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7 juin 2023
Cour d’appel de Toulouse
RG n°
21/05090
07/06/2023
ARRÊT N°260
N° RG 21/05090 – N° Portalis DBVI-V-B7F-ORB6
FP/CO
Décision déférée du 13 Décembre 2021 – Tribunal de Commerce de TOULOUSE ( 2020J00257)
M.RIGAUD
[P], [T], [W] [K]
C/
S.A. CAFPI
infirmation
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANT(E/S)
Monsieur [P], [T], [W] [K]
[Adresse 3]
[Localité 9]
Représenté par Me Myriam KHOUINI-VIE, avocat au barreau de TOULOUSE
Représenté par Me Nicolas AUCLAIR, avocat au barreau de PARIS
INTIME(E/S)
S.A. CAFPI
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Marie-elodie ROCA de l’AARPI LAUNOIS-ROCA, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Jean-claude BOUHENIC, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant F.PENAVAYRE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles , chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
M. NORGUET, conseillère
F.PENAVAYRE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. OULIE
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par V. SALMERON, présidente, et par C. OULIE, greffier de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE
La CAFPI a une activité de courtage en opérations de banque et en services de paiement. Elle gère un réseau de 230 agences implantées sur le territoire national.
Monsieur [K] est inscrit à l’ORIAS en tant que mandataire d’intermédiaire en opérations de banque et services de paiement (MIOB) depuis le 1er juin 2017. Il a signé le 1er juin 2017 un contrat de mandataire d’intermédiaire en opérations de banque pour une durée de 1 an renouvelable avec la société CAFPI et est rattaché à l’agence de [Localité 9] .
Le contrat contient en son article 5.3une clause de non-concurrence qui lui fait interdiction de se réinstaller dans une activité concurrente pendant un délai de deux ans et dans un rayon de 80 km après la fin de son contrat.
Monsieur [K] a démissionné le 16 janvier 2019 et la société CAFPI a pris acte de la rupture du contrat à compter du 14 février 2019.
Courant juin 2019 Monsieur [K] a rejoint la société DSFJ qui a pour nom commercial Finance Conseil qui est inscrite en tant que courtier en prêts immobiliers auprès de l’ORIAS.
Par lettre des 21 juin 2019 et 6 août 2019, la société CAFPI a mis en demeure Monsieur [K] de respecter la clause de non-concurrence stipulée à l’article 5. 3 du contrat.
Par acte d’huissier du 20 mai 2020, la SA CAFPI a assigné Monsieur [P] [K] devant le tribunal de Commerce de Toulouse pour l’entendre condamner à lui payer la somme de 49 950 € en vertu de la clause de non-concurrence outre les accessoires.
Par jugement du13 décembre 2021, le tribunal de Commerce de Toulouse a :
-condamné Monsieur [P] [K] à payer à la SA CAFPI la somme de 27 000 € au titre de la clause de non-concurrence, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement
-débouté Monsieur [K] de toutes ses demandes et arguments
-condamné Monsieur [P] [K] à payer à la SA CAFPI la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamné aux dépens de l’instance.
Le tribunal a déclaré valide la clause de non-concurrence insérée au contrat du 1er juin 2017 et constatant la violation par Monsieur [K] de cette clause après sa démission, l’a condamné à payer l’indemnité prévue au contrat qu’il a analysée en une clause pénale et modérée à hauteur de six mois (soit 180 jours à 150 € par jour) outre les intérêts au taux légal.
Par déclaration enregistrée au greffe le 26 décembre 2021, Monsieur [P] [K] a formé appel à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de Commerce de Toulouse le 13 décembre 2021 qu’il critique en toutes les dispositions ci-dessus rappelées.
