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Une oeuvre, incorporée ou non à un autre support, peut être détruite pour des raisons de sécurité, sans porter atteinte au droit moral de l’auteur.
Une fresque est une oeuvre incorporée à son support et son auteur ne peut ignorer cette particularité. Sauf preuve d’une possibilité technique de dissociation, il en résulte que la destruction du support entraîne irrévocablement la destruction de l’oeuvre elle-même.
Dans le cas d’espèce, il ressort du rapport du commissaire enquêteur que l’amphithéâtre abritant la fresque n’était pas conforme aux normes de sécurité.
Il apparaît dès lors que sa destruction était imposée par des considérations de sécurité imposées notamment par la fréquentation par des enfants en âge scolaire.
Le maître d’oeuvre chargé de la démolition indique par ailleurs dans un courrier du 24 juillet 2014 que la dépose de la fresque était du fait de sa fragilité impossible.
Si enfin le commissaire enquêteur a préconisé dans ses recommandations de prendre des photographies de la fresque afin d’en assurer la mémoire, cette recommandation n’a aucune force obligatoire et en toute hypothèse n’était pas de nature à éviter le préjudice moral lié à la destruction elle-même.
Il apparaît en conséquence que la mesure de destruction du mur porteur a été dictée par un souci de sécurité publique, et que la disparition de la fresque en constituait une conséquence inévitable et au demeurant prévisible pour l’artiste.
Dès lors l’atteinte au droit moral de l’artiste sur son oeuvre ne peut être considérée comme fautive et donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts.
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-1
ARRÊT AU FOND
DU 08 DECEMBRE 2022
N° 2022/ 355
N° RG 19/11225 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BESY3
[U] [N]
C/
Commune [Localité 4]
Société SOCIETE D’AMENAGEMENT DE MONTPELLIER MEDITERRANEE METROPOLE (SA3M)
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Agnès ERMENEUX
Me Martine DESOMBRE
Me Régis CONSTANS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 21 Mars 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 16/14386.
APPELANT
Monsieur [U] [N], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Jean Louis PERU, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
Commune de [Localité 4], prise en la personne de son maire en exercice, [Adresse 2]
représentée par Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Claire GUY, avocat au barreau de MONTPELLIER
SOCIETE D’AMENAGEMENT DE MONTPELLIER MEDITERRANEE METROPOLE (SA3M), dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Régis CONSTANS de la SCP VPNG, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Aouatef DUVAL-ZOUARI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 24 Octobre 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Monsieur Pierre CALLOCH, Président, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Pierre CALLOCH, Président
Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère
Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Mme Marie PARANQUE
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Décembre 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Décembre 2022,
Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et Madame Marie PARANQUE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Courant 1997, monsieur [U] [N] et monsieur [T] ont réalisé une fresque décorative sur le mur de l’amphithéâtre de la commune de [Localité 4].
Par délibération datée du 30 juillet 2014, la commune de [Localité 4] a décidé de céder la parcelle sur laquelle était édifié le mur supportant la fresque à la Société d’aménagement de l’agglomération de Montpellier (ci après la SAAM) afin d’agrandir un parc de stationnement. L’amphithéâtre, et la fresque, ont été détruits en août 2014.
Par actes en date des 29 et 30 novembre 2014, monsieur [N] a fait assigner la commune de [Localité 4] et la SAAM devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE afin de faire constater le préjudice subi du fait de la destruction de son oeuvre et la condamnation des défenderesses à lui verser une somme de 100 000 € de dommages-intérêts, outre 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Suivant jugement daté du 21 mars 2019, le tribunal a déclaré monsieur [N] irrecevable en ses demandes et l’a condamné à verser aux défenderesses une somme de 1 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [N] a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 11 juillet 2019.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l’instruction par ordonnance datée du 26 septembre 2022 renvoyant l’examen de l’affaire à l’audience du 24 octobre 2022.
A l’appui de son appel, suivant conclusions déposées par voie électronique le 16 février 2021, monsieur [N] indique que si la mosaïque constitue une oeuvre de l’esprit au sens du code de la propriété intellectuelle, il conteste la qualification donnée par les premiers juges d’oeuvre collective. Il relève notamment que la commune n’est pas à l’initiative de la création de l’oeuvre, mais monsieur [B], architecte, que l’oeuvre a été divulgué sous son nom et celui de monsieur [T], et non sous le nom de la commune et que cette dernière n’a eu aucun rôle de direction et de maîtrise d’oeuvre intellectuelle. Il précise que les contributions de deux auteurs sont parfaitement identifiables, lui-même étant à l’origine des dessins de la fresque et monsieur [T] réalisant la fresque sous sa direction.
