7 septembre 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
22/03449
N° RG 22/03449 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JGNW
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE DE LA PROXIMITE
ARRET DU 07 SEPTEMBRE 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
2021F00161
Jugement du tribunal de Commerce d’Evreux du 08 septembre 2022
APPELANTS :
Monsieur [E] [O]
né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 8]
[Adresse 6]
[Localité 5]
représenté par Me François DELACROIX de la SELARL SELARL DELACROIX, avocat au barreau de l’EURE postulant de Me Jérémie BOULAIRE, membre de la SELARL BOUIRE, avocat au barreau de DOUAI
Madame [B] [H] [N] épouse [O]
née le [Date naissance 3] 1980 à [Localité 7]
[Adresse 6]
[Localité 5]
représentée par Me François DELACROIX de la SELARL SELARL DELACROIX, avocat au barreau de L’EURE postulant de Me Jérémie BOULAIRE, membre de la SELARL BOUIRE, avocat au barreau de DOUAI
INTIMEE :
S.A. BNP PARIBAS
Immatriculée au RCS de Paris n°662 042 449
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par son directeur général
représentée et assistée par Me Anne THIRION – CASONI, avocat au barreau de ROUEN postulante de Me Sébastien ZIEGLER, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 12 juin 2023 sans opposition des avocats devant Madame GERMAIN, conseillère, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Madame GOUARIN, présidente
Madame TILLIEZ, conseillère
Madame GERMAIN, conseillère
DEBATS :
Madame DUPONT greffière
Á l’audience publique du 12 juin 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 07 septembre 2023
ARRET :
Contradictoire
Prononcé publiquement le 07 septembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame GOUARIN, présidente et par Madame DUPONT, greffière lors de la mise à disposition.
Exposé des faits et de la procédure
M. [E] [O] et Mme [B] [V] [N] épouse [O] ont souscrit un prêt immobilier auprès de la société BNP Paribas le 20 mai 2008 décomposé comme suit :
– un prêt immobilier d’un montant de 149 602 euros au taux plein (4,99% l’an) remboursable en 300 mensualités,
– un nouveau prêt à 0% d’un montant de 24 000 euros remboursable en 72 mensualités.
Se prévalant d’une expertise amiable effectuée par M. [Z] et considérant que l’offre de prêt comportait des irrégularités, ils ont fait assigner la société BNP Paribas devant le tribunal de commerce d’Evreux pour faire valoir les éléments du rapport et obtenir réparation des indemnités financières sur les différents points de ce rapport.
Par jugement du 8 septembre 2022, le tribunal de commerce d’Evreux a :
– à titre principal, déclaré irrecevable et prescrite l’ensemble des demandes de M. [E] [O] et Mme [B] [V] [N],
– subsidiairement, débouté M. [E] [O] et Mme [B] [V] [N] de l’ensemble de leurs demandes
– condamné M. [E] [O] et Mme [B] [V] [N] à payer à la BNP une somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– après avoir fait masse des dépens, condamné M. [E] [O] et Mme [B] [V] [N] aux entiers dépens dont frais de greffe de la présente décision liquidés à la somme de 89,67 euros,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] ont relevé appel de cette décision suivant déclaration reçue le 20 octobre 2022.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 juin 2023
Exposé des prétentions des parties
Par conclusions récapitulatives reçues le 26 mai 2023, M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] demandent à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau et y ajoutant :
– déclarer les demandes de M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] recevables et bien fondées
– constater que les frais de période d’utilisation ont été minorés par l’effet d’une clause abusive ; en écarter l’application ;
– prononcer l’annulation de la stipulation d’intérêts du contrat initial souscrit par M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N];
– ordonner en conséquence la substitution du taux d’intérêt légal au taux contractuel depuis la souscription du contrat initial souscrit par M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] ;
En tout état de cause,
– prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts au titre du prêt souscrit par M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] auprès de la société BNP Paribas,
– condamner la société BNP Paribas à payer à M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] une indemnité pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle ;
– fixer le montant de cette indemnité à une somme correspondant au montant total des intérêts et frais payés par M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] en exécution du prêt,
– condamner la société BNP Paribas à payer à M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeter toutes demandes et prétentions contraires de la société BNP Paribas,
– condamner la société BNP Paribas aux entiers dépens de l’instance.
Par dernières conclusions reçues le 1er juin 2023 la société BNP Paribas demande à la cour de :
– dire irrecevables et prescrites les demandes de M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] et confirmer le jugement.
A titre subsidiaire :
– débouter M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] de leurs demandes et confirmer le jugement.
En toute hypothèse :
– condamner in solidum M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] à payer à la société BNP Paribas la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour l’exposé des moyens développés par celles-ci.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le caractère abusif de la clause insérée au contrat
M et Mme [O] soutiennent que la clause relative au coût du crédit est abusive car l’évaluation qui en résulte ne repose sur rien. Ils font valoir que cette clause qui limite sur la base d’une pure hypothèse le montant à 9 731,88 euros a pour seul objet et pour effet de minimiser et partant d’occulter le coût maximum prévisionnel et qu’une telle stipulation implique incontestablement un déséquilibre significatif au détriment des emprunteurs.