Au terme de ses conclusions récapitulatives notifiées le 12 janvier 2023, Monsieur [P] [K] demande à la cour, sur le fondement des articles 1102, 1171 et 1240 du Code civil, L 442-6 I 2° du code de commerce, 32-1 du code de procédure civile :
-d’infirmer le jugement du tribunal de commerce du 13 décembre 2021 en ce qu’il l’a condamné à payer à la SA CAFPI la somme de 27 000 € au titre de la clause de non-concurrence, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement, a débouté Monsieur [K] de toutes ses demandes et arguments,l’a condamné à payer à la SA CAFPI la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens de l’instance
-de juger la clause de non-concurrence nulle car elle a une durée excessive et/ou un périmètre excessif
-de juger que la clause de non-concurrence crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties
-de la dire non écrite
En conséquence :
-d’annuler la décision du tribunal et y suppléant d’autres motifs, de faire droit aux demandes de Monsieur [K] visant à la nullité de la clause de non-concurrence
À titre subsidiaire :
-de juger que la clause litigieuse est une clause pénale, de dire qu’elle prévoit une indemnisation manifestement excessive, de procéder à la réfaction de la clause pour un montant inférieur à la somme de 27 000 €
En tout état de cause :
-de débouter la CAFPI de ses demandés et arguments
-de la condamner à lui verser la somme de 8000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l’instance.
Monsieur [K] soutient à titre principal que c’est à tort que le tribunal de commerce a reconnu la validité de la clause de non-concurrence stipulée au contrat alors qu’elle a une durée manifestement excessive laquelle a été reconnue de façon constante par la jurisprudence (notamment de la cour d’appel de Paris ) et par la CAFPI elle-même qui a réduit sa durée à 1 an dans ses nouveaux contrats. Au surplus la clause est d’un périmètre excessif (80 km ) et la CAFPI l’a également réduit depuis 2022. Elle est disproportionnée eu égard aux intérêts du créancier de l’obligation et doit être déclarée non écrite .
Il soutient également que la clause doit être réputée non écrite en application des dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations car elle crée un déséquilibre significatif entre les parties au sens de l’article 1171 du Code civil. Il fait valoir enfin qu’une clause de non-concurrence qui est non écrite ne peut être sauvée par une réduction de son montant.
À défaut, il demande de retenir la qualification de clause pénale et de procéder à la réduction du montant forfaitaire prévu pour une somme bien inférieure à celle retenue par les premiers juges. Enfin il conclut au rejet des demandes de la CAFPI qui sollicite le plein effet de la clause et subsidiairement, sa modération pour un montant supérieur à celui retenu en première instance
La SA CAFPI a notifié ses dernières conclusions portant appel incident par RPVA du 1er avril 2022. Elle demande à la cour :
-de confirmer la décision du tribunal de commerce du 13 décembre 2021 en ce qu’elle a validé la clause de non-concurrence
-d’infirmer la décision en ce qu’elle a réduit le montant de la clause pénale
En conséquence :
-de condamner Monsieur [K] à lui régler la somme de 93 600 € correspondant aux 624 jours écoulés entre le 1er juin 2019 et le 13 février 2021 (soit pendant deux ans) en application du contrat, assortie des intérêts au taux légal commençant à courir au jour de la signification de la décision à venir
-de débouter Monsieur [K] de ses demandes
À titre subsidiaire :
-de confirmer la décision du tribunal de Commerce en ce qu’elle a ramené l’indemnité contractuelle allouée à la somme de 27 000 € assortie des intérêts au taux légal commençant à courir au jour de la signification de l’arrêt
En tout état de cause :
-de débouter Monsieur [K] de ses demandes et arguments
-de le condamner à lui régler la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
-de le condamner aux dépens.
Elle fait valoir, à titre principal, que la clause de non-concurrence doit s’appliquer dès lors que Monsieur [K] a incontestablement violé son engagement de non-concurrence en travaillant pour la société Finance Conseil qui exerce une activité concurrente, l’ activité d’intermédiation en opérations de banque et services de paiement. Elle soutient que la jurisprudence produite par l’appelant concerne le statut des agents commerciaux qui est régi par les dispositions de l’article L134-14 du code de commerce et non pas celui de MIOB qui est régi par le décret n° 2012-101 du 26 janvier 2012, relève de dispositions législatives particulières et n’est pas transposable en l’espèce.
