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4 décembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/13405
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 04 DÉCEMBRE 2023
(n° , 5 pages)
N°de répertoire général : N° RG 22/13405
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Florence GREGORI, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 09 Août 2022 par M. [P] [C]
né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 4]), élisant domicile au cabinet de Me Hélène JAPHET – [Adresse 2] ;
Non comparant et représenté par Me Hélène JAPHET, avocat au barreau du Val-de-Marne
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 02 Octobre 2023 ;
Entendu Me Hélène JAPHET représentant M. [P] [C],
Entendu Me Hadrien MONMONT substituant Me Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de Paris représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,
Entendue Mme Martine TRAPERO, Substitute Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [P] [C], de nationalité française, mis en examen du chef d’escroquerie en bande organisée a été placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de [Localité 3] du 15 mars 2016 au 12 octobre 2016, date à laquelle il a été libéré et placé sous contrôle judiciaire.
Le 19 avril 2019, il a été relaxé par le tribunal correctionnel de Paris. La décision a été confirmée par la cour d’appel de Paris le 14 mars 2022. Cette décision est devenue définitive à son égard comme en atteste le certificat de non pourvoi du 31 mai 2022.
Le 9 août 2022, M. [C] a adressé une requête au premier président de la cour d’appel de Paris en vue d’être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l’article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,
– que sa requête soit déclarée recevable,
– le paiement des sommes suivantes :
* 60 000 euros au titre de son préjudice moral,
* 88 250 euros au titre de son préjudice matériel,
* 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses écritures, déposées le 9 janvier 2023, développées oralement, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de juger la requête recevable, de ramener à de plus justes proportions la demande formulée au titre du préjudice moral, qui ne saurait excéder la somme de 14 000 euros, de le débouter de ses demandes au titre du préjudice matériel, et de ramener à de plus justes proportions la demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général, reprenant oralement à l’audience les termes de ses conclusions déposées le 31 juillet 2023, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention d’une durée de six mois et vingt-huit jours, à la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées et au rejet de la demande d’indemnisation du préjudice matériel.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d’un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d’appel.
Cette requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l’article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.
M. [C] a présenté sa requête aux fins d’indemnisation le 9 août 2022, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive ; cette requête est signée par son avocat et la décision de relaxe n’est pas fondée sur un des cas d’exclusion visé à l’article 149 du code de procédure pénale. Il est à noter par ailleurs que le point de départ du délai de 6 mois n’a pas commencé à courir car M. [C] n’a pas été informé dans la décision du relaxe de la possibilité de solliciter son indemnisation devant le premier président de la cour d’appel.
La demande de M. [P] [C] est donc recevable au titre d’une détention provisoire indemnisable du 15 mars 2016 au 12 octobre 2016, soit pour une durée de six mois et vingt-huit jours.
Sur l’indemnisation,
– Sur le préjudice moral,
M. [C] soutient avoir subi un choc carcéral certain s’agissant d’une première incarcération. Père d’un garçon né en 2001, dont il a toujours assumé la charge, il fait part de la séparation engendrée par celui-ci en raison de cette incarcération.
L’agent judiciaire de l’Etat et le procureur général rappellent que le préjudice moral ne doit être apprécié qu’au regard de l’âge du requérant, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d’éventuelles condamnation antérieures.
L’agent judiciaire de l’Etat et le procureur général ne contestent pas son choc carcéral mais précisent que la séparation avec son enfant préexistait à sa détention, son fils vivant aux Pays-Bas avec sa mère suite à leur séparation.
Il ressort des pièces produites aux débats que M. [C], de nationalité française a été incarcéré pendant une durée de six mois et vingt huit jours.
M. [C] était âgé de 40 ans à la date de son incarcération. Il avait déjà été condamné à trois reprises depuis 2002 mais n’avait jamais été incarcéré auparavant, puisque sa première incarcération date de 2019, ce qui constitue pour lui un choc carcéral. Le requérant était séparé de sa compagne antérieurement à son incarcération avec laquelle il avait eu un fils en 2001 qu’il ne voyait qu’épisodiquement car il demeurait depuis 20 ans en France, alors que son ex compagne et son fils habitaient aux Pays-Bas où il ne se rendait que très irrégulièrement. Ce choc carcéral a donc été que très partiellement aggravé par la séparation d’avec son fils.
Au vu de ces différents éléments, il lui sera donc alloué une somme de 18 500 euros en réparation de son préjudice moral.
– Sur le préjudice matériel,
M. [C] explique qu’il a subi une perte de chance de percevoir des revenus pendant et après sa détention. Artiste indépendant se produisant à l’international, cette détention a mis un terme prématuré à sa carrière, et ne lui a permis de reprendre son activité d’artiste qu’en 2018, partiellement. Il affirme avoir une activité de commercial en immobilier à Alicante, en Espagne, depuis juillet 2019.