L’article L313-2 ancien du code de la consommation applicable au litige, précise que le TEG déterminé comme il est dit à l’article L313-1 du même code doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt.
L’article L132-1 ancien du code de la consommation dans sa version applicable au litige dispose que «dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat».
Il ajoute que «sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat.
L’article L313-1 ancien du code de la consommation dans sa version applicable au litige dispose que «dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels.
Toutefois, pour l’application des articles L. 312-4 à L. 312-8, les charges liées aux garanties dont les crédits sont éventuellement assortis ainsi que les honoraires d’officiers ministériels ne sont pas compris dans le taux effectif global défini ci-dessus, lorsque leur montant ne peut être indiqué avec précision antérieurement à la conclusion définitive du contrat.
En outre, pour les prêts qui font l’objet d’un amortissement échelonné, le taux effectif global doit être calculé en tenant compte des modalités de l’amortissement de la créance».
Il résulte de ces dispositions que les intérêts et frais dus au titre de la période de préfinancement sont liés à l’octroi du prêt et entrent dans le calcul du taux effectif global, sous réserve qu’ils soient déterminables lors de la conclusion du contrat. Tel n’est pas le cas des intérêts dus au titre du capital libéré de manière progressive au cours de cette période, dès lors que leur montant dépend du rythme de cette libération, inconnu des parties lors de la souscription du prêt .
En l’espèce le paragraphe ‘ coût du crédit global’ est ainsi rédigé :
‘ En raison du caractère incertain des dates et du montant des utilisations, le montant des intérêts en période d’utilisation ne peut être qu’estimé selon l’hypothèse d’une utilisation linéaire du crédit tout au long de cette période ( déblocage fractionnel sur toute la durée de la période d’utilisation).
Le coût total du crédit est donc calculé en tenant compte :
– du montant des cotisations à l’assurance-groupe s’il y a lieu, estimé pendant la période de disponibilité
– du montant des intérêts et s’il y a lieu, celui des cotisations à l’assurance-groupe estimés pendant la période d’utilisation
– du montant des intérêts et, s’il y a lieu, celui des cotisations à l’assurance -groupe dûs au titre de la période de remboursement
montant estimé des cotisations à l’assurance-groupe de la
période de disponibilité et d’utilisation 1 955,72 euros
montant estimé des intérêts de la période d’utilisation 7 776,16 euros
montant des cotisations à l’assurance-groupe de la période
de remboursement 18 695,40 euros
montant des intérêts de la période de remboursement 125 042,84 euros
montant des frais de dossier 500,00 euros
montant estimé des sûretés 1 682,00 euros
Le taux effectif global est un taux annuel calculé selon la méthode proportionnelle à partir du taux de période défini ci-dessus en tenant compte de l’hypothèse de calcul retenue en cas de période d’utilisation.
En fonction du coût total ci-dessus le taux effectif global s’élèverait à 5,836 % l’an pour le Prêt Immobilier.
En fonction du coût total ci-dessus, le taux effectif global s’élèverait à 0,898% l’an pour le nouveau prêt à 0%’.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la phase de préfinancement comportait de nombreux aléas tenant au nombre de déblocage des fonds et à leur date.
Aucun élément des pièces produites ne permet de déduire que les parties connaissaient lors de la souscription du prêt le rythme de la libération des fonds.
En conséquence, il faut considérer qu’il n’est pas établi que les intérêts et frais dus au titre de la période de préfinancement étaient déterminables et d’ailleurs en l’espèce il a bien été précisé dans les conditions de calcul que les montants des intérêts et des frais de dossier étaient estimés, lors de la conclusion du contrat et qu’ils devaient être intégrés dans le TEG.
Cette clause est en outre rédigée de manière claire et compréhensible, puisqu’à sa lecture les époux [O] pouvaient avoir connaissance de ce que les intérêts et frais dus pendant la période de préfinancement étaient estimés et non déterminés.
La banque a informé de façon loyale et équitable les époux [O], que les intérêts étaient déterminables en fonction d’un certain nombre d’aléas repris au contrat.
Dès lors, il faut considérer qu’il n’est pas justifié que cette clause entraîne un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
M et Mme [O] seront déboutés de leur demande tendant à voir déclarer abusive ladite clause.
Sur la nullité de la stipulation d’intérêts
M. et Mme [O] sollicitent la nullité de la clause d’intérêt au motif que selon eux le contrat comporte une clause abusive. Toutefois, outre qu’une clause abusive n’entraîne pas sa nullité mais est réputée non écrite, en tout état de cause la clause invoquée n’étant pas abusive, il y a lieu de les débouter de cette demande.