En ce qui concerne la validité de la clause, elle prétend que la clause litigieuse est à la fois limitée dans l’espace , dans son objet qui est précisément déterminé, et dans le temps et qu’enfin la clause poursuit un but légitime (en pérennisant le lien entre le MIOB et son réseau d’apporteurs d’affaires locaux dont elle assure une part de rémunération conséquente) .La clause est proportionnée aux intérêts de la CAFPI eu égard aux délais moyens nécessaires à un MIOB débutant pour atteindre sa capacité optimale qui est de deux ans.
À titre subsidiaire, elle demande d’infirmer la décision en ce qu’elle a réduit l’indemnité contractuelle allouée et de condamner Monsieur [K] à lui payer une somme suffisamment dissuasive qui ne saurait être inférieure à 60 000 €.
Il y a lieu de se reporter expressément aux conclusions susvisées pour plus ample informé sur les faits de la cause, moyens et prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est en date du 6 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la validité de la clause de non-concurrence :
La clause contractuelle prévue à l’article 5. 3 du contrat conclu le 1er juin 2017 est ainsi libellée : « le mandataire s’interdit, pendant une durée de deux ans après la cessation du présent contrat pour quelque cause que ce soit, dans un rayon de 80 km autour de l’agence de [Localité 9] située [Adresse 1], de s’intéresser directement ou indirectement à des activités concurrentes de celles exploitées par le Mandant, et notamment d’accepter la représentation des produits ou services d’une entreprise concurrente du Mandant, sur le territoire, pour les produits et services ainsi que la clientèle objet du présent contrat.
Toutes infraction à cette clause exposerait le mandataire au paiement d’une indemnité fixée forfaitairement à 150 € par jour durant la période de cette infraction ».
Monsieur [K] ne conteste pas exercer depuis la fin de son contrat avec la société CAFPI une activité qui entre dans le champ d’application de la clause de non-concurrence par son objet puisqu’aussi bien la société DSFJ qui a pour nom commercial Finance Conseil que son mandant précédent exercent, selon leurs Kbis , « toutes activités de courtage en opérations de banque et en services de paiement, en assurance-crédit, en produits d’assurance et en produits financiers et toutes autres activités accessoires ».
Par contre il conteste la validité de la clause en demandant de l’annuler ou de la réputer non écrite dès lors qu’une durée de deux ans est manifestement disproportionnée au regard de la jurisprudence, et que le périmètre de limitation de 80 km est également manifestement excessif au regard des objectifs de la clause. Il fait valoir que depuis les arrêts de la cour d’appel de Paris qui ont réputée non écrite ladite clause aussi bien dans les contrats d’agents commerciaux que de MIOB, la société CAFPI en a tiré toutes les conséquences puisqu’elle a réduit sa durée à un an dans les nouveaux contrats et a également réduit le périmètre à 5 km en Île-de-France et dans 21 métropoles et à 10 km pour le reste de la France .
Les clauses contractuelles de non-concurrence qui apportent des restrictions à la liberté du travail et du commerce ne sont licites que si elles sont limitées dans le temps et l’espace et sont proportionnées à la protection des intérêts légitimes du créancier de l’obligation.
Il est fait justement observer en l’espèce que le périmètre d’interdiction de 80 km est manifestement excessif dès lors qu’il interdit au mandataire démissionnaire, non seulement d’exercer son activité dans l’agglomération Toulousaine où il a implanté son activité mais également dans tout le département de la Haute-Garonne et que l’interdiction s’étend aux principaux chefs-lieu des départements environnants puisque [Localité 8] se situe à 45 km, [Localité 5] à 77 km kilomètres, [Localité 6] et [Localité 7] à 78 km. Le périmètre ainsi défini est excessif pour lui interdire d’exercer une activité commerciale identique en dehors des grands centres urbains de la région qui sont les plus dynamiques et où se concentrent les principaux investisseurs et partenaires financiers.