L’agent judiciaire de l’Etat et le procureur général concluent au rejet de cette demande en ce qu’il produit des documents rédigés par lui-même, après son incarcération, pour les besoins exclusifs de la présente requête. Il ne produit ni contrat, ni facture, ni avis d’imposition permettant de justifier les montants demandés. De surcroît alors qu’il a indiqué durant sa garde à vue et ses interrogatoires qu’il était sans emploi, vivait du RSA et qu’il effectuait seulement quelques extra en tant qu’intermittent du spectacle.
Ils ajoutent que M. [C] ne justifie pas non plus que la détention l’aurait privé de reprendre cette activité après son incarcération, ni ne justifie d’aucune diligence dans le but de retrouver une activité à sa sortie de détention.
Ils précisent qu’il ne démontre pas en tout état de cause que sa perte de chance de percevoir des revenus après détention est la cause directe et exclusive de la perte de l’emploi.
Enfin, s’agissant des frais de défense, M. [C] sollicite leur remboursement en produisant une facture.
L’agent judiciaire de l’Etat et le procureur général concluent au rejet de cette demande en ce qu’aucune des diligences mentionnées dans la facture qu’il produit n’est directement et exclusivement liées à la détention.
Il n’est produit aux débats que des éléments établis par M. [C] lui-même postérieurement à son incarcération et relatifs à son activité professionnelle antérieurement à cette dernière faisant état d’une activité d’artiste indépendant en danse et spectacle à l’international qui lui rapportait entre 3 500 et 5 000 euros par mois. Pour autant, il n’est produit aucune déclaration annuelle de revenus à destination de l’administration fiscale, aucun contrat de travail ou de spectacle vivant, aucune facture ni relevé de compte permettant de justifier de la réalité de ces revenus. Les photographies de spectacles ne sont pas datées et ne permettent pas de savoir si elle sont antérieure à l’incarcération de M. [C]. En outre, il ressort des procès-verbaux d’audition du requérant lors de sa garde à vue puis devant le magistrat instructeur qu’il n’exerçait plus aucune activité professionnelle depuis 6 ans, était sans domicile fixe et voyageant régulièrement entre la France, l’Espagne et les Pays-Bas et ne vivait que du RSA et de spectacles qu’il effectuait ponctuellement. C’est ainsi que M. [C] échoue à démontrer que l’existence d’une activité professionnelle régulière exercée antérieurement à son placement en détention provisoire et qui lui rapportait des revenus réguliers et conséquents.
Par ailleurs, s’agissant de la perte de chance de retrouver du travail à l’issue de son incarcération, M. [C] ne produit aucun élément qui laisse à penser qu’il a entrepris des recherches pour exercer une activité professionnelle à l’issue de son élargissement de la maison d’arrêt. Il est seulement indiqué qu’il aurait repris une activité professionnelle en 2018, étant rappelé par ailleurs que selon le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire, M. [C] a été incarcéré en 2019 pour une durée de 6 mois en exécution d’une condamnation du 3 mars 2017 du tribunal correctionnel de Paris pour infractions à la législation sur les stupéfiants. C’est ainsi qu’il n’est pas démontré l’existence d’une perte de chance de retrouver rapidement une activité professionnelle.
S’agissant de la demande de remboursement des frais d’avocat, il y a lieu de noter que la facture d’honoraires produite est libellé comme suit : ‘instruction 6 000 euros dont visites à la maison d’arrêt et préparation du dossier 4 800 euros, audience TJ Paris 1 000 euros, audience CA Paris 1 000 euros, soit total HT 12 800 euros’. C’est ainsi que les honoraires liés à l’instruction, à les audiences devant le tribunal judiciaire et la cour d’appel ne sont pas directement en lien avec le placement en détention provisoire de M. [C].
Dans la mesure où la jurisprudence de la Commission nationale de la réparation est de considérer qu’il n’appartient pas au juge de l’indemnisation de la détention de procéder lui-même à l’individualisation des prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté, il y a lieu de rejeter cette demande non ventilée.
Il lui sera alloué une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Les décisions accordant une réparation sont assorties de plein droit de l’exécution provisoire par application de l’article R.40 du code de procédure pénale de sorte qu’il n’y a pas lieu de l’ordonner.
PAR CES MOTIFS
Déclarons la requête de M. [P] [C] recevable,
Lui allouons les sommes suivantes :
– 18 500 euros en réparation de son préjudice moral,
– 2 000 euros euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboutons M. [P] [C] de sa demande au titre de la réparation de son préjudice matériel,
Laissons les dépens à la charge de l’Etat.
Décision rendue le 04 Décembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