Monsieur [N] invoque une faute de la commune, celle ci ayant détruit l’oeuvre contre la volonté de son auteur, et ce alors qu’elle n’établit pas que la conservation de la fresque était impossible malgré les travaux. Il fait observer qu’aucun motif tenant à la sécurité publique n’est étayé et rappelle les conditions dans lesquelles a eu lieu la
démolition. Il excipe d’un préjudice moral lié à la destruction de l’oeuvre dont il rappelle l’importance pour la population locale. Monsieur [N] conclut en conséquence à l’infirmation de la décision et demande à la cour de condamner la commune et la société SAAM à lui verser une somme de 100 000 € au titre de dommages-intérêts, outre 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La commune de [Localité 4], suivant conclusions déposées par voie électronique le 18 décembre 2019, conclut à la confirmation de la décision, soutenant que monsieur [N] n’établit ni le caractère d’oeuvre de l’esprit de la fresque, ni la titularité des droits, rappelant que l’intéressé a exécuté la fresque dans le cadre d’un contrat emploi solidarité. Elle reprend l’analyse du tribunal qualifiant l’oeuvre d’oeuvre collective. Subsidiairement, la commune de [Localité 4] soutient que la destruction du mur servant de support à la fresque s’imposait pour des raisons de sécurité publique et qu’il convient d’en tenir compte pour apprécier l’atteinte éventuelle au droit moral de l’auteur. Plus subsidiairement, elle affirme que la preuve du préjudice n’est pas rapportée. Elle conclut en conséquence à la confirmation de la décision et plus subsidiairement au débouté de monsieur [N], celui ci étant condamné à lui verser une somme de 2 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La SAAM, suivant conclusions déposées par voie électronique le 7 janvier 2020, rappelle être intervenue dans le cadre de la création d’une ZAD et précise que monsieur [N] avait déjà contesté en référé la destruction de la mosaïque. Elle conclut à la confirmation de la décision déférée ayant déclaré la demande irrecevable, affirmant que monsieur [N] ne prouve ni la qualité d’oeuvre de l’esprit de la fresque, ni la titularité des droits. A titre subsidiaire, elle invoque les limites apportées au droit moral de l’auteur en présence d’une oeuvre architecturale et indique notamment qu’il était impossible de détruire le mur en conservant la fresque. Elle soutient enfin qu’aucun élément ne permet de retenir le chiffrage effectué par monsieur [N] de son préjudice. Elle conclut en conséquence à la confirmation de la décision déférée et subsidiairement au débouté de monsieur [N], plus subsidiairement encore à la réduction des dommages-intérêts, et en toute hypothèse à sa condamnation au paiement d’une somme de 5 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L’oeuvre collective est définie par l’article L 113-2 du code de la propriété intellectuelle comme l’oeuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ; ainsi définie, cette oeuvre nécessite l’existence de plusieurs auteurs, mais aussi celle d’un maître d’oeuvre dirigeant le processus créatif.
En l’espèce, la fresque revendiquée par monsieur [N] a fait l’objet d’une commande par la commune de [Localité 4], commande informelle qui n’a été matérialisée par aucun appel d’offre, ni aucun document écrit ; en admettant même que la
commune ait donné aux artistes des indications sur le sujet à traiter, rappelant notamment la nécessité d’illustrer le patrimoine culturel et historique de la cité, cette simple indication ne peut être considérée comme constituant un ensemble de règles imposées aux auteurs et constituant un acte de maîtrise d’oeuvre ; c’est donc à tort que les premiers juges ont considéré que la fresque était une oeuvre collective créée sous la direction de la commune et par elle divulguée et qu’en conséquence monsieur [N] était irrecevable à exciper des droits ; il convient en conséquence d’infirmer le jugement.
La fresque a été créée par monsieur [N] avec l’assistance de monsieur [T] ; il résulte des deux reproductions versées aux débats que cette fresque présente par son sujet et son traitement, composition alliant divers éléments du patrimoine local en un style graphique aisément identifiable, des éléments caractéristiques permettant de mettre en lumière la personnalité de leurs auteurs ; cette fresque doit être en conséquence considérée comme originale au sens du droit de la propriété intellectuelle et éligible à la protection offerte par le livre premier du Code de la propriété intellectuelle.
Cette fresque constitue une oeuvre de collaboration et est donc soumise aux dispositions de l’article L 113-3 du Code de la propriété intellectuelle ; il est de principe jurisprudentiel qu’en matière de protection des droits moraux, un seul auteur peut agir, et ce quand bien même les autres auteurs sont défaillants ou ont expressément renoncé à leur droit ; le fait que monsieur [T], le second auteur, ait par écrit donné son accord pour la destruction de la fresque ne rend dès lors par irrecevable l’action formée par monsieur [N] sur le fondement de ses droits moraux.
Il ne peut être contesté qu’une fresque est une oeuvre incorporée à son support et que son auteur ne peut ignorer cette particularité ; sauf preuve d’une possibilité technique de dissociation, il en résulte que la destruction du support entraîne irrévocablement la destruction de l’oeuvre elle-même ; dans le cas d’espèce, il ressort du rapport du commissaire enquêteur que l’amphithéâtre abritant la fresque n’était pas conforme aux normes de sécurité ; il apparaît dès lors que sa destruction était imposée par des considérations de sécurité imposées notamment par la fréquentation par des enfants en âge scolaire ; le maître d’oeuvre chargé de la démolition indique par ailleurs dans un courrier du 24 juillet 2014 que la dépose de la fresque était du fait de sa fragilité impossible ; si enfin le commissaire enquêteur a préconisé dans ses recommandations de prendre des photographies de la fresque afin d’en assurer la mémoire, cette recommandation n’a aucune force obligatoire et en toute hypothèse n’était pas de nature à éviter le préjudice moral lié à la destruction elle-même ; il apparaît en conséquence que la mesure de destruction du mur porteur a été dictée par un souci de sécurité publique, et que la disparition de la fresque en constituait une conséquence inévitable et au demeurant prévisible pour l’artiste ; dès lors l’atteinte au droit moral de monsieur [N] sur son oeuvre ne peut être considérée comme fautive et donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts.
En raison des circonstances de l’espèce, il serait inéquitable de faire application de l’article 700 du code de procédure civile à l’encontre de la partie succombante.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
— INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de MARSEILLE du 21 mars 2019 dans l’intégralité de ses dispositions,
Statuant à nouveau,
— DÉCLARE monsieur [N] recevable en son action.
— DÉBOUTE au fond monsieur [N] de l’intégralité de ses demandes.
— DEBOUTE les parties de leurs demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile.
— MET l’intégralité des dépens à la charge de monsieur [N], dont distraction au profit des avocats à la cause en ayant fait la demande.
LA GREFFIERE LE PRÉSIDENT