Sur la recevabilité de la demande de déchéance du droit aux intérêts
M. et Mme [O] sollicitent la déchéance du droit aux intérêts du prêteur au motif qu’il y aurait une erreur résultant de l’omission des frais dans la période de préfinancement, en raison de l’absence du coût total maximum du crédit. Ils reprochent en outre à la société BNP Paribas d’avoir construit son offre en articulant deux lignes de crédit : un prêt immobilier de 149 602 euros au taux de 4,99% l’an et un prêt crédit à taux zero, soutenant que ce mode d’amortissement conduit à maximiser le coût des intérêts d’emprunt au seul profit de la banque, sous couvert d’un taux zéro.
La banque invoque la prescription de ces demandes, soutenant qu’il suffisait de lire l’offre pour déterminer que le coût total du financement était estimé sur la base d’une hypothèse et que force est de constater que les appelants n’ont eux-mêmes besoin d’aucun autre élément que l’offre pour soutenir une telle absence.
L’action tendant au prononcé de la déchéance du droit aux intérêts fondée sur l’erreur affectant le TEG indiqué dans l’offre de prêt, prévue par l’article L312-33 du code de la consommation dans sa version applicable au litige, relève du régime de la prescription quinquennale de l’article L110-4 du code de commerce, dans sa version en vigueur à compter du 19 juin 2008 applicable au litige.
Le point de départ de cette prescription, qui s’applique même si le prêt est en cours d’exécution, se situe à la date à laquelle l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur, c’est-à-dire la date de la convention, jour de l’acceptation de l’offre, lorsque l’examen de sa teneur permet de constater l’erreur, ou lorsque tel n’est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l’emprunteur.
La prescription de l’action ne s’apprécie pas grief par grief, de sorte que la découverte d’erreurs dont les emprunteurs n’ont pu avoir connaissance par la seule lecture du contrat ne permet pas de reporter le point de départ de la prescription lorsque certains des griefs invoqués étaient détectables par le simple examen de l’offre. En conséquence, si une seule des irrégularités pouvait être décelée à la simple lecture de l’offre de prêt, le point de départ du délai de prescription de l’action doit être fixé au jour de l’acceptation de l’offre sans report possible tiré de la révélation des autres irrégularités invoquées.
En l’espèce M. et Mme [O] invoquent à l’appui de leur demande tendant à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts l’absence de mention du coût total maximum du crédit, alors qu’un tel coût devait selon eux figurer sur l’offre en application de l’article L312-8 ancien du code de la consommation .
Selon eux, le coût du crédit ne devait pas inclure une estimation du montant des intérêts lors d’une période d’utilisation, mais la totalité des intérêts possibles au cours de cette période et ils soutiennent que l’offre de prêt ne fait aucune liquidation de cette somme mais retient sur la base totalement arbitraire d’une pure hypothèse, une évaluation limitée à la somme de 9 731,88 euros.
Or un tel grief, à supposer qu’il soit constitué, pouvait être décelable à la seule lecture de l’offre puisque l’offre indique que ‘ le coût total du crédit en raison de son caractère incertain(…) ne peut qu’être estimé selon l’hypothèse d’une utilisation liénaire du crédit tout au long de cette période . Et ajoute ‘ un montant estimé des intérêts au cours de la période d’utilisation’ et ‘ un coût total du financement estimé’.
Il convient ainsi de relever que l’absence de prise en compte des intérêts intercalaires dans la phase de préfinancement était connue des emprunteurs dès la signature du contrat. Ils étaient donc en mesure, dès la réception de l’offre, de vérifier par eux-mêmes ou en s’en remettant à un tiers, l’exactitude du mode de calcul du TEG.
Il s’en déduit que le point de départ du délai de prescription de cinq ans de l’action doit être fixé au jour de l’acceptation de l’offre, soit au 20 mai 2008, sans report possible tiré de la révélation postérieure des autres irrégularités invoquées. Ce délai s’achevait le 20 mai 2013.
L’assignation, interruptive du délai de prescription n’ayant été délivrée que le 18 mars 2019, soit postérieurement au terme de ce délai, il convient de déclarer irrecevables les prétentions formées par M. et Mme [O] tendant à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts à l’encontre de la BNP Paribas ainsi que par voie de conséquence leur demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté.
Sur les frais et dépens
Les dispositions du jugement déféré à ce titre seront confirmées.
La charge des dépens d’appel sera supportée par M. et Mme [O] conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
En outre il serait inéquitable de laisser à la charge de la société BNP Paribas les frais irrépétibles exposés à l’occasion de l’instance d’appel.
Aussi M. et Mme [O] seront- ils condamnés in solidum à lui verser la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et déboutés de leur demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement dans ses dispositions déférées à la cour,
Y ajoutant,
Déboute M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] de leur demande de nullité de la clause de stipulation d’intérêt,
Déclare irrecevable la demande de déchéance du droit aux intérêts ;
Condamne in solidum M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] aux dépens,
Condamne in solidum M. [E] [O] et Mme [B] [H] [N] à payer à la société BNP Paribas la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente