V] était irrégulière, ce qui a conduit à la cassation de l’arrêt de la Cour d’appel et à la nécessité de réexaminer la situation de M. [V] en tenant compte des principes juridiques applicables.

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 décembre 2024
Cour de cassation
Pourvoi n°
24-85.354
N° X 24-85.354 F-D

N° 01680

ODVS
10 DÉCEMBRE 2024

CASSATION SANS RENVOI

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 DÉCEMBRE 2024

M. [X] [V] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 10e section, en date du 8 août 2024, qui, dans l’information suivie contre lui des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction le plaçant sous contrôle judiciaire.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [X] [V], et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 30 juin 2022, M. [X] [V], ressortissant français, a été remis par les autorités judiciaires espagnoles aux autorités judiciaires belges sur le fondement d’un mandat d’arrêt européen émis par ces dernières pour l’exécution d’une peine de quinze ans d’emprisonnement prononcée le 4 mars 2021 pour des faits de vols aggravés.

3. Le 3 janvier 2023, les autorités judiciaires belges ont adressé aux autorités judiciaires françaises un certificat aux fins de reconnaissance et d’exécution de la peine susmentionnée, M. [V] étant ressortissant français et faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire belge et d’une interdiction d’entrée d’une durée de vingt ans, à l’issue de sa condamnation. A la suite de la réponse favorable donnée à cette demande, le 1er février 2023, par le procureur de la République de Paris, M. [V] a été transféré et écroué en France le 14 avril 2023.

4. Antérieurement à son transfert en France, le 9 novembre 2022, les autorités judiciaires françaises avaient décerné un mandat d’arrêt européen à l’encontre de M. [V] aux fins de poursuites des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment.

5. Le 1er mars 2023, les autorités judiciaires belges ont refusé d’exécuter ce mandat d’arrêt européen, à défaut de la production par les autorités françaises d’une décision de consentement des autorités espagnoles à la remise de M. [V] aux autorités françaises pour ces faits.

6. Le 17 avril 2023, les autorités espagnoles ont accordé aux autorités judiciaires françaises l’extension de remise sollicitée.

7. Le 8 février 2024, M. [V] a été mis en examen du chef d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, et placé en détention provisoire ce même jour. Par arrêt du 1er mars 2024, la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance de placement en détention provisoire.

8. Par arrêt du 28 mai 2024 (Crim., 28 mai 2024, pourvoi n° 24-81.539, publié au Bulletin), la Cour de cassation a prononcé la cassation, sans renvoi, de l’arrêt susmentionné et constaté que M. [V] était détenu sans titre, dans la présente procédure, depuis le 8 février 2024.

9. Par ordonnance du 7 juin 2024, le juge d’instruction a ordonné le placement sous contrôle judiciaire de M. [V].

10. Ce dernier a interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté la demande tendant à l’annulation de l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire de M. [V], dit l’appel mal fondé et confirmé cette ordonnance, alors :

« 1°/ d’une part que la Cour de cassation peut faire usage des pouvoirs conférés par l’article 803-7 du Code de procédure pénale à toute juridiction qui ordonne la remise en liberté d’une personne dont la détention provisoire est irrégulière de placer cette personne sous contrôle judiciaire ; qu’en affirmant, pour refuser de tirer les conséquences qui s’évinçaient de l’absence de placement de Monsieur [V] sous contrôle judiciaire par l’arrêt du 28 mai 2024 de la Cour de cassation, que « la Cour de cassation, qui n’est pas juge du fond, ne peut faire application de l’article 803-7 du Code de procédure pénale », la Cour d’appel a violé ce texte, ensemble les articles 591 et 593 du même Code ;

2°/ d’autre part, que ne peut faire l’objet d’aucune mesure de sûreté la personne poursuivie en France en violation du principe de spécialité ; qu’au cas d’espèce, la Cour de cassation a constaté que Monsieur [V] était poursuivi en France pour des faits autres que ceux ayant motivé son transfèrement par la Belgique, sans que les autorités belges aient donné leur accord à ces poursuites ; qu’il s’en déduisait que les poursuites engagées en France contre Monsieur [V] l’étaient en méconnaissance du principe de spécialité, de sorte qu’elles ne pouvaient s’accompagner d’aucune mesure de sûreté à l’encontre de Monsieur [V], ce qui justifiait que la Cour de cassation, après avoir ordonné la remise en liberté de Monsieur [V] par son arrêt du 28 mai 2024, ne l’ait astreint à aucun contrôle judiciaire ; qu’en affirmant, pour dire n’y avoir lieu à annulation de l’ordonnance du juge d’instruction plaçant Monsieur [V] sous contrôle judiciaire, qu’aucune disposition légale ou conventionnelle ne s’opposait au placement de Monsieur [V] sous contrôle judiciaire, la Chambre de l’instruction a violé les articles 137, 728-62, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

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