Par ailleurs la durée de la clause ( 2 ans) est également manifestement excessive au regard de la durée initiale du contrat de 1 an renouvelable et de la durée effective d’exercice au sein de la CAFPI que Monsieur [K] a quittée au bout d’un an et demi.
Elle empêche la reconversion de l’ ancien mandataire après la rupture du contrat « pour quelque cause que ce soit » y compris lorsqu’il n’en est pas à l’initiative et édicte une interdiction générale d’exercice d’une durée de deux ans à l’activité professionnelle du MIOB dans un périmètre excessif au regard de son lieu d’implantation.
Il n’est d’ailleurs pas contesté que dans ses nouveaux contrats , la société CAFPI a réduit la durée de la clause à un an et limité le périmètre d’interdiction à 5 km en province autour des principales métropoles et à 10 km pour le reste de la France, ce qui démontre qu’elle a tiré les conséquences des décisions rendues en la matière.
Enfin la société CAFPI échoue à démontrer que la clause est justifiée et proportionnée à la protection de ses intérêts légitimes laquelle doit être appréciée de façon concrète en tenant compte des intérêts respectifs des cocontractants et des principes relatifs à la liberté du commerce et à la libre concurrence.
La société CAFPI soutient que la clause litigieuse s’explique par la nécessité de rémunérer les apporteurs d’affaires qu’elle cherche à fidéliser en les rémunérant avantageusement, cet investissement étant, selon ses explications, perdu en cas de départ du MIOB avec lequel ils entretiennent des liens privilégiés. Elle en veut pour preuve le fait que depuis le départ de Monsieur [K], elle n’est pas parvenue à retrouver le même chiffre d’affaires au sein de l’agence où il exerçait.
Cependant rien n’établit que la baisse du chiffre d’affaires soit imputable au seul départ de Monsieur [K] dans un contexte général marqué par de fortes évolutions du marché de l’intermédiation en matière d’opérations de crédit ni que les apporteurs d’affaires avec lesquels il avait l’habitude de travailler l’ont suivi après sa démission de la société .
Par ailleurs au regard de l’implantation géographique de la société CAFPI également répartie sur tout le territoire national et de sa position de leader sur le marché de l’intermédiation en opérations de banque, il n’est pas sérieux de soutenir que la clause de non-concurrence est indispensable à la protection de son savoir-faire et de ses intérêts.
Dans le seul rayon géographique de la clause Monsieur [K] démontre qu’il existe plusieurs agences implantées par la CAFPI dont deux à [Localité 9] et une à [Localité 8] et pas moins de 40 MIOBS.
Dès lors que la clause de non-concurrence litigieuse n’est pas suffisamment limitée dans le temps et l’espace et qu’elle va au delà de ce qui est strictement nécessaire à la protection des intérêts légitimes de la société mandante, elle doit être déclarée non écrite sans qu’il soit nécessaire d’examiner si elle crée un déséquilibre significatif entre les parties et constitue une clause abusive et si elle doit être réduite par le juge en vertu de son pouvoir de modération tiré de l’article 1231-4 du Code civil.
Sur les autres demandes :
Compte tenu de la position économique respective des parties, il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [P] [K] partie des frais irrépétibles qu’il a exposés pour assurer sa représentation en justice. Il lui sera alloué la somme de 3000 € de ce chef.
La partie qui succombe doit supporter les frais de l’instance.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après en avoir délibéré ,
Infirme le jugement du tribunal de Commerce de Toulouse en date du 13 décembre 2021 en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Dit que la clause de non-concurrence stipulée au contrat est réputée non écrite,
Déboute la société CAFPI de l’ensemble de ses demandes formées sur le fondement de la clause de non-concurrence,
Rejette le surplus des demandes et les prétentions contraires,
Condamne la société CAFPI à payer à Monsieur [P] [K] la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux entiers dépens de l’instance.
le greffier La présidente .